Le terme de génocide s’est imposé ces derniers temps comme le terme ultime pour désigner tout massacre commis dans le cadre d’un conflit. Lourd de sens, chargé d’une forme de sacralité et d’absolu, son abus fait oublier les origines de ce terme, avant tout juridique, que l’on doit à Raphael Lemkin.
Raphaël Lemkin est né le 24 juin 1900 dans l’Empire russe, à Ozerisko près de Wolkowysk (situé aujourd’hui en Biélorussie), au sein d’une famille juive cultivée. Ses parents, Josef et Bella Lemkin, sont agriculteurs ; ils encouragent leur fils à étudier les langues et le droit. Très tôt, Lemkin manifeste un intérêt pour la linguistique (à 14 ans, il parle au moins 9 langues ! ) et pour la justice.
Après des études secondaires à Białystok, Lemkin entreprend des études de droit à l’Université de Lviv (Lwów), où il obtient son diplôme en 1926. Il devient ensuite procureur à Varsovie, puis enseigne le droit pénal à l’Université de la capitale. Dans la Pologne de l’entre-deux-guerres, il s’intéresse à la question de la responsabilité pénale des États et à la protection des minorités.
Son attention se porte notamment sur le massacre des Arméniens en 1915 et le procès de Soghomon Tehlirian (1921), l’assassin de Talaat Pacha, principal responsable du génocide arménien. Lemkin est frappé par le fait que le meurtrier d’un seul homme soit jugé, alors que ceux qui avaient planifié la destruction d’un peuple ne le soient pas. C’est là que mûrit en lui l’idée d’un crime international nouveau, au-delà du meurtre individuel : le meurtre d’un groupe.
L’exil et la Seconde Guerre mondiale
En 1939, lorsque l’Allemagne nazie envahit la Pologne, Lemkin sert brièvement comme officier dans l’armée polonaise. Il fuit ensuite vers la Lituanie, puis gagne la Suède. Grâce à des collègues universitaires, il obtient un visa pour les États-Unis, où il arrive en 1941. La plupart des membres de sa famille restés en Europe, dont ses parents, sont assassinés pendant la Shoah. Son frère Elias parvient à y échapper.
Installé désormais aux États-Unis, Lemkin enseigne et travaille comme conseiller au ministère américain de la Guerre. Il collabore en particulier à la Commission pour les crimes de guerre des Nations Unies. Pendant cette période, il rédige son ouvrage majeur, Axis Rule in Occupied Europe (1944), où il introduit pour la première fois le terme « génocide », formé à partir du grec genos (race, peuple) et du latin -cidium (tuer). Il y définit ce concept comme « la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique ».
Vers la reconnaissance du crime de génocide
Après la guerre, Lemkin consacre toute son énergie à faire reconnaître le génocide comme crime international. Il participe activement aux travaux du Tribunal de Nuremberg (1945–1946), où il tente d’imposer ce nouveau concept juridique. Bien que le mot « génocide » soit utilisé dans les débats et dans le jugement final, il n’est pas retenu parmi les chefs d’accusation ni dans les jugements prononcés. Lemkin poursuit alors son combat au sein de l’O.N.U, cherchant à obtenir une convention internationale interdisant et punissant ce crime — objectif qui sera atteint en 1948 avec l’adoption de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Le texte que nous vous proposons ici est un article écrit et traduit par Raphael Lemkin où il expose cette notion. Nous avons jugé utile de vous en proposer l’intégralité.
Version française
I- » Un crime sans nom »
La guerre qui vient de se terminer a concentré notre attention sur le phénomène de destruction de populations entières, groupes nationaux, raciaux et religieux, tant du point de vue biologique que du point de vue culturel. Les méthodes allemandes, particulièrement en tant que forces d’occupation, ne sont que trop bien connues. Leur plan général consistait à gagner le paix, bien que la guerre fut perdue, et ce but pouvait être atteint en renversant d’une façon permanente en faveur de l’Allemagne la balance politique et démographique européenne. La population qui survivait devait être intégrée dans le système culturel et politico-économique allemand. En vue de réaliser ces fins, une vaste destruction de groupes humains en Europe fut entreprise.
