LA RÉFORME en Suisse romande

Les Bernois furent les grands promoteurs de la Réforme dans notre région. Ils en retireront beaucoup d’avantages politiques.
Avec l’appui de Berne, Guillaume Farel et Pierre Viret réforment Neuchâtel en 1530.
Genève, menacée par le duc de Savoie qui veut l’annexer, fait alliance en 1526 avec Fribourg et Berne. Berne fait pression pour que Genève laisse les réformateurs prêcher librement. Ainsi, Farel vient à Genève. Il est d’abord chassé de la ville, mais Antoine Froment poursuit son oeuvre. En 1533, Froment est aussi chassé. Berne exige leur retour ; Farel , accompagné de Viret revint à Genève. L’évêque de Genève quitte la ville et ne reviendra plus. Fribourg, mécontente des progrès de la Réforme, rompt son alliance avec Genève.

En 1535, la messe catholique est interdite à Genève. A la fin de cette année, le duc de Savoie ordonne un blocus de la ville. Berne attaque le Pays de Vaud et s’en empare ; Genève est débloquée.
En 1536, Lausanne devient protestante et le 21 mai les bourgeois de Genève reconnaissent le protestantisme comme la seule religion autorisée (ceux qui veulent rester catholiques doivent s’exiler). Genève devient par cet acte une République. Berne souhaitait faire de Genève une ville sujette comme Lausanne. Les Genevois refusent. La situation est trouble.

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Un humaniste et réformé genevois

Vie et œuvre de François Bonivard (1493-1570)

Après une formation classique à l’abbaye de Pignerol (Piémont), Bonivard poursuivit des études de droit à l’université de Turin, puis de Fribourg-en-Brisgau. En 1515, à Genève, il devient prieur de Saint-Victor (responsable d’un monastère). Il se distingue comme opposant à la mainmise du duc de Savoie sur la ville et s’oppose à l’évêque de Genève. A ses heures, il est aussi un bon poète. Emprisonné de 1519 à 1521, il perdra son prieuré.
De 1530 à 1536 il sera prisonnier du duc au château de Chillon, où il sera délivré lors de la prise du château par les Bernois, alliés des Genevois.
[Bonivard sera rendu célèbre au XIXe siècle par le grand poète anglais, Lord Byron, qui immortalisera ce prisonnier et son animal familier, une hermine (poème « Le prisonnier de Chillon »). ]
Délivré, Bonivard séjourne à Berne où il rédige le premier dictionnaire entre deux langues vivantes (Français-Allemand-Latin) ainsi qu’une grammaire allemande. Il retourne définitivement habiter à Genève en 1543, et va soutenir de sa plume la recherche de la légitimité de la nouvelle République à la demande du gouvernement (« Chroniques de Genève » rédigées entre 1542 et 1551). Il soutient également Calvin contre les opposants à sa politique de rigueur morale et écrit des traités de doctrine calviniste. Mais aucun des ces ouvrages ne sera publié de son vivant, bien que lus sous forme manuscrite.

L’imprimerie et la Renaissance

 » Dans son introduction aux « Chroniques de Genève » (manuscrit de Turin), François Bonivard évoque les bienfaits que l’imprimerie a apportés à sa génération, spectatrice de son essor et première à en profiter. Après avoir rappelé les moyens que Dieu a mis à la disposition des humains pour leur permettre de communiquer entre eux : la parole et l’écriture, il poursuit : (orthographe d’époque)

 » Et nous ha encores donné, le bon Pere celeste, un autre avantage non loing de nostre temps. Qu’est de ce faire à meilleur marché et plus commodement par l’invention de l’art d’imprimerie. Duquel nous recevons au temps present tel fruict qu’il n’y ha chose en terre, en mer, aer, feu ni celeste ni terrestre que ne nous soit mise devant les yeux, voire en lenguage de touttes nations. Et à tel marché que ce que eust jadis cousté cent escuz, n’en couste pas maintenant un. Et veritablement c’est chose à l’humain lignage tressalutaire de pouvoir apprendre si ayseement et à si bon marché touttes sciences divines et humaines.  »

(Extrait de Micheline Tripet, « Bonivard et les livres » , in Mémoires et Documents de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, vol LVII, Genève, 1995, p. 363).

