Humanisme : liberté, imprimerie, recherche et enseignement

Textes d’humanistes. 15 pages, 36 documents

Entre […] = indications hors texte.

Deux écrivains de l’humanisme

Pétrarque (Fransesco di ser Petracco)

(1304-1374 Padoue – un des grands centres intellectuels de l’époque, imprimerie et Collège = révélateur)

Nous avons affaire à un écrivain italien né dans une famille de notaire florentine exilée en Avignon. Ses premières études se font en faculté de droit entre la France et l’Italie. En 1327, il rencontre Laure de Noves qu’il chantera tout le reste de sa vie. Il va séjourner en Provence mais va entreprendre de multiples voyages dans les grands centres urbains et humanistes (Paris, Gand, Liège, Cologne, Lyon). Il étudie abondamment les auteurs classiques de l’Antiquité (Cicéron, Virgile Tite-Live). Il accumule ainsi une culture immense et développe même un véritable talent poétique. Dans ses œuvres, il parle beaucoup de la confession, de méditation sur le temps, de la culpabilité, des passions et de la mort.

Après quelques années il quitte la Provence pour Milan où il jouit d’une certaine aisance matérielle, ce qui lui permet de se concentrer sur son œuvre littéraire. Entre autres créations, il compose les Familiari (poésie en langue vulgaire), les Triomphes (poèmes allégoriques en tercets). Puis il part vers Padoue et ensuite Venise pour fuir la peste qui se répand dans la région du Pô.

Son œuvre principale reste le Canzoniere auquel Petrarque doit sa gloire mais aussi sa place dans l’histoire linguistique et littéraire. Le Canzoniere est une réunion de poésie lyrique amoureuse en langue vulgaire, élaborée à partir de 1335 environ, dont la perfection allait résonner durablement dans toute l’Europe. Son inspiration se centre sur la mort de Laure.

Boccace (Giovanni Boccaccio) (1313-1375)

Ecrivain italien. Fils de marchand. Il fut envoyé dès l’adolescence à Naples pour y apprendre le métier de banquier puis le droit canon. Il fréquenta la cour de Robert d’Anjou et y fit connaissance avec les lettres, à travers de grands esprits. De retour à Florence vers 1340, Boccace va faire mûrir son art dans l’allégorie dans l’Elegia di Madonna Fiammetta (écrit ~1344). C’est très certainement après la peste qui ravage Florence, entre 1349 et 1353, qu’il rédige Le Décaméron. Après une profonde crise morale, Boccace n’écrit plus que des œuvres en latin. En 1350, il a fait la connaissance de Petrarque, avec lequel il ne cessa de correspondre. En 1373, Florence le chargea de commenter en public La Divine Comédie, activité qu’il poursuivit jusqu’à sa mort.

Le Décaméron est un recueil dans lequel sont rassemblées plus de cent nouvelles. Réagissant aux horreurs de la Peste, les personnages manifestent leur appétit de joies terrestres et raffinées dans leurs récits, reposant pour la plupart sur un ressort amoureux. Ces contes exaltent le triomphe de l’instinct, la passion de réussir et l’intelligence pratique. Ces nouvelles mêlent souvent satire et tragique mais c’est en fait une vaste satire de la société florentine du XIVe siècle, voire de la société occidentale en générale. Cette œuvre demeure un modèle de prose qui inspira les plus grands auteurs (Voltaire, Marguerite de Navarre, Shakespeare…)

(résumés de Christophe Rime)

Historique de l’imprimerie

Vers la fin du XIVe siècle, la disponibilité générale du papier rendit possible la reproduction des images religieuses, par l’utilisation de bois gravé dont certains portaient des légendes. Le succès de cette production, souvent de médiocre qualité, incita les artisans à inventer un moyen de multiplier les copies de textes écrits. Premier pas vers l’imprimerie, on établit d’abord comment fondre les lettres isolées à partir du même moule et du métal approprié, puis on fixe la composition d’une page d’écriture. Et c’est à ce moment précis que survient Johannes Gensfleiseh, dit Gutenberg, inventeur probable des caractères mobiles. Le livre imprimé le plus ancien que l’on puisse dater avec certitude est le psautier de Mayence de 1457. Puis très rapidement, d’autres villes récupèrent le procédé telles Strasbourg, Bamberg vers 1460 puis c’est au tour de centres étrangers d’ouvrir des imprimeries ; Venise, Rome et Paris vers 1470. En 1500 plus de 250 villes d’Europe possédaient des presses, mais la nouvelle invention connut son plus grand succès dans les grandes cités commerciales telles que Venise ou Nuremberg. Le développement rapide de l’imprimerie prouva combien la demande était grande.

Le succès des imprimeurs fut surtout dû à leur capacité de satisfaire une demande toujours plus croissante d’œuvres à caractère religieux. Bibles complètes, images pieuses ou sujets imprimés en pleine page. Un grand nombre de Bibles en langue vulgaire apparut au XVe siècle, dix-huit en Allemagne, seize en Italie, ainsi que des éditions en catalan, en tchèque et en néerlandais. Mais l’œuvre la plus demandée restait la Bible en latin, la Vulgate, dont on connaît 133 éditions.

