Grèce : la société athénienne à l’époque classique
LA CITOYENNETÉ ATHÉNIENNE
Les Athéniens, » frères de dèmes «
« Clisthène, s’étant placé à la tête du peuple après la chute des tyrans, commença d’abord par répartir tous les Athéniens en dix tribus au lieu de quatre, voulant les mélanger afin qu’ils participent plus nombreux à la gestion de la cité. Il divisa également le territoire de la cité en trente groupes de dèmes *, dix rassemblant les dèmes urbains, dix ceux de la côte, dix ceux de l’intérieur. Chaque nouvelle tribu comprend trois dèmes, de telle sorte qu’elle en ait un de chacune de ces trois régions. Clisthène rendit frères de dèmes ceux qui habitaient dans chacun des dèmes, afin d’empêcher, s’ils se saluaient en donnant le nom de leur père, de révéler les citoyens de fraîche date. Depuis cette mesure, les Athéniens, lorsqu’ils se rencontrent, se désignent du nom de leur dème *. »
D’après ARISTOTE (philosophe, 384-322 av. J.-C.), Constitution d’Athènes, XXI.
* Un dème est la subdivision de base de la cité, un canton.
** Voici comment étaient désignés deux citoyens athéniens célèbres » Périclès, fils de Xanthippos, du dème de Chorlagès » » Socrate, fils de Sophroniskos, du dème d’Alopékè « .
L’éphébie
« XLII. 1. L’état actuel du gouvernement est le suivant. Prennent part au gouvernement ceux qui sont nés de parents ayant tous deux le droit de cité. Les jeunes gens sont inscrits au nombre des démotes à l’âge de dix-huit ans. Au moment de l’inscription, les démotes, après serment, décident par un vote : premièrement, s’ils ont l’âge exigé par la loi – en cas de décision contraire, ils retournent parmi les enfants ; deuxièmement, s’ils sont de condition libre et de naissance légitime. Celui que les démotes repoussent par leur vote, comme n’étant pas de condition libre, peut faire appel au tribunal ; le dème de son côté élit cinq de ses membres pour soutenir l’accusation. Si le tribunal décide qu’en effet il n’a pas le droit de se faire inscrire, la cité le fait vendre, si, au contraire il gagne son procès, les démotes sont tenus de l’inscrire.
2. Cela fait, le Conseil soumet les inscrits à un examen, et s’il décide que l’un d’eux n’a pas atteint l’âge de dix-huit ans, il met à l’amende les démotes qui l’ont inscrit. »
Aristote, Constitution d’Athènes, XLII, 1-2
Extraits de : M. Austin et P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, A. Colin, 1974.
Le serment des éphèbes
« Je ne déshonorerai pas ces armes sacrées ; je n’abandonnerai pas mon compagnon dans la bataille ; je combattrai pour les aïeux et pour mon foyer, seul ou avec d’autres. Je ne laisserai pas la patrie diminuée, mais je la laisserai plus grande et plus forte que je ne l’aurai reçue. J’obéirai aux ordres que la sagesse des magistrats saura me donner. Je serai soumis aux lois en vigueur et à celles que le peuple fera d’un commun accord ; si quelqu’un veut renverser ces lois ou leur désobéir, je ne le souffrirai pas, mais je combattrai pour elles, ou seul ou avec tous. Je respecterai les cultes de mes pères. »
Texte rapporté par Julius POLLUX, grammairien du IIIƒs. apr. J.-C.
Serment des jeunes athéniens arrivant à l’âge adulte
« Je ne déshonorerai pas mes armes ; je n’abandonnerai pas le compagnon, quel qu’il soit, dont je partagerai le poste. Je combattrai pour la défense des Dieux et des hommes, soit seul, soit en troupe. Je ne transmettrai pas à mes enfants la patrie amoindrie, mais je ne la leur laisserai plus florissante et plus prospère que je ne l’aurai reçue. Je me soumettrai toujours aux décisions des juges. J’obéirai aux lois et aux coutumes établies, et à celles que le peuple établira d’un commun accord. Si quelqu’un veut abolir les lois ou refuse de s’y soumettre, je ne le souffrirai pas, mais je les défendrai seul et avec tous les autres, et j’observerai la religion que nous ont transmise nos ancêtres. Je prends les dieux à témoin de ce serment « .
Contre Euboulidès
« (…) Mais je vais revenir là-dessus ; pour l’instant, appelle-moi les témoins.
TEMOINS
46. Je suis donc bien Athénien par ma mère comme par mon père : vous le savez tous maintenant, par les témoignages que vous venez d’entendre, d’une part ; et, de l’autre, par ceux qui concernaient mon père tout à l’heure. Il me reste a vous parler de moi ; un mot suffit, je pense, et il tranche tout : né de deux Athéniens, ayant hérite du bien et du génos de mon père, je suis citoyen. Néanmoins, je produirai toutes les preuves que de droit : je ferai attester que j’ai été introduit dans ma phratrie ; que j’ai été inscrit sur la liste des démotes ; que ceux-ci m’ont eux-mêmes propose à l’élection pour participer avec les citoyens les mieux nés au tirage au sort du sacerdoce d’Héraclès ; que j’ai exercé des magistratures après avoir subi l’examen.
Appelle-moi les témoins. »
Demosthène, Contre Euboulidès, 46
Extraits de : M. Austin et P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, A. Colin, 1974.
Critère de la citoyenneté : exercice des fonctions de juge et de magistrat.
« 6. Le citoyen au sens strict, aucun caractère ne le définit mieux que la participation à l’exercice des pouvoirs de juge et de magistrat . Or, parmi les magistratures, les unes sont limitées en durée, de sorte que certaines ne peuvent absolument pas être exercées deux fois par la même personne, ou du moins ne le sont qu’après un intervalle de temps bien défini; d’autres sont de durée illimitée, comme celle de juge ou de membre de l’Assemblée.
7. Peut-être, il est vrai, pourrait-on dire que ce ne sont pas là des magistrats et que ces fonctions ne les font pas participer au pouvoir; et pourtant il serait ridicule de frustrer du pouvoir ceux qui détiennent l’autorité suprême. Mais n’attachons pas d’importance à cela: c’est une simple question de nom; en effet, faute de terme pour désigner ce qui est commun au juge et au membre de l’Assemblée, on ne sait comment les appeler tous les deux. Admettons, pour les définir, que c’est une « magistrature à durée illimitée ».