Les dirigeants nazis avaient montré sans ambages leurs intentions de détruire les Polonais, les Russes ; d’éliminer démographiquement et culturellement l’élément français, alsacien-lorrain, l’élément slovène de la Carniole et de la Carinthie. Ils ont été très près d’atteindre leur but quant à l’extermination des Juifs et des Tziganes en Europe. Il est clair que l’expérience allemande est la plus manifeste, la plus délibérée et qu’elle a été poussée le plus loin ; cependant, l’histoire nous fournit d’autres exemples de destruction de groupes nationaux, ethniques et religieux. Citons, pour illustrer cette assertion, la destruction de Carthage; celle de groupes religieux au cours des guerres islamiques et pendant les Croisades; les massacres des Albigeois et des Waldenois ; et, plus près de nous encore, celui des Arméniens.
Tandis que la société cherche protection contre les crimes individuels, ou plutôt contre des crimes dirigés contre les individus, nous ne pouvons relever un sérieux effort en vue d’éviter et de punir le meurtre et la destruction de milliers d’êtres humains. Plus fort même, un nom adéquat pour le phénomène n’existait même pas. Se référant à la boucherie dont se sont rendus coupables les nazis au cours de la guerre que nous venons de gagner, Winston Churchill disait dans un discours radiophonique d’août 1941: » We are in the presence of a crime without a name » (Nous nous trouvons en présence d’un crime sans nom).
II- Le mot » génocide »
L’expression » meurtre de masse » rendrait-elle le concept précis de ce phénomène ? Nous sommes d’avis que non, puisqu’elle n’inclut pas le motif du crime, plus spécialement encore lorsque le but final du crime repose sur des considérations raciales, nationales et religieuses. Jusqu’ici, la tentative de détruire une nation et de lui faire perdre sa personnalité culturelle était désignée par le mot » dénationalisation « . Une fois de plus, ce terme semble inadéquat, puisqu’il n’inclut pas la notion biologique. D’autre part, ce terme est habituellement employé pour indiquer la perte des droits de cité. De nombreux auteurs, plutôt que de faire appel au terme générique, font usage d’expressions rendant seulement l’un ou l’autre aspect fonctionnel de la notion générique de destruction de peuples et de races. Par exemple, les termes de » germanisation « , » italianisation « , » magyarisation », sont fréquemment employés pour exprimer la tentative entreprise par la nation la plus forte (l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie) d’imposer son cachet national sur le groupe ethnique contrôlé par lui. Ces expressions ne cadrent donc définitivement point, puisqu’elles n’incluent point la destruction biologique et qu’elles ne peuvent être employées comme termes génériques. Prenons l’exemple de l’Allemagne: pourrions-nous trouver un sujet plus ridicule que celui de traiter de la » germanisation des Juifs » ou des Polonais en Pologne Occidentale, alors que les Allemands désiraient leur extermination totale ? Hitler déclara plus d’une fois que la germanisation ne pouvait être réalisée qu’avec le sol, jamais avec les hommes. Toutes ces considérations nous ont amenés à voir la nécessité de créer pour ce concept particulier un terme nouveau, à savoir le Génocide. Ce mot est formé de deux entités : « genos « , terme grec, d’un côté, signifiant race ou clan, et « cide » suffixe latin de l’autre comportant la notion de tuer. Ainsi. le terme « génocide », prendra rang dans la famille des termes tyrannicide, homicide, patricide.
III- Un crime international
Le génocide est le crime qui consiste en la destruction des groupes nationaux, raciaux ou religieux. Le problème qui se pose actuellement est de savoir si ce crime en est un d’importance uniquement nationale, on s’il est tel que la société internationale s’y intéresse. Plus d’une raison plaide en faveur de la seconde alternative. Traiter le génocide en crime national seulement n’aurait aucun sens, puisque, par sa nature même, l’auteur en est l’Etat ou des groupes puissants ayant l’appui de cet Etat: un Etat ne poursuivra jamais un crime organisé ou perpétré par lui-même.
