Le baptême des Indiens – François Xavier aux Indes
« En arrivant chez les païens, je réunissais tous les hommes, leur faisais faire trois fois le signe de la croix. Puis venaient les prières que j’avais traduites dans leur langue. Les prières terminées, je fais une explication en leur langue des articles de toi et des commandements de la loi.
Le sermon terminé, je demande à tous s’ils croient à chacun des articles de la foi : tous me répondent affirmativement. Je les baptise alors et leur remets, à chacun, leur nom de baptême par écrit. Les hommes baptisés rentrent chez eux et m’envoient leurs femmes et leurs filles. »
Extrait de COLL., Histoire-Géographie 5e, initiation économique, Paris, Nathan, 1987.
Saint François Xavier fut un missionnaire espagnol (1506-1552). Il fut un des membres fondateurs de la Compagnie de Jésus qu’il implanta en Inde, Chine et Japon.
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Arrivée au Japon
LETTRE DE SAINT FRANÇOIS DE XAVIER AUX PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS, RÉSIDANT A GOA (en Inde).
« Cangoxima (1), 3 novembre 1549.
(…)
Enfin, le jour même de l’Assomption de la Sainte-Vierge, 15 août 1549, nous touchions cette terre après laquelle nous avions tant soupiré ! N’ayant pu aborder ailleurs, nous débarquâmes à Cangoxima, qui précisément est la patrie de Paul de Sainte-Foi ; nous y fûmes parfaitement accueillis par ses parents, ses amis et ses concitoyens.
Maintenant, voici quelques détails sur les îles japonaises, au moins sur ce que j’ai pu voir et apprendre par moi-même.
De tous les peuples barbares que j’ai vus, nul ne peut être comparé à celui-ci pour la bonté de sa nature. Il est d’une probité parfaite, franc, loyal, ingénieux , avide d’honneurs et de dignités. L’honneur est pour lui le premier de tous les biens. Il est pauvre, mais chez lui la pauvreté n’est pas méprisée. La noblesse pauvre n’est pas moins considérée que si elle était riche, et jamais l’indigence ne déterminerait un gentilhomme à se mésallier pour relever son nom par le secours d’une opulence plébéienne : il croirait s’avilir. Les Japonais sont obligeants. Ils ont un goût excessif pour les armes, qu’ils considèrent comme une sauvegarde indispensable. Tout le monde est armé, les petits comme les grands : tous portent à la ceinture un poignard et une épée, même les enfants de quatorze ans, et ils ne comprennent pas qu’on supporte une parole offensante.
Les plébéiens respectent la noblesse autant que celle-ci respecte les rois et les princes, et tient à honneur de les servir et de leur obéir. Cette soumission tient uniquement au respect ; ils croiraient se dégrader en obéissant par crainte.
Le Japonais mange peu et boit beaucoup. Sa boisson est une liqueur produite par le riz fermenté, car la vigne est inconnue ici. Ils regardent comme infâmes toutes sortes de jeux surtout ceux de hasard, parce que le joueur, disent-ils, convoite le bien d’autrui. S’ils jurent, ce qui est rare, c’est par le soleil. Presque tous savent lire, ce qui nous sera d’un grand secours pour leur faire apprendre les prières et les principaux points de la doctrine chrétienne.
(…) Ils écoutent avidement tout ce que nous leur disons de Dieu et de la religion. Les Japonais n’adorent point de figures d’animaux ; ils rendent les honneurs divins à d’anciens personnages dont la vie, autant que j’ai cru le comprendre, ressemblait à celle de nos anciens philosophes. Quelques-uns adorent le soleil, d’autres la lune. Tous entendent parler, avec plaisir, de ce qui se rapporte à l’histoire naturelle et à la philosophie morale. Bien que coupable de plusieurs crimes, ils se condamnent dès qu’on leur en découvre l’énormité à la seule lumière de la raison.