8. Dès lors, nous posons le principe que sont citoyens ceux qui participent ainsi au pouvoir.
Telle est donc à peu près la définition du citoyen qui s adapterait le mieux à tous ceux qu’on appelle des citoyens. »
Aristote, Politique,III,1275a
Extraits de : M. Austin et P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, A. Colin, 1974.
Contre Neera
« Il y a d’abord une loi imposée au peuple : il lui est interdit de faire Athénien quiconque n’aura pas mérité, par d’éminents services envers Athènes, de devenir citoyen ; en outre, une fois que le peuple a consenti et octroyé ce privilège, il faut, pour que celui-ci ait force de loi, qu’il soit confirmé à l’Assemblée suivante par six mille Athéniens au moins votant au scrutin secret.
90. Les prytanes sont chargés de placer les urnes et de remettre les jetons de vote au fur et à mesure des entrées, avant que les étrangers ne pénètrent et que les barrières ne soient enlevées. Il faut que chacun juge en toute indépendance et dans son for intérieur si celui dont il s’apprête à faire un citoyen est digne de la faveur qu’il va recevoir. Ce n’est pas tout : une accusation d’illégalité est ouverte à n’importe quel Athénien contre le nouveau citoyen : il est permis d’aller devant les juges pour faire la preuve qu’il ne mérite pas cette récompense et qu’il a été naturalisé en violation de la loi. 91. De fait, alors que le peuple, trompé par les discours de ceux qui le sollicitaient, avait octroyé cette faveur, il est arrivé qu’une accusation d’illégalité se produisit et vint devant le tribunal: on a vu démontrer que le bénéficiaire n’était pas digne de la récompense; et le tribunal la lui a retirée. Il y a dans le passé de nombreux cas qu’il serait oiseux de rapporter ; mais il y en a un dont vous vous souvenez tous: Pitholas de Thessalie et Apollonidès d’Olynthe ayant été faits citoyens par le peuple, le tribunal révoqua ce privilège ; 92 Le fait n’est pas tellement ancien que vous puissiez l’ignorer. »
Pseudo-Démosthènes (Apollodore), Contre Neera, 89-90
Extraits de : M. Austin et P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, A. Colin, 1974.
Inscription en l’honneur d’Eudemos de Platées (330/29 av. J.C.)
« Sous l’archontat d’Aristophon, la tribu Leontis exerçant la neuvième prytanie, Antidoros fils d’Antinous du dème de Paiania étant secrétaire, le 11 du mois Thargélion, 19e jour de la prytanie. Aristophanes du dème d’Euonymeia étant épistate des proèdres. Le peuple a décidé, sur proposition de Lycurgue, fils de Lycophron du dème des Boutades. Puisque Eudemos a annoncé au peuple, précédemment, qu’il donnerait pour la guerre, si cela était nécessaire, 4’000 drachmes ; et puisqu’aujourd’hui il a donne mille journées d’attelage pour l’aménagement du stade panathénaïque et qu’il les a envoyées en totalité avant les Panathénées, comme il avait promis de le faire. Plaise au peuple de louer Eudemos, fils de Philourgos de Platées ; de le couronner d’une couronne d’olivier, à cause de la bienveillance dont il a fait preuve à l’égard du peuple athénien ; de le placer lui et ses descendants parmi les bienfaiteurs du peuple athénien, de lui accorder l’enktesis ges kai oikias, le droit de combattre aux cotés des Athéniens et l’isotelie pour les eisphorai . Le secrétaire de la Boulè fera graver ce décret et l’exposera sur l’Acropole. Pour l’inscription sur la stèle, le trésorier du peuple donnera… drachmes, prises sur le budget affecté par le peuple aux dépenses concernant les décrets. »
Extraits de : M. Austin et P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, A. Colin, 1974.
La révolte des soldats athéniens en 411
« Les soldats, pour leur part, tinrent sur le champ une assemblée qui destitua les stratèges précédents et tous les triérarques suspects, puis nomma à leur place d’autres triérarques et stratèges, parmi lesquels Thrasybule et Thrasyllos. Les hommes y prenaient la parole pour s’encourager mutuellement, disant entre eux qu’il ne fallait pas s’inquiéter que la cité eut rompu avec eux ; car, par rapport à eux, c’était une minorité qui s’était détachée d’une majorité mieux pourvue à tous égards. Puisqu’ils possédaient en effet l’ensemble de la flotte, ils pourraient tout d’abord obliger les autres cités de l’empire à fournir l’argent exactement comme s’ils avaient Athènes pour centre… ; et en second lieu, possédant la flotte, ils pouvaient mieux que les gens de la ville se procurer le nécessaire. Seule justement, leur position avancée à Samos avait permis aux Athéniens de disposer jusque-là de l’accès du Pirée, et maintenant eux-mêmes, si les autres refusaient de leur rendre le droit de cité, allaient se trouver en position de pouvoir les chasser de la mer plus que d’en être chassés par eux. En outre, l’aide que la ville leur apportait pour vaincre l’ennemi était mince et sans intérêt; ils n’avaient rien perdu, avec des gens qui n’avaient plus d’argent à leur envoyer- les soldats devaient s’en procurer eux-mêmes – ni de décision valable à leur mander ; or précisément, c’est pour cela que l’Etat commande aux armées.
Sous ce rapport, même, les autres avaient commis la faute d’abroger les lois traditionnelles tandis qu’eux les sauvegardaient et tenteraient de forcer les autres à y revenir; ainsi l’armée n’était pas non plus inférieure quant aux hommes susceptibles de proposer des décisions valables. »
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse,VlII, 76, 2-6, trad. J. de Romilly, ed. Les Belles Lettres.
Extraits de : M. Austin et P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, A. Colin, 1974.
