En avril 1962, un avion espion américain photographie des rampes de lancement de missiles en train d’être installées à Cuba, ce qui déclenche la crise de cuba, l’une des plus graves de la guerre froide.

Le 4 septembre 1962, le président John F. Kennedy déclare que les Etats-Unis ne pourront tolérer que Cuba se transforme en « base militaire offensive ».

Le 14 octobre, la Maison-Blanche apprend que des missiles balistiques soviétiques seraient arrivés sur l’île de Cuba.

Les USA avaient alors 3 fois plus de missiles et 5 fois plus de bombardiers à long rayon d’action que l’URSS.


Début de la crise de Cuba : extraits traduits du discours télévisé du président Kennedy, le 22 octobre 1962.

Dans cette émission, Kennedy déclare que son pays met Cuba en « quarantaine navale ».

« Bonsoir mes compatriotes,

Fidèle à sa promesse, le gouvernement a continué de surveiller de très près les préparatifs militaires soviétiques à Cuba. Au cours de la dernière semaine, nous avons eu des preuves incontestables de la construction de plusieurs bases de fusées dans cette île opprimée. Ces sites de lancement ne peuvent avoir qu’un but : la constitution d’un potentiel nucléaire dirigé contre l’hémisphère occidental. (…)

Les caractéristiques de ces nouvelles rampes de lancement pour missiles se rapportent à deux types d’installations distincts. Plusieurs de ces bases sont dotées de missiles balistiques de portée moyenne, capables de transporter une tête atomique à quelque deux mille kilomètres. Ce qui signifie que chacune de ces fusées peut atteindre Washington, le canal de Panama, cap Canaveral, Mexico ou tout autre ville située dans le sud-est des Etats-Unis, en Amérique centrale ou dans la région des Caraïbes.

D’autres bases en cours d’achèvement paraissent destinées à recevoir des missiles à portée dite intermédiaire capables de parcourir largement le double de cette distance, donc d’atteindre la plupart de nos grandes villes de l’hémisphère occidental, du nord de la baie d’Hudson au Canada jusqu’à une ville aussi méridionale que Lima, au Pérou. En outre, des bombardiers à réaction, qui peuvent transporter des armes nucléaires, sont en voie d’assemblage à Cuba, tandis que l’on y prépare des bases aériennes adéquates.

Cette transformation précipitée de Cuba en importante base stratégique, par suite de la présence de ces puissantes armes offensives à long rayon d’action et qui ont des effets de destruction massive, constitue une menace précise à la paix et à la sécurité de toutes les Amériques. Elles font délibérément fi, et d’une façon flagrante, du pacte de Rio de 1947, des traditions de cette nation et de cet hémisphère, de la résolution conjointe prise par le 87e congrès, de la charte des Nations unies et de mes propres mises en garde publiques aux Soviétiques les 4 et 13 septembre.

Cette action est également en contradiction avec les assurances réitérées données par les porte-paroles soviétiques, tant en public qu’en privé, selon lesquelles l’installation d’armements à Cuba ne revêtirait que le caractère défensif prévu à l’origine, et que l’Union soviétique n’a aucun besoin, ni aucun désir d’installer des missiles stratégiques sur le sol d’une autre nation.

L’ampleur de cette entreprise prouve clairement qu’elle a été mise au point depuis plusieurs mois. Cependant, le mois dernier encore, à peine avais-je fait la distinction entre l’installation éventuelle de missiles terre-terre et l’existence de missiles anti-aériens défensifs, le gouvernement soviétique avait déclaré publiquement le 11 septembre que « l’armement et l’équipement militaire expédiés à Cuba sont exclusivement destinés à des fins défensives », que « l’Union soviétique n’a aucun besoin de transférer ses armes, en vue de représailles contre un pays, dans un pays comme Cuba par exemple », et que « l’Union soviétique dispose de fusées tellement puissantes, capables de porter ses ogives nucléaires, qu’il est absolument inutile de rechercher des bases de lancement en dehors du territoire soviétique ». Cette déclaration était fausse.

Jeudi dernier encore, alors que je disposais de preuves irréfutables de l’accélération de ce dispositif offensif, le ministre soviétique des Affaires étrangères, M. Gromyko, me déclarait dans mon bureau qu’il avait reçu instruction d’affirmer une fois de plus comme, disait-il, son gouvernement l’avait déjà fait, que l’aide soviétique à Cuba « n’avait pour seul but que de contribuer aux moyens de défense de Cuba », que « l’entraînement par des spécialistes soviétiques des nationaux cubains dans le maniement d’armements défensifs ne revêtait aucun caractère offensif « , et que « s’il en était autrement le gouvernement soviétique ne se serait jamais laissé entraîner à prêter une telle assistance ». Cette déclaration était également fausse.