(…) La vie des bonzes est plus criminelle que celle du peuple, et pourtant ils jouissent d’une grande considération. (…) J’ai eu plusieurs conférences avec quelques-uns des plus fameux, et notamment avec celui qui, en raison de son habileté, de son titre et de son grand âge, – il est octogénaire, – jouit du respect, de la vénération même de toute la contrée ; il est parmi les bonzes comme une sorte d’évêque ; il a le titre de Ninchit : Je l’ai toujours trouvé hésitant sur les questions les plus simples, quoique les plus importantes, comme par exemple : notre âme est-elle immortelle ? ou périt-elle avec le corps ? A cela, il répond tantôt affirmativement, tantôt négativement. Si ce fameux docteur est si peu solide, que puis-je penser des autres? Cependant, ce qui vous paraîtra surprenant, il m’aime beaucoup et le peuple comme les bonzes, recherche notre conversation avec avidité. Ce qui les étonne singulièrement, c’est que nous ayons fait six mille lieues dans l’unique but de leur annoncer l’Evangile.
Le sol de ces îles est éminemment propre à recevoir la semence évangélique; rendez-en grâce à Dieu avec nous. Si rions possédions parfaitement la langue du pays, nous ferions ici une abondante récolte. Dieu veuille que nous la possédions bientôt ! Déjà nous commençons à la parler, et en quarante jours nous avons fait des progrès suffisants pour pouvoir expliquer les dix Commandements de Dieu.
Je n’entre dans ces détails que pour vous porter à remercier l’adorable Providence d’avoir ouvert à votre zèle ces nouvelles contrées.
(…) Tenez-vous donc prêts; d’ici à deux ans j’en appellerai peut-être plusieurs d’entrevous. Livrez-vous en attendant à la méditation et à la pratique de l’humilité. Exercez-vous à vous vaincre et à surmonter toutes les répugnances de la nature. Appliquez-vous à vous étudier, afin de vous connaître :la connaissance de soi-même est la mère de l’humilité et de la confiance en Dieu. (…)
(…) Dépouillez-vous, mes chers enfants, de toute confiance dans vos propres forces, dans la sagesse humaine, dans l’estime des autres, pour vous reposer entièrement dans les bras de la Providence. Vous serez ainsi toujours debout, toujours armés et prêts à combattre ou à supporter toutes les peines spirituelles et corporelles; car Dieu fortifie les faibles et il élève les petits.
Je connais un homme qui a contracté l’habitude de ne mettre sa confiance qu’en Dieu seul, au milieu des dangers les plus effrayants; Dieu l’en récompense par une effusion merveilleuse de grâces, qu’il serait trop long d’énumérer ici.
Mais reprenons notre relation. (…)
Les habitants de Cangoxima n’ont pas blâmé Paul d’avoir embrassé le christianisme, et semblent même l’en estimer davantage. Tous le félicitent d’avoir eu le bonheur de faire le voyage des Indes, et d’être le premier Japonais qui en a découvert les richesses. Le roi de Saxuma, d’où dépend Cangoxima, habite à six lieues d’ici ; Paul jugea de son devoir d’aller lui présenter ses hommages et en fut très-bien reçu (2). Le roi, après lui avoir témoigné le plaisir qu’il avait à le revoir, lui fit beaucoup de questions sur les moeurs, les usages, les richesses, les forces et la puissance des Portugais, et il parut très-satisfait de ses réponses. Mais ce qui lui parut une merveille des plus surprenantes, ce fut un petit tableau que Paul lui montra, représentant la sainte Vierge tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux. Frappé d’admiration et de respect à la vue de cette belle peinture, il se jeta à genoux et ordonna à ses courtisans de l’imiter. Ce tableau ayant été présenté ensuite à la reine mère, elle fut saisie du même respect et de la même admiration, et peu de jours après elle envoya demander à Paul une copie de cette image; mais il ne se trouva pas de peintre capable de la reproduire. Elle demanda alors qu’on lui écrivît un abrégé de la religion chrétienne ; Paul s’empressa de la satisfaire. (…)