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La réforme à Genève

– Extrait des « Chroniques de Genève » de François Bonivard.
En 1527, une députation de citoyens vient demander au prieur de Saint-Victor d’adopter la réforme. Bonivard qui connaît bien ses compatriotes leur répondit :

 » Pour un bon grain, que d’ivraie dans cette pauvre Eglise ! Pour un citoyen qui se réforme sincèrement, que de gens veulent la liberté de tout faire ! (…) Comment pourriez-vous vous réformer, vous qui êtes si corrompus ? Vous dites que les prêtres et les moines sont joueurs, libertins, ivrognes; mais vous l’êtes comme eux. Vous voulez chasser tout le clergé du pape, et mettre en son lieu et place des ministres de l’Evangile : ce sera un grand bien en soi-même, mais un grand mal en regard de vous qui mettez votre félicité à jouir de vos plaisirs, qui sont désordonnés; vos prêtres vous le permettent aujourd’hui, au lieu que, si vous aviez des prédicateurs, ils permettraient ce que le pape défend, et demanderaient l’observance des lois de Dieu, qui sont autrement difficiles que celles de Rome. Ces ministres vous donneront une réformation par laquelle il faudra punir le vice, ce qui vous irritera fort. Vous haïssez les prêtres, parce qu’ils sont à vous trop semblables : vous haïrez les prédicateurs, qui seront à vous trop dissemblables; vous ne les aurez pas gardés deux ans, que vous les renverrez, sans les payer de leurs peines, à grands coups de bâton. Ainsi, faites de deux choses l’une : si vous voulez être corrompus comme vous l’êtes, souffrez la pareille chez vos prêtres; ou si vous voulez vous réformer, commencez à devenir meilleurs, puis en envoyez quérir les ministres, qui vous réformeront tout à fait.  »

(Cité dans Genève 1536, L’Indépendance et la Réforme, publié par le département de l’instruction publique, Genève, 1986, p. 100).

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Après l’adoption de la Réforme (21 mai 1536) les Sujets de la campagne genevoise résistent

 » Les gens de la campagne tenaient pourtant encore bon pour la religion catholique. Le magistrat en assembla tous les prêtres, qui dépendaient de leur ressort, et le premier Syndic portant la parole, leur dit, en présence de Farel et de Bonivard, qu’avant le dimanche de Quasimodo, ils eussent à montrer par la Sainte Ecriture que la messe et les autres institutions du pape étaient approuvées par Dieu, sinon que tout exercice leur en serait défendu. Le plus ancien, qui parla pour tous, fit une fort belle répartie en ces termes :
 » Certainement, très honorés Seigneurs, nous sommes extrêmement surpris d’un si prompt commandement que vous nous faites d’abandonner sans une mûre délibération une religion annoncée depuis tant de siècles, reçue pour juste, sainte et salutaire, et cela sans nous convaincre du contraire. Vous l’avez, à la vérité, quitté vous-mêmes, mais non pas en un instant, comme vous voudriez que nous fissions, puisqu’on vous a longtemps prêché pour vous instruire. Nous sommes vos très humbles sujets, mais néanmoins Chrétiens rachetés par le sang de Notre Seigneur comme vous, et passionnés par notre salut, comme vous l’êtes pour le vôtre. Nous vous supplions donc pour l’honneur de Jésus-Christ Notre Père et Sauveur commun, que vous souffriez que nous nous instruisions comme vous l’avez été. Envoyez-nous des Prédicateurs qui nous enseignent et nous montrent en quoi nous errons; et alors, si on nous peut convaincre, nous n’aurons plus de peine à suivre votre exemple et à nous soumettre entièrement à vos volontés.  »
Le premier Syndic, ayant ouï cette réponse, les fit retirer pour opiner sur cette affaire. Bonivard fut du sentiment qu’il fallait leur accorder leur demande et qu’on ne devait pas forcer leurs consciences, mais les éclairer, car s’ils se montraient si légers à passer d’une religion à l’autre, il ne faudrait pas s’assurer qu’en une autre occasion ils ne retournassent à la première. Farel, au contraire, moins modéré que lui, prenant la parole :  » Voulez-vous, lui dit-il, vous opposer présentement à l’ouvrage de Dieu ?  » et poursuivant ses exhortations, il fit consentir les Seigneurs à son avis. On rappela les prêtres et on leur fit le même commandement. Quelques-uns qui disaient secrètement la messe dans la ville furent épiés et menés à Farel, qui leur fit de rudes repréhensions. Les paysans en furent irrités et auraient maltraités les ministres, qui allaient prêcher dans les villages, s’ils ne fussent sortis bien accompagnés.  »

Remarque : le dimanche de Quasimodo est situé 8 jours après Pâques.

(Extrait de Jacob SPON, « Histoire de Genève« , publié en 1680. Orthographe et ponctuation modernisées, tome II p. 11-14).

Note : l’Histoire de Genève de Jacob SPON, humaniste lyonnais, est la première histoire imprimée de Genève, publiée à Lyon d’abord en 1680, puis rééditée à Genève en 1730.