De par sa nature juridique, morale et humaine, le génocide est à considérer en tant que crime international. La conscience de l’humanité a été profondément choquée par ce genre de barbarisme de masse. Il se produit très souvent que des Etats ont exprimé des doléances quant au traitement infligé par un autre Etat à ses nationaux. Les Etats-Unis ont désavoué tant le gouvernement de la Russie tzariste que celui de la Roumanie pour les honteux pogroms dont ces Etats furent les instigateurs, ou qu’ils ont tolérés. Il y eut également des représentations diplomatiques en faveur des Grecs et des Arméniens, lorsque ces derniers furent massacrés par différents Etats, spécifiant les obligations qu’ils s’engageaient à assumer quant au traitement de leurs propres nationaux. A ce sujet, rappelons le traité signé entre les Etats-Unis et l’Espagne en 1898, par lequel le libre exercice du culte était garanti par les Etats-Unis aux habitants des territoires que l’Espagne leur cédait.
Un autre exemple classique de règlement international quant au traitement des citoyens d’autres pays par leurs gouvernements nous est montré par les traités de minorités rédigés sous les auspices de la Société des Nations, traités qui furent signés par un certain nombre de pays européens à l’issue de la première guerre mondiale. De plus, le protocole de la 8e Conférence Internationale des Etats Américains proclame que toutes persécutions motivées par des considérations raciales ou religieuses rendant impossible une vie décente pour un groupe d’êtres humains est contraire au système politico-judiciaire de l’Amérique. De son côté, la Charte des Nations Unies protège, elle aussi d’une façon internationale les Droits de l’Homme, spécifiant que le refus de ces droits par un Etat quelconque intéresseipso factol’humanité entière. Des considérations d’ordre culturel plaident en faveur d’une protection internationale des groupes nationaux, religieux et raciaux.
Tout notre héritage culturel est le fruit des apports de toutes les nations. Nous comprenons ceci d’autant mieux lorsque nous pensons combien appauvrie eût été notre culture si les peuples condamnés par l’Allemagne n’eussent point été capables, tels les Juifs, de créer la Bible ou de donner le jour à un Einstein, à un Spinoza; si les Polonais n’eussent été à même d’offrir au monde un Copernic, un Chopin, une Curie ; si les Tchèques n’eussent produit un Huss, un Dvorak ; si les Grecs n’eussent donné un Platon ni un Socrate ; si les Russes n’avaient offert au monde un Tolstoï et un Rimski-Korsakov ; les Français un Voltaire, un Montesquieu, un Pasteur ; les Hollandais un Erasme, un Grotius et un Rembrandt ; les Belges un Rubens et Maeterlinck; les Norvégiens un Grieg ; les Yougoslaves un Negosti ; les Danois un Kierkegaard.
Des considérations pratiques sautent aussi aux yeux. Les expulsions des résidents se soustrayant à la Loi, en dehors de l’Allemagne, avant cette guerre, provoqueront des frictions avec les contrées avoisinantes vers lesquelles ces populations étaient expulsées. Les persécutions massives engendrèrent des fuites massives. De par ce phénomène, le mouvement migratoire normal entre contrées trahit des proportions pathologiques.
Le commerce international est fonction de la confiance, dans la capacité des individus prenant part à l’échange des matériaux, de remplir leurs obligations. Les confiscations arbitraires et entières de propriétés d’un groupe entier de citoyens d’un Etat pour des raisons raciales ou autres les privent de leur capacité de décharger leurs obligations vis-à-vis des citoyens des autres Etats. Plus d’un citoyen d’un pays non-dictatorial a été privé de la possibilité de réclamer les dettes faites par des importateurs allemands après que ces importateurs eussent vu leurs firmes détruites par le régime hitlérien.
En conclusion, le génocide en temps de paix provoque des tensions internationales et conduit inévitablement à la guerre. Le génocide fut l’instrument par lequel le régime nazi renforça la prétendue unité et le contrôle totalitaire du peuple allemand comme une préparation à la guerre.
IV- Créer un cadre juridique
Dès que nous avons reconnu la portée internationale des pratiques de génocide, nous avons l’obligation d’élaborer l’instrument juridique pour la reconnaissance du génocide en tant que crime de Droit des Gens. Par suite de sa portée internationale, la qualité de crime de droit des gens est la reconnaissance que le génocide doit être puni et punissable par la voie d’une coopération internationale. L’établissement d’un mécanisme international pour une semblable répression est essentiel. Par conséquent, le droit international et les codes pénaux de différents pays ont reconnu que des crimes mettant en jeu le bien-être commun de l’humanité (comme, par exemple, la piraterie, la production et le commerce illégaux des stupéfiants, le faux monnayage, la traite des femmes et des enfants, la traite des esclaves) sont des crimes de droit des gens (delicta juris gentium).