Paul, qui prêche jour et nuit l’Evangile à ses parents et amis, a déjà converti sa mère, sa femme, sa fille, et plusieurs de ses proches et de ses voisins. Personne ne les a désapprouvés. Puisse le ciel nous délier bientôt la langue, afin que nous puissions nous livrer sans réserve à la prédication ; car nous sommes comme des statues : on nous parle, on nous fait des signes, et nous sommes muets ! Nous redevenons enfants; toute notre occupation est d’apprendre les premiers éléments de la grammaire japonaise. Dieu nous fasse la grâce d’imiter la simplicité des enfants, et d’en avoir l’innocence comme nous en pratiquons les exercices ! (…)
Lorsque nous vînmes dans ces contrées, entraînés par la soif des conquêtes, nous pensions faire une chose agréable à Dieu, et nous ne faisions qu’entrevoir les grâces dont il daignerait un jour nous favoriser. Mais aujourd’hui, nous voyons clairement que ce voyage est un bonheur pour nous-mêmes, et que c’est dans notre propre intérêt qu’il nous a conduits dans ce pays ; car, pour nous rendre plus aptes à son service, et nous tenir dans son unique dépendance, il a brisé tous les liens qui nous attachaient encore aux créatures, et qui auraient pu affaiblir notre confiance en lui seul. Ah ! mes Frères, je vous en prie ! joignez vos actions de grâces aux nôtres pour le remercier de tant de bienfaits, et que vos prières nous préservent du vice affreux d’ingratitude ! (…)
(…) Je regarde comme un bienfait signalé de la Providence de nous avoir amenés dans un pays où nous serons à l’abri des plaisirs de la table, et où la tentation même ne pourra nous atteindre. Le Japonais ignore l’usage de la viande, même celui de la volaille ; il ne vit que d’herbages, de riz, de blé, de poissons et de fruit dont il fait ses délices : aussi ne connaît-il aucune des maladies résultant de l’intempérance; il jouit d’une excellente constitution. (…)
On compte ici un grand nombre d’Académies. Si nous voyons partout les esprits disposés à recevoir l’Evangile, nous écrirons peut-être à toutes les Universités du monde chrétien pour réveiller leur foi, exciter leur zèle et satisfaire notre conscience ; car elles pourraient aisément venir au secours de ces peuples environnés de ténèbres, et les amener à la connaissance de la vérité. Nous écrirons à leurs docteurs comme à nos maîtres et à nos supérieurs, les priant de nous regarder comme le moindre d’entre eux ; et s’ils ne peuvent eux-mêmes venir prendre part à nos travaux, nous les prierons de seconder au moins de tous leurs moyens ceux qui seraient assez zélés pour se vouer au salut des âmes pour la gloire de Dieu, et qui trouveraient ici des consolations spirituelles plus grandes et plus solides que celles qu’ils peuvent espérer là où ils sont. Enfin, si le travail est tel qu’il me paraît devoir être un jour, je n’hésiterai pas, je m’adresserai directement au Saint-Père et je l’instruirai de l’état des choses ; car c’est à lui, vicaire de Jésus-Christ, père de toutes les nations, pasteur de tous les chrétiens, qu’appartiennent ceux qui sont prêts à baisser la tète sous le joug de l’Evangile et à entrer dans le sein de l’Eglise sous la domination du pontife souverain. Nous ferons encore un appel à toutes les communautés religieuses vouées au service de Dieu, et qui brûlent du désir de voir glorifier le nom de Jésus-Christ et s’étendre l’empire de la Croix. Nous les appellerons aux îles du Japon pour y étancher la soif qui les dévore; et si ces vastes contrées sont trop étroites pour leur zèle, nous leur montrerons du doigt l’empire de la Chine, dont la population et l’étendue sont infiniment plus considérables, et dont l’entrée nous sera facile, sous la protection de l’empereur du Japon, comme je l’espère avec la grâce de Dieu.
