Originaire d’un milieu breton modeste, Aristide Briand [1862-1932] obtient son baccalauréat en 1881, puis s’oriente vers des études de droit, tout en revenant régulièrement à Saint Nazaire où sont installés ses parents.
En 1886, Aristide Briand devient avocat stagiaire au barreau de Saint Nazaire. En parallèle, il entame également une carrière de journaliste en collaborant au journal La Démocratie de l’Ouest, à partir de 1884 et il se lie d’amitié avec le rédacteur en chef Fernand Pelloutier. Devenu directeur politique de l’Ouest Républicain, il s’engage aux côtés des radicaux-socialistes. En 1888, Aristide Briand saute le pas et se présente aux élections municipales de Saint Nazaire. Il est finalement élu mais démissionne l’année suivante. En 1892, Briand se déclare officiellement socialiste.
C’est également à cette époque
Extrait n°1 : la Grève générale plutôt que la Révolution ?
De deux choses l’une, en effet : ou les Congrès ouvriers ont eu raison d’adopter cette tactique, ou bien ils ont eu tort. Dans les deux cas, il est de toute nécessité que les partisans de la Grève générale viennent dire pourquoi ils l’ont préconisée ; que, d’autre part, ceux qui en sont les adversaires et l’ont combattu, exposent les raisons qui leur ont fait rejeter. Le congrès jugera. Mais il est absolument indispensable et urgent que le prolétariat soit renseigné, afin qu’il puisse s’écarter au plus vite de la voix où, sur mes conseils et ceux de quelques-uns de mes amis, il s’est engagé, si elle est jugée mauvaise et dangereuse.
Vous me permettrez, citoyens, de persister à croire qu’elle est bonne et féconde, et d’espérer que le parti socialiste tout entier s’y engagera avec le prolétariat, j’ose même dire à la tête du prolétariat. (Vifs applaudissements.) […]
Je tiens à déclarer, dès le seuil de cette discussion, que je suis personnellement plutôt hostile à la grève. Je ne suis pas un prêcheur de grève… (protestations et exclamations diverses.) […]
Je ne suis pas partisan de la grève, j’entends de la grève partielle. Je la juge néfaste, et même quand elle donne des résultats, je considère qu’ils ne compensent jamais les sacrifices consentis. La grève partielle est presque toujours vouée à l’impuissance, parce que les ouvriers engagés dans un conflit ne se trouvent jamais, en réalité, aux prises avec des patrons isolés. Les travailleurs en grève sont bien réellement isolés, eux, même quand ils ont l’aide morale et matérielle du prolétariat. […]
Après un certain nombre d’expériences, il est arrivé que les travailleurs conscients se sont rendus compte de l’inutilité, tout au moins de l’insuffisance de leurs efforts. Ils en sont venus très vite à se demander s’il ne serait pas possible de tirer un meilleur parti de l’organisation syndicale. Le résultat de la réflexion a été ce qu’il devait être ; il les a conduits instinctivement à la conception de la grève générale ; en sorte qu’il m’a suffi, soit dans les conférences, soit dans les congrès, de la dégager en une formule précise pour me trouver aussitôt en communion d’esprit avec les représentants du prolétariat organisé. […]
Je prévois qu’on me fera cette objection : « mais si la Grève générale, c’est la Révolution, pourquoi ne pas aller droit au but, en préconisant directement la Révolution ? Si les travailleurs étaient prêts pour la Grève générale, n’est-ce pas qu’ils le seraient aussi pour la révolution ? » D’autres diront : « la Révolution ne s’organise ni ne se décrète, elle ne dépend pas de la volonté des individus ; elle est le résultat de circonstances, le point culminant de l’évolution : elle s’impose aux hommes… ». Voyez que je n’essaie pas d’esquiver les difficultés de la discussion.
