Genève et les luthériens
En 1624…
» Le marquis de Bade Dourlach, Prince luthérien dépouillé de ses Etats par un arrêt de la Cour impériale, se retira à Genève avec sa femme et un pasteur. Le Conseil lui permit le prêche en sa maison pour ses domestiques, sans plus grande affluence de peuple. Mais plusieurs Allemands habitants de la Ville, et même d’autres du peuple y allèrent, donc chacun murmuroit, disant, qu’il s’en manqueroit peu qu’on n’introduisit la Messe en la Ville, puisqu’on y souffroit le Luthéranisme. Les 25 en étant avertis, l’envoyèrent prier par un Syndic et par le Lieutenant, de ne pas recevoir ceux de la Ville dans ces prédications : ce que lui méprisant, au lieu d’y acquiescer, leur fit réponse, que la Ville étoit impériale et qu’étant Prince de l’Empire, il y avoit autant de droit qu’eux : quelques uns même dirent qu’il avoit levé la main contre le Syndic, ce qui fut cause que la Seigneurie révoqua la permission qu’elle lui avoit accordée, dont étant irrité, il quitta Genève, et se retira à Thonon, où le Duc lui permit l’exercice de sa Religion, et à toute sa maison. «
(Extrait de Spon, Histoire de Genève, 1680, tome II pages 522-525)
» Ce prince revint à Genève quelques années après et fut bien reçu. Les idées sur la tolérance que les protestants doivent avoir les uns pour les autres, et dont le Magistrat et l’Eglise de Genève ont donné dans la suite des temps des démonstrations si publiques, étaient encore peu connues dans ce temps-là. «
(Même passage et note de la deuxième édition de Spon, Histoire de Genève, 1730)
Relations avec la France de Louis XIV
En 1661…
» L’an 1661. L’Evêque de Genève résidant à Annecy, s’adressa au Roi comme Souverain du Pays de Gex, qui fait partie de son Diocèse, et le pria de lui permettre d’établir des curés dans les villages de Chancy, Avoully, et Moin, tenus par la République de Genève, et desquels, à ce que disoit cet Evêque, le Roi étoit aussi Souverain. Pour faire comprendre ceci, il faut dire ce que c’est que ces villages. Moin est purement de Chapitre, c’est-à-dire que la juridiction, les dîmes, censes, sel, ministres, condamnation à mort, tout cela appartient à Genève, et le Roi y a le dernier appel des causes civiles, et l’exécution du glaive. Pour Chancy et Avoully, c’étoient des terres de St. Victor, qui font à peu près de même nature que celles de Chapitre, [= celles-ci ayant appartenu aux Chanoines de Saint Pierre, et les autres au prieur de Saint Victor] mais par traité de Lyon de l’an 1601, le Roi en rendant au Duc toute la Savoie qu’il lui avoit prise, se réserva tous les ports du Rhône, depuis Genève jusqu’à Lyon, et ainsi la Souveraineté de Chancy et Avoully, qui sont des ports, appartient au Roi, quoiqu’ils soient situés du côté de la Savoie. Ceux de Genève qui étoient bien avec Henri IV se prévalurent de l’occasion, et lui présentèrent qu’ils possédoient déjà ces villages, et qu’ainsi cette Souveraineté lui étoit de peu de considération, et ne lui étoit d’aucun revenu. Le Roi voulant les gratifier la leur donna, et leur en expédia des Lettres; mais le mal est qu’elles n’ont pas été vérifiées au Parlement. Cependant depuis ce tems-là, ils ont fait tous les actes de Souverains en ces deux villages, et même en 1675 ils firent exécuter à mort un malfaiteur à Chancy. (…) on députa promptement à Paris Jean Lullin [= un syndic], mais avant qu’il y fut l’Evêque avoit déjà obtenu par surprise un arrêt conforme à sa demande, et M. Bouchu Intendant de Bourgogne vint à Gex en février 1662, pour établir des curés en ces lieux, suivant l’arrêt du Roi. On fit tant que l’Intendant en différa l’exécution, lui ayant été représenté que les députés de la République étoient en Cour pour ce sujet, et que s’ils ne pouvoient pas faire révoquer cet arrêt, on l’exécuteroit toujours assez tôt. Lullin après avoir demeuré deux ans à Paris obtint enfin gain entier de cause, l’Evêque fut débouté de sa demande, et les villages laissés en leur état. «
Extrait de Spon, Histoire de Genève, 1680, tome II pages 600-604
Le 4 juillet 1680
Fête lors de la réception du Résident de France (ambassadeur), Monsieur du Pré.