L’activité religieuse du citoyen
« Comme il était naturel du moment qu’il existait des enfants de sa fille, jamais il n’a offert un sacrifice sans nous ; qu’il fut petit ou grand, toujours nous y assistions et y participions. Et ce n’est pas à ces seules cérémonies qu’il nous conviait; mais il nous conduisait toujours aux Dionysies des champs ; nous assistions aux représentations avec lui, assis à coté de lui, et nous allions chez lui pour célébrer toutes les fêtes. Lorsqu’il sacrifiait à Zeus Ktesios, sacrifice auquel il donnait un soin particulier, ou il n’admettait ni esclaves ni hommes libres étrangers à la famille, mais ou il faisait tout de ses propres mains, nous y participions, nous touchions avec lui aux victimes et les déposions avec lui sur l’autel ; avec lui nous accomplissions tous les rites, et il demandait pour nous la santé et la prospérité, comme il est naturel d’un grand-père… Ce ne sont pas ces faits seulement qui mettent en évidence que notre mère était fille légitime de Kiron, mais encore la conduite de notre père et l’attitude des femmes du dème envers elle. Quand notre père la prit en mariage, il offrit un repas de noces et y invita trois de ses amis en même temps que ses proches ; il donna aussi aux membres de sa phratrie un banquet solennel, conformément à leurs statuts. Les femmes du dème, dans la suite, choisirent notre mère avec la femme de Dioklès de Pithos pour présider aux Thesmophories et accomplir avec celle-ci les cérémonies d’usage. »
Isee, VlII, 15-16; 18-19, trad. P. Roussel, ed. Les Belles Lettres.
Extraits de : M. Austin et P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce ancienne, Paris, A. Colin, 1974.
THÉMISTOCLE AVANT SALAMINE
Durant la seconde guerre médique, les Spartiates et les Corinthiens préféraient avoir comme ligne de défense l’isthme de Corinthe, y construire un mur et ainsi protéger le Péloponnèse. Leur point de vue est défendu ici par Eurybiadès et Adéimantos. Thémistocle prônait en revanche une bataille navale au large de l’Attique.
« Tandis que Thémistocle prononçait ce discours, le Corinthien Adéimantos s’en prit encore à lui, lui ordonna de se taire à lui qui n’avait plus de patrie et prétendit interdire à Eurybiadès de laisser le droit de vote à un apatride. Thémistocle devait montrer quelle était sa patrie, exigeait-il, avant de donner son avis. Il lui jetait ces insultes parce que Athènes était prise et occupée. Alors Thémistocle se répandit en sévères répliques sur son compte et celui des Corinthiens, leur fit sentir qu’eux, Athéniens, auraient une cité et un pays plus puissants qu’eux tant qu’ils auraient deux cents navires armés ; car aucun Etat grec ne serait capable de repousser leur assaut.
Tout en faisant ces remarques, il continuait à s’adresser à Eurybiadès et ses paroles se faisaient plus pressantes: « Si tu demeures ici, si tu le fais, tu te conduiras en brave. Sinon, tu perdras la Grèce. Tous nos espoirs dans cette guerre sont portés par notre flotte. Il faut que tu m’en croies. Si tu ne le fais pas, nous Athéniens, sans désemparer, nous recueillerons nos familles pour les transporter à Siris en Italie, qui est à nous depuis longtemps déjà. Des oracles prédisent que nous devons y fonder une colonie. Vous, abandonnés par des alliés comme nous, vous vous souviendrez de mes paroles. »
Les discours de Thémistocle transformèrent le point de vue d’Eurybiadès. A mon avis, la cause principale de la transformation fut la crainte de voir les Athéniens déserter s’il conduisait la flotte à l’isthme. S’ils désertaient, le reste n’était plus en état de combattre. Il adopta l’opinion proposée : rester sur place pour livrer sur mer la bataille décisive. »
Hérodote, L’Enquête, VlIl, 61-63, Les Belles Lettres, 1953.
1. Adeimantos est le commandant de l’armée corinthienne dans la guerre contre les Perses.
2. Eurybiadès, un Spartiate, est le commandant en chef de la flotte des cités grecques.
LES GRANDS TRAVAUX DE L’ACROPOLE
« Dans ces circonstances, Périclès remontrait aux Athéniens qu’ils n’avaient pas à rendre compte de l’argent à leurs alliés, puisqu’ils faisaient la guerre pour eux et tenaient en respect les barbares. « Les alliés, disait-il, ne fournissent ni cavalier, ni navire, ni hoplite ; ils n’apportent que de l’argent. Or l’argent n’appartient plus à ceux qui le donnent, mais à ceux qui le reçoivent, pourvu qu’ils rendent les services en vue desquels ils le reçoivent.
Maintenant que la ville est suffisamment pourvue des choses nécessaires à la guerre, il faut qu’elle emploie ses ressources à des ouvrages qui, après leur achèvement, lui vaudront une immortelle renommée et qui, au cours de leur exécution, maintiendront le bien-être chez elle, car ils feront naître des industries de toute sorte et des besoins variés, qui éveillant tous les arts et occupant tous les bras, fourniront des salaires à presque toute la population, celle-ci tirant de son sein de quoi s’embellir et se nourrir en même temps. »
À ceux qui avaient l’âge et la force de faire la guerre, le trésor public fournissait abondamment de quoi vivre ; mais pour la masse ouvrière, qui n’était pas enrôlée, Périclès ne voulait ni qu’elle fût privée de salaires ni qu’elle en touchât sans travailler et sans rien faire. En conséquence il proposa résolument au peuple de grands projets de constructions et des plans d’ouvrages qui mettraient en oeuvre beaucoup de métiers et demanderaient beaucoup de temps. De la sorte, la population sédentaire aurait le même droit que les matelots et les soldats en garnison ou en expédition d’être aidée et de toucher sa part des fonds publics. »
PLUTARQUE, Les Vies parallèles, t. III, Vie de Périclès, 12, 3-5, Les Belles Lettres, 1964.
Les artisans à Athènes
« À ceux qui avaient l’âge et la force de faire la guerre, le trésor public fournissait abondamment de quoi vivre ; mais pour la masse ouvrière, qui n’était pas enrôlée, Périclès ne voulait ni qu’elle fût privée de salaires ni qu’elle en touchât sans travailler et sans rien faire. C’est pourquoi il proposa au peuple de grands projets de construction et des plans d’ouvrage qui mettraient en œuvre beaucoup de métiers et demanderaient beaucoup de temps. De la sorte, la population sédentaire aurait les mêmes droits que les matelots ou les soldats en garnison ou en expédition d’être aidée et de toucher sa part des fonds publics.
On disposait, comme matières premières, de marbre, cuivre, ivoire, or, ébène, cyprès ; on avait, pour les travailler et les mettre en œuvre, des corps de métiers : charpentiers, sculpteurs, forgerons, tailleurs de pierre, doreurs, travailleurs de l’ivoire, peintres, incrusteurs, ciseleurs ; pour le transport et le convoi des matériaux : sur mer, des marchands, matelots et pilotes ; sur terre, des charrons, voituriers, cochers, cordiers, tisserands, bourreliers, cantonniers et mineurs. Chaque métier disposait de la foule des ouvriers non spécialisés et des manœuvres. »
PLUTARQUE, Périclès, XII, 3-5.