Je conviens, citoyens, que la Grève générale, la Révolution, ne peuvent être décrétées d’avance pour une date ferme ; je conviens que la Révolution, malheureusement, ne dépend pas de quelque bonne volonté, sans cela, il y a longtemps que vous l’auriez faite. Je ne nie pas le rôle prépondérant de l’évolution et des circonstances. (Vifs applaudissements). Mais je crois –c’est une réserve que je tiens à faire car je ne suis pas fataliste– que la volonté humaine peut arrêter la marche de l’évolution et contribuer puissamment à accoucher les circonstances. […]
Extraits pages 6 à 12
Extrait n°2 : l’ombre de la Commune
Conseiller à nos militants de faire la Révolution ? Ah ! Citoyens, ils en ont bien envie, si cela ne dépendait que d’eux, ils seraient bien vite dans la rue. Ils n’y vont pas parce qu’ils prévoient comment ils y seraient reçus… (Vifs applaudissements), parce qu’ils savent bien que leurs efforts seraient noyés dans le sang…
Une voix.– Comme en 1871 !… (Applaudissements.)
Le citoyen Briand.–Ils comprennent que la révolution de demain, celle qui émancipera le prolétariat, ne peut être efficacement tentée par les vieux procédés révolutionnaires. Non pas, camarade, que je les réprouve. Je suis de ceux qui se feront toujours scrupule de décourager les bonnes volontés sous quelques formes elles se manifestent. (Applaudissements.)
Allez à la bataille avec le bulletin de vote si vous le jugez bon, je n’y vois rien à redire. J’y suis allé, moi, comme électeur, j’y suis allé comme candidat, et j’y retournerai sans doute demain. Allez-y avec des piques, des sabres, des pistolets, des fusils : loin de vous désapprouver, je me ferai un devoir, le cas échéant, de prendre une place dans vos rangs. Mais ne découragez pas les travailleurs, quand ils tentent de s’unir pour une action qui leur est propre, à l’efficacité de laquelle ils ont les plus sérieuses raisons de croire. Car enfin, citoyens, la réussite d’une Révolution dans l’état actuel des choses, à quoi tient-t-elle ? (Une voix : à l’anarchie !) Ah ! Non, certes ! Elle tient surtout, de même que la réussite des guerres modernes, à une question de mobilisation.
Si une révolution éclatait aujourd’hui dans la forme ancienne, à Paris d’abord, puis successivement dans chacune des villes où nous avons des amis, où nos idées ont progressé, la classe bourgeoise, grâce aux moyens de transport dont elle dispose, avec une armée facilement mobilisable, aurait bien des chances pour étouffer successivement, au fur et à mesure qu’elle se produirait, nos tentatives de révolte.
Une voix.–Voyez la Commune.
Le citoyen Briand.–Hé ! Oui, citoyens, si la Commune a été vaincue, c’est surtout parce qu’elle a été isolée dans Paris. (Applaudissements.) Avec la Grève générale, un pareil inconvénient n’est pas à craindre. C’est presque simultanément, sur tous les points du territoire, que la bataille s’engagerait. La mobilisation des travailleurs serait aussi rapide que celle des soldats, et c’est partout, à la fois que la bourgeoisie aurait à faire face au danger.
Puis, la Grève générale présente sur les autres procédés révolutionnaires, un autre avantage incontestable. Elle donne aux travailleurs plus de confiance et de courage. Il faut compter avec la faiblesse humaine. Ce n’est jamais d’un cœur léger que l’homme se jette dans la mêlée. Au moment où il va quitter sa maison pour prendre part à la lutte, s’exposer peut-être à la mort, il y a des sentiments qui le disputent à la révolte et le retiennent au foyer. […]
Extrait pages 13-14
Source : Discours sur la Grève générale prononcé par Aristide Briand devant le Congrès général du parti socialiste français en décembre 1899, discours sténographié (in-extenso) relu et corrigé par l’auteur, La Brochure mensuelle, n° 112, Paris, avril 1932, 24 pages.