Pour de pareils crimes, le principe de répression universelle a été admis, à savoir, l’auteur du crime peut être puni, non seulement par les tribunaux du pays où le crime fut commis, mais aussi par les tribunaux des pays où l’inculpé peut être appréhendé s’il a échappé à la justice de son propre pays. Par exemple, un faux-monnayeur qui a commis son crime à Paris et s’échappe à Prague peut y être légalement poursuivi pour son délit. En 1933, à la 5e Conférence Internationale pour l’unification du droit pénal (en collaboration avec le 5e Comité de la S.D.N.), l’auteur de cet article a présenté unrapportdéclarant les actes de barbarisme et de vandalisme qui rentrent dans le critère du génocide comme délits de droit des gens.Malheureusement, à cette époque, sa proposition ne fut point acceptée. Si ce principe eût été admis à cette époque par un traité international, nous n’aurions actuellement point toutes les discussions concernant une loi subséquente aux faits en égard aux crimes perpétrés par les Allemands et leurs satellites contre leurs propres citoyens avant et pendant la guerre.
V- Génocide en temps de guerre
Un régime dépourvu de scrupules se rend facilement coupable de génocide en temps de guerre. C’est tout un problème que le traitement ou pour mieux dire le mal traitement d’une population civile par une autorité occupante. La 4eConvention de La Haye a établi un ordre juridique réglant la protection des populations civiles que l’occupant doit respecter. Dans le cadre de cette loi, rentrent la protection de l’honneur, de la liberté, de la vie, des droits familiaux et des droits de propriété de la population en territoire occupé. Le génocide peut être perpétré par des actes frappant des individus, lorsque l’intention finale est l’annihilation du groupe entier dont ces individus font partie ; tout acte spécifique de génocide en tant que dirigé contre des individus en leur qualité de membres d’un groupe national ou racial est illégal d’après la Convention de La Haye. Si le meurtre d’un seul Juif ou d’un Polonais est un crime, le meurtre ou la tentative de meurtre de tous les Polonais ne l’est sûrement pas moins. Bien plus, l’intention criminelle de meurtre ou de destruction des membres de pareils groupes prouve la préméditation et l’intention délibérée et un état de criminalité systématique qui n’est rien de plus qu’une circonstance aggravante pour la répression.
Le génocide a été inclus dans l’acte d’accusation des principaux criminels de guerre à Nuremberg. Il y est dit:
« Les accusés se sont rendus coupables de génocide délibéré et systématique, c’est-à-dire, des groupes nationaux et raciaux, contre les populations civiles de certains territoires occupés, en vue de détruire des races et des classes déterminées, et des groupes nationaux, raciaux ou religieux, plus spécialement des Juifs, des Polonais, des Tziganes et d’autres encore ».
En introduisant le génocide dans l’acte d’accusation, l’énormité des crimes nazis a été définie d’une façon plus précise. De même que, en cas d’homicide, le droit naturel de l’individu à l’existence est impliqué, de même en cas de génocide en tant que crime, le principe que tout groupe national, racial et religieux a un droit naturel à l’existence ressortclairement. Des attentats contre pareils groupes violent ce droit à l’existence et celui du développement au sein d’une communauté internationale. Concluons : le génocide n’est pas seulement un crime contre les règles de la guerre, mais encore un crime contre l’Humanité.
Ce n’est qu’après la fin des hostilités que l’horrible tableau du génocide commis en territoire occupé vint à la lumière. Durant l’occupation militaire, des bruits incontrôlés, concernant le génocide, s’échappèrent de derrière le rideau d’acier masquant l’Europe en esclavage. La Croix-Rouge Internationale ne pouvait pas visiter les pays occupés ni récolter des informations concernant le mal traitement des populations civiles. Ceci est une conséquence de ce que la Convention de Genève n’autorisait la Croix-Rouge Internationale qu’à contrôler le traitement des prisonniers de guerre. Une situation paradoxale en découla : les hommes qui partirent au combat avec un énorme danger de mort survécurent,tandis que leurs familles, restées à l’arrière, en sûreté supposée, furent détruites. L’auteur de cet article propose dans son volume « Le règne de l’Axe en Europe occupée » de réformer la Convention de Genève et de La Haye de telle sorte qu’en temps de guerre le traitement des populations civiles soit également placé sous le contrôle d’un organisme international, tel que la Croix-Rouge Internationale. Le quotidien suédois « Dagens Nyheter« , en date du 2 novembre 1945, communiqua que le président de la Croix-Rouge suédoise, le comte Bernadotte, déclara la proposition de l’auteur sujette à l’étude à la prochaine conférence de la Croix-Rouge Internationale, et que de plus, la Croix- Rouge suédoise soutiendrait cette proposition. Très honoré par ce fait, l’auteur espère que d’autres gouvernements soutiendront la proposition tendant à réformer le droit international à cet effet.
