Les ambassadeurs anglais refusent la nonuple prosternation rituelle devant l’empereur (3 fois à genoux chacun suivi de 3 fois baisé terre)
« Ton royaume, situé au loin par-delà plusieurs Océans, nous témoignant sa sincérité et tenant en estime notre influence pour son perfectionnement, avait précédemment pendant la 58e année Qianlong [1793] (…) fait passer la mer à ses envoyés, qui étaient venus à notre Cour. Cette année tu as de nouveau, roi, fait partir des envoyés (…) et tu les as munis d’objets (…) destinés à m’être présentés. (…) Tes envoyés ont dit verbalement à mes hauts dignitaires que, lorsque le moment serait venu, ils se soumettraient aux agenouillements et aux prosternements, sans que des manquements aux rites puissent se produire. (…)
Le 7, jour fixé pour me contempler en audience, tes envoyés étant déjà parvenus aux portes du palais et j’allais prendre place dans la salle du trône, lorsque ton premier envoyé eût été prit d’un mal subit, aussi prescrivis-je de ne faire entrer en ma présence que les seconds envoyés. Cependant, les seconds envoyés déclarèrent aussi qu’ils étaient souffrants. L’impolitesse fut donc sans égale. Je ne les réprimandai pas sévèrement et les fis partir le jour même, pour retourner dans leur pays. (…)
La Cour Céleste ne tient pas pour précieux les objets venus de loin, et toutes les choses curieuses et ingénieuses de ton royaume ne peuvent non plus être considérées comme ayant une rare valeur. (…) À l’avenir, point ne sera besoin de commettre des envoyés pour venir aussi loin prendre la peine inutile de voyager par terre et par mer. Sache seulement montrer le fond de ton cœur et t’étudier à la bonne volonté, et on pourra dire alors, sans qu’il soit nécessaire que tu envoies annuellement des représentants à ma Cour, que tu marches vers la transformation civilisatrice. C’est afin que tu y obéisses longtemps que je t’adresse cet Ordre Impérial. »
Lettre de l’empereur Jiaqing au roi d’Angleterre Georges III, 1816.
le texte presque complet de cette lettre
« Ton royaume, situé au loin par-delà plusieurs Océans, nous témoignant sa sincérité et tenant en estime notre influence pour son perfectionnement, avait précédemment pendant la 58e année Qianlong [1793], sous le règne du dernier empereur, fait passer la mer à ses envoyés, qui étaient venus à notre Cour (1). Mais à cette époque, les ministres-envoyés par ton pays s’étaient conformés à nos rites avec exactitude et respect et n’avaient encouru aucun reproche au point de vue des formes prescrites. Aussi avaient-ils été les récipiendaires déférents des faveurs et grâces impériales et avaient-ils été appelés à contempler en audience la personne de l’Empereur, à prendre part à des festins ordonnés par Sa Majesté et à en recevoir des dons à profusion.
Cette année tu as de nouveau, roi, fait partir des envoyés porteurs d’un placet et tu le as munis d’objets provenant de ton pays et destinés à m’être présentés (2). En songeant au respect et à la bonne volonté dont tu faisais ainsi preuve d’une façon déterminée, j’en ai ressenti une profonde joie. Me référant aux précédents, j’ai donné des instructions à mes fonctionnaires pour que, lorsque tes ministres envoyés seraient arrivés, ils fussent admis à me contempler en audience, que des festins et des cadeaux leur fussent donnés et qu’on suivît en tout le cérémonial adopté sous le précédent empereur. Tes ministres-envoyés arrivèrent à Tientsin et je prescrivis qu’on députât des fonctionnaires pour leur offrir, dans cette ville, un banquet ; mais, contre toute attente, tes envoyés, au moment de faire leurs remerciements pour ce banquet, ne se conformèrent pas aux prescriptions des rites. Je considérai alors que, si des petits ministres d’un Royaume lointain ignoraient les formes et les règles d’usage, je pouvais les plaindre et leur pardonner. Je désignai spécialement de hauts dignitaires chargés de dire à tes envoyés, lorsque ceux-ci seraient sur le point d’arriver à la capitale, que, pendant la 58e année de Qianlong, tes précédants envoyés, en accomplissant les salutations, s’étaient agenouillés et prosternés absolument selon les règles. Comment admettre, cette fois, que l’on changeât cette manière de faire ? Tes envoyés ont dit verbalement à mes hauts dignitaires que, lorsque le moement serait venu, ils se soumettraient aux agenouillements et aux prosternements, sans que des manquements aux rites pussent se produire. Mes hauts dignitaires ont consigné le fait dans un rapport au trône. Je rendis alors un décret au terme duquel tes envoyés devaient être admis en ma présence le septième jour de la septième lune [le 29 août 1816]. Le 8, un banquet et des cadeaux devaient leur être donnés de ma part dans la salle Zheng da guang ming et ils devaient, en outre, recevoire des vivres dans le jardin Tong le yuan. Le 9, ils devaient prendre congé de moi et je leur aurais, ce même jour, accordé la faveur de visiter la résidence impériale de Wan-shou shan. Le 11 ils devaient recevoir des dons à la porte Tai he men, puis se rendre au ministère des Rites pour y prendre part à un festin. Le 13, ils seraient partis. Les salutations à faire, les dates fixées et les formes du cérémonial furent intégralement portées par mes hauts dignitaires à la connaissance de tes ministres-envoyés.
