Une seconde mère : la maîtresse d’études. 1858
Instituée dès la création de l’ESJF (École secondaire et supérieure de jeunes filles à Genève en Suisse), la fonction de maîtresse d’études va perdurer jusqu’en 1945 où elle sera remplacée par celle de maîtresse de classe.
Le cahier des charges ci-dessous, rédigé par le premier directeur Philippe Fazy dix ans après l’ouverture de l’École, montre bien que la tâche de la maîtresse d’études est d’éduquer tout autant que d’instruire, mais que le rôle dévolu aux parents n’ est pas négligeable pour autant.
« Cahier des charges pour la maîtresse d’études de la Première Division de l’École secondaire et supérieure de jeunes filles.
Le Département, pénétré de l’importance des fonctions attribuées à la Maîtresse d’études de cette division, attend de sa part un dévouement entier et sérieux dans l’accomplissement de sa tâche. Elle devra s’efforcer de donner aux relations entre elle et ses élèves le caractère de celles qui règnent dans les familles entre une mère et ses enfants ; elle s’appliquera à étudier et à comparer leur caractère ; elle provoquera leur confiance par le soin qu’elle prendra de les diriger affectueusement vers le bien, les reprenant avec une douce sévérité, les encourageant dans la bonne voie, les soutenant dans leurs découragements et méritant de se voir entourée de leur affectueux respect. Le nombre habituellement restreint des élèves de cette classe, les bonnes dispositions dont elles sont animées, l’appui qu’elle rencontrera de la part des parents et de la direction de l’Ecole tendront à rendre sous ce rapport ses fonctions plus faciles. Mais c’est cette partie de sa tâche qui en est de beaucoup la plus importante ; elle doit être profondément pénétrée du sérieux de la responsabilité qui s’impose à elle et accomplir son oeuvre avec un dévouement cordial et absolu.
L’enseignement du Français, de la Géographie et de la Couture donné suivant un programme arrêté par le Département est exclusivement confié à la maîtresse d’études, qui donne en outre aux élèves des répétitions sur les branches de l’enseignement donné par les maîtres. Le nombre des heures d’enseignement est de 28 par semaine ; la maîtresse d’études chargée seulement de 11 heures de leçons doit assister à toutes celles de sa classe. Elle peut en outre être appelée à exercer une surveillance en dehors des heures d’enseignement obligatoire et doit en particulier assister aux conférences des fonctionnaires de l’Ecole.
Elle tient un registre des bonnes et des mauvaises notes, ainsi que des places des élèves dans les différentes branches de l’enseignement. Elle indique au moins tous les mois aux parents par un témoignage remis à chacune des enfants, les bonnes perdues, les places pour les thèmes, les absences, les arrivées tardives et au besoin une appréciation de leur conduite de manière à éclairer les parents et à provoquer leur coopération.
Les honoraires se composent 1° d’un traitement fixe de 1200 francs ; 2° d’une part proportionnelle à cette somme dans la répartition du casuel attribué aux fonctionnaires de l’enseignement. Cette part variable dépasse depuis deux ans la moitié d’un traitement fixe. (1857-1858, 679. – francs). »
Source: Retranscription d’un document de la main de Philippe Fazy, sans date (mai/juin 1858). Archives de 1’ESJF, conservées au Collège Voltaire: B 722.
Cité in : Aa. Vv., « En attendant le prince charmant. L’éducation des jeunes filles à Genève, 1740-1970 », Genève, 1997, pg. 128.
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Le modèle de Carouge. 1896
Publiée à Genève en 1896, soit trois ans après l’ouverture de l’Ecole, la Notice sur I’Ecole ménagère et professionnelle de Carouge (commune de la ville de Genève) montre à quel point la nouvelle institution répond aux aspirations de la population carougeoise à forte composante industrielle et commerciale. Elle permet également d’appréhender le contenu et l’esprit d’un enseignement dont s’inspirera fortement sa petite soeur genevoise lors de sa création en 1897. Le programme de l’enseignement tel qu’il est énuméré ci-dessous comporte une absente de marque, la cuisine. Cette dernière apparaîtra dans les grilles horaires dès la rentrée 1896. Quant à l’atelier d’apprentissage de couturière, il sera ouvert au tournant du siècle.
« L’Ecole cherche à faire de la jeune fille une femme dans la meilleure acception de ce mot, c’est à-dire une personne capable de marcher bravement dans la vie, d’en affronter les devoirs et les luttes ; utile aux siens et aux autres ; capable aussi de gagner son pain par son propre travail, ou de diriger un ménage et d’élever une famille avec des ressources parfois bien modestes.