Pourquoi parler de l’imprimerie ? Car à travers son invention et sa dissémination dans les centres intellectuels, elle a favorisé la diffusion de l’humanisme et du protestantisme dans toute l’Europe.

Gutenberg imprime ses premiers livres à Mayence vers 1455. Puis, l’invention se disperse partout où des capitalistes sont prêts à avancer les sommes nécessaires et où se concentre une masse d’acheteurs assez riches et nombreux. En 1466, les premiers livres sont imprimés à Rome et à Venise ; en 1470 à Paris ; en 1483, l’imprimerie atteint Londres. On estime qu’en 1500, les imprimeries européennes ont produit ~ 10 mios de livres, dans quelques 236 villes européennes possédant l’imprimerie. C’est énorme et cet effort traduit le besoin des humanistes de fournir à la société dans son intégralité les outils nécessaires à l’éducation, au savoir et à sa dispersion.

Trois grands centres émergent ; l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie du Nord. Grâce à ce mouvement, à l’amplitude sans cesse élargie, l’Occident peut transformer sa bibliothèque, l’étoffer, la renouveler. La culture du monde occidental est pourvue d’un outil incommensurable pour préparer l’acquisition du savoir par la masse des gens et non plus par une élite, en théorie. La dispersion des idées, des techniques, des connaissances va être grandement favorisée par ce nouveau moyen.

(résumé de Christophe Rime)

La soif d’humanités

Coluccio Salutati écrit à son ami Jacopo da Scarperia à Constantinople (1396).

« Voilà maintenant ce qu’il faut que tu fasses. D’abord, insister auprès de Manuel [Chrysolaras: cf. texte suivant] (…). Et puis, pour combler notre attente et notre faim, (…) arriver aussi vite que possible. En troisième lieu, apporter autant de livres que tu peux. Fais en sorte que ne manquent aucun historien, aucun poète, aucun traité sur les fables poétiques. Fais-nous avoir des règles de versification. Je voudrais que tu apportes avec toi tout Platon, et tous les vocabulaires disponibles, indispensables pour résoudre les difficultés de compréhension. Achète-moi un Plutarque et un Homère sur parchemin en grands caractères. Si tu trouves une mythologie, achètes-la.»

in Ch. de la Roncière, Ph. Contamine et R. Delort, L’Europe au Moyen Âge, Paris, A. Colin, 1971.

L’enseignement de Manuel Chrysolaras à Florence (1397-1400)

« Les lettres se développèrent en Italie de manière admirable. C’est alors que se répandit pour la première fois la connaissance de ces lettres grecques qui avaient cessé pendant 700 ans d’être en usage chez nos compatriotes. C’est à Chrysolaras de Byzance, (…) que nous devons cette restauration de la connaissance du grec. Sa patrie assiégée par les Turcs, il fit d’abord voile vers Venise, puis, invité et sollicité avec bonté, il vint à Florence pour communiquer aux jeunes gens toute la richesse de son savoir. J’étudiais à cette époque le droit civil, sans négliger pour autant les autres matières (…). L’arrivée de Chrysolaras me rendit perplexe : abandonner l’étude du droit me paraissait dangereux, négliger une telle occasion d’apprendre le grec me semblait un vrai crime. Je ne cessais de me répéter, de manière un peu juvénile : tu as la possibilité de voir Homère, Platon et Démosthène, de discuter avec tous ces poètes, ces philosophes, ces orateurs, qu’entoure une réputation exceptionnelle et si merveilleuse, de t’imprégner de leur admirable enseignement ; vas-tu les laisser et les abandonner ? Une occasion qui t’est si providentiellement offerte, tu vas la négliger ? Sept cents ans durant, personne en Italie n’a possédé les lettres grecques, et pourtant nous avouons que toute connaissance vient d’eux. Quel profit pour ta culture, quel éclat pour ta langue ! Des docteurs en droit civil, on en trouve partout, en grand nombre : l’occasion de s’instruire en la matière ne te fera jamais défaut. Lui, au contraire, est absolument le seul Docteur en lettres grecques ; s’il s’éloigne, tu ne trouveras après lui aucune personne auprès de qui t’instruire. Ces raisons finalement l’emportèrent. Je rendis les armes à Chrysolaras. Si ardente était ma joie d’apprendre que je remâchai toute la nuit ce que j’avais appris pendant la journée. »

in Ch. de la Roncière, Ph. Contamine et R. Delort, L’Europe au Moyen Âge, Paris, A. Colin, 1971.

L’auteur de ce texte est Léonardo Bruni (cf Burke, La Renaissance européenne, 2000, p.45-46

Pic de la Mirandole
Amour de la liberté et de la recherche

« Donc notre Père, Dieu le Grand Architecte, construisit cette maison qu’est le monde (…). Mais lorsque son oeuvre fut achevée, l’Artisan voulut une créature capable de concevoir le plan d’une si grande création, d’aimer sa beauté et d’admirer sa grandeur (…).