Le 7, jour fixé pour me contempler en audience, tes envoyés étant déjà parvenus aux portes du palais et j’allais prendre place dans la salle du trône, lorsque ton premier envoyé déclara qu’une maladie soudaine ne lui permettait ni de remuer ni de marcher. Je considérai qu’il était possible que le premier envoyé eût été prit d’un mal subit, aussi prescrivis-je de ne faire entrer en ma présence que les seconds envoyés. Cependant, les seconds envoyés déclarèrent aussi qu’ils étaient souffrants. L’impolitesse fut donc sans égale. Je ne les réprimandai pas sévèrement et les fis partir le jour même, pour retourner dans leur pays. Tes envoyés n’ayant pas paru en ma présence, il n’y avait pas lieu non plus que ton placet me fût remis et il a été remporté par tes envoyés. Cependant, ayant présent à la pensée que toi, roi, tu m’avais adressé ce placet et des offrandes à plusieurs milliers de lieues de distance, et que si tes envoyés avaient agi d’un façon irrespectueuse pour me transmettre l’expression de tes sentiments, la faute en était à tes envoyés, j’ai bien discerné que tu avais, toi, roi, un cœur respectueux et de bonne volonté.
Aussi ai-je reçu et accepté parmi tes objets envoyés en tribut des cartes géographiques, des tableaux, des paysages et des portraits. Je loue ton cœur sincère : cela équivaut à tout accepter. (…) La Cour céleste ne tient pas pour précieux les objets venus de loin, et toutes les choses curieuses et ingénieuses de ton royaume ne peuvent non plus être considérées comme ayant une rare valeur. Toi, maintiens la condorde parmi ton peuple, veille à la sécurité de ton territoire, sans te relâcher en rien de ce qui est éloigné ou proche. Voilà, en vérité, ce que je louerai.
A l’avenir, point ne sera besoin de commettre des envoyés pour venir aussi loin prendre la peine inutile de voyager par terre et par mer. Sache seulement montrer le fond de ton cœur et t’étudier à la bonne volonté, et on pourra dire alors, sans qu’il soit nécessaire que tu envoies annuellement des représentants à ma Cour, que tu marches vers la transformation civilisatrice. C’est afin que tu y obéisses longtemps que je t’adresse cet Ordre Impérial.»
Traduction française reprise de J. Chesnaux et M. Bastid, La Chine, vol. I, pp. 52-53.1 Il s’agit des vaines démarches de Lord Macartney, envoyé britannique à Pékin (1793).2 Cette seconde mission était dirigée par Lord Amherst, et échoua comme la précédente.
La cour impériale a envoyé Lin Zexu réprimer le commerce de l’opium à Canton, faisant tort aux marchands anglais, ce qui va déclencher la « Guerre de l’opium ».
« (…) Les lois interdisant la consommation de l’opium sont maintenant si sévères en Chine que si vous continuez à le fabriquer, vous découvrirez que personne ne l’achètera et qu’aucune fortune ne se fera par l’opium. (…) Tout l’opium qui est découvert en Chine est jeté dans l’huile bouillante et détruit. Tout bateau étranger qui, à l’avenir, viendra avec de l’opium à son bord, sera mis à feu, et tous les autres biens qu’il transportera seront inévitablement brûlés en même temps. Alors, non seulement vous ne parviendrez pas à tirer quelque profit de nous, mais vous vous ruinerez dans l’affaire. Ayant voulu nuire à autrui, vous serez la première à en souffrir. Notre Cour Céleste n’aurait pas gagné l’allégeance d’innombrables pays si elle n’exerçait un pouvoir surhumain. Ne dites pas que vous n’avez pas été avertie à temps. À la réception de cette lettre, Votre Majesté sera assez bonne pour me faire savoir immédiatement les mesures qui auront été prises (…). »
Lettre du commissaire impérial extraordinaire Lin Zexu à la reine Victoria, 1839.
