L’évêque allemand de Munster, Mgr Von Galen,  dénonce  le meurtre des handicapés par les nazis dans un sermon prononcé le 3 août 1941.

Ce texte est un extrait du long sermon prononcé par Mgr Von Galen, évêque de Munster, le dimanche 3 août 1941. Il s’agit d’une vigoureuse protestation contre  l’Aktion T4,  ordonnée en octobre 1939 par Hitler. Lancée dans le contexte du début de la deuxième guerre mondiale, l’Aktion T4 était un plan visant à euthanasier les handicapés mentaux, physiques et autres inadaptés sociaux résidant dans les asiles du Reich. Dans la perspective de la guerre, il s’agissait de libérer des lits et des moyens hospitaliers pour donner la priorité aux blessés de guerre. L’Aktion T4 est surtout une étape décisive qui voit la politique eugéniste décidée en 1933 (la stérilisation des handicapés et inadaptés sociaux) se transformer en une politique exterminatrice, elle même annonciatrice du génocide.

La vive protestation adressée par Mgr Von Galen au nom des valeurs chrétiennes relève donc de la Résistance spirituelle au nazisme. Elle est étayée par des faits précis qui lui donnent plus de force.

S’adressant à l’opinion catholique allemande, ce sermon a été largement diffusée en Allemagne, obligeant Hitler à décider de l’abandon de l’Aktion T4, le 24 Août 1941.

L’Aktion T4 aurait fait en un an et demi d’existence au moins 70. 000 victimes.


Extraits du sermon de Mgr Von Galen, évêque de Muster, 3 août 1941

“Depuis quelques mois nous entendons des rapports selon lesquels des personnes internées dans des établissements pour le soin des maladies mentales, qui ont été malades pendant une longue période et semblent peut-être incurables, ont été de force enlevées de ces établissements sur des ordres de Berlin. Régulièrement, les parents reçoivent, peu après un avis selon lequel le patient est mort, que son corps a été incinéré et qu’ils peuvent recevoir ses cendres.

Il y a un soupçon général, confinant à la certitude, selon lequel ces nombreux décès inattendus de malades mentaux ne se produisent pas naturellement, mais sont intentionnellement provoqués, en accord avec la doctrine selon laquelle il est légitime de détruire une soi-disant “vie sans valeur” – en d’autres termes de tuer des hommes et des femmes innocents, si on pense que leurs vies sont sans valeur future au peuple et à l’état. Une doctrine terrible qui cherche à justifier le meurtre des personnes innocentes, qui légitimise le massacre violent des personnes handicapées qui ne sont plus capables de travailler, des estropiés, des incurables des personnes âgées et des infirmes !”

Comme j’en ai été bien informé, dans les hôpitaux et les hospices de la province de Westphalie sont préparés des listes de pensionnaires qui sont classés en tant que “membres improductifs de la communauté nationale” et doivent être enlevé de ces établissements et être ensuite tués rapidement. La première partie des patients est partie de l’hôpital de malades mentaux de Marienthal, près de Münster, au cours de cette semaine. Des hommes et des femmes allemands !

L’article 211 du code pénal allemand est toujours en vigueur, et dit en ces termes : “Qui intentionnellement tue un homme, en ayant l’intention de donner la mort, sera puni de mort pour meurtre.”

Il n’y a aucun doute : afin de protéger ceux qui tuent intentionnellement ces pauvres hommes et femmes, membres de nos familles, de cette punition établie par la loi, les patients qui ont été choisis pour le massacre sont déplacés de leur environnement vers quelque endroit éloigné. Quelque maladie ou autre est alors donnée comme cause de la mort. Puisque le corps est immédiatement incinéré, les parents et la police criminelle ne peuvent pas établir si le patient en fait avait été malade ou ce qu’était réellement la cause de la mort. J’ai été assuré, cependant, qu’au ministère de l’intérieur et au Service de l’officier médical en chef du Reich, le Dr Conti, qu’aucun secret n’est fait du fait qu’en effet un grand nombre de personnes mentalement malades en Allemagne ont été déjà tuées intentionnellement et que ceci continuera.

L’article 139 du code pénal prévoit que “quiconque a la connaissance d’une intention de commettre un crime contre la vie de toute personne… et n’informe pas les autorités ou la personne dont la vie est menacée, en temps voulu… commet une faute punissable”.

Quand j’ai eu connaissance de l’intention d’enlever des patients de Marienthal, j’ai déposé le 28 juillet une plainte chez le procureur de Münster, au tribunal du Land à Münster, et à Monsieur le président de la Police par lettre recommandée ayant la teneur suivante :

Selon l’information que j’ai reçue il est projeté au cours de cette semaine (la date a été mentionnée comme étant celle du 31 juillet) de déplacer un grand nombre de patients internés de l’hôpital provincial de Marienthal, classés comme ‘membres improductifs de la communauté nationale’, à l’hôpital psychiatrique d’Eichberg, où ils doivent être intentionnellement tué comme on croit généralement que cela s’est produit dans le cas de patients enlevés d’autres établissements.

Puisqu’une telle action est non seulement contraire à la loi morale divine et naturelle mais est qualifiée à l’article 211 du code pénal allemand comme meurtre et entraîne la peine de mort, je rapporte par la présente ce fait en accord avec mon obligation de l’article 139 du code pénal et demande que des mesures soient immédiatement être prises pour protéger les patients concernés par des démarches contre les autorités projetant leur déplacement et leur meurtre, et que je puisse être informé de la mesure prise.”