La domination athénienne, le trésor et les pauvres : une polémique
Aristophane, Les guêpes, 422 av JC
« BDELYCLÉON. — Ecoute-moi maintenant, mon petit papa, en déridant quelque peu ton front. Et d’abord, suppute en gros, non avec des cailloux, mais sur les doigts, le tribut que nous paient collectivement les cités ; puis, en outre et à part, les droits, les nombreux centièmes (1), les consignations (2), les mines , marchés, droits de port, locations et confiscations (3). Tout compte fait, il nous revient environ deux mille talents. Maintenant déduis de là une année d’indemnité (misthos) pour les juges au nombre de six mille, car il n’en réside jamais davantage dans le pays, cela vous fait bien, ce me semble, cent cinquante talents.
PHILOCLÉON. — Ce n’est donc pas même le dixième des revenus qui nous revient comme indemnité ?
BDÉLYCLÉON. — Non, certes par Zeus
PHILOCLÉON. — Et où passe alors le reste de l’argent ?
BDÉLYCLÉON. — A ceux qui disent : » Non je ne trahirai pas la meute des Athéniens, toujours je combattrai pour le populaire » (4). Car c’est toi, mon père, qui te les donnes pour maîtres, enjôlé par leur baratin. Eux cependant extorquent aux cités cinquante talents à la fois, en les menaçant, en les terrifiant de cette sorte : Vous paierez le tribut ou je tonne contre votre cité et je la renverse « . Toi, tu te contentes de grignoter les balayures de ton Empire. Et quant aux alliés, voyant la racaille populaire fouiller dans l’urne électorale et n’avoir pratiquement rien à croquer, ils se préoccupent de toi comme du suffrage de Konnos tandis qu’à eux ils envoient en présents pots de salaison, vin, tapis, fromage, miel, sésame, coussins, coupes, manteaux, couronnes, colliers, bocks, richesse et santé. Et de ceux à qui tu commandes après tant de labeurs sur la terre et sur l’onde 9 pas un ne te donnera une tête d’ail pour ta bouillabaisse.
PHILOCLÉON. — Oui par Zeus, c’est bien vrai, et encore hier, j’ai fait chercher trois gousses d’ail chez Eucharidès. Mais cet esclavage que je subis, tu m’exaspères, car tu ne me le prouves pas.
BDÉLYCLÉON. — Eh ! N’est-ce pas un grand esclavage que de les voir revêtus de charges, eux et leurs flatteurs salariés ? Tandis que toi, qu’on te donne ces trois oboles que, matelot, fantassin, soldat de siège, tu gagnas toi-même, au prix de mille épreuves, et te voilà content (…).
PHILOCLÉON. — C’est ainsi qu’ils me traitent ? Malheur que me dis-tu ? Comme tu remues le fond de mon être et persuades peu à peu mon esprit. Je ne sais ce que tu fais de moi.
BDÉLYCLÉON. — Remarque en effet comme quoi, en passe d’être riche ainsi que tous ceux-là, tu te laisses enfermer, je ne sais comment, par tous ces perpétuels partisans du peuple. Tu règnes sur toute une foule de cités, depuis le Pont jusqu’à la Sardaigne, et n’en tires pas le moindre bénéfice, à part tes quatre sous. Encore te les distillent-ils d’un flocon de laine, goutte à goutte, assez pour vivre, comme de l’huile. Car ils veulent que tu sois pauvre, et je vais te dire pourquoi : c’est pour que tu connaisses qui t’apprivoise et te nourrit, et, lorsqu’il te lâche et te déchaîne contre un de ses ennemis, que tu lui sautes dessus comme un chien enragé. Car s’ils voulaient donner au peuple les moyens de vivre, ce serait facile.
Mille cités aujourd’hui nous paient le tribut. Qu’on ordonne à chacune de nourrir vingt hommes, et vingt mille démocrates se régaleront de civets, auront toutes sortes de couronnes, du premier lait cru et cuit, goûteront des douceurs dignes de ce pays et du trophée de Marathon. Mais maintenant, comme des cueilleurs d’olives , vous faites cortège à celui qui tient la caisse ».
Aristophane, Les Guêpes, 655-712, (traduit d’après A. Willems, Bruxelles, 1919).
1. Droits payés notamment à l’entrée et à la sortie du port.
2 Sommes déposées avant l’ouverture d’un procès.
3. Tout ce que rapportaient les biens confisqués et vendus par les polètes.
4. Parodie d’une formule classique de serment, prêtée ici aux démagogues, c’est-à-dire aux leaders démocrates
Socrate s’adresse à un jeune homme Glaucon, qui désire participer à la vie politique .
« Tu as donc envie, Glaucon, de gouverner la République ? – Oui, Socrate – De tous les projets humains, c’est le plus beau sans doute ; si tu l’accomplis, tu n’auras pas de désirs que tu ne puisses satisfaire ; tu obligeras tes amis, tu augmenteras la puissance de ta patrie; ton nom sera connu dans Athènes d’abord, puis dans toute la Grèce, peut-être même, comme celui de Thémistocle, jusque chez les Barbares ; et en quelque lieu que tu ailles, tous les yeux se porteront sur toi. « … Si tu aspires à la gloire, si tu veux être admiré de tes concitoyens, travaille à t’instruire avant de rien entreprendre. »
Xénophon (435-350?), Mémorables LIII
Isocrate (436-338) évoque les fondements de la démocratie athénienne.
« Les hommes qui étaient alors à la tête de l’Etat n’instruisaient pas les citoyens à confondre la démocratie avec la licence, la liberté avec l’abandon des lois, l’égalité avec l’impudence, ni à placer le bonheur dans l’absence de toute contrainte… Ce qui contribuait le plus à assurer la prospérité de l’Etat, c’est qu’ils ne confondaient l’égalité qui accorde à tous les mêmes avantages avec celle qui traite chacun selon son mérite : ils savaient laquelle est la plus utile, et, rejetant celle qui n’établit aucune différence entre les bons et les méchants, ils adoptaient celle qui punit et récompense chacun selon son mérite…
Il appartient au peuple d’établir les magistrats, de punir les coupables, de régler les différends ; il est du devoir de ceux qui n’ont pas besoin de travailler pour vivre, mais qui possèdent des revenus suffisants, de servir l’Etat et d’administrer les biens communs ; s’ils se montrent magistrats intègres, ils ont droit aux éloges, seule récompense de la vertu ; mais s’ils ont été malhonnêtes, ils ne méritent aucune indulgence et doivent être punis avec la dernière rigueur. »
La constitution athénienne
« Il y a dans toutes les constitutions trois éléments à propos desquels le bon législateur doit étudier ce qui est avantageux pour chacune (…). L’une de ces trois parties est celle qui délibère sur les affaires communes ; la seconde, celle qui a pour objet les magistratures (quelle est leur nature, leur compétence particulière et leur mode de recrutement) ; la troisième, celle qui rend la justice. »
ARISTOTE, Politique, 1297b.
