On peut retrouver le texte du discours en ligne. La traduction a été assurée par mes soins : elle réclame votre indulgence, et vos suggestions (merci à Dominique Chathuant pour les siennes).

Un certain nombre de films sur cette grande marche peuvent être visionnés. On a ainsi ce qui précède l’intervention de Martin Luther King, avec notamment un discours de Burt Lancaster. Un autre provient des Archives nationales des États-Unis, qui donne un autre aperçu de cet événement. Dans ces deux documents, le son a été sciemment coupé, pour respecter des droits de reproduction exigés par la famille King… On comblera ce manque par un autre film, assez dégradé, mais avec l’intégralité du discours.

 

« Je suis heureux de vous rejoindre aujourd’hui dans ce qui restera dans l’Histoire comme la plus grande manifestation pour la liberté dans l’Histoire de notre nation.

Il y a cent ans, un grand Américain, dans l’ombre symbolique de qui nous nous tenons aujourd’hui, a signé la Proclamation d’abolitionIl s’agit de Lincoln. Cet arrêté capital venait comme un grand phare jetant une lumière d’espoir sur les millions d’esclaves noirs qui étaient marqués par les flammes d’une injustice foudroyante. Il venait comme l’aube joyeuse mettre fin à la longue nuit de leur captivité.

Mais cent ans plus tard, le Noir n’est toujours pas libre.
Un siècle plus tard, la vie du Noir reste toujours entravée par les fers de la ségrégation et les chaînes de la discrimination.
Un siècle plus tard, le Noir vit toujours sur un îlot isolé de pauvreté au milieu d’un vaste océan de prospérité matérielle.
Un siècle plus tard, le Noir languit toujours dans les marges de la société américaine, et se considère lui-même un exilé dans son propre pays.

Quand les architectes de notre République tracèrent les magnifiques mots de la Constitution et de la Déclaration d’indépendance, ils ont signé un billet à ordre dont chaque Américain se trouve l’héritier. Ce billet était une promesse selon laquelle tous les hommes, oui, les Noirs aussi bien que les Blancs, se voyaient garantir des droits inaliénables à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
Il est aujourd’hui évident que l’Amérique a manqué à ce billet, en qui concerne ses citoyens de couleur en particulier. Au lieu d’honorer cette obligation sacrée, l’Amérique a donné au peuple noir un mauvais chèque, un chèque qui est revenu marqué « sans provision».

Mais nous refusons de croire que la banque de la Justice soit en faillite. Nous refusons de croire qu’il y a des fonds insuffisants dans les grands coffres d’opportunités de cette nation. Alors, nous sommes venus encaisser ce chèque, un chèque qui nous donnera accès aux richesses de la liberté et à la sécurité de la justice.

Nous sommes également venus dans cet endroit sacré pour rappeler à l’Amérique l’urgence absolue d’aujourd’hui. Il n’est plus temps de s’engager dans un luxe de calme ou de prendre les tranquillisants d’une approche graduelle.
Il est temps maintenant de rendre réelles les promesses de la démocratie.
Il est temps maintenant de quitter la vallée sombre et désolée de la ségrégation pour emprunter le chemin ensoleillé de la justice raciale.
Il est temps maintenant de tirer notre nation des sables mouvants de l’injustice raciale pour aborder le solide rocher de la fraternité.

Il serait fatal à la nation de fermer les yeux sur l’urgence du moment. Cet été étouffant du mécontentement légitime du Noir ne passera pas avant que n’arrive l’automne revigorant de la liberté et de l’égalité.
1963 n’est pas une fin, mais un début. Et ceux qui espèrent que le Noir a besoin d’exploser et sera alors content, auront un réveil difficile si la nation retourne à ses affaires comme à l’habitude. Et il n’y aura ni repos ni tranquillité en Amérique avant que le Noir obtienne la garantie de ses droits civiques. Les tourbillons de la révolte continueront à secouer les fondations de notre nation jusqu’à ce qu’émerge la clarté de la justice.

Mais il y a quelque chose que je dois dire à mon peuple, qui se tient debout sur le seuil brûlant qui conduit à l’intérieur du palais de la justice. Dans le processus de conquête de notre place de plein droit, nous ne devons pas nous rendre coupables d’actes injustifiés. Ne nous laissons pas aller à satisfaire notre soif de liberté en buvant la coupe de l’amertume et de la haine. Nous devons pour toujours conduire notre lutte depuis le niveau élevé de la dignité et de la discipline. Nous ne devons pas permettre à notre protestation féconde de dégénérer dans la violence physique. Encore et encore, nous devons nous élever sur les hauteurs majestueuses de la rencontre entre la force physique et la force de l’esprit.

Le nouveau militantisme merveilleux qui a submergé la communauté noire ne doit pas nous conduire à une méfiance envers l’ensemble du peuple blanc, pour beaucoup nos frères blancs, comme en atteste leur présence ici aujourd’hui, qui sont venus confirmer que leur destin est lié à notre destin. Et ils sont venus confirmer que leur liberté est inextricablement liée à notre liberté. Nous ne pouvons pas marcher seuls. Et en même temps que nous marchons, nous devons jurer que nous irons toujours de l’avant. Nous ne pouvons faire demi-tour.

