Les expressions courantes  ont parfois une histoire qui mérite qu’on s’y arrête un peu. C’est le cas de l’expression « Français de papier », née sous la Troisième République, et qui connaît de nos jours un regain de popularité dans les discours politiques, à droite et à l’extrême droite.

L’expression d’origine était un peu différente : on parlait alors de « Français de papier timbré » pour désigner les étrangères et les étrangers ayant obtenu la nationalité française par naturalisation, la demande devant en être faite par une lettre affranchie avec un timbre fiscal. L’expression est attribuée à Albert Monniot (1862-1938), antisémite notoire et collaborateur régulier du journal d’Édouard Drumont, La Libre Parole.  L’expression est péjorative (et raciste) et introduit une distinction entre les Français « de souche » et les immigrés ayant obtenu la nationalité par naturalisation, mais qui ne seraient pas des Français véritables. Comme si le fait d’être né français sans ascendance étrangère faisait automatiquement de vous un ardent patriote prêt à donner sa vie pour la mère-patrie alors que le « Français de papier » serait un traître en puissance.

Les deux articles de presse présentés traitent des « Français de papier » sous la Troisième République mais dans des contextes historiques différents.

Le premier publié en 1915 est issu du journal antisémite d’extrême droite La Libre Parole créé par Édouard Drumont, quotidien qui a joué un rôle majeur dans la diffusion de la notion même de « Français de papier timbré », expression inventée par un collaborateur régulier de ce journal, Albert Monniot. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, ce sont les Français d’origine allemande qui sont particulièrement visés par la presse (alors qu’avant la guerre, c’était avant tout les Juifs). Mis en cause dans un article précédent, M. Brandt, Allemand naturalisé en 1902, est contraint de se justifier pour écarter les soupçons sur son attachement à la France, ce qu’on ne demanderait jamais à un citoyen né en France d’ascendants français.

Le deuxième article a été publié en avril  1927 par Le Figaro, quotidien classé à droite de l’échiquier politique. Le contexte n’est plus le même : pour combler les vides démographiques creusés par la guerre, la France fait  largement appel  à l’immigration et, pour accélérer l’intégration des nouveaux venus, une  nouvelle loi facilitant la naturalisation est en train d’être débattue par le Parlement (elle sera promulguée le 10 août 1927). Le Figaro se montre très critique et reprend la notion de Français de papier timbré développée avant la guerre. Cette immigration massive est assimilée « aux envahisseurs » constitués par le « rebut de l’Europe, de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient » ; l‘auteur de l’article affirmant que « la destruction des vrais Français et leur remplacement par des intrus est le résultat d’un plan ».  Renaud Camus, avec sa théorie du Grand remplacement,  se serait-il contenté de plagier Le Figaro de 1927 ? ( Coïncidence ? … )


FRANÇAIS DEPUIS 1902

M. Brandt, chef de la maison Brandt, 16, rue de la Paix, nous adresse une lettre à propos de notre « Menu propos » : Couture et lingerie boches : [dans la Libre Parole du 15 février 1915]
« Je veux espérer que votre bonne foi a été surprise par de faux renseignements que j’ai le devoir de rectifier. Je suis en effet, issu d’une vieille famille polonaise établie depuis des siècles dans la ville d’Ostrowo, en Posnanie, c’est-à-dire dans une province de l’ancienne Pologne. Après y avoir passé ma jeunesse, je suis venu à Paris en 1891, à l ‘âge de vingt-trois ans et j’ai obtenu, le 6 juillet 1902 par décret de M. le Président de la République, la naturalisation française. Je me suis marié, le 22 novembre 1912 avec une Française, par devant l’officier de l’état-civil du 2e arrondissement.
Quant à ma situation militaire qui paraît vous inquiéter, elle est bien simple : j’appartiens à la classe 1886 qui vous ne pouvez l’ignorer, n’est pas actuellement mobilisable.