Les avantages de la démocratie
« (…) Athènes est libre : le peuple y règne ; tour a tour, les citoyens, magistrats annuels, administrent l’état. Nul privilège a la fortune : car le pauvre et le riche ont des droits égaux dans le pays. (…) (…) Pour un peuple, il n’est rien de pire qu’un tyran. Sous ce régime, pas de lois faites pour tous. Un seul homme gouverne, et la loi, c’est sa chose. Donc, plus l’égalité, tandis que sous l’empire des lois écrites, pauvres et riches ont mêmes droits. Le faible peut répondre a l’insulte du fort, et le petit, s’il a raison, vaincra le grand. Quant a la liberté, elle est dans ces paroles : « Qui veut, qui peut donner un avis sage a sa patrie ? » Lors, a son gré, chacun peut briller… ou se taire. Peut-on imaginer plus belle égalité ? »
Euripide (480-406), Suppliantes, trad.. G. BUDE, Éditions Les Belles Lettres.
Liberté de parole
« Les Athéniens sont à mon sens, comme au jugement des autres Grecs, un peuple intelligent. Or je vois, quand l’assemblée se réunit, que, s’il s’agit pour la cité de constructions à entreprendre, on appelle en consultation les architectes, s’il s’agit de navires, les constructeurs de navires, et ainsi de suite pour toutes les choses qu’ils considèrent comme pouvant s’apprendre et s’enseigner ; et si quelque d’autre, qui ne soit pas regardé comme un technicien, se mêle de donner son avis, fût-il beau, riche ou noble, on ne l’écoute pas davantage, mais au contraire on se moque de lui et on fait du bruit, jusqu’à ce qu’enfin le donneur de conseils ou s’en aille de lui-même devant le tapage ou soit arraché de la tribune et chassé par les archers sur l’ordre des prytanes. Voilà comment ils se conduisent lorsque la matière en discussion leur paraît exiger un apprentissage. S’il s’agit au contraire des intérêts généraux de la cité, on voit se lever indifféremment pour prendre la parole, architectes, forgerons, corroyeurs, négociants et marins, riches et pauvres, nobles et gens du commun, et personne ne leur jette à la tête, comme dans le cas précédent, le reproche de venir sans étude préalable, sans avoir jamais eu de maîtres, se mêler de donner des conseils : preuve évidente qu’on ne juge pas ceci matière d’enseignement. »
PLATON, Protagoras, 319b-d.
L’accès à la citoyenneté athénienne
« La troisième année qui suivit, sous [l’archontat d’] Antidotos [451/450 av. JC], à cause du nombre croissant de citoyens et sur la proposition de Périclès, on décida de ne pas laisser jouir de droits politiques quiconque ne serait pas né de deux citoyens. »
ARISTOTE, Constitution d’Athènes, Livre XXVI, 4
La population d’Athènes vers 430 av. JC
Citoyens : 35-45.000
Avec familles : 110-180.000
Métèques : 10-15.000
Avec familles : 25-40.000
Esclaves : 80-110.000
Total : 215-300.000
in Victor EHRENBERG, L’Etat grec. 1976, p. 67.
La vie quotidienne à Athènes
« Avec cela, pour remède à nos fatigues, nous avons assuré à l’esprit les délassements les plus nombreux : nous avons des concours et des fêtes religieuses qui se succèdent toute l’année, et aussi, chez nous, des installations luxueuses, dont l’agrément quotidien chasse au loin la contrariété. Nous voyons arriver chez nous, grâce à l’importance de notre cité, tous les produits de toute la terre, et les biens fournis par notre pays ne sont pas plus à nous, pour en jouir, que ne sont ceux du reste du monde. »
THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 38.
LE SYSTEME POLITIQUE ATHÉNIEN
Dans l’Oraison funèbre prononcée en l’honneur des morts de la première année de la guerre du Péloponnèse (été 430 av. J.-C.), Périclès , fit l’éloge d’Athènes. Les Athéniens sont alors assiégés dans leur muraille par les Spartiates et ils subissent les ravages de la peste.
« Notre régime politique ne se propose pas pour modèle les lois d’autrui, et nous sommes nous-même, des exemples plutôt que des imitateurs. Pour le nom, comme les choses dépendent non pas du petit nombre mais de la majorité, c’est une démocratie. S’agit-il de ce qui revient à chacun ? la loi, elle, fait à tous, pour leurs différends privés, la part égale, tandis que pour les titres, si l’on se distingue en quelque domaine, ce n’est pas l’appartenance à une catégorie, mais le mérite, qui vous fait accéder aux honneurs ; inversement, la pauvreté n’a pas pour effet qu’un homme, pourtant capable de rendre service à l’Etat, en soit empêché par l’obscurité de sa situation. Nous pratiquons la liberté, non seulement dans notre conduite d’ordre politique, mais pour tout ce qui est suspicion réciproque dans la vie quotidienne: nous n’avons pas de colère envers notre prochain, s’il agit à sa fantaisie, et nous ne recourons pas à des vexations, qui, même sans causer de dommage, se présentent au-dehors comme blessantes. Malgré cette tolérance, qui régit nos rapports privés, dans le domaine public, la crainte nous retient avant tout de rien faire d’illégal, car nous prêtons attention aux magistrats qui se succèdent et aux lois – surtout à celles qui fournissent un appui aux victimes de l’injustice, ou qui, sans être lois écrites, comportent pour sanction une honte indiscutée. »
THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse,II, 37, 1-3, Les Belles Lettres, 1962.
PÉRICLÈS, HOMME D’ÉTAT
L’historien Thucydide s’efforce d’expliquer ici les raisons de l’influence exercée par le stratège Périclès, qui dirigea la politique athénienne, presque sans interruption, de 443 av. J.C… date de sa première élection, jusqu’à sa mort en 429 av.J.C.