texte presque complet de cette lettre
« La voie du Ciel est l’équité envers tous : elle ne supporte pas que nous fassions du mal aux autres pour notre bénéfice. Sur ce point, tous les hommes sont semblables dans le monde entier : ils chérissent la vie et haïssent ce qui met la vie en danger. Votre pays se trouve à vingt mille lieues ; mais malgré cela, la Voie du Ciel s’applique pour vous comme pour nous, et vos instincts ne sont pas différents des nôtres ; car nulle part les hommes ne sont assez aveugles pour ne pas distinguer entre ce qui apporte la vie et ce qui apporte la mort, entre ce qui est avantageux et ce qui est préjudiciable. Notre Cour Céleste traite tous ceux qui vivent entre les quatre mers comme les membres d’une grande famille. La bonté de notre grand Empereur est comme le Ciel, qui couvre toutes choses. Il n’est pas une région si sauvage ou si éloignée qu’il ne chérisse et ne garde. Toujours depuis que le port de Canton a été ouvert [ouvert au commerce britannique, au milieu du XVIIIe siècle], le commerce a prospéré. Depuis quelque cent vingt ou trente ans, les natifs de l’endroit ont joui de relations pacifiques et profitables avec les bateaux qui viennent de l’étranger. La rhubarbe, le thé, la soie sont tous des produits de valeur de notre pays sans lesquels les étrangers ne pourraient pas vivre. La Cour Céleste, étendant sa bienveillance à tous pareillement, autorise leur vente et leur transport à travers les mers, sans les regretter même pour des empires éloignés, sa bonté égalant la bonté du Ciel et de la Terre.
Mais il y a une catégorie d’étrangers malfaisants qui font de l’opium et l’apportent pour le vendre, incitant les sots à se détruire eux-mêmes, simplement en vue d’en retirer du profit. Auparavant le nombre des fumeurs d’opium était petit ; mais maintenant ce vice s’est répandu partout, et le poison a pénétré de plus en plus profondément. S’il est des gens stupides pour céder à ce besoin à leur propre détriment, c’est eux qui ont causé leur propre perte, et dans un pays aussi peuplé et florissant, nous pouvons nous passer d’eux. Mais notre grand Empire Mandchou unifié se considère responsable des habitudes et des mœurs de ses sujets et ne peut rester satisfait en les voyant victimes d’un poison mortel. Pour cette raison, nous avons décidé d’infliger des peines sévères aux marchands d’opium et aux fumeurs d’opium afin de mettre un terme définitif à la propagation de ce vice. Il semble que cette marchandise empoisonnée est manufacturée par certaines diaboliques personnes dans des endroits soumis à votre loi. Naturellement ce n’est pas selon vos ordres qu’elle est faite ou vendue. Ce n’est pas non plus tous les pays sur lesquels vous régnez qui la produisent, mais seulement quelques-uns d’entre eux. On me dit que dans votre pays il est interdit, sous peines sévères, de fumer de l’opium. Cela signifie que vous n’ignorez pas à quel point cette action est nocive. Mais plutôt que d’interdire la consommation de l’opium, il vaudrait mieux en interdire la vente, ou mieux encore, en interdire la production, ce qui est le seul moyen de purifier la contamination à sa source. Aussi longtemps que vous ne prendrez pas cette mesure vous-même, mais continuerez à faire de l’opium et à inciter le peuple de Chine à l’acheter, vous vous montrerez soucieuse de la vie de vos propres sujets et insouciantes pour la vie des autres hommes, indifférente au mal que vous faites aux autres dans votre avidité pour le gain. Une telle conduite répugne au sentiment humain et est en désaccord avec la Voie du Ciel…
Les lois interdisant la consommation de l’opium sont maintenant si sévères en Chine que si vous continuez à le fabriquer vous découvrirez que personne ne l’achètera et qu’aucune fortune ne se fera par l’opium. Plutôt que de gaspiller vos efforts dans une entreprise désespérée, ne vaudrait-il pas mieux projeter quelque autre forme de commerce ? Tout l’opium qui est découvert en Chine est jeté dans l’huile bouillante et détruit. Tout bateau étranger qui, à l’avenir, viendra avec de l’opium à son bord, sera mis à feu, et tous les autres biens qu’il transportera seront inévitablement brûlés en même temps. Alors, non seulement vous ne parviendrez à tirer quelque profit de nous, mais vous vous ruinerez dans l’affaire. Ayant voulu nuire à autrui, vous serez la permière à en souffrir. Notre Cour Céleste n’aurait pas gagné l’allégeance d’innombrables pays si elle n’exerçait un pouvoir surhumain. Ne dites pas que vous n’avez pas été avertie à temps. A la réception de cette lettre, Votre Majesté sera assez bonne pour me faire savoir immédiatement les mesure qui auront été prises dans chacun de ses ports.»
Tiré de J. Chesneaux et M. Bastid, La Chine, vol. I, pp. 70-71.