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LA ROME PROTESTANTE

De passage à Genève, Jean Calvin (1509-1564) y est retenu par Farel qui veut en faire le chef de l’Eglise protestante de la ville. Calvin va organiser et consolider la religion nouvelle. Très sévère, Calvin veut imposer des règles de conduite très strictes à toute la population sans avoir toujours le soutien du gouvernement. Par exemple : la fréquentation du culte est obligatoire, danse et jeux de hasard sont interdits. Cela ne plaît pas à tout le monde et il existe un parti, les Libertins, qui s’oppose fortement à Calvin, qui doit même s’exiler de 1538 à 1541 avant d’être rappelé. Dès lors, malgré les difficultés, Calvin put imposer son autorité morale sur la cité avec l’accord du gouvernement grâce, notamment, au Consistoire (assemblée des pasteurs et de douze laïcs qu’il a créée) qui veille sur les bonnes mœurs.
Calvin a créé une nouvelle forme de protestantisme : le calvinisme ou Religion réformée . Grâce à lui, Genève devint la Rome protestante. L’Académie et le Collège furent fondés en 1559. Théodore de Bèze succéda à Calvin.

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Calvin critique la messe catholique (1537)

« Après, il y a l’idolâtrie, laquelle surmonte toute impiété, d’adorer un morceau de pain comme Dieu, et dire que ce n’est plus pain, mais Dieu même. Si c’était la Cène de notre Seigneur qui fût là dûment administrée, nous confessons bien qu’il y aurait là vraie réception du sang et du corps de Jésus-Christ. Mais ce ne serait pas à dire pour tant que la substance du pain fût changée, ou que le corps se fût caché là-dedans. Car la Cène nous est donnée pour nous faire élever nos esprits en haut au Ciel, non pas pour les amuser à ces signes visibles du pain et du vin qui nous sont là présents. Quand donc ce serait vraiment la Cène, encore serait-ce une fantaisie pernicieuse et damnable, de vouloir adorer un morceau de pain au lieu de Jésus-Christ, ni de le chercher là. Mais il n’est jà métier d’entrer en cette dispute. Car de quoi appartient à la messe cette promesse de Jésus-Christ, quand en donnant le pain il dit : « Prenez, mangez, c’est mon corps livré pour vous » ? Car devant que rien promettre, il commande que le sacrement soit distribué entre les fidèles. Cela se fait-il à la messe ? Mais plutôt au contraire le prêtre fait son cas à part, comme se voulant exclure et excommunier de toute l’Église. Pensons-nous donc qu’en faisant tout au contraire que Jésus-Christ a ordonné, nous le tenons lié à notre poste, pour nous jouer de lui comme d’un petit enfant, ou plutôt comme d’une pelote pour le démener çà et là selon que bon nous semble ? Davantage, il ajoute que nous célébrions son sacrement en mémoire de lui, annonçant sa mort avec louanges et actions de grâces. Comment cela se peut-il faire en la messe, où il n’y a point un seul mot intelligible, mais tout se fait et dit en une langue inconnue ? Davantage, c’est à nous de Jésus-Christ s’adresse, en nous promettant la communion de son corps, quand il nous donne le signe du pain. En la messe, il n’y a rien de tout cela, mais le prêtre, en la façon des enchanteurs ou joueurs de gobelets, souffle pour le pain pour l’ensorceler. Que pensons-nous que cela vaille ? Bref, tant s’en faut qu’il y ait similitude entre la messe papale et la Cène de notre Seigneur, que le jour n’est pas plus contraire à la nuit. Que peut-ce donc être de l’adoration qu’on fait là au pain, qu’idolâtrie exécrable, voire plus lourde et plus sotte que jamais il n’y en a eu entre les Païens ? »

Jean CALVIN, « Petit traité monstrant que c’est que doit faire un homme fidèle connaissant la vérité de l’Évangile quand il est entre les papistes ».