« C’est qu’il avait, lui, de l’autorité, grâce à la considération dont il jouissait et à ses qualités d’esprit et que, de plus, pour l’argent, il montrait une éclatante intégrité: aussi tenait-il la foule, quoique libre, bien en main et, au lieu de se laisser diriger par elle, il la dirigeait; en effet, comme il ne devait pas ses moyens à des ressources illégitimes, il ne parlait jamais en vue du plaisir, et il pouvait au contraire mettre à profit l’estime des gens pour s’opposer même à leur colère. En tout cas, chaque fois qu’il les voyait se livrer mal à propos à une insolente confiance, il les frappait par ses paroles en leur inspirant de la crainte ; et, s’ils éprouvaient une frayeur déraisonnable, il les ramenait à la confiance. Sous le nom de démocratie, c’était en fait le premier des citoyens qui gouvernait. Au contraire, les hommes qui suivirent étaient, par eux-mêmes, plus égaux entre eux, et ils aspiraient chacun à cette première place: ils cherchèrent donc le plaisir du peuple, dont ils firent dépendre la conduite même des affaires. Il en résulta toutes les fautes que l’on peut attendre d’une cité importante placée à la tête d’un empire, et entre autres l’expédition de Sicile; en elle, il faut dénoncer moins une erreur de jugement par rapport aux peuples attaqués, que l’attitude de ceux qui l’avaient ordonnée: au lieu de seconder, dans leurs décisions ultérieures, l’intérêt des troupes en campagne, ils pratiquèrent les intrigues personnelles, à qui serait chef du peuple; ainsi ils affaiblirent le ressort des armées et, pour la première fois, apportèrent dans l’administration de la ville le désordre des luttes. »
THUCYDIDE, Histoire de la guerre du Péloponnèse, Il, 6s, 8- l l, Les Belles Lettres, 1962.
Ce qui suit est la réponse a une question envoyée à la liste de diffusion H-Francais, dont l’auteur Christophe Pebarthe m’a autorisé la reprise. Qu’il en soit remercié.
© h-francais,
Christophe Pebarthe, Lycee Victor Louis (IEM) et Universite Bordeaux III Michel de Montaigne
liste de diffusion H-Francais http://h-net.msu.edu/~francais Date: 6 mars 1999
Dans l’Athènes du Ve siècle, comment différencie t-on dans la rue, un métèque d’un citoyen ?
La réponse est simple: d’aucune façon particulière. Il n’existait pas de différences vestimentaires particulières. Au reste, il existe un texte attribué faussement à Xénophon (d’où le nom Pseudo Xénophon, voire le Vieil Oligarque ou plus modestement l’Anonyme) qui traite de la question:
« Quant aux esclaves et aux métèques, nulle part leur insolence ne va si loin qu’à Athènes. Dans cette ville, on n’a pas le droit de les frapper, et l’esclave ne se rangera pas sur votre passage. La raison de cet usage local, la voici : s’il y avait une loi qui permit à l’homme libre de frapper l’esclave, le métèque ou l’affranchi, souvent il aurait pris un Athénien pour un esclave et l’aurait frappé. Car les hommes du peuple à Athènes ne se distinguent des esclaves et des métèques ni par les habits ni par un extérieur plus riche. »
Vieil Oligarque, « Constitution des Athéniens », 1.10
La suite du texte est dans le même esprit. L’auteur cherche à convaincre que la spécificité d’Athènes réside justement dans cette confusion entre les statuts, ce qui est censé provoquer une réaction forte de la part de ses lecteurs. Cette constitution des Athéniens est un pamphlet adroit et virulent. Il est intéressant à mon sens de faire travailler les élèves sur des extraits car il oblige à une critique textuelle forte (les modules s’y prêtent fort bien).
Dans la réalité, la situation institutionnelle ne correspond pas au tableau du Vieil Oligarque, ni pour les métèques, ni pour les esclaves, au moins pour le Ve s. sinon pour l’ensemble de la période classique. Si cela vous intéressé, je peux dans un autre message développer ce point. Sinon, je vous renvoie à Briant (P.), Leveque (P.), Brule (P.), Descat (R.), Mactoux (M.-M.), « Le monde grec aux temps classiques. » Tome 1: le Ve s., Paris, PUF, coll. Nlle Clio, 1995, 230-242 pour les esclaves et 283-294 pour les métèques.
Voici un plus extrait plus long de ce même texte…
Métèques et esclaves à Athènes
La République des Athéniens (on peut traduire aussi Constitution d’Athènes) est un intelligent pamphlet qui nous est parvenu avec les oeuvres de Xénophon. Il s’agit, en effet, selon toute apparence d’un adversaire de la démocratie écrivant vers 430.
« Quant aux esclaves et aux métèques, nulle part leur insolence ne va si loin qu’à Athènes. Dans cette ville, on n’a pas le droit de les frapper, et l’esclave ne se rangera pas sur votre passage. La raison de cet usage local, la voici : s’il y avait une loi qui permît à l’homme libre de frapper l’esclave, le métèque ou l’affranchi, souvent il aurait pris un Athénien pour un esclave et l’aurait frappé. Car les hommes du peuple à Athènes ne se distinguent des esclaves et des métèques ni par des habits ni par un extérieur plus riches.
A ceux qui trouveraient étonnante une autre habitude, celle de laisser les esclaves se livrer au luxe dans Athènes, quelques-uns même y vivre au milieu de la magnificence (1), on peut démontrer que cette indulgence aussi est, chez les Athéniens, un calcul. Dans un pays dont la marine fait la puissance, l’intérêt de notre fortune nous oblige à être au service de notre cheptel humain . Nous devons toucher les redevances qu’ils perçoivent pour nous (2) et pour cela les laisser libres. Or, là où des esclaves sont riches, il ne sert à rien que mon esclave vous craigne comme il vous craint à Lacédémone. Car si votre esclave avait à Athènes quelque chose à craindre de moi, il serait obligé de me remettre l’argent qu’il détient, afin de ne pas mettre sa personne en danger.
Voilà pourquoi nous avons accordé aux esclaves une sorte de droit à la parole (iségoria) par rapport aux hommes libres. Et aux métèques aussi, vis-à-vis des citoyens de la ville, parce que la multitude des métiers et les besoins de la marine les rendent nécessaires à la cité. Voilà pourquoi le droit à la parole accordé aux métèques est aussi, de notre part, une concession cohérente ».