» Après le Dîner, Monsieur de Normandie, suivi des cinquante jeunes gens qui servoient de gardes, vint prendre Monsieur le Résident, et l’accompagna au bord du lac. Dans le temps qu’il approchoit du rivage, un brigantin ayant une banière et un équipage à la turque, monté d’une compagnie de faux Turcs très bien armés, et de grande taille, et quatre petites pièces de canon, vint fondre à sa vue sur la frégate de ces jeunes gens qui étoit à l’ancre. Le capitaine qui la commandoit lui lâcha toute sa batterie, mais le brigantin ne s’étonna pas. Il fit tirer son canon et décharger sa mousqueterie, et ayant accroché cette frégate, les faux Turcs montèrent dessus le sabre à la main, la firent attacher à la queue de leur brigantin, levèrent l’ancre, et obligèrent la chiourme de travailler à se mettre au large. Les gardes qui virent qu’on enlevoit leur frégate, se saisirent de six bateaux garnis de leurs avirons, et de quelques armes, et en formèrent une petite escadre. Le capitaine prit l’aîle droite avec trois bateaux, et donna la gauche avec les trois autres bateaux à son lieutenant. Aussitôt ils s’avancèrent pour joindre les Turcs. Monsieur le Résident s’étant embarqué, voulut soutenir cette jeunesse, et obligea ces faux Turcs à combattre contre les six bateaux, qui lui firent essuyer diverses décharges de mousqueterie. Ce grand feu contraignit les Turcs à relâcher la frégate, et à se jeter dans leur brigantin, où ils se tirèrent d’embaras à force de rames; mais enfin après plus de deux heures de combat, ils furent forcés de mettre pavillon bas. Cela fait, on servit une très suberbe collation, pendant laquelle les fanfares des trompettes, le bruit des tambours, et le son des violons, se faisoient entendre comme à l’envi. On revint au port avec une escorte d’un nombre infini de bateaux rempli de monde, que la beauté de la fête avoit attirés. En abordant, Monsieur le Résident fut de nouveau salué par le canon. (…) Quelques jours auparavant, Monsieur Chapuseau, connu par les gens de lettres, lui avoient présenté le sonnet qui suit, sur le divertissement que lui préparoit la République.
« Ministre glorieux du plus grand Roy du monde,
Toy, qui sers le premier de tous les souverains,
Que le Ciel a rendu l’Arbitre des Humains,
Pour mettre l’univers dans une paix profonde.Si le calme qu’on voit sur la terre et sur l’onde,
Est l’effet surprenant de ses puissantes mains,
Sois témoin en ce jour de nos justes desseins,
Qui vont à célébrer sa gloire sans seconde.Sur ce Lac le plus beau qui soit dans l’Univers,
D’où l’on jette les yeux sur cinq Etats divers,
Viens voir le foible essay d’un Zèle incomparable;Et parmi tant d’objets qu’on découvre à la fois,
Contemple de ces Monts la masse inébranlable,
Tels sont pour ce Grand Roy les coeurs des Genevois. «
Extrait de Spon, Histoire de Genève, 1680, tome II pages 667-670
Genève et la révocation de l’édit de Nantes, 1685.
– Lettre du roi (de France, Louis XIV) à Dupré (résident de France à Genève). Orthographe modernisée.
» Fontainebleau, 25 octobre 1685.
Monsieur Dupré,
J’ai reçu votre lettre du 16e de ce mois par laquelle vous me confirmez l’avis qui m’avait été déjà donné de la désertion de la plupart des habitants de la R.P.R. [= religion prétendument réformée], du pays de Gex et de leur retraite, enlèvement et transport de leurs meubles à Genève. C’est aussi ce qui m’a fait approuver la défense [= interdiction] que le seigneur de Passy, gouverneur du pays, a fait d’en laisser sortir les blés et denrées appartenant à ladite ville et mon intention est que vous déclariez encore une seconde fois aux magistrats que, s’ils n’obligent tous ceux de mes sujets de ladite religion, qui se sont retirés depuis le commencement de cette année dans leur ville, de s’en retourner incessamment dans les lieux, où ils demeuraient auparavant, et qu’ils n’obligent même tous les ministres de ladite religion, qui ne s’y sont retirés que depuis trois ans pour entretenir des commerces et des intelligences séditieuses avec quelques-uns de ceux qui sont encore demeurés dans leur opiniâtreté, à sortir au plus tôt de ladite ville et passer dans des pays plus éloignés de mes frontières, je pourrai bien prendre des résolutions qui les feront repentir de m’avoir déplu et donné de si justes sujets de mécontentement de leur conduite. J’approuve la pensée que vous avez de faire convertir la peine de mort à laquelle le criminel dont vous m’écrivez pourra être condamné en celle des galères et je ferai donner les ordres nécessaires pour le mettre à la chaîne, lorsque vous l’aurez fait conduire dans la plus prochaine ville de mon royaume.
