Ce que sera la femme de demain
M. Le docteur Dagincourt n’hésite pas à prétendre qu’elle sera l’égale de l’homme.
Le groupe français d’études féministes et des droits civils des femmes s’est réuni hier. Il s’agissait pour lui de décider des moyens de propagande et de pousser le zèle des propagandistes. Mme Oddo Deflon, présidente, ouvrit la séance en dénonçant les obstacles contre lesquels (sic1) se heurtent les féministes. Avec beaucoup de pittoresque, elle décrivit les difficultés que toute femme rencontre pour arriver à exposer quelque revendication à un homme politique.
M. Le docteur Dagincourt, dans une intéressante et savante conférence, posa la question : que sera la femme de demain ?
D’après lui, elle sera l’égale de l’homme Elle recevra une instruction aussi forte que la sienne. Elle possède le même cerveau. Rien ne l’empêchera donc de participer à la chose publique.
On applaudit beaucoup le docteur Dagincourt, qui conclut : « On ne peut craindre de la femme que trop de bonté pour l’homme ».
L’Excelsior, 2 mars 1911, p. 4.
La première femme employée de mairie
Dans une vaste salle de la mairie de Sannois2, le buste émergeant à peine d’un monceau de paperasse, c’est là que Melle Clotilde Jard voulut bien nous concéder quelques instants d’entretien. Melle Jard est, en effet, l’une des rares femmes en France inscrite comme expéditionnaire au budget d’une administration municipale.
Comme cela s’est-il fait ? Nous dit-elle toute souriante. Oh ! Bien simplement. M. Lesacq, maire de la commune, ayant eu besoin d’un employé, m’a [illisible] moment des retraites ouvrières, me pria de lui consacrer une journée. Cela se passait le 20 mai. Depuis, il faut croire que je ne me suis pas trop mal acquittée de ma tâche puisque, le 8 juin dernier, je devenais titulaire de mon emploi. Que vous dirai-je d’autre ? Je suis enchantée de ma nouvelle situation et mes chefs, ainsi que mes collègues, se montrent charmants pour moi.
Melle Jard, qui naquit en 1890, au Creusot, habite depuis onze ans Sannois, où réside également sa famille.
L’Excelsior, 11 juin 1911, p. 3.
Une femme a porté hier sa candidature à l’emploi de rédactrice au ministère de l’Instruction publique
Quel accueil le ministre fera-t-il à sa demande ?
Allons-nous assister sous peu à nouvelle conquête du féminisme ? Il se pourrait ; voici comment.
Une femme vient de poser sa candidature à l’emploi de rédactrice stagiaire au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. La nouvelle, tour à tour imprimée et démentie, est officielle depuis hier matin.
Quel accueil M. Steeg réservera-t-il à l’audacieuse qui ose afficher la prétention de forcer la portes de la sacro-sainte administration ?
Féministes, réjouissez-vous. Le ministre est en principe favorable à cette initiative. Ce n’est pas lui qui nous l’a dit. Il était absent de Paris quand nous nous sommes présenté (sic) à son cabinet. Mais nous avons eu la bonne fortune d’être reçu (sic) par un de ses collaborateurs immédiats, qui connaît son opinion sur ce point et qui n’en fait pas mystère.
Comme il se tenait tout d’abord sur la réserve, répondant à nos questions que la demande dont nous parlions n’était pas encore arrivée au ministère et qu’il ignorait par conséquent, jusqu’au nom et même jusqu’à l’existence de la hardie candidate, la porte s‘ouvrit et on lui remit un pli sur lequel il jeta un coup d’œil négligent. Mais se ravisant aussitôt :
– Tiens, tiens, s’écria-t-il, voilà une curieuse coïncidence !
Et se tournant aimablement vers nous :
– Voulez-vous une primeur ? Je vous disais à l’instant que la demande ne s’était pas encore produite. Voici qui m’oblige à rectifier : la demande, la voilà !