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Calvin met l’Église catholique en accusation (1540)

« Nous vous accusons d’avoir subverti le ministère, duquel simplement vous retenez le nom vide et sans l’effet de la chose. Car, quant à la sollicitude de repaître spirituellement le pauvre peuple, les enfants mêmes voient bien que vos évêques et prêtres n’y font non plus qu’images mortes, et expérimentent les hommes de tous états qu’ils ne sont vaillants, sinon à piller et dévorer. Nous ne pouvons porter qu’au lieu de la sainte Cène on introduise un sacrifice lequel anéantisse la vertu de la mort de Jésus-Christ. Nous crions contre l’exécrable marchandise et foire des messes et nous complaignons de ce que le peuple chrétien est quasi privé de la Cène du Seigneur. Nous invectivons contre la méchante et inique adoration des images. Nous prouvons les sacrements avoir été pollus et souillés par plusieurs profanes et impures opinions. Nous enseignons les pardons et indulgences avoir été introduites, sans qu’on s’en aperçût, au très grand et horrible opprobre de la croix de Christ. Et nous complaignons la liberté chrétienne avoir été submergée et oppressée par traditions humaines. Et pour ce avons-nous donné ordre que les églises que Dieu nous a commises fussent purgées et nettoyées de telles et semblables pestes. Complains-toi maintenant, si tu peux, que nous ayons fait injure à l’Église, d’avoir ainsi osé violer ses vénérables constitutions. Certainement cela est déjà tant commun que tu ne gagnerais rien à le nier, qu’en toutes choses l’ancienne Église s’accorde avec nous et qu’elle ne vous est point moins contraire que nous-mêmes. Or me souvient-il ici que tu dis en je ne sais quel passage, comme voulant faire la choses plus petite, qu’il ne s’ensuit pas pour tant, si vos conditions sont désordonnées, que nous nous séparions de la sainte Église. Certes à grand peine se peut-il faire – vu tant de cruautés, avarices, rapines, intempérances, insolences, et tant d’exemples de toute licence et méchanceté qui continuellement se commettent par gens de ta sorte – que le courage du peuple ne se soit grandement détourné de nous et de votre parti. Mais nulle de ces choses ne nous a induits à essayer ce que par trop plus grande nécessité nous avons entrepris. Laquelle certes a été, pour ce que la clarté de la vérité divine était éteinte, la parole de Dieu ensevelie, la vertu et efficace de Christ abolie de profonde oubliance, et l’office de pasteur entièrement subverti. Cependant l’impiété se mettait tellement en avant qu’à peine était-il aucune doctrine chrétienne qui fût pure et sans mixion, aucune cérémonie vide d’erreur, et nulle portion du service divin exemptée de superstition. Ceux donc qui répugnent à de telles iniquités, font-ils la guerre contre l’Église, ou plutôt, ne tâchent-ils pas point à lui aider, la voyant ainsi affligée et oppressée de tous côtés ? (…)

Mais, diras-tu, quelle arrogance est-ce à vous autres, de vous vanter que l’Église est avec vous seuls, et cependant en vouloir priver le reste du monde universel ? Certes, Sadolet, nous ne nions point que les églises où vous présidez ne soient églises du Christ, mais nous disons que le Pape, ensemble toute la troupe de ses faux évêques, qui vers vous ont occupé le lieu de pasteurs, sont loups très cruels et dangereux, lesquels, jusques ici, n’ont eu d’autre désir, sinon que de consumer et détruire le royaume de Christ jusqu’à ce que, par ruines et désolations, il fût du tout déformé et anéanti. »

Jean CALVIN, « Epître à Sadolet ».

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Calvin et la prédestination

 » Nous appelons Prédestination le conseil [= décision] éternel de Dieu par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire d’un chacun homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais il ordonne les uns à vie éternelle , les autres à éternelle damnation . Ainsi selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à vie (…). Selon donc que l’Ecriture montre clairement, nous disons que le Seigneur a une fois constitué, en son conseil éternel et immuable, lesquels il voulait prendre à salut et lesquels il voulait laisser en ruine . Ceux qu’il appelle à salut, nous disons qu’il les reçoit de sa miséricorde gratuite, sans avoir égard aucun à leur propre dignité. Au contraire, que l’entrée de vie est forclose [= fermée] à tous ceux qu’il veut livrer en damnation, et que cela se fait par son jugement occulte et incompréhensible, combien [= bien] qu’il soit juste et équitable (…). Or comme le Seigneur marque ceux qu’il a élus en les appelant et justifiant, aussi, au contraire, en privant les réprouvés de la connaissance de sa parole ou de la sanctification de son Esprit [= la grâce de Dieu], il démontre par tel signe quelle sera leur fin et quel jugement leur est préparé.  »

(Extrait de « L’Institution chrétienne » de Calvin, édition de 1541).

Un autre arrangement du même

« Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à vie. (…)

Si on demande pourquoi Dieu a pitié d’une partie, et pourquoi il laisse et quitte l’autre, il n’y a autre réponse sinon qu’il lui plait ainsi.

Quiconque se trouve en Jésus-Christ et est membre de son corps par foi, celui-là est assuré de son salut. (…) Quand donc nous recevons ce témoignage de salut qui nous est rendu par l’Évangile, de là nous connaissons et sommes assurés que Dieu nous a élus. »

D’après Jean Calvin, L’institution de la religion chrétienne, 1536.