Première guerre de l’Opium
« (…) À la Chambre des communes, deux camps s’affrontaient à propos de la politique adoptée par le gouvernement de Sa Majesté. Le premier demandait à la Couronne un dédommagement de deux millions de livres sterling pour les vingt mille caisses d’opium effectivement livrées par le capitaine Elliot à Lin tse-hsu, tandis que le second, plus radical, et conduit par William Jardine, réclamait une intervention militaire ayant pour effet d’impressionner l’empereur en le dissuadant de toute autre sanction contre l’Angleterre. Il alla de soi que le contribuable britannique n’avait aucune envie de payer les déboires financiers d’une bande de contrebandiers ; quand au parti des va-t’en-guerre, il soutenait que la Royal Navy n’aurait pas besoin de tirer un seul coup de canon et que l’étalage de sa puissance suffirait à faire indemniser les maisons de commerce par les Chinois eux-mêmes.
Dans les discussions internationales, écrit André Maurois, l’argument habituel de lord Palmerston était la menace de la flotte britannique. Seize navires de guerre portant chacun cinq cent quarante canons, quatre steamers et vingt-huit transports de troupes seront finalement mis à la disposition de la « défense du commerce d’outre-mer » au printemps 1840. Forte de quatre mille soldats, cette armée s’ébranlera pour « obtenir l’indemnité requise » et contraindre la Chine à libéralisé l’accès des ports de Canton, Amoy, Fuzhou, Ningpo et Shanghai. Dans la foulée, on demandera la libération totale du commerce et la disparition des Hong. Certains parlementaires britanniques avaient craint jadis que les menaces de Palmerston conduisent une jour le pays à la guerre, note André Maurois dans son Histoire d’Angleterre, mais il enchantait l’Anglais moyen qui voyait son pavillon respecté sans combat. De fait, il ne sera pas question de « guerre » avant plusieurs années et lorsque les bâtiments britanniques entreront à Macao le 21 juin 1840, le commandement de la flotte n’aura pas pour mission de faire usage de sa puissance de feu. Intimider le commissaire Lin à Canton, imposer la présence de l’Union Jack à l’embouchure du fleuve Jaune et contrôler le commerce du Yang-tsé de manière à paralyser les échanges de la Chine avec l’extérieur : tels étaient les ordres émis pas lors Palmerstone, ministre des Affaires étrangères de lord Melbourne. (…) »
JAEGER Gérard A., Hong Kong : Chronique d’une île sous influence. France : Éditions du Félin, 1997. 375p. (citation p. 106)
Édit céleste de 1853.
« Nous estimons que le monde appartient à la Chine et non aux Tartares (…). Il est regrettable que la dynastie Ming ait manqué à ses devoirs en tant que chef ; les Mandchous ont profité du chaos, profané la Chine, volé le territoire de la Chine, violé et maltraité ses filles et ses garçons (…). Heureusement, les doctrines célestes ont triomphé et la Chine a des espoirs de se relever. Pendant que les esprits des gens cherchent un remède, il y a des signes certains de l’annihilation des Tartares (…).
Les péchés des Tartares sont à leur comble. Le Ciel Auguste a perdu patience et a commandé à notre Roi Céleste de montrer respectueusement la grandeur du Ciel en levant la bannière de la droiture, en faisant disparaître les mauvais démons, en nettoyant totalement la Chine et en exécutant respectueusement la punition du Ciel (…).
Nous levons l’armée de la droiture en vue d’assouvir la vengeance du Dieu là-haut sur ceux qui ont trompé le Ciel, et de libérer les masses en bas pour l’amour de la Chine. Nous devons nettoyer toutes traces des Tartares et jouir ensemble de la joie de la Paix universelle. Ceux qui obéissent au Ciel seront largement récompensés, mais ceux qui s’opposent au Ciel mourront d’une mort frappante. (…) »
Nankin est assiégée par les Taiping
« (…) La vie de communauté est vraiment représentée à Nankin dans sa plus expressive physionomie et la plus large acception du mot, mais sans le moindre détriment pour les mœurs ; bien loin de là, l’attentat aux mœurs, comme le pillage, est irrémissiblement puni de mort (…).
Les principaux chefs sont sans doute jaloux de conserver une hiérarchie et de la faire respecter. Le canon annonce toujours leur départ ou leur arrivée (…), néanmoins nous avons vu non seulement les chefs secondaires, mais même le simple peuple les approcher en toute liberté.