L’occasion était trop belle : et, profitant du hasard qui nous servait à souhait, nous insistâmes pour savoir quel accueil ferait le ministre à cette candidature inattendue.
M. Steeg est féministe
– En principe, nous répondit notre aimable interlocuteur, le ministre est favorable à l’émancipation sociale de la femme3. Vous connaissez la largeur de ses idées, vous savez qu’il est un ardent partisan du progrès sous toutes ses formes. Il ne peut donc qu’acquiescer, en principe, à une mesure qui aurait pour résultat d’élargir un peu le domaine encore si restreint ouvert à l’activité de la femme.
« Mais dans la pratique, les choses ne vont pas avec la même facilité. Dans le cas qui nous occupe, il faut compter avec le règlement. L’admission des femmes à titre de fonctionnaire dans les ministères est-elle compatible avec lui ? C’est ce qu’il faut voir. Il convient également d’examiner si, une fois qu’elles auraient franchi la porte, les rédactrices pourraient être nommées à tous les grades de la hiérarchie administrative. Ce sont là autant de questions sur lesquelles le ministre aura à se prononcer, et je ne veux pas préjuger de sa décision.
« Enfin, ajoute le confident de M. Steeg, il y a le fameux article du règlement relatif au service militaire. Tout candidat à l’emploi de rédacteur stagiaire doit avoir satisfait à la loi de recrutement. De quelle façon, cet article doit-il être interprété quand il s’agit d’une femme ? Peut-elle être considérée comme ayant satisfait à la loi militaire ? On peut répondre que oui puisque cette loi n’exige rien d’elle. Mais c’est là un admirable sujet de controverse et, sur ce point, j’ignore absolument l’opinion du ministre4. »
Que décidera M. Steeg ? Il semble à première vue, qu’il n’y ait pas d’argument irréfutable contre l’admission des femmes dans le domaine des cartons verts. L’administration des postes leur a déjà fait large place à ses guichets. Et quand elles ont au Palais de justice, à la Faculté de Médecine, un peu partout droit de cité, il serait bien étonnant qu’elles fussent à jamais exclues d’un travail de bureau qui convient mieux que tout autre à leurs aptitudes.
Mais le ministre, féministe convaincu, viendra-t-il en cette occurrence, à bout de cette terrible force d’inertie qu’est la routine administrative ?
André Doriac, « Place aux femmes ! », L’Excelsior, 12 septembre 1911.
1 Auxquels.
2 Sannois : Val d’Oise, arr. d’Argenteuil.
3 On notera qu’il s’agit ici du monde du travail et non du droit de suffrage. Théodore Steeg était membre du Parti radical qui ne promut guère l’émancipation politique des femmes, notamment par crainte que leurs votes fussent influencés par le clergé. Les partisans du suffrage féminin se retrouvaient plutôt chez les républicains socialistes (entre radicaux et SFIO) et chez les modérés (centre-droit). C’était, dans ce dernier cas pour les mêmes raisons que celles qui expliquaient les craintes des radicaux : l’influence supposée du clergé catholique sur la gent féminine.
4 De 1907 à 1909, l’enseignant guadeloupéen Gratien Candace, plus tard député (1912-1942), ministre (1932-1933 cabinets Herriot puis Paul-Boncour) et vice-président de la Chambre (1938-1942), est employé, sans doute comme rédacteur (et non comme directeur de cabinet) par Joseph Paul-Boncour alors directeur de cabinet de Viviani. Or, comme tous les citoyens français des vieilles colonies (la Réunion, Guadeloupe, Martinique, Guyane), il n’a pu effectuer de service militaire. Les lois de 1889 et 1905 ne sont pas appliquées aux vieilles colonies avant le décret Poincaré de 1913. Né en 1873, Candace appartient à la classe 1893. Dans les deux cas, citoyens des vieilles colonies et citoyennes sont en conformité avec une loi qui ne les appelle pas sous les drapeaux.
Sources : L’Excelsior, Gallica BNF.
La Chambre vote pour le suffrage féminin (1919-1936)
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