Pour atteindre ce but si élevé, il faut, à côté de l’instruction générale indispensable, enseigner à l’enfant à se servir de tous ses moyens, non seulement des facultés de son esprit, mais de l’adresse de ses doigts ; lui donner le goût des travaux utiles auxquels elle sera forcément appelée; l’initier aux conditions d’une vie normale et aux devoirs multiples d’une maîtresse de maison. Aussi l’Ecole a-t elle fait dans son programme la part de chacune de ces catégories. La place la plus large a été donnée aux travaux manuels essentiellement féminins : couture, raccommodage, coupe de lingerie et de vêtements, blanchissage, repassage. En arrivant à l’Ecole ménagère l’élève sait coudre puisqu’elle a passé par tous les degrés de l’Ecole primaire. Cela permet d’appliquer immédiatement cette connaissance à des travaux utiles, à des raccommodages d’effets usagés, à des confections plus ou moins compliquées et qui sont taillées par les élèves elles-mêmes, sur un patron construit et dessiné par elles, souvent d’après leurs propres mesures.
Avant de confectionner en étoffe, elles taillent et assemblent en papier souple le modèle de l’objet à faire. Cette méthode donne d’excellents résultats et prépare fort bien à un apprentissage de couturière. (…)
Les leçons de blanchissage et de repassage occupent un après-midi par semaine et sont très goûtées des élèves qui s’y reposent du travail intellectuel. Elles y acquièrent rapidement une véritable habileté et arrivent à repasser aussi bien qu’une personne du métier un jupon de lingerie ou une chemise d’homme. En même temps, elles font connaissance avec les savons, l’amidon, la cire, le borax, voire même avec la capillarité et autres phénomènes physiques qu’on explique en passant.
Nous avons dit qu’à côté des travaux manuels l’instruction générale se continue. Le français, la géographie, l’histoire, les sciences physiques et naturelles dans leurs applications à la vie usuelle, la géométrie, le dessin ont leur place au programme ; mais la même tendance utilitaire sert de base à la méthode employée ; ainsi, pour ne citer qu’un exemple, dans la composition française les sujets d’imagination font place le plus souvent à la correspondance, à la description, à des questions de morale pratique.
S’il est, à l’Ecole ménagère et professionnelle, quelque élève qui se destine à la carrière commerciale, elle trouvera des enseignements précieux dans les leçons d’arithmétique et de comptabilité en partie simple d’abord, en partie double ensuite.
Toutes enfin seront appelées tôt ou tard et dans une certaine mesure à s’occuper d’un ménage, à diriger une maison, à soigner un malade ; or on ne réussit pas sans préparation à remplir ces divers rôles ; il faut donc que cette préparation s’ébauche à l’Ecole et c’est le but des leçons de comptabilité ménagère, d’économie domestique et d’hygiène.
Si nous ajoutons à tout cela l’étude de l’allemand qui a été introduite cette année sur la demande des parents des élèves, et la gymnastique qui surveille le développement du corps pendant que l’étude se prête au progrès de l’esprit, nous aurons une idée complète de ce qui se fait à l’Ecole ménagère et professionnelle de Carouge. Sans doute elle est encore bien loin de l’idéal qu’elle poursuit, son programme primitif, déjà modifié et développé, le sera probablement encore à mesure que l’expérience en montrera la nécessité ; des connaissances essentielles à toute ménagère, comme la cuisine, devront être introduites dans ce programme ; mais telle qu’elle est, nous pouvons déjà dire qu’elle est venue combler heureusement une regrettable lacune. (pages 2 à 4)
Distribution des heures entre les branches de l’enseignement(page 11) »
Première année / heures | Deuxième année/ heures | |
Français | 5 | 5 |
Géographie | 2 | 2 |
Histoire | 1 | 1 |
Arithmétique et Comptabilité | 3 | 3 |
Allemand | 4 | 4 |
Géométrie | 1 | 1 |
Sciences naturelles | 2 | – |
Physique et Chimie | – | 2 |
Economie domestique et Hygiène | 1 | 1 |
Dessin | 4 | 4 |
Couture, Coupe et Confection | 7 | 7 |
Blanchissage et Repassage | 2 | 2 |
Gymnastique | 2 | 2 |
TOTAUX | 34 | 34 |
Source: « Notice sur I’Ecole ménagère et professionnelle de Carouge« , Genève, 1896, pp. 2-4 et 11.
Cité in : Aa. Vv., « En attendant le prince charmant. L’éducation des jeunes filles à Genève, 1740-1970« , Genève, 1997, pp. 132-133.
« La femme, c’est la maison » 1936
« Jeunes filles, mes chères élèves, qui obtenez aujourd’hui le certificat final et qui allez nous quitter, je pense à la vie, qui vous attend, et au rôle que vous aurez à jouer dans la famille et dans la société. Il est bien plus important que vous ne l’imaginez maintenant. Dans la maison d’abord, que la femme fait bien ou mal aller, comme on disait dans la campagne genevoise, et comme je le rappelais récemment aux parents de certaines d’entre vous, en citant ce mot de Michelet, qui avait des raisons de savoir apprécier le rôle de la femme : « La femme, c’est la maison ». Et dans la société! Un de mes confrères, le distingué directeur du gymnase des jeunes filles de Lausanne, termine une étude par ces paroles: «Ce sont les hommes qui font les lois, mais ce sont les femmes qui font les moeurs. Et quid leges sine moribus ?»