Donc, il conçut l’homme comme une créature de nature indéterminée et, le plaçant au milieu de l’univers, il lui dit : « Je ne t’ai donné, ô Adam, aucune place ni aucune forme particulière et pour cette raison, afin que tu puisses avoir et posséder, selon ton désir et ton jugement, la place, la forme et les fonctions que tu désireras (…). Je t’ai placé au centre du monde de sorte que là tu puisses plus aisément observer ce qui est dans le monde. Tu ne participes ni des cieux ni de la terre, tu n’es ni mortel ni immortel, afin que, te façonnant toi-même plus librement, tu puisses prendre la forme que tu préféreras (…) « . Ô suprême générosité de Dieu le Père ! Ô très haute et très merveilleuse félicité de l’homme ! À lui seul est accordé le pouvoir de posséder ce qui lui plaît, d’être ce qui lui semble bon. »

Extrait de Giovanni Pico, dit Pic de La Mirandole (1463-1494), « De la dignité de l’homme », 1486

Cité dans « Histoire Seconde », sous la direction de Claude Quétel, éditions Bordas, 1996, p. 147.

Du même texte, autres citations, autres arrangements
Une nouvelle vision de l’homme

« L’Architecte suprême a choisi l’homme, créateur d’une nature imprécise et, le plaçant au centre du monde, s’adressa à lui en ces termes : « Nous ne t’avons donné ni place précise, ni fonction particulière, Adam, afin que, selon tes envies et ton discernement, tu puisses prendre et posséder la place, la forme et les fonctions que tu désireras. La nature de toutes les autres choses est limitée et tient dans les lois que nous leur avons prescrites (…). Nous t’avons mis au centre du monde pour que, de là, tu puisses en observer plus facilement les choses. Nous ne t’avons créé ni du ciel ni de la terre, ni immortel ni mortel, afin que, par ton libre arbitre, tu puisses choisir de te façonner dans la forme que tu choisiras. Par ta propre puissance, tu pourras dégénérer, prendre les formes les plus basses de la vie, qui sont animales. Par ta propre puissance, tu pourras grâce au discernement de ton âme, renaître dans les formes les plus hautes, qui sont divines. » »

Pic de la Mirandole, De la dignité de l’homme, 1486

L’humanisme veut promouvoir la liberté et la dignité de l’homme

« Dépendre de sa propre conscience plutôt que de jugements extérieurs (…) je ne t’ai donné ni lieu, ni délimitation, ni tâches fixes, afin que tu puisses assumer n’importe quelle oeuvre et occuper la place que tu désires (…) Quel grand bonheur pour l’homme! Qui n’admirerait ce caméléon que nous sommes ! (…) Cette liberté de l’homme, expression de sa grandeur comme du risque mortel qu’elle lui fait courir, peut s’entendre aussi bien dans l’enseignement du Christ que dans celui de Platon, comme dans celui de tous ces intercesseurs qui jalonnent cette chaîne ininterrompue de créatures humaines faites à l’image de Dieu. »

Pic de la Mirandole, Discours sur la dignité de l’homme

Le Libre arbitre

« Toutes les autres créatures ont une nature définie contenue entre les lois par moi prescrites ; toi seul, libre de toute entrave, suivant ton libre arbitre auquel je t’ai remis, tu te fixeras ta nature. Je ne t’ai fait ni céleste, ni terrestre, ni mortel, ni immortel. D’après ton vouloir, et pour ton propre honneur, modeleur et sculpteur de toi-même, imprime-toi la forme que tu préfères. Tu pourras dégénérer en animal, être de l’ordre inférieur ; tu pourras selon la décision de ton esprit, te régénérer en créature divine, être de l’ordre supérieur. »

in Pic de la Mirandole (1463-1494), De la dignité de l’homme.

L’homme est libre de bâtir son salut

Selon Erasme, l’homme dispose d’un libre arbitre, c’est-à-dire

« le pouvoir qu’a la volonté humaine de s’appliquer à réaliser tout ce qui est requis pour le salut éternel.
– Dieu nous reconnaît comme mérite de ne pas détourner notre esprit de sa grâce.
– Il y a une raison dans tout homme et dans toute raison un effort vers le bien. »

in Érasme, De libero Arbitrio, 1524 (Du libre arbitre).

Martin Luther, le Réformateur, s’opposera vigoureusement à cette conception dans son De servo arbitro, 1525 (Du serf arbitre).

« Nous croyons, en effet, que Dieu sait et ordonne tout par avance, et qu’il ne peut faillir ni se laisser arrêter par rien dans (…) sa prédestination ; si donc nous croyons que rien n’arrive sans sa volonté, (…), il ne peut y avoir de libre arbitre ni chez l’homme, ni chez l’ange, ni chez aucune créature. De même, si nous croyons que Satan est le prince de ce monde et qu’il combat le règne du Christ de toutes ses forces et de toute sa ruse, retenant les hommes actifs aussi longtemps que l’Esprit de Dieu ne les lui arrache pas, il est encore une fois très évident que le libre arbitre ne peut exister. »

Le contact avec les Anciens

« Le soir tombe, je retourne au logis. Je pénètre dans ma bibliothèque et dès le seuil, (…) j’entre dans la cour antique des Anciens : là ils m’accueillent avec affabilité et je me repais de l’aliment qui par excellence est le mien et pour lequel je suis né ; là nulle honte à parier avec eux, à les interroger sur les mobiles de leurs actions. En eux, en vertu de leur humanité, ils me répondent. »

Nicolas MACHIAVEL, Discours sur la Première Décade de Tite-Live, 1513.

