Victorine Brocher fait partie des femmes qui ont joué un rôle politique inédit durant la Commune de Paris et dont les écrits constituent une source majeure pour connaître les motivations et les actions des Communards, ainsi que la répression dont ils furent la cible.

Victorine Marie Lenfant est née le 4 septembre 1839 à Paris. Issue d’une famille républicaine, elle assiste à la révolution de 1848 qui la marque profondément. Sa famille déménage à Orléans, peu de temps après. Après le coup d’état du 2 décembre 1851, son père, Garde national, s’exile en Belgique et poursuit ses activités politiques, tandis que le reste de la famille repart s’installer à Paris en 1862. Engagée très tôt en politique, sensible à la question sociale, la publication du roman de Victor Hugo Les misérables la marque profondément, tandis qu’elle adhère très vite à l’Internationale. Mariée à un cordonnier, Charles Jean Rouchy, elle participe très activement à la Commune de Paris en tant que combattante, cantinière et ambulancière, notamment à l’occasion de la Semaine Sanglante. Victorine Brocher échappe par miracle à la répression (une autre femme est fusillée à sa place) et vit cachée à Paris jusqu’en 1872, année où elle parvient à s’exiler en Suisse. Elle épouse en secondes noces Gustave Brocher. Elle décède en 1921.

En 1909, Victorine Brocher publie ses mémoires. Son témoignage de la Commune est l’un des plus vifs et directs concernant les événements. L’un des passages concerne la période de Noël 1870, décrite comme mortifère.


24 décembre, on commence les baraques des boulevards ; ce pauvre Paris épuisé a encore besoin de se faire de fausses joies ; quel assemblage bizarre que ces pauvres petites bicoques, qui n’ont rien à leur étalage, elles n’ont pour hochets que des pantins articulés, caricaturant Bismark, de Moltke et l’empereur, en pains d’épices.

Cela nous va bien, vraiment ; pendant que nous donnons ces ridicules jouets à briser entre les mains de nos enfants, eux les autres, prennent nos fils pour les faire dévorer par le monstre insatiable, la guerre.

Plaisir d’un jour pour les uns,

Deuil éternel, pour les familles.

Le 25, jour de Noël, on m’a envoyé pour moi une livre de beurre et une demi-mesure de pommes de terre, C’est un présent princier. Je n’ai jamais pu savoir qui me l’a envoyé, un garde de ma compagnie, je suppose.

Aux avant-postes, le 22 décembre, le froid est terrible, les soldats, les pieds sur la terre gelée, souffrent horriblement, on ne compte pas moins de 900 morts de congélation.
Le jour de Noël, le froid était si rigoureux que plusieurs gardes nationaux sont morts aux remparts. Moi-même, le matin je suis sortie de ma casemate, j’avais si froid, je fus saisie ; les larmes me coulaient des yeux, elles gelèrent sur mes joues, je les détachais difficilement de mon visage.

Le 26, le froid continue toujours, le combustible manque, la nourriture est déplorable ; on coupe toujours les arbres des avenues du Bois de Boulogne. Aujourd’hui je suis libre de service, je vais au cimetière ; devant la porte il y a des files ininterrompues de corbillards ; les chevaux soufflent, les cochers battent la semelle en attendant leur tour d’entrer.

Victorine Brocher  Souvenirs d’une morte vivante, 1909, Lausanne, librairie A. Lapie, extrait p. 150-151


En bonus, une chanson en rapport avec le thème du texte.

« La  Commune est en lutte » , chanson du regretté Jean-Roger Caussimon et l’un des thèmes musicaux du film de Bertrand Tavernier  » Le juge et l’assassin ».