Enfin, la maison de commerce dont je suis le chef est la propriété d’une société en nom collectif constituée le 16 décembre 1909 par devant M° Dufour, notaire à Paris : s’il vous plaisait de consulter le pacte social, vous pourriez constater que tous les associés, sans exception, sont de nationalité française. De telle sorte. Monsieur, que celui qu’avec une grande légèreté vous avez qualifié de Prussien et tenté de discréditer dans l’esprit de sa clientèle, est, vous le voyez depuis longtemps Français, allié à une famille française et fondateur d’une maison française, si je ne craignais d’abuser et pour répondre à ï’une de vos questions, je pourrais ajouter que mon frère, M. Charles Brandt, depuis longtemps naturalisé, a été incorporé depuis le début de la guerre, au 20e escadron du train des équipages, dont le dépôt est à Versailles, et qu’actuellement, il est toujours au front.  »
Nous faisons bonne mesure à M. Brandt. Nous lui avions consacré cinq lignes. Nous lui en accordons six fois autant pour présenter sa défense. Il n’a point à nous en savoir gré, puisqu’il s’avoue Allemand naturalisé et qu’il estime qu’il y a longtemps qu’il est Parisien, parce qu’il est Français sur papier timbré depuis le 6 juillet 1902.
Nous ne voulons point reparler ici de la loi Delbruck, qui autorise M. Brandt à rester Allemand malgré la naturalisation française, ni de l’accent allemand de M. Brandt, qui, lui, n’a pu arriver à devenir Français.
La confession de M. Brandt nous suffit amplement : il est Français depuis treize ans, et il estime qu’il est l’égal des Français authentiques, des Français dont les parents étaient Français il y a plusieurs siècles. M. Brandt nous aide à souligner la monstrueuse absurdité de la loi sur la naturalisation que M. Briand ose encore défendre.
M. Brandt agite un papier qui le déclare Français d’après une Loi française votée par des députés français. Mais aucun Français n’est obligé de croire ce que dit ce papier ; il n’v a pas de vote parlementaire ni de signature de président de la République qui soit capable de faire d’un Boche un Français, de vider le sang boche qui était dans les veines de M. Brandt pour le remplacer par du sang français.
Ii y a les Français de race et il y a les autres, les Français sur papier timbré. Cette distinction était déjà admise par quelques-uns avant la guerre. Elle est admise aujourd’hui par la France entière. Libre à M. Brandt de se croire Français, et de bonne foi. L’homme vit d’illusions. Le Boche aussi, quelquefois.
Quant à vérifier si M. Brandt est de souche polonaise, je ne m’en sens pas le courage ni le temps, ni même la possibilité.
Je veux bien le croire, tout en lui faisant remarquer que ce qui gâte son affirmattion, c’est que les 300,000 Boches authentiques qui vivaient sur notre dos, en France, avant la guerre, sont tout prêts à affirmer également qu’ils n’ont jamais été de souche allemande.
Dans la France juive devant l’opinion, Edouard Drumont écrivait : « J’attends demain une lettre du baron de Rothschild m’affirmant qu’il n’est pas juif et que sa famille n’a jamais été juive. »
À cette date, personne ne voulait plus être juif. En 1915, aujourd’hui, personne en veut plus être Boche, et le Kaiser lui-même, après la débâcle, finira par se faire naturaliser Suisse et viendra vendre à Paris des casseroles en tôle émaillée ou fonder une nouvelle maison de couture « française ».

Jean Drault.

La Libre Parole, 6 mars 1915, pages 1 et 2


Contrôle sanitaire et moral avant naturalisation


La Chambre a voté une partie de la loi qui doit remplacer peu à peu les Français de race par des Français de papier timbré. Deux millions de nos meilleurs hommes se sont fait tuer pour garder la France à leurs frères, à leurs fils ; et précisément parce qu’ils sont morts, on la livre aux envahisseurs. Bonne leçon pour demain. Même en adoptant la thèse sacrilège des politiciens, on observe qu’ils ont, selon leur coutume, hormis les précautions essentielles.

Puisqu’on prétend vivifier ce vieux peuple et combler nos vides par des apports nouveaux, il faudrait veiller à la qualité de ces apports. En tout pays, l’immigration est sévèrement contrôlée du point de vue sanitaire. Les Etats-Unis ont établi des règles étroites, inflexibles ; ils n’acceptent plus que de faibles contingents de nouveaux venus, et ils les veulent irréprochables. La moindre tare physique et le plus léger doute sur la moralité sont motifs d’exclusion ; le sujet qui paraît suspect aux médecins et aux policiers d’Ellis Island ne touche même pas le continent américain ; le navire qui l’avait apporté le remporte.

En France, aucune mesure de préservation pour l’avenir, on en prendra peut- être ; pour le passé, pour le présent, rien. Pendant la guerre, depuis la guerre, des hordes innombrables sont arrivées chez nous, à pleins bateaux, à pleins wagons. Tout ce qu’on repoussait ailleurs nous est échu ; le rebut de l’Europe, de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient ; des myriades d’Asiatiques ont introduit et propagé d’effroyables maladies, terriblement contagieuses, dont la médecine avait perdu le souvenir depuis plusieurs siècles, et qui ont épouvanté le Moyen Age. Tous ces barbares, installés maintenant dans nos villes, bravent les défenses qu’on organisera plus tard aux frontières.

Nous avons expliqué que la destruction des vrais Français et leur remplacement par des intrus est le résultat d’un plan. La loi qu’on fabrique en ce moment le prouve. Si l’on voulait réellement grossir le peuple français des éléments qu’il peut assimiler, comme il les a assimilés au cours des siècles, on limiterait le bénéfice des naturalisations aux immigrants de races parentes, de sang latin, celte, germanique ou scandinave, et l’on ferait précéder la naturalisation d’une révision médicale rigoureuse.

Il est inconcevable qu’on prenne parmi nos enfants, ceux qui sont « sains, robustes, bien constitués », pour en faire des morts, et qu’on appelle, tous les déchets du monde pour en faire les néo-Français vivants. La France n’a pourtant que l’embarras du choix entre tous ceux qui veulent la conquérir sans combat ; qu’elle élise du moins les meilleurs !

Le Figaro, dimanche 3 avril  1927, page 1