Un amateur de livres: le duc de Montefeltre

« Nous voyons en quelle haute estime le duc tenait tous les auteurs grecs et latins, religieux ou profanes. Lui seul eut envie de faire ce que personne n’avait fait depuis mille ans et plus, c’est-à-dire créer la plus belle bibliothèque qui fut depuis l’Antiquité. Il n’épargna ni son temps, ni ses efforts et lorsqu’il entendait parler d’un beau livre, qu’il fût en Italie ou ailleurs, il l’envoyait quérir. Voilà maintenant plus de quatorze ans qu’il a commencé la bibliothèque et il a toujours employé trente ou quarante scribes à son service, aussi bien à Urbino qu’à Florence ou ailleurs. Il y a un grand nombre de livres grecs d’auteurs divers que, lorsqu’il ne pouvait les obtenir par un autre moyen, il faisait rechercher tant il désirait posséder tout ce qui se peut acquérir et dans toutes les langues (…). Tous les livres en hébreu ne sont pas seulement consacrés à l’Écriture Sainte ; il y en a sur la médecine, la philosophie et sur toutes les connaissances, bref, il y a tout ce que l’on peut trouver dans cette langue. »

tiré de Lettre de Vespasiano, XVIe siècle.

Portrait du duc par Balthazar Castiglione

« Ce duc, entre autres actions dignes de louanges, édifia sur l’âpre et difficile site d’Urbino un palais, selon l’opinion de beaucoup le plus beau que l’on trouve dans toute l’Italie ; et il le fournit si bien de toutes choses utiles que ce ne semblait pas être un palais, mais une ville en forme de palais ; il l’emplit non seulement de ce dont on se sert ordinairement pour décorer les pièces, vases d’argent, riches draps d’or, de soie et d’autres choses semblables, mais, à titre d’ornement, il y ajouta une infinité de choses anciennes de marbre et de bronze, de peintures très singulières, d’instruments de musique de toute sorte ; et il n’y voulut aucune chose qui ne fût très rare et excellente. Il fit ensuite une grande dépense pour rassembler un grand nombre de très excellents et rares livres grecs, latins et hébreux, qu’il rit orner d’or et d’argent, estimant que c’était là la suprême excellence de son grand palais. »

extrait de B.Castiglione, Le Courtisan.

L’introduction de l’imprimerie en France

« Tu viens de m’envoyer les savoureuses lettres de Gasparino de Bergame. Non seulement tu en as revu soigneusement le texte, mais il est nettement et correctement reproduit par les imprimeurs allemands. L’auteur te doit de grands remerciements pour les longues veilles que tu as consacrées à rendre son livre parfait, de corrompu qu’il était auparavant. Mais tous les hommes savants doivent te remercier encore davantage, toi qui non seulement t’appliques à l’étude des lettres sacrées (comme t’y appellent tes fonctions), mais leur rends un signalé service en t’occupant de rétablir, dans leur pureté, les textes des auteurs latins. Sans parler de plusieurs autres grandes pertes subies par les lettres, les mauvais copistes ne sont ils pas une des causes qui ont le plus contribué à les précipiter pour ainsi dire dans la barbarie! Aussi quelle est ma joie de voir que tu as eu la bonne idée de chasser enfin ce véritable fléau de la ville de Paris! Ces industries du livre que, de ton pays d’Allemagne, tu as fait venir en cette cité produisent des livres très corrects et conformes à la copie qui leur est livrée. Tu fais, du reste, la plus grande attention à ce qu’ils n’impriment rien sans que le texte n’ait été confronté avec tous les manuscrits que tu réunis et corriges plusieurs fois. »

G. Fichet (1433-v. 1480), docteur en théologie, Lettre à Jean de la Pierre, prieur de la Sorbonne.

L’imprimerie

« Que d’actions de grâce ne vous rendront pas le monde littéraire et chrétien ! N’est ce pas une grande gloire pour votre Sainteté d’avoir procuré aux plus pauvres la facilité de se former une bibliothèque à peu de frais et d’acheter pour vingt écus des volumes corrects que, dans le temps, on pouvait à peine obtenir pour cent quoique remplis de fautes de copistes. Sous votre pontificat, les meilleurs livres ne coûtent guère plus que le papier et le parchemin. Maintenant on peut acheter un volume moins cher que ne coûtait autrefois sa reliure. ».

Dédicace au pape Paul III, introducteur de l’imprimerie à Rome, par Jean André de Bassi, évêque d’Aléria (1466-1475).

