Le peuple a choisi


« La France est placée à un tournant de son Histoire. Dans les jours prochains, deux généraux se rencontreront. Ils choisiront celui d’entre eux qui aura pour mission de mener le pays à la Victoire, et d’exercer sans doute les fonctions du Chef de Gouvernement de la libération.
Le malheur de notre pays ne lui permet pas d’exprimer sa volonté dans ces négociations qui engagent son destin. Cependant de nos villes et de nos campagnes, des usines et des mines, des rangs des Mouvements de Résistance monte une voix puissante qu’on ne peut étouffer. C’est la voix de tout un peuple, expression d’une volonté souveraine. Ce peuple souffre. Dans l’âpreté de sa détresse et l’âpreté de son combat, il entend moins que jamais abdiquer ses droits à choisir les hommes qui auront l’honneur de le représenter.
La France désigne ses chefs. On ne les lui impose pas.
A vrai dire, ce n’est pas entre deux hommes que le peuple de France a choisi, mais entre les valeurs qu’ils représentent, les symboles auxquels ils sont associés, les idéaux qu’ils incarnent. Il a le culte des idées et non celui des hommes.
En exerçant son choix, il n’a fait que défendre sur un autre terrain la cause pour laquelle il souffre et à laquelle beaucoup des siens ont donné leur liberté ou leur vie. Il a donné tous ces suffrages à celui dont les paroles et les actes ont toujours été conformes à ses aspirations profondes, à celui dont la volonté s’identifie à la sienne. Cette volonté rappelons-le s’exprime ainsi : libération du territoire, renversement du régime de Vichy, châtiment des traîtres, recouvrement de ses libertés, et rétablissement d’une république rénovée.
Le peuple Français rend hommage au courage du Général Giraud, et a confiance dans ses vertus militaires. Il est prêt à lui confier la direction de ses armées. Il estime en revanche que ses erreurs et ses variations politiques ne peuvent le désigner pour défendre l’ensemble des intérêts français et représenter des aspirations nationales. Il ne peut pas pardonner au Général Giraud d’avoir repris la lutte au nom du Maréchal Pétain qui symbolise la politique de capitulation, puis de trahison, de s’être rangé aux ordres de Darlan, de s’être entouré d’hommes qui ont été les soutiens tenaces d’un régime abhorré. Il pense que celui qui maintient des relations avec le Maréchal, qui rencontre le prétendant au Trône, n’est pas qualifié pour parler au nom du pays, démocratique et républicain.
Le Général de GAULLE, au contraire, n’a jamais varié. Son appel du 18 juin 1940, alors que tout semblait perdu, fut la lumière dans les ténèbres, un cri de foi et d’espoir, un appel prophétique qui marque le début de la résurrection française. Seul, ou presque seul, il sauve l’honneur en relevant le drapeau que des lâches ou des traîtres avaient abandonné. Il redonna un sens à notre vie. Dernier ministre de la République, il promit dès les premiers jours au peuple Français de lui rendre ses libertés et de lui rendre la République. Il ne s’est jamais renié. Il n’a jamais varié. La radio porta ses paroles jusque dans la moindre chaumière, et le peuple reconnut en elles l’expression de ses pensées intimes.
Il parlait le langage de la France.
Tous les hommes qui depuis l’origine résistent à l’Allemand et à la dictature l’ont choisi comme Chef et symbole de leurs aspirations. Il est depuis longtemps mandaté pour le peuple Français pour parler en son nom.
Voici ce que doivent savoir ceux qui demain négocieront à Alger. Voilà ce que nos alliés ne doivent pas perdre de vue. Entre de Gaulle et Giraud, le peuple a choisi de GAULLE.
Telle est sa volonté. »

H. Frenay, in Combat (« organe des mouvements de résistance unis ») n° 43, 15 avril 1943
Cité dans CRÉMIEUX-BRILHAC, Jean-Louis, « Après Caluire, rien ne va plus », L’Histoire n° 388, juin 2013, p. 51