VI- Proposition pour un Traité international, y compris les principes suivants :
A la base des considérations précédentes, l’auteur suggère que les Nations Unies, de commun accord avec d’autres Nations invitées, concluent un traité international proclamant le génocide crime de droit des gens et prenant des dispositionsafinde le prévenir et de le punir, en temps de paix comme en temps de guerre. Ce traité en principe contiendrait parmi d’autres dispositions les points suivants :
1. Le crime de génocide serait reconnu dans ce traité comme un complot visant à annihiler ou affaiblir des groupes d’ordre national, religieux ou racial. La manifestation de ce crime peut s’extérioriser par des attaques contre la vie, la liberté ou la propriété de membres de pareils groupes, et ce, en leur qualité de membres de ce groupe. La caractérisation de ce crime peut se rendre comme suit : » Quiconquetandisqu’il participe à un complot visant la destruction ou l’affaiblissement d’un groupe national, racial ou religieux, commet un attentat contre la vie, la liberté, la propriété de membres d’un tel groupe est coupable, du crime de génocide « . Le crime ainsi caractérisé serait à inclure dans chaque code pénal national des signataires.
2. Les inculpés pourraient être appelés à répondre de ce crime non seulement devant le tribunal du pays ou l’acte fut commis, mais encore, en cas de fuite, et ce avec la même autorité, devant les tribunaux du pays où ils furent appréhendés.
3. Les personnes accusées de génocide ne devraient pas être considérées comme criminels politiques en vue de l’extradition. L’extradition ne serait accordée qu’au cas ou des garanties suffisantes seraient fournies par le pays requérant, que les coupables seront effectivement poursuivis.
4. L’inculpation de génocide serait à charge de ceux qui ont donné et exécuté les ordres aussi bien qu’à chaque des incitateurs au crime, quelles qu’aient été leurs méthodes inclus l’élaboration et l’enseignement de la doctrine criminelle de génocide. Les membres des gouvernements et des organismes politiques qui ont organisé ou toléré le génocide seront également responsables.
5. Indépendamment de la responsabilité des individus au génocide, les Etats dans lesquels une pareille politique serait suivie, seraient tenus responsables devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Le Conseil peut requérir au Tribunal International de Justice, de délivrer un avis facultatif, afin de déterminer si un état de génocide existe dans un pays donné, avant de requérir, parmi d’autres, des sanctions à prendre contre le pays concerné. Le Conseil de Sécurité peut agir de par sa propre initiative ou sur la base de pétitions à lui soumises, par des membres des groupes nationaux, religieux ou raciaux intéressés, qu’ils résident ou non dans l’Etat accusé.
6. Les membres des gouvernements, les dirigeants d’organisations criminelles coupables de génocide, tout comme des cas dans lesquels le génocide a été instigué de l’étranger, seront jugés par un Tribunal International à créer dans ce but.
7. La Convention de La Haye et d’autres traités patents seraient à changer de telle sorte qu’en cas de guerre un organisme international (telle par exemple la Croix-Rouge Internationale) ait le droit de contrôler le traitement des populations civiles par les occupants, en temps de guerre, afin de se rendre compte si ces pouvoirs occupants se rendent coupables de génocide.
8. Un traité plurilatéral pour la prévention et la répression du génocide ne devrait empêcher deux ou plusieurs pays de conclure des traités bilatéraux ou régionaux, protégeant d’une façon plus complète encore, contre le génocide. Sous ce rapport nous devons noter que les Gouvernements Alliés, de plein accord, avec les décisions de la Conférence de Moscou de décembre 1945, ont décidé de passer des traités de paix avec les pays satellites de l’Axe, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Italie, qui se sont rendus coupables de génocide, au cours de cette guerre, suivant en cela l’exemple allemand. Il est d’une importance transcendante que des clauses prévenant contre le génocide soient incluses dans ce traité.
