Saint-Exupéry en reportage dans pendant la guerre d’Espagne en août 1936.

Antoine de Saint-Exupéry a voyagé à deux reprises dans l’Espagne de la guerre civile . En août 1936, il est l’envoyé spécial du quotidien parisien l’Intransigeant en Catalogne. Il fit ce premier voyage dans son propre avion et en rapporte une série de 5 reportages publiés par le journal entre le 12 et le 19 août 1936.  En 1937, il remplit la même fonction pour le Journal Paris-Soir sur le front de Madrid assiégée.
Les reportages sont effectués à partir du camp républicain. Cependant, Saint-Exupéry ne prend partie pour aucun des deux camps en lutte ; mais il  livre aux lecteurs ses réflexions sur  l’inhumanité de la guerre et la fragile condition humaine.

L’extrait ci-dessous relate des faits qui se sont produits sur le front de l’Aragon, aux confins de la Catalogne, au début de la guerre.


Des amis, à mon retour du front, m’ont permis de me joindre à leurs expéditions mystérieuses. Nous voici au coeur de la montagne, dans l’un de ces villages qui connaissent à la fois la paix et la terreur.

-Oui, nous en avons fusillé dix-sept…

Ils ont fusillé dix-sept «fascistes». Le curé, la bonne du curé, le sacristain et quatorze petits notables. Car tout est relatif. Quand ils lisent dans leurs journaux le portrait de Basile Zaharoff, maître du monde, ils le transposent dans leur langage. Ils y reconnaissent le pépiniériste ou le pharmacien, c’est un peu Basile Zaharoff (1) qui meurt. Le pharmacien est seul à ne point comprendre.

-Maintenant, nous vivons entre nous, c’est calme…

À peu près calme. Celui qui tourmente encore les consciences, je l’ai vu tout à l’heure au café du village, obligeant, souriant, tellement désireux de vivre! Il venait là pour bien nous faire reconnaitre que, malgré ses quelques hectares de vignes, il faisait partie de l’espèce humaine, souffrait comme elle de rhumatismes, s’épongeait comme elle de son mouchoir bleu, et jouait humblement au billard. Fusille-t-on un homme qui joue au billard? Il jouait mal d’ailleurs, avec des grosses mains qui tremblaient : il était ému, il ne savait pas encore s’il était fasciste. Et moi je songeais à ces pauvres singes qui dansent devant le boa, pour l’attendrir.

Mais nous ne pouvons rien pour lui. Pour l’instant, assis sur une table, au siège de ce comité révolutionnaire, nous nous apprêtons à soulever un autre problème. Tandis que Pépin tire de sa poche des papiers sales, je considère ces terroristes. Étrange contradiction. Ce sont de braves paysans aux yeux clairs. Partout, nous retrouverons ces mêmes visages atttentifs. Bien que nous ne soyons que des étrangers sans mandat, on nous recevra chaque fois avec la même courtoisie grave. […]

L’intransigeant, mercredi 19 août 1936, artcicle publié en Une.

(1) Basile Zaharoff est un célèbre financier international et puissant trafiquant d’armes, né en 1849 et mort en 1936. Il est, entre les deux-guerres, l’archétype du « marchand de canons » sans foi ni loi.

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