PSEUDO-XÉNOPHON, République des Athéniens, I, 10-12 (trad. E. Belot modifiée, Paris, Hachette, 1880).
1. Il s’agit des esclaves » habitant à part » et tenant un commerce.
2. Il s’agit ici d’esclaves intendants ou régisseurs d’affaires, qui perçoivent le revenu du travail d’autres esclaves. Toute cette activité est liée, directement ou indirectement, au commerce et à la vie maritime.
idem un extrait plus court (autre traduction)
« À Athènes, la licence des esclaves et des métèques est extrême et il n’y est pas permis de les frapper et l’esclave ne te laissera pas le passage. La raison de cette coutume, je vais te la dire. S’il était admis que l’esclave, le métèque ou l’affranchi soient frappés par l’homme libre, souvent, prenant un Athénien pour un esclave, tu le frapperais. Là en effet, le peuple (des citoyens) n’est pas mieux habillé que les esclaves et les métèques et il n’a pas meilleure apparence. »
PSEUDO-XÉNOPHON, Constitution d’Athènes, I, 10.
Le mépris des esclaves
« Xanthias.- Que je meure, si je t’ai volé la valeur d’une épingle ! Prends cet esclave, mets le à la question, et si tu acquiers la preuve que je suis coupable, fais moi périr.
Eaque.- Et quel genre de questions ?
Xanthias.- Tous les genres ; tu peux le lier sur le chevalet, le pendre, le déchirer de coups, l’égorger, lui tordre les membres, lui verser du vinaigre dans le nez, le charger de briques, tout ce que tu voudras. »
Aristophane, Les grenouilles (405 avant J.C.)
Les Métèques plus citoyens que des citoyens
La tyrannie des Trente opprime la cité après la défaite dans la Guerre du Péloponnèse (404 av. J.-C.)
« À cette nouvelle [l’arrestation de Polémarque], je m’embarquai dans la nuit pour Mégare. Quant à Polémarque, les Trente lui envoyèrent leur ordre habituel, celui de boire la ciguë, sans lui faire connaître le motif de sa condamnation, à plus forte raison sans le juger ni le laisser se défendre. Une fois mort, ils l’emportèrent hors de la prison; mais au lieu de laisser le convoi partir d’une des trois maisons qui nous appartenaient, ils louèrent un hangar pour y exposer le corps. Nous avions beaucoup de manteaux, mais quand on en demanda, ils n’en donnèrent pas un seul pour les funérailles; ce furent nos amis qui fournirent, l’un un manteau, l’autre un coussin, chacun enfin ce qu’il pouvait avoir, pour l’ensevelir. Ils avaient à nous sept cents boucliers, ils avaient de l’argent et de l’or en quantité, du cuivre, des bijoux, des meubles, des vêtements de femmes plus qu’ils n’avaient jamais espéré en prendre, sans parler de cent vingt esclaves, dont ils gardèrent les meilleurs pour eux, abandonnant le reste au trésor. Voyez pourtant jusqu’où alla leur insatiable cupidité et comme ils montrèrent ce qu’ils étaient. La femme de Polémarque avait des pendants d’or qu’elle possédait lorsqu’elle entra dans la maison : Mélobios les lui arracha des oreilles. Ainsi, ils ne nous laissaient même pas, par pitié, la moindre parcelle de notre fortune (…). Ce n’est pas certes ce que méritait notre dévouement à la cité : nous avions exercé toutes les chorégies, versé bien des contributions ; nous nous étions montré d’honnêtes gens, toujours aux ordres de la cité ; nous ne nous étions pas fait d’ennemis ; nous avions payé la rançon d’un grand nombre d’Athéniens prisonniers ; et c’est nous qu’ils traitèrent de la sorte, nous qui avions compris notre rôle de métèques tout autrement qu’ils ne comprenaient, eux, leurs devoirs de citoyens. »
LYSIAS, Contre Érathostène, 17-20.
Quelques extraits tirés des comédies d’Aristophane et qui peuvent illustrer le cours, faire rire les élèves tout en facilitant une révision. C’est l’occasion d’expliquer également la place de la comédie dans une société démocratique et expliquer pareillement comment ce théâtre nous est parvenu : une seule pièce circule au VIIIème s. en Occident, il réapparaît au Xème , puis XIIIème, enfin édition princeps fin XVème.
1) Le citoyen à l’ecclesia (extrait des Acharniens) :
« Nos gens bavardent sur l’agora et, pêle-mêle, fuient devant la corde vermillonnée. Les prytanes mêmes ne sont pas là, mais arriveront en retard, et, ensuite, se bousculeront l’un l’autre, une fois ici, pour s’emparer du premier banc, tous ensemble, comme un torrent… Et moi, toujours le tout premier, j’arrive à l’assemblée, je m’assieds ; puis, comme je suis seul, je geins, je baille, je m’étire, je pète, je ne sais que faire, je dessine sur le sol, je m’arrache des poils, je fais mes comptes. »
idem un peu plus long
Un paysan athénien à l’assemblée
« Et pourtant jamais encore depuis que je vais aux bains, je n’ai souffert de la potasse qui me mordait les yeux, comme je souffre aujourd’hui, où une assemblée régulière était convoquée pour l’aurore, de trouver la Pnyx vide, comme vous voyez. Nos gens cependant bavardent sous l’Agora, et pêle-mêle devant la corde vermillonnée. Les prytanes même ne sont pas là, mais arriveront en retard, et ensuite se bousculeront l’un l’autre, vous pensez comme, une fois ici, pour s’emparer du premier banc, tous ensemble comme un torrent. Mais la paix et les moyens de la faire, c’est le cadet de leurs soucis. « Patrie, ô ma patrie ! » Et moi, toujours le premier, j’arrive à l’assemblée, je m’assieds ; puis, comme je suis seul, je geins, je bâille, je m’étire, je pète, je ne sais que faire, je dessine sur le sol, je m’arrache des poils, je fais mes comptes. Je regarde au loin du côté de mon champ, amoureux que je suis de la paix… »
ARISTOPHANE, Les Acharniens, v. 17-32.
2) Les dieux (extrait des Cavaliers) :
« 1er serviteur
Que dis-tu ? une statue des dieux? Ah ça ? Tu y crois donc, aux dieux ?
2e serviteur
Sans doute.
1er serviteur
Sur quoi te fondes-tu ?