Ni les Etats-Unis d’Amérique ni la communauté mondiale des nations ne peuvent tolérer une duperie délibérée et des menaces offensives de la part d’une quelconque puissance, petite ou grande. Nous ne vivons plus dans un monde où seule la mise à feu d’armes constitue une provocation suffisante envers la sécurité d’une nation et constitue un péril maximum. Les armes nucléaires sont tellement destructrices, et les engins balistiques sont tellement rapides, que tout accroissement substantiel dans les moyens de les utiliser, ou que tout changement subit de leur emplacement peut parfaitement être considéré comme une menace précise à la paix.

Durant plusieurs années, l’Union soviétique, de même que les Etats-Unis – conscients de ce fait – ont installé leurs armements nucléaires stratégiques avec grand soin, de façon à ne jamais mettre en danger le statu quo précaire qui garantissait que ces armements ne seraient pas utilisés autrement qu’en cas de provocation mettant notre vie en jeu. Nos propres missiles stratégiques n’ont jamais été transférés sur le sol d’aucune autre nation sous un voile de mystère et de tromperie, et notre histoire – contrairement à celle des Soviétiques depuis la Deuxième guerre mondiale – a bien prouvé que nous n’avons aucun désir de dominer ou de conquérir aucune autre nation ou d’imposer un système à son peuple. Il n’empêche que les citoyens américains se sont habitués à vivre quotidiennement sous la menace des missiles soviétiques installés sur le territoire de l’URSS ou bien embarqués à bord de sous-marins.

Dans ce contexte les armes qui sont à Cuba ne font qu’aggraver un danger évident et actuel – bien qu’il faille prendre note du fait que les nations d’Amérique latine n’ont jamais jusqu’à présent été soumise à une menace nucléaire en puissance.

Mais cette implantation secrète, rapide et extraordinaire de missiles communistes dans une région bien connue comme ayant un lien particulier et historique avec les Etats-Unis et les pays de l’hémisphère occidental, en violation des assurances soviétiques et au mépris de la politique américaine et de celle de l’hémisphère – cette décision soudaine et clandestine d’implanter pour la première fois des armes stratégiques hors du sol soviétique – constitue une modification délibérément provocatrice et injustifiée du statu quo, qui ne peut être acceptée par notre pays si nous voulons que notre courage et nos engagements soient reconnus comme valables par nos amis comme par nos ennemis.

Les années 30 nous ont enseigné une leçon claire : les menées agressives, si on leur permet de s’intensifier sans contrôle et sans contestation, mènent finalement à la guerre. Notre pays est contre la guerre. Nous sommes également fidèles à notre parole. Notre détermination inébranlable doit donc être d’empêcher l’utilisation de ces missiles contre notre pays ou n’importe quel autre , et d’obtenir leur retrait de l’hémisphère occidental.

Notre politique a été marquée par la patience et la réserve. Nous avons fait en sorte de ne pas nous laisser distraire de nos objectifs principaux par de simples causes d’irritation ou des actions de fanatiques. Mais aujourd’hui il nous faut prendre de nouvelles initiatives – c’est ce que nous faisons et celles-ci ne constitueront peut-être qu’un début. Nous ne risquerons pas prématurément ou sans nécessité le coût d’une guerre nucléaire mondiale dans laquelle même les fruits de la victoire n’auraient dans notre bouche qu’un goût de cendre, mais nous ne nous déroberons pas devant ce risque, à quelque moment que nous ayons à y faire face. (…)