Version d’origine :
I « A crime without a name. »
The last war has focused our attention on the phenomenon of the destruction of whole populations -of national, racial and religious groups – both biologically and culturally. The German practices, especially in the course of occupation, are too well known. Their general plan was to win the peace though the war be lost, and that goal could have been achieved through successfully changing the political and demographic interrelationships in Europe in favor of Germany. The population not destroyed was to be integrated in the German cultural, political and economic pattern.
In this way a mass obliteration of nationhoods had been planned throughout occupied Europe. The Nazi leaders had stated very bluntly their intent to wipe out the Poles, the Russians; to destroy demographically and culturally the French element in Alsace-Lorraine, the Slavonians in Carniola and Carinthia. They almost achieved their goal in exterminating the Jews and Gypsies in Europe. Obviously, the German experience is the most striking and the most deliberate and thorough, but history has provided us with other examples of the destruction of entire nations, and ethnic and religious groups. There are, for example, the destruction of Carthage ; that of religious groups in the wars of Islam and the Crusades; the massacres of the Albigenses and the Waldenses ; and more recently, the massacre of the Armenians.
While society sought protection against individual crimes, or rather crimes directed against individuals, there has been no serious endeavor hitherto to prevent and punish the murder and destruction of millions. Apparently, there was not even an adequate name for such a phenomenon. Referring to the Nazi butchery in the present war, Winston Churchill said in his broadcast of August, 1941, « We are in the presence of a crime without a name. »II- The word « genocide »
Would mass murder be an adequate name for such a phenomenon ? We think not, since it does not connote the motivation of the crime, especially when the motivation is based upon racial, national or religious considerations. An attempt to destroy a nation and obliterate its cultural personality was hitherto called denationalization. This term seems to be inadequate, since it does not connote biological destruction. On the other hand, this term is mostly used for conveying or for defining an act of deprivation of citizenship. Many authors, instead of using a generic term, use terms connoting only some functional aspect of the main generic notion of the destruction of nations and races. Thus, the terms « Germanization, » « Italianization, » « Magyarization » are used often to connote the imposition by a stronger nation (Germany, Italy, Hungary) of its national pattern upon a group controlled by it. These terms are inadequate since they do not convey biological destruction, and they cannot be used as a generic term. In the case of Germany, it would be ridiculous to speak about the Germanization of the Jews or Poles in western Poland, since the Germans wanted these groups eradicated entirely.
Hitler stated many times that Germanization [p. 228] could only be carried out with the soil, never with men. These considerations led the author of this article to the necessity of coining a new term for this particular concept: genocide. This word is made from the ancient Greek word genos (race, clan) and the Latin suffix cide (killing). Thus, genocide in its formation would correspond to such words as tyrannicide, homicide, patricide.III- An international crime
Genocide is the crime of destroying national, racial or religious groups. The problem now arises as to whether it is a crime of only national importance, or a crime in which international society as such should be vitally interested. Many reasons speak for the second alternative. It would be impractical to treat genocide as a national crime, since by its very nature it iscommitted by the state or by powerful groups which have the backing of the state. A state would never prosecute a crime instigated or backed by itself.
By its very legal, moral and humanitarian nature, it must be considered an international crime. The conscience of mankind has been shocked by this type of mass barbarity. There have been many instances of states expressing their concern about another state’s treatment of its citizens. The United States rebuked the government of Czarist Russia as well as that of Rumania for the ghastly pogroms they instigated or tolerated. There was also diplomatic action in behalf of the Greeks and Armenians when they were being massacred by the Turks. States have even entered into international treaties by which they assumed specific obligations in the treatment of their own nationals. We may, in this respect, refer to the treaty entered into between the United States and Spain in 1898, in which the free exercise of religion was assured by the United States to the inhabitants of the territories which were ceded to her.
