C’est au nom du Comité de surveillance de Paris que le député Joseph Delaunay (né à Angers en 1752 – mort à Paris en 1794), s’exprime devant l’Assemblée, en ce Mardi 2 octobre 1792. Il demande que le Comité de sûreté générale examine avec détails les dossiers des individus qui ont été arrêtés lors de la journée du 10 août, afin d’en faire le rapport à la Convention pour qu’elle statue sur le cas de chacun d’entre eux, en connaissance de cause.
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Joseph Delaunay, au nom du comité de surveillance : « C’est encore de la Commune de Paris dont je viens vous parler au nom du comité de sûreté générale et de la commission extraordinaire. Quelque étrange qu’il soit qu’une section de la république appelle chaque jour l’attention des représentants d’un grand peuple, cependant, telle a été son influence dans la révolution, qu’elle a communiqué un mouvement presque général, que sa marche a été suivie dans plusieurs départements, et que le projet de décret que nous vous présentons relativement aux arrestations faites en vertu des mandats d’arrêts décernés par les comités de surveillance de la Commune, et des sections de Paris, doit être une loi générale pour les villes où des arrestations semblables se sont multipliées d’une manière alarmante pour la liberté publique et individuelle.
Un grand nombre de personnes ont été arrêtées depuis le 10 août; elles ont adressé au corps législatif plusieurs pétitions, par lesquelles elles demandent à être provisoirement relâchées; elles se fondent sur ce que la loi n’ayant pas attribué aux comités de surveillance et des sections de Paris, le droit redoutable de lancer des mandats d’arrêts, et sur ce que n’étant pas coupable des délits dont on les accuse, leur arrestation ne peut être qu’un acte illégal d’un pouvoir tyrannique; ils ajoutent que s’ils réclament d’être mis en liberté provisoirement, ce n’est pas pour se soustraire à la justice, mais au fer des assassins, et qu’ils tremblent à chaque instant d’éprouver dans les prisons le sort de ceux qu’ils y ont remplacés. Le corps législatif ayant déterminé postérieurement à ces réclamations comment et dans quels cas les municipalités doivent exercer le droit de mandat d’arrêt, vos comités ont cru qu’ils devaient moins examiner si dans le droit la Commune et les sections ont pu lancer des mandats d’arrêts, qu’examiner si les faits et les délits qui en sont la base sont de nature à y donner lieu.
D’ailleurs, dans les temps de révolution, il faut juger révolutionnairement et les hommes et les moyens. Souvent on est réduit à céder par prudence, et à conduire le désordre pour le prévenir, et dans ces moments de troubles et de terreurs, au milieu des crises, des dangers et des menaces, à la suite d’une révolution qui bouleverse les anciens rapports, on est obligé d’employer des mesures fortes et extraordinaires qui ne sont pas dans la loi, que la nécessité des conjonctures commande, et sur lesquelles il faut ensuite par prudence jeter un voile épais.
Je ne parle ici que des hommes qui ont fait la révolution du 10 août. Je ne leur fais pas l’injure de les confondre avec les lâches brigands du 2 septembre, qui l’auraient déshonorée si toutefois la cause de la liberté pouvait être souillée par les crimes de quelques vils scélérats. D’abord j’observe qu’à l’époque des meurtres commis dans les prisons, on conduisit en l’église de Sainte-Catherine, et ailleurs, les infirmes, les fous, et la plupart de ceux qui étaient condamnés à une détention par le tribunal de police correctionnelle, et par les autres tribunaux criminels. Lorsque le calme a commencé à renaître, ils ont été transférés des lieux où ils avaient été mis en sauvegarde, à Sainte-Pélagie, à Bicêtre et dans les autres prisons de Paris.
Ces translations ont été faites en conséquence des ordres donnés par la Commune; ainsi, quoique les arrestations aient été présentées à vos comités comme un acte illégal d’un pouvoir arbitraire, ils n’y ont vu que des actes de prudence et de sûreté; ils croient qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la demande en liberté provisoire des personnes précédemment condamnées par les tribunaux à des détentions plus ou moins longues, en raison de la gravité des délits; il faut que leur jugement s’exécute, ou que, pour le faire réformer, ils usent des moyens indiqués par la loi.
Par rapport à ceux qui lors et depuis ont été arrêtés, les uns sont prévenus de délits ordinaires, tels qu’excès, vols et escroqueries; et les autres, en petit nombre, sont accusés de délits relatifs à la révolution. Vos comités croient qu’il ne faut pas relâcher provisoirement les personnes prévenues de délits ordinaires; il faut les renvoyer devant les tribunaux qui doivent en connaître.