Erasme à Bâle

« Johannes Froben avait imprimé assez joliment les Adages pour les étudiants passionnés. Érasme fut touché par cette agréable édition faite par une maison renommée pour son activité. Comme il avait appris que toutes les Ïuvres de saint Jérôme étaient imprimées par Froben, il se rendit à Bâle (…). Le bruit qui courait était que, longtemps avant, Johannes Amerbach, ayant terminé les oeuvres d’Ambroise et d’Augustin, s’était entièrement consacré à la correction des oeuvres de Jérôme. Amerbach avait rassemblé en toutes parts les vieux manuscrits et avait employé des hommes érudits pour rétablir les passages grecs dispersés partout. »

Adages : oeuvre d’Erasme composée des citations qui l’avaient frappé pendant ses lectures, notamment des auteurs grecs et latins.

Amerbach : humaniste et libraire bâlois.

extrait de Beatus RHENANUS, Vie d’Érasme, 1541.

François Ier et les « bonnes lettres »

« Nous voulons qu’il soit notoire à tous et à chacun que notre désir le plus cher est (…) d’accorder aux bonnes lettres notre appui et bienveillance spéciale et de faire tous nos efforts pour procurer de solides études à la jeunesse. Nous sommes persuadés que ces bonnes études produiront dans notre royaume des théologiens qui enseigneront les saines doctrines de la religion, des magistrats qui exerceront la justice, non avec passion, mais avec un sentiment d’équité publique ; enfin des administrateurs habiles, le lustre de l’État, qui sauront sacrifier leur intérêt privé à l’amour du bien public. (…) C’est pourquoi nous avons, il n’y a pas très longtemps, libéralement assigné des traitements à des savants distingués pour enseigner à la jeunesse les langues et les sciences, et la former à la pratique non moins précieuse des bonnes mÏurs. »

citation de FRANÇOIS Ier


Léonard de Vinci et l’amour de la recherche

« J’ai imaginé toutes ces machines parce que j’étais possédé, comme tous les hommes de mon temps, par une volonté de puissance. J’ai voulu dompter le monde.

Mais j’ai voulu aussi passionnément connaître et comprendre la nature humaine, savoir ce qu’il y avait à l’intérieur de nos corps. Pour cela, des nuits entières, j’ai disséqué des cadavres, bravant ainsi l’interdiction du pape. Rien ne me rebutait. Tout, pour moi, était sujet d’étude. La lumière, par exemple, pour le peintre que j’étais, que de recherches passionnantes ! (…)

Ce que j’ai cherché finalement, à travers tous mes travaux, et particulièrement à travers ma peinture, ce que j’ai cherché toute ma vie, c’est à comprendre le mystère de la nature humaine. »

Extrait de Léonard de Vinci (1452-1519), Carnets, XVIème siècle.

Cité dans « Histoire Seconde », sous la direction de J.M. Lambin, éditions Hachette, 1996, p. 136

Léonard offre ses services au duc de Milan

« Très illustre Seigneur,

J’ai maintenant vu et bien examiné ce dont sont capables ceux qui se donnent pour spécialistes des machines de guerre; le principe et le fonctionnement de celles-ci ne diffèrent en rien de l’usage courant. Aussi tenterai-je, sans porter tort à personne, de m’adresser à Votre Excellence pour lui découvrir mes secrets et lui proposer de réaliser, au moment qu’il lui plaira le mieux, tout ce qui va être brièvement énuméré ci-dessous :

1 – Je connais un modèle de ponts très légers et solides, faciles à transporter (…).

5 – Si la bataille avait lieu sur mer, je possède des modèles de nombreuses machines parfaitement adaptées à l’attaque et à la défense, et des vaisseaux qui résisteront au tir des plus gros canons, à poudre et à fumée (…).

7 – Je fabriquerai des chars couverts, sûrs et inattaquables, qui entreront dans les lignes ennemies avec leur artillerie et enfonceront toute formation de troupes, si nombreuse soit-elle. L’infanterie pourra suivre, sans pertes et sans obstacles (…).

10 – En temps de paix, je crois pouvoir donner toute satisfaction, à l’égal de quiconque, en architecture, en construction d’édifices publics et privés, en adductions d’eau (…).

En outre, pourra être entrepris le cheval de bronze qui sera la gloire immortelle et l’éternel honneur du prince votre père, d’heureuse mémoire, et de l’illustre maison des Sforza. Et si l’un des points du programme énuméré paraissait à d’aucuns impossible et irréalisable, je me déclare prêt à en faire l’essai dans votre parc ou en tout lieu qu’il plaira à Votre Excellence à qui je me recommande en toute humilité.

Léonard de Vinci, « Lettre à Ludovic Sforza, duc de Milan », 1482.

La méthode scientifique, d’après Léonard de Vinci

« Aucune investigation humaine ne se peut appeler vraie science si elle ne passe par des démonstrations mathématiques. Ceux qui s’adonnent à la pratique sans science sont comme le navigateur qui monte sur un navire sans gouvernail ni boussole. Toujours la pratique doit être édifiée sur la bonne théorie. La science est le capitaine, la pratique est le soldat (…).