J’ai été informé de ce que contient le mémoire [= rapport écrit] du Magistrat [= gouvernement] de Genève que vous avez joint à votre lettre, mais tout ce qu’ils avancent pour leur justification ne vous doit pas empêcher d’exécuter l’ordre que je vous donne par cette dépêche et je différerai à prendre mes résolutions sur l’interruption de leur commerce, jusqu’à ce que vous m’ayez informé de ce qu’ils auront résolu et exécuté pour satisfaire à ce que je désire. Sur ce, etc… «
– Voici la réaction à Genève (27 octobre 1685).
» Monsieur le premier syndic a fait délibérer sur la lettre du Roi à Monsieur le résident, pour savoir comme on se doit conduire en cette occasion et laquelle lettre ayant été derechef lue et opinée, arrête qu’on fasse sans délai une publication au son de la trompette, selon le sens de ladite lettre, pour obliger tous les Français réfugiés, qui se sont retirés dans la ville , dès un an avant ça, à en sortir incessamment (…). «
Extrait de Frédéric Barbey, « Correspondance de Roland Dupré », in Mémoires et Documents de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, vol XXIX, Genève, 1906, pp.255-257
Refuge et xénophobie
Extraits d’une pétition remise à Théodore Grenus, Procureur Général de la République de Genève (qui est chargé de la défense de l’intérêt public dans tous litiges), le 28 octobre 1696 et signée par 215 Citoyens ou Bourgeois. Ce genre de pétition est illégale et le Gouvernement de la République ne donnera pas suite.
Orthographe et ponctuation d’époque.
» L’abus excessif qui se voit dans l’établissement des Etrangers en cette Ville par la liberté qu’on leur donne d’y tenir Boutique ouverte et la vue des désordres et malheurs qui ne sauroient manquer d’en arriver (tant par le juste ressentiment des Citoyens et Bourgeois, que pour d’autres dangereuses conséquences) obligent divers des dits Citoyens et Bourgeois et très bien intentionnés pour le bien public, de recourir à Mr le Procureur Général pour avoir, par son moyen, raison du tort qui leur est fait, et être maintenu dans tous leurs Droits et privilèges.(…)
C’est ce qui est clair comme le jour. Car toute la Terre est Témoin que des Réfugiés François [Français], il n’y a eu aucun Pasteur, Advocats, Médecins, Apothicaires, ou quelques autres Professions, à la réserve des Négocians et Ouvriers, qui ait eu le pouvoir de s’établir en cette ville.
Par ainsy, étant les Marchands et Ouvriers à qui cette injustice et usurpation fait le plus de tort et dont ils ressentent déjà depuis quelque tems un notable préjudice (…).
Toutes les raisons qu’on peut avancer pour favoriser l’établissement des Etrangers en cette Ville, sont vaines ou de dangereuse conséquence. Car, premièrement, en ce qu’on veut persuader que le moyen de rendre cette Ville opulente, seroit d’y recevoir quantité de Marchands, cela est un pur abus, veu [vu] que comme il faut que toutes choses soyent mesurées et proportionnées à leur force et capacité, il est aisé de penser que dans un si petit lieu que celuy cy, tellement resserré et limité, et absolument sujet pour sa subsistance, à la merci et miséricorde de ses Voisins Ennemis même de Religion, et qui sont à ses Portes, il est aisé, dis-je, de penser qu’on n’y sauroit jamais guères remuer de plus grandes et considérables affaires que celles qui se faisoient par cy devant [auparavant]. Car de vouloir suivre et imiter les grands et puissans Etats, qui ont de l’étendue et des facultés suffisantes pour attirer, introduire et entretenir chés eux les manufactures et le grand commerce, ce seroit faire justement comme la Grenouille de la Fable, qui voulant s’efforcer d’atteindre et parvenir à la grosseur du Boeuf qui faisait son envie, après divers efforts creva finalement et fit rire le Boeuf. (…) «
Extraits : Genève, Bibliothèque publique et universitaire, Mss. suppl.1, p. 61-72
Cartes sur la formation du territoire genevois (1536-1816)
La carte de base (couleurs et légendes) a été numérisée à partir de l’ouvrage de Henri Grandjean et Henri Jeanrenaud, « Histoire de la Suisse« , vol II, librairie Payot, Lausanne, 1969 (7e édition), p. 159.
Ces cartes au format Jpeg sont de grande taille (580 x 466 pixels, résolution de 150 x 150 dpi). Le mieux est de les copier sur votre disque dur et de les retravailler dans votre logiciel de dessin favori.
Si vous voulez les imprimer directement pour voir, utiliser comme format d’impression le mode paysage (horizontal) pour feuille A4 en réduisant la taille à 75 %.
Voyez ces cartes :
Genève 1536-1816 (en niveaux de gris avec légendes) :
Genève 1536-1816 (en niveaux de gris sans légendes) :
Depuis 1816, le territoire genevois n’a plus subi de changement.