D’information au sujet de ma démarche, aucune ne m’est venue en retour que ce soit du procureur ou de la police. J’avais déjà écrit le 26 juillet aux autorités de la Province de Westphalie qui sont responsables du fonctionnement de l’hôpital psychiatrique et des patients confiés à eux pour veiller sur eux et pour les soigner, protestant dans les termes les plus forts. Cela n’a eu aucun effet. Le premier transport des victimes innocentes sous sentence de mort a quitté Marienthal. Et de l’hôpital de Warstein, ce sont, comme je l’ai entendu, 800 patients qui ont été déjà enlevés.

Nous devons nous attendre, donc, à ce que les pauvres patients sans défense soient, tôt ou tard, tué. Pourquoi ? Non pas parce qu’ils ont commis quelque offense que ce soit justifiant leur mort ; non pas parce que, par exemple, ils ont attaqué une infirmière ou un préposé à leur surveillance, qui seraient autorisés pour cause de légitime défense à répondre avec violence à la violence. En ce cas l’utilisation de la violence menant à la mort est permise et peut être invoquée, comme dans le cas où l’on tue un ennemi armé. Non : ces malheureux patients doivent mourir, non pas pour quelque raison semblable mais parce que par le jugement d’un certain organisme officiel, sur la décision d’un certain comité, ils sont devenus “indignes de vivre”, parce qu’ils sont classés en tant que “membres improductifs de la communauté nationale”. Le jugement est qu’ils ne peuvent plus produire aucun bien : Ils sont comme une vielle machine qui ne fonctionne plus, comme un vieux cheval qui est devenu boiteux de manière incurable, comme une vache qui ne donne plus de lait. Qu’arrive-t-il à une vieille machine ? Elle est mise à la ferraille. Qu’arrive à un cheval boiteux, à une vache improductive ?

Non ! Je ne pousserai pas la comparaison jusqu’au bout – si affreuse est sa convenance et son pouvoir d’illumination.

Mais nous ne sommes pas concernés ici par de vielles machines, nous n’avons pas affaire à des chevaux et à des vaches, dont l’unique fonction est de servir l’humanité, de produire des biens pour l’humanité. Elles peuvent être détruites, ils peuvent être abattus quand ils ne remplissent plus cette fonction. Non : ici il s’agit d’hommes et des femmes, nos prochains, nos frères et sœurs ! De pauvres êtres humains, des êtres humains malades. Ils sont improductifs, si vous voulez… Mais cela signifie-t-il qu’ils ont perdu le droit de vivre ? As-tu, ai-je le droit de vivre seulement aussi longtemps que nous sommes productifs, aussi longtemps que nous sommes reconnus par d’autres comme productifs ?

Si l’on pose et met en pratique le principe selon lequel les hommes sont autorisés à tuer leur prochain improductif, alors malheur à nous tous, car nous deviendrons vieux et séniles ! S’il est légitime de tuer les membres improductifs de la communauté, alors malheur aux invalides qui ont sacrifié et perdu dans le processus de production leur santé ou leurs membres !

Si l’on peut se débarrasser des hommes et des femmes improductifs par des moyens violents, alors malheur à nos courageux soldats qui reviennent au pays gravement atteints par des blessures de guerre, estropiés et invalides !

Si on l’admet, une fois, que les hommes ont le droit de tuer leurs prochains “improductifs” – quoique cela soit actuellement appliqué seulement à des patients pauvres et sans défenses, atteints de maladies – alors la voie est ouverte au meurtre de tous les hommes et femmes improductifs : le malade incurable, les handicapés qui ne peuvent pas travailler, les invalides de l’industrie et de la guerre. La voie est ouverte, en effet, pour le meurtre de nous tous, quand nous devenons vieux et infirmes et donc improductifs. Alors on aura besoin seulement qu’un ordre secret soit donné pour que le procédé, qui a été expérimenté et éprouvé avec les malades mentaux, soit étendu à d’autres personnes “improductives“, qu’il soit également appliqué à ceux qui souffrent de tuberculose incurable, qui sont âgés et infirmes, aux personnes handicapées de l’industrie, aux soldats souffrant de graves blessures de guerre !

Alors aucun homme ne sera en sûreté : n’importe quelle commission pourra le mettre sur la liste des personnes “improductives”, qui dans leur jugement sont devenues “indignes de vivre”. Et il n’y aura aucune police pour le protéger lui, aucun tribunal pour venger son meurtre et pour amener ses meurtriers à la justice. Qui pourra alors avoir une quelconque confiance dans un médecin ? Il pourrait signaler un patient comme improductif et pourraient être alors données des instructions pour le tuer !

On ne peut s’imaginer, la dépravation morale, la méfiance universelle qui s’étendra au cœur même de la famille, si cette doctrine terrible est tolérée, admise et mise en pratique. Malheur aux hommes, malheur au peuple allemand quand le saint commandement de Dieu : “Tu ne tueras pas !”, que le seigneur a donné au Sinaï dans le tonnerre et les éclairs, que Dieu notre créateur a écrit dans la conscience de l’homme au commencement, si ce commandement n’est pas simplement violé mais sa violation est tolérée et exercée impunément!

Mgr Von Galen, extraits du sermon prononcé dans la cathédrale de Munster, 3 août 1941.