Extrait des Mémoires de Philippe de Commynes.

Ci-contre, le Marzocco de la place de la Seigneurie à Florence, reproduction du Marzocco de Donatello qu’on peut voir au Bargello.

 

Il s’agit ici d’un épisode de la descente du roi de France Charles VIII en Italie, en 1494-1495, afin de  conquérir le royaume de Naples revendiqué en héritage de la maison d’Anjou. Charles VIII est allié du duc de Milan (le « maître » dont il est question dans la première ligne), à savoir Ludovic le More. Cette année 1494 marque le début de ce qu’on appelle « les guerres d’Italie ».

 


« Tandis que le roi était à Pise, messire Galéas (1), poussé par son maître, fit venir chez lui certains des principaux bourgeois de la ville et il leur conseilla de se rebeller contre les Florentins et de demander au Roi de les libérer, en espérant que par ce moyen, la cité de Pise tomberait entre les mains du duc de Milan, comme elle l’avait été autrefois […]. Ce messire Galéas avait envie de s’élever. Et je crois que c’était aussi l’intention du duc de Milan dont il avait épousé la bâtarde (…)
Les Pisans étaient cruellement traités par les Florentins qui les considéraient comme des esclaves, car ils les avaient conquis il y avait à peu près cent ans (…) Pour cette raison, les Pisans tinrent conseil et se voyant encouragés par un homme si important et désirant leur liberté, ils vinrent crier au roi qui allait à la messe, hommes et femmes en grand nombre « Liberté !, Liberté ! » et ils le suppliaient, les larmes aux yeux qu’il le leur donnât. Un maître des requêtes qui le précédait ou qui en avait les fonctions, un conseiller du parlement du Dauphiné appelé Rabot, ou parce qu’il l’avait promis ou parce qu’il ne comprenait pas ce qu’ils demandaient, fit au roi que c’était un spectacle pitoyable et qu’il devait satisfaire à leur demande, et que jamais gens ne furent si durement traités? Et le Roi qui ne comprenait pas ce que signifiait ce mot et qui, logiquement, ne pouvait pas leur donner la liberté, car la cité n’était pas à lui mais il y était seulement reçu par amitié et parce qu’il était dans un grand besoin, et qui commençait depuis peu à connaître les souffrances de l’Italie et le traitement que les princes et les communes infligent à leurs sujets, le Roi donc répondit qu’il était d’accord, et ce conseiller dont j’ai parlé le leur dit. Aussitôt ce peuple de commencer à crier « Noel ! ». Et ils vont au bout de leur pont sur la rivière Arno, qui est un beau pont, et ils renversent un grand lion qui se dressait sur un haut pilier de marbre et qu’ils appelaient le Marzocco (il symbolisait la seigneurie de Florence) et ils le jetèrent dans la rivière. Sur ce pilier il érigèrent un roi de France, l’épée au poing, qui tenait sous le pied de son cheval ce Marzocco, qui est un lion. Par la suite, quand le roi des Romains y entra, ils traitèrent cette statue du roi comme ils l’avaient fait du lion. Il est dans la nature de ce peuple italien de complaire ainsi aux plus forts ; mais ceux-là étaient et sont si mal traités qu’on doit les excuser. »

Mémoires de Philippe de Commynes, vol 3, p. 101, Garnier-Flammarion

(1) : Il s’agit de Galeazzo di San Severino, condottiere au service du duc de Milan. La famille de San Severino est napolitaine, opposée au roi aragonais Ferrand, et donc dans le parti français.

 

Florence contrôle au Moyen Age toute une série de cités (dont Pise comme on le voit dans l’extrait) à qui elle impose sa domination, ses taxes et, symboliquement, son Marzocco. Ici à Volterra, sur la place des prieurs.