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Calvin juge les reliques

« Au lieu de chercher Jésus-Christ en sa parole, en ses sacrements et en ses grâces spirituelles, le monde selon sa coutume, s’est amusé à ses robes, chemises et drapeaux et ce faisant a laissé le principal pour suivre l’accessoire (…). Mais la Relique la plus fériale [festive] de cette espèce, est la forme de ses fesses, qui est à Reims, en Champagne, sur une pierre derrière le grand autel. Et disent que cela fut fait du temps que nôtre Seigneur était devenu maçon pour bâtir le portail de leur Église. Ce blasphème est si horrible et si exécrable que j’ai honte d’en plus parler. »

Reliques = Restes de la dépouille d’un saint, vénérés pour leur vertu miraculeuse.

In Calvin, Traité des Reliques, 1543.

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La République de Calvin

– Extrait des « Ordonnances ecclésiastiques » de Genève, 1541.

 » On vous fait assavoir [= savoir] à toutes manières de gens [= à tout le monde] que un chacun soit tenu de venir les dimanches ouïr la parole de Dieu (…).
Item, que nul ne doive jurer ni blasphémer le nom de Dieu, et ce sur la peine la première fois de baiser terre [= embrasser le sol], la seconde fois de baiser terre et trois sous, et la tierce d’être mis en prison trois jours.
Item, que personne n’ait à jouer à [= avec] or ni argent.
Item, que personnes n’ait à aller par la ville passé neuf heures sans chandelle, sous peine d’être mis en prison 24 heures.
Item, que personne n’ait à danser, sinon aux noces, ni chanter chansons deshonnêtes, ni se déguiser (…), et ce sur la peine de 60 sous, et d’être mis en prison 3 jours au pain et à l’eau…
Item, que chacun soit tenu de révéler à messieurs ceux ou celles qu’il aura trouvé délinquants aux articles susdits (…)  »

(Cité dans Jacques Dupâquier et Marcel Lachiver, Les Temps modernes, classe de 4e, nouvelle collection d’histoire Bordas, Paris, 1970, p. 51).

Idem, un peu plus…

 » On vous fait assavoir à toutes manières de gens que un chacun soit tenu de venir les dimanches ouïr la parole de Dieu et les autres jours qu’ils pourront vaquer, et icelle dévotement écouter et selon icelle se régir, et ce sus la peine d’être repris par justice.

Item, que nul ne doive jurer ni blasphémer le nom de Dieu, et ce sus la peine la première fois baiser terre, la seconde baiser terre et trois sous, et la tierce d’être mis en prison trois jours.

Item, que personne n’ait à jouer à or ni argent, en sorte que ce soit sus la peine de cinq sous, pour une chacune fois.

Item, que personne n’ait à jouer à point de jeux cependant que l’on prêchera le sermon sonné à la grosse cloche, sus la peine de soixante sous.

Item, que tous hôtes et hôtesses n’aient à donner à manger ni à boire à personnes quelconques cependant que l’on prêchera le dimanche, ni passé neuf heures de nuit, sinon qu’ils soient étrangers.

Item, que personne n’ait à aller par la ville passé neuf heures sans chandelle, sus peine d’être mis en prison vingt-quatre heures.

Item, que tous chefs de maison aient à faire mandement à leurs serviteurs et servantes d’aller au sermon les dimanches matin.

Item, que personne n’ait à danser à point de danses, sinon aux noces, ne chanter chansons déshonnêtes, ni se déguiser, ne faire masques ni mômeries, et ce sus la peine de soixante sous, et d’être mis en prison trois jours au pain et à l’eau pour un chacun faisant du contraire.

Item, que un chacun soit tenu de révéler à messieurs, ceux ou celles qu’on aura trouvés délinquants aux articles susdits en tout ou en partie.  »

CALVIN, Ordonnance du 25 février 1539.