Quant aux personnes arrêtées comme suspectes d’incivisme, et comme prévenues de délits contre-révolutionnaires, nous pensons qu’il serait extrêmement dangereux de les mettre provisoirement en liberté, sans avoir préalablement scruté leur conduite dans ses rapports avec les conspirateurs du dedans et du dehors. Les scellés ont été apposés sur leurs papiers. Il est très important d’examiner leurs correspondances. Nous croyons avec d’autant plus de raison à la possibilité de trouver dans cet examen des lumières utiles, que les opinions de la plupart des détenus ne sont pas équivoques. Ce sont des écrivains marqués dans la révolution par un incivisme scandaleux; ce sont des agents de la liste civile; ce sont des femmes attachées aux émigrés, et chargées de leur correspondance.
Il ne faut pas se le dissimuler, la surveillance la plus active est encore nécessaire. Le comité de sûreté générale est instruit par une série de faits incontestables que les agitateurs, que la horde royaliste, et tous les ennemis de la chose publique, dispersés d’abord par la terreur, cherchent aujourd’hui un point de ralliement, et osent concevoir de criminelles espérances. Il importe de suivre les ramifications de cette vaste conjuration, et de ne négliger aucun moyen d’en connaître et les plans et les complices.
Cependant il faut concilier ce que commandent et la sûreté générale et les droits de citoyen. Un Français ne peut être tenu de faire le sacrifice, même momentané, de la liberté, que lorsque le salut public l’exige impérieusement; or, comme dans le nombre des personnes détenues depuis le 10 août, comme suspectes d’incivisme, il peut s’en trouver dont une plus longue arrestation ne serait pas suffisamment motivée sous ce rapport, nous pensons que le comité de surveillance doit être autorisé à se faire remettre par la Commune et par les sections les interrogatoires, les pièces et les papiers des détenus, pour, après l’examen qu’il en fera, être statué en connaissance de cause, sur la liberté ou sur la détention des prévenus.
Quant aux craintes que les événements passés inspirent, il est de l’intérêt et de la dignité de la Convention nationale de les dissiper, et de prouver à la France et à l’Europe que la personne des individus, innocents ou coupables jetés dans les prisons de Paris, est aussi sacrée que celle des autres citoyens, et qu’étant sous la protection de la loi, les assassiner, c’est assassiner la loi même. Il faut que nous périssions ici, ou que le règne des lois renaisse, que l’anarchie expire, et que la hache révolutionnaire ne soit plus dans les mains des scélérats un instrument de terreur, de crime et de vengeance. En effet, si le gouvernement ne devait marcher qu’accompagné d’insurrection, si les scènes d’horreur qui se sont passées sous nos yeux devaient se renouveler, si l’autorité des représentants du peuple pouvait être un jour avilie ou méconnue, si la force publique pouvait être égarée ou anéantie, la société serait dissoute, et il ne nous resterait qu’à gémir sur les ruines de la liberté.
Sans doute un moment d’anarchie fut nécessaire pour consommer la ruine de nos ennemis; mais ce qui assure le triomphe de la plus belle cause qui fut jamais peut la perdre sans retour, s’il se prolonge au-delà de la limite assignée par la nécessité des conjectures; et il est très évident, pour quiconque a étudié la marche des choses et le caractère des hommes, que vos déterminations doivent principalement porter sur le rétablissement de l’ordre, sur le renouvellement de l’esprit de subordination, sur les moyens de rendre la vigueur aux autorités, et d’empêcher qu’une seule goutte de sang humain ne coule sous un autre glaive que sous celui de la loi. Si vous manquiez de ce fondement essentiel à l’édifice que vous allez élever, tous vos travaux s’évanouiraient comme une ombre vaine, et il ne vous resterait de vos veilles que la douleur d’invoquer encore une autre représentation nationale, qui ne réussirait pas mieux que vous à sauver le peuple et à fonder la liberté; car que peut l’autorité contre la force érigée par des hommes pour qui toute constitution aura toujours l’impardonnable défaut d’établir une autorité publique et de les assujettir à des lois ? »
(On applaudit.)
(La Convention ordonne l’impression de ce rapport).
(Delaunay lit un projet de décret qui est adopté en ces termes : « La Convention nationale décrète que le comité de sûreté générale est autorisé à se faire rendre compte des arrestations relatives à la révolution du l0 août, de prendre connaissance de leurs motifs, de se faire représenter la correspondance des personnes arrêtées; et généralement toutes les pièces tendantes, ou à leur justification, ou à donner la preuve des délits dont ils sont accusés, pour en faire le rapport à la Convention nationale, pour, par elle; être pris telle détermination qu’elle jugera convenable »).
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Source : « Journal officiel de la Convention Nationale – La Convention Nationale (1792-1793), Procès-verbaux officiels des séances depuis le 21 septembre 1792, Constitution de la grande assemblée révolutionnaire, jusqu’au 21 janvier 1793, exécution du roi Louis XVI, seule édition authentique et inaltérée contenant les portraits des principaux conventionnels et des autres personnages connus de cette sublime époque », auteur non mentionné, Librairie B. Simon & Cie, Paris, sans date, pages 61 à 62.