2e serviteur
Sur ce que « les dieux me sont ennemis ». N’est-ce pas conséquent ? »
3) la démocratie :
Dans « Les cavaliers », le coryphée attaque « le paphlagonien » c’est à dire Cléon, ennemi personnel et politique d’Aristophane. On peut ainsi parler de la comédie dans la citoyenneté : élément des cérémonies religieuses, soumis aux citoyens (concours), ce théâtre est essentiellement politique. Il incite les citoyens à l’action en se moquant des hommes politiques avec les moyens d’un « Coluche ».
« Le paphlagonien
(aux spectateurs) Vieillards heliastes, confrères du triobole, vous que je sustente en vociférant à droit ou à tort, au secours ! Je suis battu par des conspirateurs !
Le coryphée
Et c’est justice, puisque tu dévores les biens de l’Etat…, que tu palpes comme des figues à cueillir et presses les comptables publics…, que parmi les citoyens tu guettes l’agneau, riche, point méchant, redoutant les affaires ; que si tu en connais un qui soit inoffensif… tu le saisis à bras le corps, lui donnes le croc en jambe, puis… tu l’as vite baisé.
Le paphlagonien
Vous aussi vous m’attaquez ! Et moi, c’est pour vous messieurs que je me suis battu, parce que j’allais ouvrir l’avis qu’il est juste d’ériger sur l’Acropole un monument en souvenir de votre vaillance.
Le coryphée
Qu’il est hableur ! Qu’il est roublard ! (au choeur) As-tu vu comme il flatte bassement ? Il nous prend pour des vieillards dont il veut se jouer. »
LA VERVE PARODIQUE D UN AUTEUR COMIQUE
Aristophane (vers 445- vers 380) met en scène les femmes athéniennes qui se sont rendues maîtresses de la cité.
« PRAXAGORA. – Qui demande la parole ?
LA SECONDE FEMME. – Moi.
PRAXAGORA. – Prends la couronne et que la chance soit avec toi.
LA SECONDE FEMME. – Ça y est.
PRAXAGORA. – Alors parle.
LA SECONDE FEMME. – Je parle avant de boire ?
PRAXAGORA. – Comment, boire ?
LA SECONDE FEMME. – Alors pourquoi, ma bonne, avoir mis une couronne ?
PRAXAGORA. – Va-t’en. Tu nous aurais fait cela là-bas.
LA SECONDE FEMME. – Et quoi ? On ne boit pas à I’Ecclésia ?
PRAXAGORA – Tu crois qu’ils boivent ?
LA SECONDE FEMME. – Et comment, par Artémis (1), et du bon encore ! C’est pourquoi si on réfléchit bien, tous les décrets ont l’air d’avoir été pris par des gens ivres et déments. Par Zeus pourquoi feraient-ils tant de libations et de prières si ce n’était à cause du vin ! En plus, ils s’injurient comme des ivrognes, et les archers doivent parfois en expulser quelques-uns.
PRAXAGORA. – Alors va t’asseoir, tu n’es bonne à rien… une autre veut-elle prendre la parole ?
LA PREMIÈRE FEMME. – Moi.
PRAXAGORA. – Mets la couronne, car la discussion a commencé. Tâche de bien parler, comme un homme, en t’appuyant sur ton bâton. »
ARISTOPHANE, l’Assemblée des femmes, vers 130-168, dans C. Mossé, Les Institutions grecques, A. Colin, 1967.
1. Artémis, fille de Léto et de Zeus, est la soeur d’Apollon. Elle protège le monde sauvage, et tout particulièrement les jeunes.
Les femmes dans une société d’hommes
« Les dieux ont adapté la nature de la femme aux travaux et aux soins de l’intérieur, celle de l’homme à ceux du dehors. Froids, chaleurs, marches, expéditions militaires, c’est le corps et l’âme de l’homme qu’ils ont constitués de manière à les mieux endurer. »
XÉNOPHON, Économique, VII.
Le plaideur du discours « Contre Néaira » se laisse aller à un aphorisme de portée générale (Démosthènes ou Ps. Démosthènes (le plaideur étant Apollodore) 59, 122).
« L’état de mariage se reconnaît à ce qu’on procrée des enfants à soi, à ce qu’on introduit ses fils dans la phratrie et dans le dème, à ce qu’on donne ses filles en mariage comme les siennes propres. Les courtisanes [hétaïres], nous les avons pour le plaisir ; les concubines pour les soins de tous les jours ; les épouses pour avoir une descendance légitime et une gardienne fidèle au foyer. »
PSEUDO-DÉMOSTHÈNE, Contre Nééra, 121.
Remarque sur le discours « Contre Néaira ».
Entre 343 et 340, Apollodore, en se servant de son gendre et beau-frère Théomnestos comme prête-nom, attente un grand procès public à Néaira ancienne courtisane en vue, femme de Stephanos. Il s’agit de démontrer que Néaira est une étrangère, mariée à un citoyen contrairement aux lois, qui introduit donc des enfants étrangers dans la cité (59,12-15). Cela nous vaut un discours peu banal et très leste sur les frasques de Néaira et de sa fille Phano. Ne nous y trompons pas, la défense de la pureté du sang athénien n’est que prétexte à un règlement de compte politique.
La condition de l’épouse
Ischomaque parle à sa jeune épouse
« Tu devras rester à la maison, faire partir tous ensemble ceux des serviteurs dont le travail est au-dehors ; il faudra surveiller ceux doivent travailler à la maison, recevoir ce que l’on apportera, distribuer ce que l’on devra dépenser, penser à l’avance ce qui devra être mis de côté et veiller à ne pas faire en un mois la dépense prévue pour une année. Quand on t’apportera de la laine, il faudra veiller à ce qu’on en fasse des vêtements pour ceux qui en ont besoin, veiller aussi à ce que le grain de la provision reste bon à manger. Parmi les tâches qui t’incombent, il en est toutefois une qui te paraîtra désagréable : lorsqu’un serviteur est malade, tu devras veiller à ce qu’il reçoive les soins nécessaires. »
XÉNOPHON, Économique, VII, 35-37.
Condition de l’enfant pauvre
« Dans ton enfance, tu as été élevé au milieu de la plus grande indigence faisant à côté de ton père office d’auxiliaire dans une école, préparant l’encre, lavant les bancs, balayant la salle d’attente, ayant le rang de serviteur et non pas d’enfant libre. »
DÉMOSTHÈNE, Sur la couronne, 258.