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– Extrait du Réglement de l’Hôpital général en 1552 (transcription libre)

 » De l’aumône générale

29. Item qu’il plaise à nous, Seigneurs et supérieurs, de choisir un lieu propice pour distribuer ladite aumône, afin que les pauvres doivent s’assembler tous les dimanches, l’été à six heures du matin et l’hiver à sept. Et que lesdits pauvres doivent se trouver là avec un sonneau, qui leur aura été distribué le samedi par un des seigneurs procurateurs (…), lequel prendra note des noms et surnoms desdits pauvres et les transmettra le dimanche suivant au bureau pour que l’on puisse retirer les sonneaux en prévision du samedi suivant. (…)

30. Item que, quand lesdits pauvres seront rassemblés tous ensemble, le Ministre de l’Hôpital doive faire une prière afin que les pauvres reconnaissent qui envoie le bien qu’on leur distribue ainsi que ceux qui le maintienne. Et que cela soit fait avant que l’on ne distribue ladite aumône. (…)

31. Item que lesdits sonneaux qui seront distribués pour recevoir ladite aumône, soient faits de marques de pain entier, de demi pain et de quartier de pain. (…)

Des passants et repassants

32. Item que l’hospitallier ne soit tenu de loger nul pauvre passant sinon qu’il lui soit porté par ledit pauvre un billet ou bulletin, lequel il devra prendre chez l’un des seigneurs procureurs et le porter audit hospitallier, afin de lui distribuer l’aumône qui sera établie par nous Seigneurs et supérieurs. Et que ledit hospitallier doit retirer lesdits bulletins ou billets afin de rendre compte au bureau combien il aura logé de pauvres dans la semaine. (…)
Que Monsieur l’hospitallier les reçoive avec discrétion et ne loge pas ceux qui n’ont pas nécessité, et que le magistrat de service les enregistre toutes les nuits et rapporte le tout le dimanche au bureau, et qu’on n’en loge point deux nuits.  »

Rappel : sonneaux = sorte de coupon distribué par le procureur, donnant droit à l’aumône.

Voici en pdf tout le Règlement de l’Hôpital général de 1552


Il est publié dans
Bernard Lescaze (s.Dir. / Collectif) « Sauver l’âme, nourrir le corps : de l’Hôpital général à l’Hospice général de Genève, 1535-1985 »
Genève : L’Hospice, 1985, Annexe 1 pp. 399-409

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– Extraits des lois somptuaires, 1560. Orthographe d’époque.

 » Des habits.
Est defendu à tous citoyens, bourgeois, habitants et subjects de ceste cité, tout usage d’or ou d’argent en portefilleures, broderies, passements, canetilles, fillets, ou autres tels enrichissements d’habits en quelque sorte et manière que ce soit. (…)
Est defendu aux hommes de porter de longs cheveux, avec passefillons, et bagues aux oreilles.
Est defendu aux femmes et filles toute frisure, relevement et entortillement de cheveux, et de porter aucuns grenats ou pierreries en leurs coiffures et cornettes. (…)
Leur est defendu de porter plus de quatre anneaux d’or, excepté aux espouses le jour et le lendemain de nopces.
Pareillement est defendu aux femmes des artisans mecaniques de porter aucuns anneaux d’or. (…)
Item, lesdits artisans mecaniques, ni les paysans, ne devront porter aucunes bandes de velours ni d’autre soye en leurs habits, ni aucuns chappeaux ou collets de manteaux doublés de velours, ou d’autre soye.
Les servantes ne s’accoustreront d’aucun drap de grand prix, et particulièrement d’aucune couleur pourpre ou autre cramoisie (…).
Et en general, que chacun ait à se vestir honnestement et simplement selon son estat et qualité, et que tous, tant petits que grands, monstrent bon exemple de modestie chrétienne les uns aux autres, estant aussi defendu aux pères et mères de vestir et parer leurs enfans contre ce qui est permis par la presente ordonnance. Le tout sous peine aux contrevenans pour la première fois de cinq florins, la seconde de dix, et la troisième de vingt-cinq, et confiscation desdits vestemens ou bagues qui seroyent portées contre la presente defense, et autre peine arbitraire. (…)

Des noces et autres banquets. (…)
Item, sont defendues ausdites nopces ou banquets toutes sortes de confitures seches, excepté la dragee, le tout à peine de soixante sols, pour celuy qui aura fait le banquet. (…)
Est defendu d’inviter et assembler doresnavant aux nopces plus d’une tablee de dix personnes pour les moindres, deux pour les médiocres, et trois pour les autres, et ce une fois pour toutes, sans qu’il soit loisible de continuer aux autres jours suivans, sans congé de la Seigneurie, et qu’ils ne puissent avoir pour les plus aisés que six servans et six filles. (…)

Des bouquets.
Est defendu de donner ausdites fiançailles, nopces ou baptisailles, des bouquets liés d’or ou canetilles, ou garnis de grenats, perles, et autres pierreries. (…)  »

(Cité dans Genève 1536, L’Indépendance et la Réforme, publié par le département de l’instruction publique, Genève, 1986, pp. 87-89).

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– Extrait des « Ordonnances sur le mariage », 1561.