  • Premièrement : Pour empêcher la mise en place d’un dispositif offensif, une stricte »quarantaine » sera appliquée sur tout équipement militaire offensif à destination de Cuba. Tous les bateaux à destination de Cuba, quels que soient leur pavillon ou leur provenance seront interceptés et seront obligés de faire demi-tour s’ils transportent des armes offensives. Si besoin est, cette quarantaine sera appliquée également à d’autres types de marchandises et de navires. Pour le moment cependant, nous ne cherchons pas à priver la population cubaine des produits dont elle a besoin pour vivre, comme les Soviétiques tentèrent de le faire durant le blocus de Berlin en 1948.
  • Deuxièmement : J’ai donné des ordres pour que l’on établisse une surveillance étroite, permanente et plus étroite de Cuba et la mise en place d’un dispositif militaire. (…)
  • Troisièmement : Toute fusée nucléaire lancée à partir de Cuba, contre l’une quelconque des nations de l’hémisphère occidental, sera considérée comme l’équivalent d’une attaque soviétique contre les Etats-Unis, attaque qui entraînerait des représailles massives contre l’Union soviétique.
  • Quatrièmement : Comme précaution militaire impérieuse, j’ai renforcé notre base à Guantanomo (…).
  • Cinquièmement : Nous avons demandé ce soir la convocation immédiate de l’organisme de consultation des Etats américains, afin de prendre en considération cette menace à la sécurité du continent (…). Nos autres alliés de par le monde ont également été prévenus.
  • Sixièmement : Conformément à la Charte des Nations unies, nous demandons ce soir une réunion d’urgence du Conseil de Sécurité afin de répondre à la plus récente menace soviétique à la paix du monde. La résolution que nous nous proposons de soumettre consiste à prévoir le démantèlement rapide et le retrait de toutes les armes offensives de Cuba, sous le contrôle d’observateurs de l’ONU, avant que l’embargo ne puisse être levé.
  • Septièmement et finallement : Je fais appel à M. Khrouchtchev afin qu’il mette fin à cette menace clandestine, irresponsable et provocatrice à la paix du monde et au maintien de relations stables entre nos deux nations. Je lui demande d’abandonner cette politique de domination mondiale et de participer à un effort historique en vue de mettre fin à une périlleuse course aux armements et de transformer l’histoire de l’homme. (…)

Le prix de la liberté est toujours élevé, mais l’Amérique a toujours payé ce prix. Et il est un seul chemin que nous ne suivrons jamais : celui de la capitulation et de la soumission. (…)

Notre but n’est pas la victoire de la force mais la défense du droit. Il n’est pas la paix aux dépens de la liberté, mais la paix et la liberté dans cet hémisphère et, nous l’espérons, dans le monde entier. Avec l’aide de Dieu, nous atteindrons ce but. »

Autres extraits plus courts du même discours.

« … Chacun de ces missiles peut être dirigé sur Washington, sur le canal de Panama, sur Cap Canaveral, sur Mexico ou toute autre ville située dans le sud-est des Etats-Unis, en Amérique Centrale ou dans la région des Caraïbes…

Les années 30 nous ont enseigné une leçon évidente : une conduite agressive, dans la mesure où l’on ne fait rien pour la contrôler ni l’empêcher, mène en fin de compte à la guerre…

J’ai donné des instructions pour que soient prises immédiatement les mesures initiales suivantes :

  • 1…. Une stricte « quarantaine » sera appliquée sur tout l’équipement militaire offensif à destination de Cuba…
  • . J’ai donné des ordres pour que l’on établisse une surveillance étroite, permanente, de Cuba, et la mise en place d’un dispositif militaire…
  • 3. Les Etats-Unis auront pour politique de considérer tout lancement d’un engin nucléaire à partir de Cuba contre une nation quelconque du continent américain comme une attaque de l’Union soviétique contre les Etats-Unis, attaque exigeant une riposte sur une grande échelle contre l’Union soviétique…
  • 4. Nous avons demandé ce soir la convocation immédiate de l’organisme de consultation de l’Organisation des Etats américains…
  • 5. Conformément à la charte des Nations Unies, nous demandons ce soir une réunion d’urgence du Conseil de sécurité…
  • 6. Je fais appel à M. Khrouchtchev afin qu’il mette fin à cette menace… Je lui demande d’abandonner cette politique de domination mondiale et de participer à un effort historique en vue de mettre fin à une périlleuse course aux armements et de transformer l’histoire de l’homme… »

Extraits du discours télévisé de J.F. Kennedy, 22 octobre 1962

Voir le texte anglais original sur http://www.ac-orleans-tours.fr/hist-geo3/sec-euro/Sec-Euro-ter/guerre-froide/guerre-froide3.html

Y Atlas de la guerre froide

Le 23 octobre, toutes les forces américaines dans le monde sont placées en « alerte spéciale. »

Extraits de la déclaration du gouvernement soviétique du 23 octobre 1962.

« Hier soir le président des Etats-Unis, Kennedy, a annoncé qu’il avait donné l’ordre à la flotte navale des Etats-Unis d’arraisonner tous les navires qui se rendent à Cuba, de les soumettre à la visite et de ne pas laisser passer les navires avec des armes qui, selon la définition des autorités américaines, ont un caractère offensif. L’ordre a été également donné de procéder à des observations minutieuses et ininterrompues de Cuba. De cette façon, le gouvernement des Etats-Unis établit en fait le blocus naval de la République de Cuba. En même temps on a procédé au débarquement de nouvelles troupes américaines dans la base américaine de Guantanamo, située sur le territoire de Cuba, et les forces armées des Etats-Unis sont en état d’alerte. Le président des Etats-Unis cherche à justifier ces actions agressives sans précédent par des considérations selon lesquelles Cuba représenterait une menace à la sécurité nationale des Etats-Unis.