Another classical example of international concern in the treatment of citizens of other states by their governments is provided by the minority treaties under the auspices of the League of Nations which were signed by a number of European countries after the first World War. Again, the declaration of the Eighth International Conference of American States provides that any persecution on account of racial or religious motives which makes it impossible for a group of human beings to live decently is contrary to the political and judicial systems of America. The Charter of the United Nations Organization also provides for the international protection of human rights, indicating that the denial of such rights by any state is a matter of concern to all mankind.Cultural considerations speak for international protection of national, religious and cultural groups. Our whole heritage is a product of the contributions of all nations. We can best understand this when we realize how impoverished our culture would be if the peoples doomed by Germany, such as the Jews, had not been permitted to create the Bible, or to give birth to an Einstein, a Spinoza; if the Poles had not had the opportunity to give to the world a Copernicus, a Chopin, a Curie; the Czechs, a Huss, a Dvorak; the Greeks, a Plato and a Socrates the Russians, a Tolstoy and a Shostakovich. There are also practical considerations. Expulsions of law-abiding residents from Germany before this war created frictions with the neighboring countries to which these peoples were expelled. Mass persecutions forced mass flight. Thus, the normal migration between countries assumes pathological
dimensions.Again, international trade depends upon confidence in the ability of the individuals participating in the interchange of goods to fulfill their obligations. The arbitrary and wholesale confiscations of the properties of whole groups of citizens of one state for racial or other reasons deprives them of their capacity to discharge their obligations to citizens of other states. Many American citizens were deprived of the possibility of claiming debts incurred by German importers after these importers were destroyed by the Hitler regime. Finally, genocide in time of peace creates international tensions and leads to war. It was used by the Nazi regime to strengthen the alleged unity and totalitarian control of the German people as a preparation for war.
IV- Creating a legal framework
Once we have recognized the international implications of genocidal practices, we must create the legal framework for the recognition of genocide as an international crime. The significant feature of international crime is a recognition that because of its international importance it must be punished and punishable through international cooperation. The establishment of international machinery for such punishment is essential.
Thus, it has been recognized by the law of nations and by the criminal codes of many nations that crimes which affect the common good of mankind – as, for example, piracy, unlawful production and trade in narcotics, forgery of money, trade in women and children, trade in slaves – all these are international crimes (delicta juris gentium). For such crimes, the principle of universal repression has been adopted, namely the culprit can be punished not only before the courts of the country where the crime has been perpetrated, but also by courts of the country where the culprit can be apprehended if he escaped justice in his own country. For example, a currency forger who committed his crime in Paris and escaped to Prague can be punished validly in the latter city.
In 1933, at the Fifth International Conference for the Unification of Criminal Law (under the auspices of the Fifth Committee of the League of Nations) the author of the present article introduced a proposal providing for this type of jurisdiction for acts of persecution amounting to what is now called genocide. Unfortunately, at that time, his proposal was not adopted. Had this principle been adopted at that time by international treaty, we would not now have all the discussions about ex post facto law, in relation to crimes committed by the German government against its own citizens prior to this war.V- Genocide in time of war
A ruthless regime finds it easiest to commit genocide in time of war. It then becomes a problem of the treatment, or, rather, mistreatment, of a civilian population by an occupant. The Fourth Hague Convention establishes a rule of law in the protection of civilian populations which an occupant must respect. Within the purview of this law comes the protection of the honor, liberty, life, family rights and property rights of the population in the occupied country.
Genocide can be carried out through acts against individuals, when the ultimate intent is to annihilate the entire group composed of these individuals ; every specific act of genocide as directed against individuals as members of a national or racial group is illegal under the Hague Convention. If the killing of one Jew or one Pole is a crime, the killing of all the Jews and all the Poles is not a lesser crime. Moreover, the criminal intent to kill or destroy all the members of such a group shows premeditation and deliberation and a state of systematic criminality which is only an aggravated circumstance for the punishment.
Genocide has been included in the indictment of the major war criminals for the use of the Nuremberg trials. It reads as follows :
They (the defendants) conducted deliberate and systematic genocide – viz., the extermination of racial and national groups – against the civilian populations of certain occupied territories in order to destroy particular races and classes of people, and national, racial or religious roups, particularly Jews, Poles, By including genocide in the indictment, the enormity of the Nazi crimes has been more accurately described. Moreover, as in the case of homicide, the natural right of existence for individuals is implied : by the formulation of genocide as a crime, the principle that every national, racial and religious group has a natural right of existence is claimed. Attacks upon such groups are in violation of that right to exist and to develop within an international community as free members of international society. Thus, genocide is not only a crime against the rules of war, but also a crime against humanity.