 » Que nul père n’ait à contraindre ses enfants à un tel mariage que bon lui semblera, sinon de leur bon gré et consentement : mais que celui ou celle qui ne voudrait point accepter la partie que son père voudrait donner s’en puisse excuser, gardant toujours modestie et révérence; sans que pour tel refus le père lui en fasse aucune punition.  »

(Cité dans Genève 1536, L’Indépendance et la Réforme, publié par le département de l’instruction publique, Genève, 1986, p. 92).

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Les boute-peste : l’affaire des engraisseurs de 1545.(la peste en 1545)

 » La peste commença de se faire sentir, ayant été communiquée par des soldats suisses, qui allaient en Italie au service du roi de France. Un nommé Lentilles, qui avait été serviteur de l’Hôpital, …, mettant la peste partout où il pouvait avec des linges qui avaient touché les charbons des pestiférés. Il avait gagné presque toutes les femmes qui nettoyaitent et parfumaient les meubles des pestiférés. Elles avaient mis à la peste le sobriquet de la « Clauda » et elles se réjouissaient quand elle s’augmentait. Lorsqu’elles venaient à se rencontrer, elles se demandaient : « comment se porte la Clauda ? » La réponse était : « elle ne vaut rien, elle est toute endormie » ; ou s’il y avait quelque maison nouvellement attaquée, elles disaient : « elle se porte bien, elle fait grand chère en un tel lieu » . Un nommé Bernard Tallent, complice de Lentilles, fut saisi par le bailli de Thonon, à qui il avoua tout. Il envoya à Genève une copie de sa confession. Ils saissirent Lentilles et l’examinèrent, mais il ne voulut rien avouer, quelque tourment qu’on lui fit souffrir. On l’envoya à Thonon pour être confronté à son complice, qui lui soutint le crime; il ne laissa pas de le nier, malgré la question qu’on lui donna, jusqu’à ce qu’il eut l’épaule cassée, dont étant mis à bas et dans le lit, il mourût quelques heures après sans dire autre chose, si ce n’est que si on voulait tout nettoyer, on se saisit de tous ceux qui servaient l’Hôpital. Ce qui fut fait, et la plupart ayant tout avoué furent brûlés tout vifs au nombre de 7 hommes et de 24 femmes. Ils déclarèrent que Lentilles les avait fait obliger par des serments exécrables d’exécuter leurs mauvais desseins, d’engraisser les portes et de multiplier la Peste, jusqu’à ce que ceux de Genève fussent réduits à telle extrémité qu’on les put nourrir d’une coupe de blé. On aurait eu de la peine à se persuader, qu’un si grand nombre de personnes eussent consenti à une si détestable méchanceté, si elles n’avaient fait la même confession, sans savoir rien l’une de l’autre. Le chirurgien et deux autres furent tenaillés et écartelés; et ce qui est de plus étonnant, on en surpris quelques uns sur le fait, au même temps qu’on menait leurs compagnons au supplice. Après cela, la peste cessa peu à peu vers la Toussaint, y étant mort 2000 personnes.  »

(Extrait de Spon, Histoire de Genève, 1680, tome II p. 41-44).

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Conflit politique à Genève

– Calvin contre les Libertins.

« Le 12 avril 1546, une société nombreuse se trouvait réunie à Bellerive; on dansa, contrairement aux Ordonnances, et tous les assistants furent emprisonnés. Traduits, au bout de trois jours, devant le Consistoire, la plupart nièrent absolument le fait reproché. Seul le syndic Amblard confessa ses torts, écouta les remontrances de Calvin et n’en demeura pas moins son fidèle ami. Il déclara même « qu’il était juste que les grands fussent châtiés aussi bien que le commun peuple ». Mme Perrin ne fut pas d’aussi bonne composition : à peine Calvin lui eut-il adressé quelques paroles, qu’elle s’emporta et se répandit en injures :  » Méchant homme, dit-elle, vous voulez boire le sang de notre famille; mais vous sortirez de Genève avant nous. » Calvin lui répondit : » Souvenez-vous que vous êtes une femme, et que de tels propos vous déshonorent. Vous avez banni de votre âme et de vos manières tout sentiment de pudeur; mais votre pétulance [agitation] n’empêchera pas le Consistoire de faire son devoir; et quand vous auriez dans votre famille autant de couronnes qu’il y a de têtes folles, vous n’entraverez pas le cours de la discipline ecclésiastique. Bâtissez une ville nouvelle si vous voulez vivre à votre fantaisie; mais tant que vous serez à Genève, vos efforts seront vains pour secouer le joug de l’Evangile. » Un emprisonnement de quelques jours fut la conséquences de cette scène, et dès lors une haine violente remplaça dans le coeur de Perrin [le mari] la franche amitié qui l’avait uni au réformateur.  »

Récit de J. Gaberel, historien du XIXe siècle, paru dans « Histoire de l’Eglise de Genève » en 1858, écrit sur la base des registres des Conseils de Genève des 12, 16 et 19 avril 1546.