On ne saurait le nier, il y a quelque chose, dans leurs rapports mutuels, qui justifie le nom de frères que les gens du Guangxi se donnent entre eux. Il y a encore maintenant un air de famille. Ainsi toutes les habitations sont du domaine commun : les vivres, les vêtements ont été déposés dans des magasins publics : l’or, l’argent et les matières précieuses, portés au trésor public. On ne peut plus rien vendre ni rien acheter ; l’argent, de fait, serait inutile entre les mains des particuliers. (…) C’est aux chefs de pourvoir aux différentes nécessités de leurs subordonnées. Et c’est vraiment chose digne d’admiration, qu’une population que l’invasion a fait monter à plus d’un million, puisse être ainsi périodiquement nourrie et vêtue, comme nous l’avons vu de nos yeux ; et cela au milieu d’une guerre civile, et en face d’un campement ennemi qui assiège la ville. (…) »
Lettre du R.P. Stanislas Clavelin, 1853.
Seconde guerre de l’Opium
Convention ENTRE LA FRANCE ET LA CHINEDépêche du baron Gros à S. Exc. le ministre des affaires étrangères.
« Pékin, 26 octobre 1860
Monsieur le ministre,
Je m’empresse de vous faire une copie de la convention que j’ai signée hier avec le prince Kong, frère de l’Empereur, et je vous envoie aussi une copie du procès verbal de l’échange des ratifications du traité de Tien Tsin, échange qui a eu lieu dans la même séance.
(…)
Sa Majesté l’empereur des Français, le sieur Jean-Baptiste-Louis baron Gros, sénateur de l’empire, ambassadeur et haut commissaire de France en Chine, grand officier de l’ordre impérial de la Légion d’honneur, chevalier grand-croix de plusieurs ordre, etc., etc., et Sa Majesté l’empereur de la Chine, le prince Kong, membre de la famille impériale et haut commissaire.
Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :
Art.1er. Sa Majesté, l’empereur de la Chine a vu avec peine la conduite que les autorités
Militaires chinoises ont tenue à l’embouchure de la rivière de Tien-Tsin, dans le mois de juin de l’année dernière, au moment où les ministres plénipotentiaires de France et d’Angleterre s’y présentoient (sic) pour se rendre à Pékin afin d’y procéder à l’échange des ratifications des traités de Tien Tsin.
Art. 2. Lorsque l’ambassadeur haut commissaire de Sa Majesté l’empereur des Français se trouvera à Pékin (…) il sera traité (…) avec les honneurs dus à son rang.
(…)
Art.7. (…)
Les commandants en chef des forces françaises auront cependant le droit de faire hiverner leurs troupes de toutes armes à Tien-Tsin, s’ils jugent convenable, et de ne les en retirer qu’au moment où les indemnités dues par le gouvernement chinois auroient (sic) été entièrement payées. (…)
Art. 8. (…) Le gouvernement français pourra, s’il juge convenable, y laisser des trouvpes jusqu’au moment où la somme totale de 8 millions de taëls sera payée en entier.
(…)
La présente convention de paix a été faite à Pékin en quatre expéditions le vingt cinq octobre mil huit cent soixante, et y a été signée par les plénipotentiaires respectifs, qui y ont apposé le sceau de leurs armes.
(L.S) Signé : Baron GROS.
(L.S) Signé : Prince DE KONG.
Pour copie conforme :
Signé : Barons GROS. »
Tiré de Histoire et Littérature, journal historique du mois de mai 1860. 1er mai 1860, pp.488-492.
Pillage du Palais d’été
réaction de Victor Hugo : lettre de Victor Hugo au capitaine Butler
« Hauteville House, 25 novembre 1861
Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.
Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :
ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée qui produit l’art européen, et la Chimère qui produit l’art oriental. Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas, comme le Parthénon, une oeuvre rare et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.
Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d’été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’oeuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe.
Cette merveille a disparu.
Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l’orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’oeuvre d’art, il y avait un entassement d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.
Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.
Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.
L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été.
J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.
En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.
Telle est, monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.
Victor Hugo »
extrait de Le Monde diplomatique, octobre 2004
http://www.monde-diplomatique.fr/2004/10/HUGO/11563
idem plus court
« Un écrivain d’Occident – exilé qui fuyait un autre Empire – comprit, au moment où l’Europe pavoisait, que ce fait d’armes était le signe terrible d’une offense à la civilisation :
« Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde : cette merveille s’appelait le Palais d’Été. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là… Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêve des mille et une nuit, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine. (…)
« Il avait fallu, pour le créer, le lent travail des générations. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Égypte, le Colisée à Rome, le Palais d’été en Orient (…).
« Cette merveille a disparu.
« Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin*, ébauché au Parthénon, on l’a fait au Palais d’Été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée d’Orient. Grand exploit, bonne aubaine ! L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, l’autre ses coffres : et l’on est revenu en Europe, bras dessus bras dessous en riant.
« Nous Européens, nous sommes les civilisés, et, pour nous, les Chinois sont les Barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie.
« Devant l’Histoire, l’un des deux bandit s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste !
« L’Empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’Été. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.
« En attendant, il y a un vol et deux voleurs.
« Je le constate.
« Telle est, Monsieur la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine. »
Cette lettre méconnue est signée : Victor Hugo. »
» *Elgin (James Bruce, 8e compte d’) n’était autre que le fils de l’ambassadeur britannique en Turquie qui conçut puis réalisa le projet de piller les trésors qu’il avait découvert dans les ruines d’Athènes, à commencer par la frise du parthénon. »
Alain Peyrefitte, L’empire immobile ou le choc des mondes. Paris : Fayard, 1989. 552 p. (extrait des pages 455-456)
La misère des paysans : souvenirs du maréchal Zhu De
« (…) Comme toutes les familles paysannes, les Zhu formaient une unité économique, organisée pour travailler durement et dans la discipline afin de se protéger de la famine.
Grand-mère Zhu organisait et dirigeait l’économie de la maison. Elle attribuait sa tâche à chaque membre de la famille, aux hommes les gros travaux des champs, aux femmes et aux enfants les travaux des champs les moins pénibles et les besognes ménagères. (…) Tous les repas se déroulaient de façon identique d’un bout de l’année à l’autre. Les hommes mangeaient ensemble selon la coutume ; venait ensuite le tour des femmes et des enfants. Les Zhu étaient trop pauvres pour manger du riz, autrement qu’en de rares occasions. (…)
La grand-mère ne se contentait pas de répartir le travail, elle attribuait aussi les rations en fonction de l’âge et du travail effectué. Même à table, la liberté individuelle était chose inconnue et on restait toujours sur sa faim. (…)
Cet hiver-là [1893], il y avait eu un peu de neige, mais il n’avait pas plu, et la récolte d’hiver avait été maigre. Au printemps, on manqua aussi de pluie. (…) Pendant toute l’année, tous les membres de la famille Zhu portèrent de l’eau à leurs pièces de kaoliang [variété de sorgho] et de légumes et Grand-Mère Zhu rationna la nourriture jusqu’à deux maigres repas par jour (…). Dans les villes, les marchands spéculaient sur le riz au point que les gens durent pour en obtenir troquer leurs outils, leur bétail, leurs vêtements, leurs meubles et, en dernier ressort, leurs filles (…).
La nuit, les hommes de la famille Zhu montaient la garde à tour de rôle pour protéger leurs récoltes. À l’automne, ils récoltèrent leur kaoliang, leurs courges et leurs navets, pendant que les enfants récoltaient dans les montagnes des plantes sauvages et des herbes. (…)
L’été suivant [1894], la sécheresse fut la même. (…) Des paysans se levaient la nuit pour lancer des invectives contre les cieux impitoyables ou la lune indifférente. Un jour du début de l’été (…), un nuage de poussière s’éleva sur la Grand-Route. De ce nuage émergea bientôt une masse de squelettes humains. Il y avait des hommes avec les armes les plus diverses et des femmes aux pieds bandés qui portaient des bébés sur leur dos. Puis venaient des enfants nus au ventre énorme, aux yeux creusés et rouges, qui se traînaient, épuisés. (…) L’avalanche des affamés déferlait sur la route. Certains s’écartaient du courant et venaient dans la cour des Zhu : « Venez manger chez les gros ! » Grand-Père et Grand-Mère Zhu retinrent leurs fils (…).
Le général Zhu ne parvenait pas à se rappeler comment les siens avaient pu vivre pendant cet été terrible. Il se rappelait cependant que de temps à autre quelqu’un apportait des vivres au cours de la nuit. Son père et le plus jeune de ses oncles disparaissaient parfois pour plusieurs jours. Il savait qu’en de telles occasions, des paysans se faisaient bandits et allaient très loin effectuer des razzias. Il était toutefois incapable de dire si cela avait été le cas pour les hommes de sa famille (…). »
Souvenirs du maréchal Zhu De (1886-1976) mis en forme par Agnès SMEDLEY, La Longue marche. Mémoires du général Zhu De. Paris, Richelieu, 1969, vol. 1.
Contre les sciences étrangères
« (…) L’astronomie et les mathématiques sont d’une utilité fort mince, et si elles sont enseignées par des Occidentaux dans les programmes réguliers des études, le dommage sera fort considérable. (…) De l’antiquité à nos jours, on n’a jamais ouï dire de quelqu’un qui à l’aide des mathématiques ait pu relever le pays lorsqu’il se trouvait en déclin, et réparer ses faiblesses. (…) S’il est nécessaire d’enseigner l’astronomie et les mathématiques, en cherchant bien, on trouvera sûrement des gens qui maîtrisent ces techniques. Pourquoi n’y aurait-il que les barbares ? Et pourquoi faudrait-il prendre les barbares pour maîtres ?