Quelques hommes présomptueux croient pouvoir me blâmer alléguant que je suis un homme sans lettres. Gens insensés! (…). Je pourrais leur répondre : ceux qui s’ornent du travail d’autrui ne veulent pas me laisser le fruit de mon travail. Ils ne savent pas que les sujets qui m’occupent relèvent plus de la nature que des mots : l’expérience a été la maîtresse de ceux qui ont bien écrit, et celle qu’en tout cas j’alléguerai pour maîtresse. »

in Léonard DE VINCI, Carnets.

Une satire de l’enseignement traditionnel

Érasme fait parler ici la Folie. Cela lui permet de dresser un tableau moqueur des grammairiens, c’est-à-dire des enseignants des premières classes.

« J’arrive à ceux qui se donnent, parmi les mortels, l’extérieur de la sagesse et convoitent, comme ils disent, le rameau d’or.

Au premier rang sont les Grammairiens, race d’hommes qui serait la plus affligée, la plus calamiteuse et la plus accablée par les Dieux (…). On les voit toujours faméliques et sordides dans leur école ; je dis leur école, je devrais dire leur séjour de tristesse, ou mieux encore leur galère ou leur chambre de tortures. Parmi leur troupeau d’écoliers, ils vieillissent dans le surmenage, assourdis de cris, empoisonnés de puanteur et de malpropreté, et cependant je leur procure l’illusion de se croire les premiers des hommes. Ah! qu’ils sont contents d’eux lorsqu’ils terrifient du regard et de la voix une classe tremblante, lorsqu’ils meurtrissent les malheureux enfants avec la férule, les verges et le fouet ! (…) Leur malheureuse servitude leur apparaît comme une royauté (…). Mais leur plus grande félicité vient du continuel orgueil de leur savoir. Eux qui bourrent le cerveau des enfants de pures extravagances (…)! »

in Érasme, Éloge de la folie, 1511 (trad. de P de Nolhac, éd. A. Tallone, Paris, 1944).

Erasme pédagogue

« Toutefois nous pouvons également veiller avec soin à ce que la fatigue soit réduite à l’extrême et que, par conséquent, le dommage soit insignifiant. C’est ce qui se produira si nous n’inculquons pas aux enfants des connaissances multiples ou désordonnées, mais seulement celles qui sont les meilleures et qui conviennent à leur âge, où l’agrément est plus captivant que la subtilité. En outre, telle manière douce de les communiquer les fera ressembler à un jeu et non à un travail. Car, à cet âge, il est nécessaire de les tromper avec des appâts séduisants puisqu’ils ne peuvent pas encore comprendre tout le fruit, tout le prestige, tout le plaisir que les études doivent leur procurer dans l’avenir. Ce résultat sera obtenu en partie par la douceur et la bonne grâce du maître, en partie par son ingéniosité et son habileté, qui lui feront imaginer divers moyens pour rendre l’étude agréable à l’enfant et l’empêcher d’en ressentir de la fatigue. Rien n’est en effet plus néfaste qu’un précepteur dont le caractère amène les enfants à haïr les études avant d’être en mesure de comprendre pourquoi il faut les aimer. »

in ÉRASME, Lettre à Guillaume, duc de Clèves, sur l’éducation, 1529

Gargantua éduqué par les Sorbonagres…

« Il dispensait donc son temps en telle façon, qu’ordinairement il s’éveillait entre huit et neuf heures, fût jour ou non. Ainsi l’avaient ordonné ses régents théologiques (…). Puis se gambayait, penadait et paillardait parmi le lit quelques temps, pour mieux ébaudir ses esprits animaux (…). Après il se peignait (…) des quatre doigts et du pouce. Car ses précepteurs disaient que se peigner, laver et nettoyer autrement était perdre temps en ce monde. Puis fiantait, pissait, rendait sa gorge, rotait, éternuait, et se morvait en archidiacre, et déjeunait pour abattre la rosée et le mauvais air : belles tripes frites, belles carbonades, beaux jambons, belles cabirotades, et force soupes de prime (…). Après avoir bien déjeuné, allait à l’église, et lui portait-on dedans un grand panier un gros bréviaire empantouflé, pesant tant en graisse qu’en fermoirs et parchemin au moins onze quintaux. Là oyait vingt et six ou trente messes (…). Au partir de l’église, on lui amenait sur une trame à boeufs un tas de chapelets de saint Claude, aussi gros chacun que le moule d’un bonnet [i.e. la tête] (…). Puis étudiait quelque méchante demie heure, les yeux assis dessus son livre, mais son âme était à la cuisine. »

in Rabelais, Gargantua, XX.