Only after the cessation of hostilities could the whole gruesome picture of genocide committed in the occupied countries be reviewed. During the military occupation unconfirmed rumors about genocide leaked out from behind the iron curtains covering enslaved Europe. The International Red Cross was precluded from visiting occupied countries and gathering information about the mistreatment of the civilian populations. It so happened because the Geneva Convention gave to the International Red Cross the right to supervise and control only the treatment of prisoners of war. A paradoxical situation was created : men who went into the battlefield with a considerable expectancy of death survived, while their families, left behind in supposed security, were annihilated.
The author of the present article has proposed in his book Axis Rule in Occupied Europe that international law be changed so that in time of war the treatment of civilian populations will also be under supervisory control of an international body like the International Red Cross. The Swedish newspaper, Dagens Nyheter, of November 2, 1945, announced that the chairman of the Swedish Red Cross, Count Bernadotte referred to the author’s proposal as acceptable for consideration at a future conference of the International Red Cross, and declared that the Swedish Red Cross would support it. While the writer is gratified by this development, he hopes that other governments will support the proposal to change international law.VI- Proposal for an International Treaty including the following principles:
On the basis of the foregoing considerations, the author proposes that the United Nations as they are now organized, together with other invited nations, enter into an international treaty which would formulate genocide as an international crime, providing for its prevention and punishment in time of peace and war. This treaty, basically, should include, among other things, the following principles :
1. The crime of genocide should be recognized therein as a conspiracy to exterminate national, religious or racial groups. The overt acts of such a conspiracy may consist of attacks against life,
liberty or property of members of such groups merely because of their affiliation with such groups. The formulation of the crime may be as follows: « Whoever, while participating in a conspiracy to destroy a national, racial or religious group, undertakes an attack against life, liberty or property of members of such groups is guilty of the crime of genocide. »
2. The crime so formulated should be incorporated in every national criminal code of the signatories. The defendants should be liable not only before the courts of the country where the crime, was committed, but in case of escape shall be liable as well, before the courts of the country where they are apprehended.
3. Persons accused of genocide should not be treated as political criminals for purposes of extradition. Extradition should not be granted except in cases where sufficient evidence exists to indicate that the requesting country will earnestly prosecute the culprits.
4. The liability for genocide should rest on those who gave and executed the orders, as well as on those who incited to the commission of the crime by whatever means, including formulation and teaching of the criminal philosophy of genocide. Members of government and political bodies which organized or tolerated genocide will be equally responsible.
5. Independently of the responsibility of individuals for genocide, states in which such a policy obtains should be held accountable before the Security Council of the United Nations Organization. The Council may request the International Court of Justice to deliver an advisory opinion to determine whether a state of genocide exists within a given country before invoking, among other things, sanctions to be leveled against the offending country. The Security Council may act either on its own initiative or on the basis of petitions submitted by members of interested national, religious or racial groups residing either within or without the accused country.
6. The Hague Convention and other pertinent treaties should be changed to the effect that in case of war, an international body (such as the International Red Cross) should have the right to supervise the treatment of civilian populations by occupants in time of war in order to ascertain whether genocide is being practiced by such occupant.
7. A multilateral treaty for the prevention and punishment of genocide should not preclude two or more countries from entering into bilateral or regional treaties for more extensive protection against genocide. In this connection it is well to note that the Allied Governments in accordance with the Moscow agreements of December, 1945, have decided to enter into formal treaties of peace with the Axis satellite countries Hungary, Bulgaria and Rumania, which practiced genocide in this war according to the German pattern. It is of impelling importance that anti-genocide clauses be included in these treaties.
Source : Raphael Lemkin « Genocide », American Scholar, Volume 15, no. 2 (April 1946), p. 227-230
Disponible en version française dans : « Le crime de génocide, » Revue de Droit International, de Sciences Diplomatiques et Politiques 24 (octobre -décember , 1946): 213-222.
Pour aller plus loin juridiquement, philosophiquement et historiquement
- Laurent DELABRE Le génocide, de la conception à la méconception , juillet 2023 – Consultable ICI