Bien plus, les barbares sont nos ennemis. En 1860, ils ont pris les armes et se sont rebellés contre nous. Notre capitale et sa banlieue furent envahies. Nos autels furent ébranlés. Notre Palais impérial fut incendié. Nos fonctionnaires et notre peuple furent tués ou blessés. Durant les deux siècles de notre dynastie, nous n’avions jamais subi un tel outrage. Tous les lettrés et les fonctionnaires en ont été cruellement affligés, et aujourd’hui encore gardent leur rancune. (…) L’Empire a déjà souffert du fait des barbares. Allons-nous étendre leur influence, souffler sur la flamme ? (…) Je crains que ce que l’on va étudier ne le puisse être à fond, et jette cependant le doute dans l’esprit des lettrés ; cela irait exactement dans le sens des machinations étrangères. (…) »
Lettre de Wo-Ren [principal ministre de l’empereur] contre l’introduction de l’enseignement des sciences à l’École des langues étrangères de Pékin, 1867.
La révolte des Boxers
Voici un texte affiché en guise de proclamation, en 1899, par un groupe des Boxeurs.
« Pendant le règne de l’empereur Xian-feng (1851-1860), l’Église catholique et les Occidentaux complotaient ensemble contre la Chine. Ils dilapidaient l’argent de notre pays, démolissaient nos temples et les effigies des Bouddhas, occupaient, pour y enterrer leurs familles, les terres appartenant au peuple : des milliers d’hommes les haïssaient. Les arbres fruitiers et les bourgeons eux-mêmes subissaient chaque année des fléaux : insectes ou sécheresse. La nation était troublée, le peuple inquiet et la colère était parvenue jusqu’au ciel.
« Rendons grâce aujourd’hui à la miséricorde du Grand Seigneur des Cieux qui envoie les dieux sur nos autels afin d’apprendre à nos frères la boxe divine qui nous aidera à «renforcer la dynastie Qing, anéantir la puissance occidentale et rendre la justice du Ciel». En nous efforçant d’aider la patrie, nous consolidons notre communauté et protégeons notre peuple dans les champs ou les villages. Au sommet de la crise, il y a là un signe annonciateur de bonheur.
« Mais nous redoutons les imbéciles et les scélérats qui profiteraient de notre influence pour agir sans scrupule et opprimer les faibles avec l’aide des puissants. C’est pourquoi nous demandons aux chefs des villages et aux dirigeants des Corps de Boxeurs de rendre la justice selon la loi et de ne pas rechercher un profit personnel. S’ils se laissaient corrompre, ils seraient frappés par le regard foudroyant des dieux, condamnés sans partialité ni pitié selon la gravité du cas.
« La croyance en une religion étrangère et l’usage de la sorcellerie ont excité la colère du Ciel qui envoie les saints sur terre pour enseigner la boxe Yi-he à nos frères. Yi signifie la justice et He, la concorde. Avec la justice et la concorde, l’harmonie et l’entente régneront dans les villages. La vertu est notre principe, l’agriculture notre métier; nous obéissons au bouddhisme. Nous n’admettons pas les vengeances personnelles, au nom de la justice commune, l’oppression des pauvres par les riches, l’humiliation des faibles par les puissants et l’inversion du vrai et du faux.»
Texte chinois dans Yang Song, Zhong-guo jin-dai shi zi-liao (recueil de matériaux d’histoire moderne chinoise), Pékin, 1954, pp. 506-507, cité par Jean CHESNEAUX, L’Asie Orientale aux XIX et XX siècles, Paris: Presses Universitaires de France, 1966, 371 p. (citation pp. 295-296)
Dernière lettre de Léon-Ignace Mangin (prêtre missionnaire jésuite français) à sa famille
« Tchou-kia-ho, 28 juin 1900
Les événements qui se passent ici sont bien faits pour vous alarmer, aussi ne veux-je pas chercher à vous les dissimuler.
Le télégraphe a dû vous annoncer le massacre de deux de nos Pères à Ou-i, à 6 heures d’ici. Tout le Nord de la Mission est à feu et à sang ; chaque jour arrivent de malheureux fugitifs dont on a brûlé les maisons ; les morts sont nombreux et combien de disparus !
Si les secours humains nous manquent, il nous reste Dieu et notre confiance en Lui. Nous sommes venus ici pour sa cause : nos établissements, toutes nos oeuvres n’existent que pour le faire connaître et servir ce peuple. Permettra-t-il la perte de tant d’hommes et de tant de travaux ? Si oui, nous le bénirons quand même. Et ceux d’entre nous qui échapperont à la ruine ou ceux qui viendront nous remplacer, recommenceront avec le même courage et la même confiance en Dieu.