Un enseignement encyclopédique

« Pourquoi, mon fils, je t’admoneste que tu emploies ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertus (…). J’entends que tu apprennes les langues parfaitement : premièrement, la Grecque, comme le veut Quintilien. Secondement, la Latine. Et puis l’Hébraïque pour les saintes Lettres et la Chaldaïque et l’Arabique pareillement. Et que tu formes ton style, quant à la Grecque, à l’imitation de Platon, quant à la Latine, à Cicéron. Qu’il n’y ait histoire que tu ne tiennes en mémoire présente. (…) Des arts libéraux, Géométrie, Arithmétique et Musique, je t’en donnai quelque goût quand tu étais encore petit en l’âge de cinq ou six ans; poursuis le reste ; et d’Astronomie saches-en tous les canons. Laisse-moi l’Astrologie divinatoire (…) comme abus et vanités. Du Droit Civil, je veux que tu saches par coeur les beaux textes, et me les confères avec philosophie. Et quant à la connaissance des faits de nature, je veux que tu t’y adonnes curieusement ; qu’il n’y ait mer, rivière, ni fontaine, dont tu ne connaisses les poissons ; tous les oiseaux de l’air, tous les arbres, arbustes et fructices des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes ; les pierreries de tout Orient et Midi, que rien ne te soit inconnu. Puis soigneusement, revisite les livres des médecins, Grecs, Arabes et Latins, sans mépriser les Talmudistes et Cabalistes. Et par fréquentes anatomies, acquiers-toi parfaite connaissance de l’autre monde, qui est l’homme. Et par quelques heures du jour, commence à visiter les saintes Lettres. Premièrement en Grec, le Nouveau Testament et Épîtres des Apôtres. Et puis en Hébreu le Vieux Testament. En somme, que je voie un abîme de science. Car dorénavant que tu deviens homme et te fais grand, il te faudra sortir de cette tranquillité et repos d’étude, et apprendre la chevalerie. Mais parce que, selon le sage Salomon, Sapience n’entre point en âme malivole, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il te convient servir, aimer et craindre Dieu, et en lui mettre toutes tes pensées, et tout ton espoir. »

in François Rabelais, Pantagruel, VIII, 1532.

L’abbaye de Thélème

« Toute leur vie était employée non par lois, statuts ou règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Se levaient du lit quand bon leur semblait ; buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient, quand le désir leur venait, Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire autre chose quelconque. Ainsi l’avait établi Gargantua.

En leur règle n’était que cette clause : fais ce que voudras. Parce que gens libres, bien nés et bien instruits, conversant en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux, et retire de vice: lequel ils nommaient honneur (…) .

Tant noblement étaient appris qu’il n’était nul entre eux celui ni celle qui ne sut lire, écrire, chanter, jouer d’instruments harmonieux, parler de cinq et six langages, et composer tant en vers qu’en prose. Jamais ne furent vus chevaliers tant preux, tant galants (…) jamais ne furent vues dames tant propres, tant mignonnes (…). »

in François RABELAIS (1494-1553), Gargantua, 1534

Un étudiant critique l’enseignement universitaire parisien au début du XVIe siècle

« Je me rends compte chaque jour dans quelles profondes ténèbres languit la jeunesse française, de quels enfantillages, de quelles tristes bouffonneries son esprit est pénétré… Il est surprenant de constater l’ingéniosité qu’ils déploient dans la recherche des étymologies des mots… Plût au ciel que vous vissiez les théologiens (…) déraisonner de façon puérile dans leurs controverses… Ils ne font pas le moindre cas de Jérôme, d’Augustin, pas plus que des autres docteurs les plus vigilants de l’Église, ils les méprisent même. Les noms qu’ils préfèrent et qui ont le plus de réputation auprès d’eux sont ceux de Jean l’Ancien, de l’Auxerrois, de Durand, et de personnages encore plus ignorants, qu’ils révèrent comme des oracles, et dont, en réalité, les noms ne signifient que barbarie, oeuvre grossière, pleine d’arguments creux et d’ignorance… J’exècre ces gens-là, les plus stupides de tous les hommes, avec leurs énigmes et leurs insolubles subtilités. Je ne puis dire cependant que j’en sois arrivé à abhorrer la philosophie : je désirerais, au contraire, l’étudier, si l’occasion s’en présentait. »

Lettre d’un étudiant zurichois au réformateur Ulrich Zwingli, 1518, citée in François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUÉNIART, De Gutenberg aux Lumières (1480-1789). Tome II de l’Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation dirigée par Louis-Henri PARIAS. Paris, Nouvelle Librairie de France, 1981, rééd. Perrin, coll. « Tempus », 2003, 691 p., p. 194.

L’humaniste Robert Gaguin * critique la routine scolastique

« Tous nos contemporains ont conservé le style et les procédés de développement qu’ont introduits depuis deux cent cinquante ans, ceux qu’on appelle les auteurs de questions. Supprimez de leurs ouvrages les mots puisque, après que, comme, par conséquent, en outre, mais au contraire, réponse, solution, et autres semblables : leurs livres énormes deviendront bien légers. »

* Philologue versé dans la restauration des études grecques.

Cité par M. Mollat, Genèse médiévale de la France moderne, Seuil

L’essor de l’humanisme vu par Rabelais

« Maintenant, toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées : grecque sans laquelle c’est honte qu’une personne se dise savante, hébraïque, latine ; les impressions tant élégantes et correctes en usance qui ont été inventées de mon âge par inspiration divine, comme à contre-fil l’artillerie par suggestion diabolique. Tout le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples, et m’est avis que, ni au temps de Platon, ni de Cicéron, n’était telle commodité d’étude qu’on y voit maintenant. »

RABELAIS, Pantagruel, 1532.

