Féministe de la première heure, la Genevoise Marie Goegg-Pouchoulin (1826-1899) est à l’initiative de la création de l’Association internationale des Femmes. Cette dernière, qui est aussi le premier mouvement féministe suisse, voit le jour le 26 juillet 1868, au numéro 9 de la rue du Mont-Blanc à Genève. Elle rassemble dans l’immédiat tout au plus sept adhérentes.

En dépit de ce succès très relatif, Marie Goegg-Pouchoulin pose les bases de la lutte des femmes avec une grande clarté dans un discours qu’elle tient devant l’Association en 1868.


« L’Association internationale des Femmes ne sépare point la société en deux camps, elle ne crée point d’antagonisme entre l’homme et la femme, elle ne divise pas des éléments créés pour se confondre, elle ne cherche pas à conquérir les droits des femmes aux dépens des hommes […]

Elle demande avant tout l’égalité des droits dans l’instruction, parce qu’elle est persuadée que la femme doit être, intellectuellement aussi bien que moralement, l’égale de l’homme avec lequel elle doit traverser la vie, et que, devant être l’éducatrice de ses enfants, il faut qu’elle soit à même de remplir cette importante tâche […]

Elle demande aussi la liberté de travail pour la femme et l’égalité dans le salaire à tâche égale de travail. C’est le travail qui sauve et régénère l’individu: le travail est la seule condition possible d’assurer à la femme l’indépendance économique et par cela de lui permettre de conserver sa dignité et sa moralité […]

Elle demande l’égalité des droits civils et économiques s’appuyant pour cela, comme en toute chose, sur le sentiment d’équité qui se trouve au fond de toute conscience. Et en disant l’égalité dans tous les actes civils, il est bien entendu que nous posons les mêmes principes pour l’acte civil le plus important entre tous, celui du mariage. Nous sommes convaincus que, loin de courir aucun danger, si la femme y conserve son autonomie et y supprime la formule d’obéissance, l’institution du mariage réalisera alors un degré de dignité et de supériorité auquel il ne peut atteindre aussi longtemps qu’il est soumis aux formules surannées qui consacrent le droit arbitraire du mari sur sa femme […]

[…] Nous arrivons enfin aux droits politiques, également revendiqués au nom de la justice par l’Association internationale des Femmes, bien que cette soi-disant prétention de notre part soulève en certains endroits une forte opposition […] C’est cependant au vote politique, si péniblement conquis, que les hommes doivent l’heureux changement qui les réunit sous les mêmes lois; c’est le vote politique qui a fait cesser une partie des criants abus qui dégradent la société ; c’est grâce au vote politique, autrement dit « suffrage universel » (mot illusoire aussi longtemps que les femmes n’y participeront pas) qu’ont eu lieu les progrès et les améliorations sociales qui nous réjouissent, mais qui, nous le répétons, sont très insuffisants […] La conclusion naturelle est donc celle-ci : nous réclamons le droit de vote parce que toute amélioration réelle est sortie de l’exercice de ce droit ; parce qu’il est temps aussi pour nous de n’être plus une « classe » ; parce que nous sentons la nécessité d’avoir nos idées représentées dans les Conseils, dans les Commissions, partout où il y a une discussion humanitaire ; parce que nous aussi voulons être des citoyennes et partager la tâche des citoyens – nos frères. »

Discours de Marie Goegg-Pouchoulin devant l’Association internationale des femmes en 1868, probablement à Genève, in Susanna Woodtli, Du féminisme à l’égalité politique. Un siècle de luttes en Suisse (1868-1971), Payot, Lausanne.