Ce Mercredi 7 novembre 1792, un secrétaire fait lecture à la Convention d’une adresse envoyée par plusieurs sociétés patriotiques d’Angleterre, qui soutiennent de tout coeur le mouvement révolutionnaire français.

Un des signataires de la présente lettre, Maurice Margadot, ainsi que deux autres républicains anglais, seront condamnés à la déportation, quelque temps après, pour avoir érigé une « Convention nationale » en Angleterre (au moment ou ce pays deviendra hostile à la France, après la mort de Louis XVI).

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« Tandis que les brigands étrangers, sous le spécieux prétexte de venger la justice, ravagent votre territoire, portent partout la désolation et la mort; tandis qu’aussi traîtres que perfides, ils ont l’impudence de proclamer que la compassion et l’amitié sont les seuls motifs de leurs incursions, la partie opprimée de l’humanité, oubliant ses propres maux, ne sent que les vôtres, et contemplant d’un oeil inquiet les événements, adresse au Dieu de l’univers les prières les plus ferventes pour qu’ils soient favorables à votre cause, à laquelle la leur est si intimement liée.

Avilis par un système oppresseur d’inquisition, dont les empiétements insensibles, mais continus, ont bientôt ravi à cette nation toute sa liberté tant vantée, et l’on presque amenée à cet état abject d’esclavage dont vous venez si glorieusement de sortir, cinq mille citoyens anglais, transportés d’indignation, ont le courage de s’avancer pour arracher leur pays à l’opprobre dont l’a couvert la conduite lâche de ceux qui sont revêtus du pouvoir. Ils croient qu’il est du devoir des vrais Bretons de soutenir et d’assister de tous leurs moyens les défenseurs des droits de l’homme, les propagateurs du bonheur de l’humanité, et de jurer à une nation qui procède d’après le plan que vous avez adopté, une amitié inviolable. Puisse dès ce jour cette amitié être sacrée entre nous, et puisse la vengeance la plus éclatante tomber sur la tête de l’homme qui tentera d’occasionner une rupture !

Français, notre nombre paraîtra peu considérable comparativement au reste de la nation, mais sachez que notre nombre augmente chaque jour; et si le bras terrible et constamment levé de l’autorité imposé aux timides; si les impostures répandues à chaque instant avec tant d’industrie égarent les crédules, et si l’intimité publique de la cour avec des Français reconnus traîtres à leurs pays entraîne les imprévoyants et les ambitieux, nous pouvons vous dire aussi avec certitude, hommes libres et amis, que l’instruction fait des progrès rapides parmi nous, que la curiosité s’est emparée de l’esprit public, que le règne inséparable de l’ignorance et du despotisme s’évanouit; et qu’aujourd’hui tous les hommes se demandent : Qu’est-ce que la liberté ? Quels sont nos droits ? Français, vous êtes déjà libres; mais les Bretons se préparent à le devenir.

Dépouillés enfin de ces préjugés cruels, inculqués dans nos coeurs avec tant d’industrie par de vils courtisans, au lieu d’ennemis naturels, nous ne voyons dans les Français que nos citoyens du monde, que les enfants de ce père commun qui nous a tous créés pour nous aimer, pour nous secourir les uns les autres, et non pour nous haïr et être prêts à nous égorger au commandement de rois faibles ou ambitieux, ou de ministres corrompus. En cherchant nos ennemis cruels, nous les trouvons dans les partisans de cette aristocratie dévorante qui déchire notre sein, aristocratie qui, jusqu’à présent, a été le poison de tous les pays sur la terre. Vous avez agi sagement en la bannissant de la France.

Quelque fervents que soient nos souhaits pour vos succès, quelque ardents que soient nos désirs de voir la liberté triomphante sur la terre, et l’homme rétabli enfin partout dans la pleine jouissance de ses droits, nous ne pouvons, par un sentiment de notre devoir, comme citoyens mais de l’ordre, voler en arme à votre secours. Notre gouvernement a engager la foi nationale que les Anglais resteraient neutres. Dans la lutte de la liberté contre le despotisme, les Bretons rester neutres ! Ô honte ! Mais nous avons donné à notre roi des pouvoirs à discrétion, il nous faut obéir; nos mains sont enchaînées; mais nos coeurs sont libres, et ils sont avec vous. Que les despotes allemands agissent comme ils le voudront, nous nous réjouiront de leur chute. En plaignant les malheureux qu’ils tiennent en esclavage, nous nous flattons que leur tyrannie procurera enfin les moyens de rétablir dans la pleine jouissance de leurs droits et de leur liberté des millions de nos semblables. Nous voyons aussi sans aucun intérêt que l’électeur de Hanovre joigne ses troupes à celles des traîtres et des brigands; mais le roi d’Angleterre fera bien de se souvenir que l’Angleterre n’est pas le Hanovre. S’il pouvait l’oublier, nous ne l’oublierons pas. Tandis que vous jouissez, frères et amis, de la gloire enviée de défendre seuls la liberté, nous anticipons avec transport sur l’avenir, pour y voir les avantages sans nombre et le bonheur que vous procurerez aux hommes, si vous réussissez, comme nous le désirons ardemment. La triple alliance, non de couronnes mais des peuples de l’Amérique, de la France et de la Grande-Bretagne, donnera la liberté à l’Europe et la paix à l’univers.

Chers amis, si vous combattez pour le bonheur de l’humanité entière, est-il pour vous aucune perte, aussi sanglante qu’elle soit, comparée à l’avantage glorieux et sans exemple de dire: L’univers est libre ! Les tyrans et la tyrannie ne sont plus ! La paix règne sur la terre, et c’est aux Français qu’on le doit ».

Signé par ordre, Maurice MARGADOT, président; THOMAS, HARDY, secrétaires

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Source : « Journal officiel de la Convention Nationale – La Convention Nationale (1792-1793), Procès-verbaux officiels des séances depuis le 21 septembre 1792, Constitution de la grande assemblée révolutionnaire, jusqu’au 21 janvier 1793, exécution du roi Louis XVI, seule édition authentique et inaltérée contenant les portraits des principaux conventionnels et des autres personnages connus de cette sublime époque », auteur non mentionné, Librairie B. Simon & Cie, Paris, sans date, page 247.