L’empereur du Japon est lié d’intérêts et d’amitié avec celui de la Chine, qui lui a donné son sceau pour en contre-signer les passeports des sujets japonais qui voudraient pénétrer dans son empire. On dit que plusieurs navires ont fait ce trajet en dix ou douze jours. Nous espérons, si Dieu nous laisse encore dix ans sur cette terre, que nous verrons de grandes choses effectuées et par ceux qui viendront apporter ici la lumière évangélique, et par ceux qui en auront été éclairés et convertis.
Le jour de Saint-Michel, 29 septembre, nous fûmes reçus en audience par le roi de Sàxuma, qui nous accueillit très-bien : « Conservez précieusement, nous dit-il, tous les documents de votre religion, car si la vérité en est prouvée, je mettrai le diable en fureur. » Peu de jours après, il rendit un édit qui donnait à ses sujets la liberté d’embrasser le christianisme. Heureuse nouvelle ! que j’ai réservée pour la fin de ma lettre, afin que le plaisir qu’elle vous fera soit augmenté par la surprise. Rendez-en grâces à Dieu ! (…)
(…) Ma plume ne tarit pas lorsqu’elle vous parle de mon affection pour vous tous et pour chacun de vous. Si les âmes de ceux qui s’aiment pouvaient se rendre sensibles aux yeux du corps, vous vous verriez tous peints dans la mienne, mes bien chers Frères, comme dans un miroir, à moins que votre humilité ne vous permît pas de vous reconnaître ornés de toutes les vertus dont mon coeur se plaît à vous embellir.
Que le Seigneur éclaire nos esprits ! qu’il nous fasse connaître sa sainte volonté et nous donne à tous la force de l’exécuter ponctuellement ! (…)
Tout à vous en Jésus-Christ,
François. »
Traduction trouvée sur :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/francxavier/fx006.htm#_Toc59779855.
Notes :
1) Ou Kagosima, capitale du royaume de Saxuma.
2) Paul allait solliciter sa grâce pour le motif qui l’avait forcé de quitter le Japon; il l’obtint pleine et entière.
Il est habituel qu’un converti soit baptisé d’un nom chrétien.
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En Chine
« Ce port de Sancian se trouve à trente lieues de Canton. Beaucoup de marchands de cette ville de Canton viennent dans ce port de Sancian pour y faire des affaires avec les Portugais. Les Portugais ont négocié avec diligence pour voir si quelque marchand de Canton voulait m’emmener. Tous se sont dérobés en disant qu’ils mettraient leurs vies et leurs biens en un grand danger, si le gouverneur de Canton apprenait qu’ils m’emmènent à bord de leurs navires à Canton. (…) C’est en effet une chose inouïe que cela et il y a tellement d’interdictions en Chine qui font que personne n’y pénètre sans leurs visas. »
Lettre de François-Xavier, missionnaire jésuite, le 22 octobre 1552 in Ninette Boothroyd et Muriel Détrie, Le Voyage en Chine, Robert Laffont, 1992.
Trouvé dans : « Nouveaux horizons géographiques et culturels des Européens à l’époque moderne » page 167 (le 28 avril 2011).
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Intérêt d’Akbar, l’empereur moghol, pour les Jésuites
« (…) comme votre Paternité m’a demandé plusieurs fois, par lettre, de le laisser partir, je lui donne la permission. Mais comme mon intention est que notre amitié croisse jour après jour je demande à votre paternité de faire en sorte d’envoyer à nouveau le père Rodolphe, avec quelque autre père, et ce dans le plus bref délai. Je souhaite que les pères de cet ordre soient avec moi, car je les estime beaucoup (…) »
Extrait de « C. PAYNE éd., Akbar and the Jesuits, London, 1926, p. 268 ».
Lettre d’Akbar au Provincial de Goa (l’autorité portugaise) en 1582.
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Dans Clio-Texte, il y a aussi des textes sur les Grandes Découvertes (Vasco de Gama).