(Cité dans Genève 1536, L’Indépendance et la Réforme, publié par le département de l’instruction publique, Genève, 1986, p. 96).

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Michel Servet

En août 1553 …

 » Sur ces entrefaits Michel Servet, qui s’était sauvé des prisons de Vienne [= en France], vint à Genève, où il commença à dogmatiser. Il avait composé un livre intitulé  » Christianismi restitution  » [= restauration du Christianisme], plein d’hérésie exécrables. Il anéantissait la distinction des trois personnes, disant que le Fils et le Saint Esprit, avaient été créés au commencement du monde. Que l’essence de Dieu était commune à toutes les créatures, même inanimées, laquelle produisait en l’homme le franc arbitre et n’empêchait pas néanmoins que la science du bien et du mal ne fut suffoquée jusqu’à l’âge de 20 ans, avant lesquels on ne commettait point de pêché mortel. Qu’il suffisait de croire que Jésus Christ était fils de Dieu sans qu’il fut nécessaire d’embrasser ses promesses, tous les hommes, les Juifs et les Païens [= Musulmans], étant justifiés par la bonne vie qui venait du bon naturel. Que le Baptême des petits enfants n’était qu’une sorcellerie. Il eut au commencement quelque appui de certains magistrats, qui haïssaient Calvin : de sorte, qu’outre qu’il était très malicieux, il s’obstina tellement à maintenir ses blasphèmes, que dans une dispute, il donna plus de cinquante démentis formels à Calvin, l’appellant autant de fois méchant ou Simon magicien. Le Conseil ne put souffrir son effronterie, le mit prisonnier, et lui instruisit son procès, qu’il communiqua aux quatre cantons protestants, après la réponse desquels il fut brûlé tout vif sans montrer aucun signe de repentance, mais seulement une grande frayeur de la mort. Il y en eut plusieurs qui furent bien aise qu’on eut exterminé un homme si dangereux, qui semait depuis 30 ans ses impiétés parmi les Chrétiens. D’autres dirent, qu’il y avait trop de rigueur de punir un homme pour des opinions, qui n’était au fond qu’un mélange de Judaïsme et d’Anabaptisme, et qu’il valait mieux attendre son repentir ; ce qui produisit un livre, « de non puniendis gladio haereticis » [= sur le fait qu’il ne faut pas condamner à mort les hérétiques], composé par Castellion sous le nom supposé de Martin Bellius, auquel Théodore de Bèze répondit.

(Extrait de Spon, Histoire de Genève, 1680, tome II p. 60-68).

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Genève et les Juifs

Rappel : avant la Réforme, au XVe siècle, les Juifs furent relégués dans un ghetto en 1428 et expulsés de la ville en 1490 par décision de la Commune des Bourgeois.

En 1582 …

 » (…) le Sieur de Candolle revenant d’Allemagne apporta une requête des Juifs, qu’on méditait de chasser de l’Empire. Ils s’offraient de venir à Genève au nombre de huit à dix mille, d’y bâtir à leurs dépens vers Saint Jean ou Saint Victor et d’enfermer de murailles leurs quartier, où la ville tiendrait garnison bourgeoise à leurs frais. Ils promettaient de plus de se présenter les premiers au combat quant on les employerait, de payer un tribut annuel à la République et de subir les autres lois qu’on leur imposerait, se contentant d’avoir ce lieu pour retraite et pour leur négoce du Valais, et du Piémont. Quelque uns opinaient à accepter leurs propositions, représentant qu’ils apporteraient de grandes richesses et qu’ils seraient autant de bons soldats qui ne coûteraient rien, que la ville en deviendrait plus marchande et que personne ne s’en pourrait formaliser, puisqu’ils étaient soufferts par toute l’Italie. Ceux qui ne l’approuvaient pas alléguèrent que les Etats protestants le trouveraient mauvais ; qu’on ne pouvait dans le besoin se fier à ces gens ; qu’ils causeraient une grande cherté de vivres ; qu’ils écumeraient par leurs usures le plus liquide des Bourgeois ; qu’on les avait chassés de France pour cela, et que pour le même sujet le voulait-on encore faire d’Allemagne. Ce dernier avis prévalut, et eux de leur côté s’accommodèrent avec les Allemands, qui les laissèrent où ils étaient. »

(Extrait de Spon, Histoire de Genève, 1680, tome II p. 137-139).