« J’écris en langue maternelle »

« J’écris en langue maternelle,
Et tâche à la mettre en valeur
Afin de la rendre éternelle,
Comme les vieux ont fait la leur
Et soutien que c’est grand malheur
Que son propre bien mépriser
Pour l’autrui tant favoriser.
Si les Grecs sont si fort fameux,
Si les Latins sont aussi tels,
Pourquoi ne faisons nous comme eux,
Pour être comme eux immortels ? »

in Jacques Peletier du Mans, À un poète qui n’écrivait qu’en latin, 1547

La Défense et illustration de la langue française

« Sommes-nous donc moindres que les Grecs ou les Romains, qui faisons si peu de cas de notre langue ? (…) je ne parlerai ici de la tempérance de l’air, fertilité de la terre, abondance de tous genres de fruits nécessaires pour l’aise et entretien de la vie humaine, et autres innombrables commodités que le ciel (…) a élargis à la France. (…) je suis content que ces félicités nous soient communes avec d’autres nations, principalement l’Italie. Mais quant à la piété, religion, intégrité de moeurs, magnanimité de courage, et toutes ces vertus rares et antiques (qui est la vraie et solide louange), la France a toujours eu, sans controverse, le premier lieu. Pourquoi donc sommes-nous si grands admirateurs d’autrui ? Pourquoi mendions-nous les langues étrangères comme si nous avions honte d’user de la nôtre ? »

in Joachim du Bellay, Défense et illustration de la langue française, 1549, chapitre XII.

Être élève chez les jésuites

« Avant de commencer la classe, quelqu’un fera la courte prière d’usage ; le professeur et tous les élèves l’écouteront attentivement, à genoux et la tête découverte. (…) Le professeur exhortera les élèves par-dessus tout à prier Dieu tous les jours, à réciter tous les jours l’office de la Sainte Vierge, à faire tous les soirs l’examen de conscience, à s’approcher souvent et religieusement des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie et à pratiquer les vertus dignes d’un chrétien. (…)

Les décurions * seront chargés par le maître de faire réciter les leçons, de ramasser les copies, de pointer sur un cahier les fautes de récitation, de noter ceux qui n’ont pas remis le devoir (…). Afin d’exciter l’émulation, on pourra partager la classe en deux camps ; chacun aura ses magistrats qui seront réciproquement opposés les uns aux autres, et chaque élève aura un adversaire qui lui sera désigné. »

* Responsable d’un groupe de dix élèves.

Règlement des études dans les collèges jésuites, 1586.

Une tête bien faite plutôt que bien pleine

« À un enfant de maison qui recherche les lettres pour s’en enrichir et parer au-dedans, ayant plutôt envie d’en tirer un habile homme qu’un homme savant, je voudrais aussi qu’on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu’on y requit tous les deux, mais plus les moeurs et l’entendement que la science; et qu’il se conduisit en sa charge d’une nouvelle manière.

On * ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir; et notre charge, ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. le voudrais qu’il corrigeât cette partie, et que, de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la montre, lui faisant goûter les choses, les choisir et discerner d’elle-même quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. le ne veux pas qu’il invente et parle seul. le veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. (…)

Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance ; et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages et accommoder à autant de divers sujets, pourvoir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien, prenant l’instruction de son progrès des pédagogismes de Platon. »

* On : les enseignants qui respectent la tradition.

in MONTAIGNE, livre 1 des Essais, chapitre XXVI, 1580.

Mens sana in corpore sano

«Je ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon. je ne veux pas qu’on l’abandonne à l’humeur mélancolique d’un furieux maître d’école. Je ne veux pas corrompre son esprit à le tenir au travail, à la mode des autres quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix (…).

Ce n’est pas assez de raidir l’âme ; il lui faut aussi raidir ses muscles. Les jeux et les exercices seront une bonne partie de l’étude : la course, la lutte, la musique, la danse, le maniement des chevaux et des armes. Je veux que la bienséance extérieure et la disposition de la personne se façonnent en même temps que l’âme. Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est un homme (…). Et, comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme un couple de chevaux attelés au même timon. »

D’après Montaigne, Essais, livre 1, op. cit.

La connaissance par l’expérience

« Les opinions des hommes sont reçues à la suite des croyances anciennes par autorité et à crédit, comme si c’était religion et loi. (…) Ce qui fait qu’on ne doute de guère de chose, c’est que les communes impressions, on ne les essaye jamais. »

in Montaigne, Essais, 1588.

Un humaniste face à la sorcellerie

« Pour un sorcier, il y a cinquante sorcières. Pline dit que les femmes sont excellentes en sorcellerie. Platon met la femme entre l’homme et la bête brute. Les hommes ont plus de cerveau que les femmes. Je tiens que Dieu a voulu affaiblir Satan, en lui donnant puissance sur les créatures moins dignes comme sur les serpents et les mouches, sur les femmes plutôt que sur les hommes. La sorcière doit être mise à mort car les sorcières ont communication avec les diables et font beaucoup de méchancetés. »

D’après Jean Bodin, De la démonomanie des sorciers, 1580.