Dans ce village, outre les cinq chrétiens qui l’habitent, nous avons au moins trois cents réfugiés. Nous faisons un rempart ; on achète force vivres, poudre et autres munitions en vue d’une attaque qui, humainement, ne peut ne pas avoir lieu. Nous nous défendrons tant que nous pourrons ; si Dieu ne nous donne pas la victoire, nous finirons massacrés ou brûlés jusqu’au dernier. Que la volonté de Dieu soit faite ! Je fais le sacrifice de ma vie pour le salut des âmes et le bien de toute ma famille. Si vous apprenez ma mort, priez pour moi et remerciez Dieu du choix qu’il aura daigné faire de notre famille pour lui demander ce sacrifice.
Mes bien aimés frères et soeurs, je vous remercie de l’affection que vous m’avez toujours témoignée. Je vous demande pardon des peines que j’ai pu vous causer. Quoi qu’il vous arrive, demeurez bons et fidèles chrétiens, dignes de nos bien-aimés parents.
Je vous dis adieu, vous embrassant tous de tout mon coeur et vous bénissant tous au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Fiat !
Tout vôtre en Notre-Seigneur,
Léon-Ignace MANGIN, s.j. »
Repris de http://www.jesuites.com/histoire/chine/mangin2.htm
Difficile Réforme
« (…) Nous avons aujourd’hui reçu les ordres de Sa Majesté et appris qu’Elle est maintenant tout à fait acquise à une réforme radicale. (…)
Le principal défaut de notre système administratif est sans aucun doute sa trop grande fidélité à des méthodes périmées et le rôle prépondérant qu’y joue le document écrit. La conséquence en est la pléthore de rapports et des fonctionnaires inefficaces, alors qu’on manque déplorablement de véritables hommes de talent (…). La corruption est responsable de l’état fâcheux de toute notre administration et dans notre empire les premiers efforts de modernisation ont été paralysés par le mot fatal : précédent. (…)
Sans considérer nos besoins réels, Nous n’avons fait jusqu’ici à l’Europe que des emprunts superficiels ; mais quel espoir pouvons-nous avoir de progresser selon cette méthode ? Toute réforme pour être efficace et permanente doit se poursuivre dans un réel désir de réalisation et d’honnêteté.
C’est pourquoi par le présent édit, Nous décrétons et ordonnons que les fonctionnaires intéressés mènent des enquêtes précises et comparent les différents systèmes de gouvernement pratiqués dans les pays d’Europe en s’attachant particulièrement à en étudier les aspects qui peuvent se retrouver dans la Chine actuelle : non seulement les institutions monarchiques et l’organisation du pouvoir central, mais encore tout ce qui contribue à la prospérité de nos sujets : système d’examen et d’éducation, agencement des armées, gestion des finances. Les fonctionnaires, dans leurs rapports, devront indiquer les transformations qu’ils trouvent souhaitables, désigner les institutions à abolir, les méthodes étrangères à adopter, les institutions chinoises existantes à préserver. Nous avons par dessus tout besoin d’un flux constant de talents, d’une saine gestion des finances nationales et d’une armée efficace. (…) »
Décret de Sian, 8 janvier 1901.
La Faute aux Mandchous
Pour les nationalistes chinois, la déchéance de la Chine est due avant tout à l’incapacité des Mandchous.
« (…) Avant l’usurpation du trône par les Mandchous, notre pays était ouvert au commerce étranger et la tolérance religieuse régnait, comme en témoignent les écrits de Marco Polo et l’inscription de la tablette nestorienne de [X’]ian.
Aveuglés par l’ignorance et l’égoïsme, les Mandchous fermèrent le pays aux contacts extérieurs et plongèrent le peuple chinois dans un obscurantisme destiné à étouffer ses talents et ses capacités naturels (…). Mais par leur désir de perpétuer leur joug sur les Chinois et de s’enrichir, les Mandchous gouvernèrent le pays pour le malheur durable de notre peuple et à son détriment. (…)
Ils ont (…) limité aux ports ouverts le commerce avec les étrangers (…) et paralysé le trafic intérieur.
Ils ont retardé la création d’entreprises industrielles, rendu impossible le développement des ressources naturelles et volontairement négligé de sauvegarder les intérêts acquis. (…)
Ils ont fermé les yeux sur la corruption des fonctionnaires, vendu les postes aux plus offrants et fait passer le jeu des influences avant le mérite. (…)
Ils n’ont pas su mettre à profit les leçons douloureuses que les Puissances étrangères nous ont enseignées au cours des ans et ils se sont exposés et ont exposé notre peuple au mépris du monde. (…) »
Manifeste de la République de Chine à toutes les nations amies, Nankin, 5 janvier 1912.
Textes sur [->5210], et [->5228]