Il en est qui demandent aux partisans des droits civiques : « Quand serez-vous satisfaits ? ». Nous ne pouvons jamais être satisfaits aussi longtemps que le Noir est la victime des horreurs inexprimables de la brutalité policière. Nous ne pouvons jamais être satisfaits aussi longtemps que les corps, lourds de la fatigue du voyage, ne peuvent trouver à se loger dans les motels des autoroutes et les hôtels des villes. Nous ne pouvons pas être satisfaits aussi longtemps que la seule liberté de déplacement du Noir est d’aller d’un petit ghetto à un plus grand. Nous ne pouvons jamais être satisfaits aussi longtemps que le Noir du Mississippi ne peut voter et que le Noir de New York croit qu’il n’a rien pour quoi voter. Non, non, nous ne sommes pas satisfaits, et nous ne serons pas satisfaits jusqu’à ce que « la justice s’écoule comme les eaux et que l’impartialité soit comme un torrent impétueux ».

Je ne suis pas oublieux de ce que certains d’entre vous sont venus ici après être sortis de grandes épreuves et de malheurs. Certains d’entre vous ont récemment quitté d’étroites cellules de prison. Et certains d’entre vous sont venus d’espaces où la quête — la quête de la liberté vous a laissés battus par les tempêtes de la persécution et renversés par les vents de la brutalité policière. Vous avez été les vétérans de la souffrance féconde. Continuez à travailler avec la foi que la souffrance imméritée est rédemptrice. Retournez dans le Mississippi, retournez en Alabama, retournez en Caroline du Sud, retournez en Géorgie, retournez en Louisiane, retournez dans les bidonvilles et les ghettos de nos villes du Nord, en sachant que la situation peut et sera changée d’une façon ou d’une autre.

Ne nous vautrons pas dans la vallée de la désespoir. Je vous le dis aujourd’hui, mes amis.
Et alors, bien que nous fassions face aux difficultés d’aujourd’hui et de demain, j’ai toujours un rêve. C’est un rêve profondément enraciné dans le rêve américain.
J’ai un rêve : qu’un jour cette nation se lèvera et vivra la vraie signification de sa croyance : « Nous tenons ces vérités comme allant de soi, que les hommes sont conçus égaux ».
J’ai un rêve : qu’un jour, sur les collines rouges de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves seront capables de s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.
J’ai un rêve : qu’un jour, même dans l’État du Mississippi, un État étouffant dans la chaleur de l’injustice, étouffant dans la chaleur de l’oppression, sera transformé en un oasis de liberté et de justice.
J’ai un rêve : que mes quatre petits enfants vivront un jour dans une nation où ils seront jugés non pas sur la couleur de leur peau mais sur le contenu de leur caractère.
J’ai un rêve aujourd’hui.
J’ai un rêve : qu’un jour, au fond de l’Alabama, avec ses racistes vicieux, avec son gouverneur qui a les lèvres dégoulinantes des mots d’ « interposition » et d’ «annulation» — un jour directement là-bas, en Alabama, les petits garçons noirs et filles noires seront capables de tendre la main aux petits garçons et aux petites filles blancs comme des sœurs et des frères.
J’ai un rêve aujourd’hui.
J’ai un rêve : qu’un jour, chaque vallée sera exhaussée, et que chaque colline et montagne sera nivelée, les endroits rugueux seront aplanis, et les endroits tortueux seront rectifiés ; « et la gloire du Seigneur sera révélée, et tous les hommes la verront ensemble ».

Ceci est notre espoir, et c’est la foi avec laquelle je retourne dans le Sud.
Avec cette foi, nous serons capables de transmuter le montagne de désespoir en une pierre d’espoir.
Avec cette foi, nous serons capables de transformer les vifs désaccords de notre nation en une belle symphonie de fraternité.
Avec cette foi, nous serons capables de travailler ensemble, de prier ensemble, de lutter ensemble, d’aller en prison ensemble, de nous soulever pour la liberté ensemble, en sachant que nous serons libres un jour.
Et adviendra le jour… Et adviendra le jour lorsque tous les enfants de Dieu seront capables de chanter avec un sens nouveau :
« Mon pays, c’est de toi, douce patrie de la liberté, c’est de toi que je chante.
Terre où mes aïeux sont morts, terre de la fierté des Pèlerins,
De chaque côté de la montagne, que retentisse la liberté ».
Et si l’Amérique doit être une grande nation, cela doit devenir vrai.

Et alors, que retentisse la liberté du sommet des prodigieuses collines du New Hampshire.
Que retentisse la liberté depuis les puissantes montagnes de l’État de New York.
Que retentisse la liberté depuis les hauts monts Allegheny de Pennsylvanie.
Que retentisse la liberté depuis les Rocheuses enneigées du Colorado.
Que retentisse la liberté depuis les généreux versants de Californie.
Mais non seulement cela : que retentisse la liberté depuis Stone Mountain de Georgie.
Que retentisse la liberté depuis les Lookout Mountains du Tennessee.
Que retentisse la liberté depuis chaque colline et chaque taupinière du Mississippi.
De chaque côté de la montagne, que retentisse la liberté.

Et quand ceci arrivera, quand nous aurons droit de faire sonner la liberté, quand nous la laisserons retentir de chaque village et de chaque lieu-dit, de chaque État et de chaque ville, nous serons capables d’annoncer que le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et les non-juifs, les catholiques et les protestants, seront capables de tendre par la main et chanter les paroles du vieux spiritual noir,

« Enfin libres ! Enfin libres !
Merci Dieu Tout-puissant, nous sommes enfin libres! ».