Il faut donc instruire les femmes, dans leur propre intérêt et aussi dans l’intérêt de la collectivité. La femme instruite est plus heureuse, parce qu’elle peut être plus utile. Ce sont ces considérations qui nous ont guidé dans l’élaboration du projet d’une nouvelle section selon les vues exposées ici l’an dernier. Une loi récemment votée par le Grand Conseil [du canton de Genève en Suisse] consacre l’évolution accomplie par l’Ecole secondaire et supérieure des jeunes filles, et lui ouvre de nouvelles voies. La loi qui nous régissait, déjà ancienne, ne répondait plus aux circonstances actuelles. La loi nouvelle y est adaptée. Elle règle certains détails et fait disparaître la dénomination des sections «réales» qui s’appelleront désormais section latine et section moderne. Mais l’intérêt capital qu’elle présente, est de nous permettre d’ouvrir dès septembre prochain (nous ne commencerons que par la 4e classe) une section nouvelle, dite de culture générale et d’éducation féminine. Quel en est le but, et quelle en sera l’organisation ? On a marqué ici la nécessité de supprimer la section pédagogique, dont le nom était trompeur, et qui ne répondait plus à un besoin. La section nouvelle est destinée aux jeunes filles qui désirent s’instruire, sans avoir en vue de poursuivre des études universitaires. Le devoir de l’Ecole n’est pas de pousser les jeunes filles dans les carrières dites libérales, déjà encombrées. Nous leur fournissons le moyen d’y arriver, cependant, par les sections à maturité [= baccalauréat], section latine et section moderne. Mais dans l’intérêt de l’Etat et de la famille genevoise, il importe peut-être plus encore d’instruire, c’est à-dire d’armer pour la vie, celles qui n’ont pas d’autre but que de remplir le mieux possible leur rôle auprès des leurs et dans la société. Il ne faut pas, pour cela, leur donner une instruction réduite ou terre à terre. Il faut les élever, dans le plus beau sens du mot. Le programme de la section nouvelle comporte tous les enseignements de la section littéraire actuelle : langues et littératures françaises, allemandes et anglaises, littératures étrangères, histoire de l’art, et tous les enseignements de base communs à toutes les sections. C’est la partie du programme destinée à la culture générale, comportant 20 heures de leçons par semaine, qui se donneront le matin seulement, comme celles de la section littéraire. Il s’y joint un enseignement complémentaire, d’orientation plus féminine, destiné à initier la jeune fille aux diverses activités familiales et sociales qui s’offrent à la femme. Cet enseignement comprend un complément de géographie, de sciences naturelles, d’arithmétique et de comptabilité, de physique et des cours de gymnastique, de dessin, de musique, de travaux à l’aiguille, d’hygiène et de puériculture, et d’éducation féminine.
On cherchera à tenir cet enseignement aussi près que possible de la réalité et de la vie, en partant de l’observation directe, pour les sciences naturelles entre autres, ou en traitant des questions présentant un intérêt d’actualité, en géographie particulièrement, ou des applications pratiques de la science, en physique par exemple. On laissera pour cela au maître une certaine liberté dans le choix des questions à traiter, et l’on cherchera à s’éloigner du caractère encyclopédique de l’enseignement traditionnel. Enfin l’on espère, au moyen d’entretiens, séminaires, compte rendus (sic) de lectures ou de conférences, petits travaux personnels sur les établissements visités, etc. obliger la jeune fille à prendre un rôle actif, au lieu de lui permettre de se borner à enregistrer la parole du maître, comme nos élèves, même les meilleures, sont trop souvent portées à le faire.
Quant à l’organisation, elle présentera une souplesse inconnue jusqu’à présent. Les cours du matin seuls seront obligatoires pour toutes les élèves. Mais elles pourront y ajouter, selon leurs besoins, leurs goûts ou leurs capacités, un ou plusieurs cours, ou tous les cours de l’après-midi. Celles qui auront suivi l’enseignement complet, seront préparées à poursuivre les études qui conduisent aux carrières sociales, aux activités qui s’exerceront auprès des enfants, des malades, dans les établissements hospitaliers ou institutions diverses. Voilà un beau champ à cultiver, et peut-être nous trouve-t-on bien ambitieux. Mais même si la récolte n’atteint pas notre espérance, nous n’aurons pas fait oeuvre inutile en cherchant à instruire celles qui n’auront pas d’autre rôle à jouer que d’être filles, soeurs, épouses ou mères. »
Source: Archives DIP/SG, AEG, 1985 va 5.3.383, 1936 – Enseignement secondaire 3 janvier, ESJF I, Promotions: « Rapport sur la marche de I’Ecole secondaire et supérieure des jeunes filles pour l’année 1935-1936 ». Samuel Gaillard, Genève, le 7 juillet 1936, pages 10 à 13.
Cité in : Aa. Vv., « En attendant le prince charmant. L’éducation des jeunes filles à Genève, 1740-1970 », Genève, 1997, pp. 132-133.
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