Le gouvernement soviétique avait attiré à maintes reprises l’attention des gouvernements de tous les pays et de l’opinion mondiale sur le grave danger que représente pour la cause de la paix la politique appliquée par les Etats-Unis à l’égard de la République cubaine. La déclaration du président américain atteste que rien n’arrête les milieux impérialistes américains dans leurs tentatives d’étouffer un Etat souverain membre de l’Organisation des Nations unies. Ils sont prêts, pour atteindre ce but, à précipiter le monde dans le gouffre d’une catastrophe militaire. Les peuples de tous les pays doivent se représenter clairement qu’en entreprenant cette aventure les Etats-Unis d’Amérique font un pas dans la voie du déclenchement d’une guerre thermonucléaire mondiale. Bafouant impudemment les normes internationales de la conduite des Etats et les principes de la Charte de l’Organisation des Nations unies, les Etats-Unis se sont arrogés le droit, et l’ont proclamé, d’attaquer les navires d’autres Etats en haute mer, c’est-à-dire de se livrer à la piraterie. Les milieux impérialistes des Etats-Unis essaient de dicter à Cuba la politique qu’il doit pratiquer, l’ordre civil qu’il doit établir chez lui et les armes qu’il doit avoir pour sa défense.

Mais qui a donné aux Etats-Unis le droit de décider du sort des autres pays et peuples ? Pourquoi les Cubains doivent-ils décider des affaires intérieures de leur Etat, non pas comme ils l’entendent, mais comme le voudraient les Etats-Unis ? Cuba appartient au peuple cubain et lui seul peut être maître de son sort. Selon la Charte de l’ONU, tous les peuples, grands et petits, ont le droit d’édifier leur vie comme ils l’entendent, de prendre les mesures qu’ils estiment nécessaires pour assurer leur sécurité, de repousser les forces agressives qui attentent à leur liberté et à leur indépendance. Ne pas tenir compte de cela, c’est torpiller les bases mêmes sur lesquelles repose l’ONU. C’est mettre en pratique les lois de la jungle dans la vie internationale, c’est engendrer des conflits et des guerres sans fin.

En cette heure inquiétante, le gouvernement soviétique estime de son devoir de donner un grave avertissement au gouvernement des Etats-Unis, de le mettre en garde pour la grave responsabilité qu’il assume pour les destinées du monde en réalisant les mesures annoncées par le président Kennedy, en menant un jeu insensé avec le feu. »

Le 23 octobre, deux navires soviétiques, en route vers Cuba, rebroussent chemin.
Le 27 octobre, un avion-espion U2 de la CIA est abattu au-dessus de Cuba.


Khrouchtchev dans ses « Souvenirs » présente sa version de la crise de Cuba

« Le président Kennedy, dans un ultimatum, exigea que nous retirions les fusées et les bombardiers amenés à Cuba. Je garde un souvenir très vif de ces journées. Je me rappelle particulièrement cet échange avec Kennedy parce que j’en pris moi-même l’initiative et que, dans la mesure où c’est moi qui envoyais les messages et recevais les réponses, je restai jusqu’au bout au coeur de l’action. Je revendique l’entière responsabilité du contact direct qui s’établit entre le président Kennedy et moi-même au moment le plus crucial et le plus dangereux de la crise.

Ce moment arriva au bout de six ou sept jours, quand notre ambassadeur à Washington, Anatole Dobrynine, nous informa que le frère du président, Robert Kennedy, était venu le trouver officieusement. Le rapport de Dobrynine disait en substance :

Robert Kennedy semblait épuisé. On voyait à ses yeux qu’il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours. Il me dit lui-même qu’il n’avait plus mis les pieds chez lui depuis six jours et six nuits.  » Le président est dans une situation périlleuse, dit Robert Kennedy, et il ne sait comment en sortir. Notre marge de manoeuvre est terriblement réduite. En fait, nous subissons la pression de nos militaires qui veulent employer la force contre Cuba. En ce moment même, le président est sans doute à sa table en train de rédiger un message pour le président Khrouchtchev. Nous vous demandons, M. Dobrynine, de transmettre ce message en dehors des canaux officiels. Le président Kennedy supplie M. Khrouchtchev d’accepter sa proposition et de tenir compte des particularités du système américain. Le président est lui-même tout à fait contre l’idée d’une guerre à propos de Cuba, mais un irréversible enchaînement de circonstances pourrait l’y entraîner contre sa volonté. C’est pourquoi il s’adresse directement à M. Khrouchtchev et lui demande de l’aider à liquider ce conflit. Si la situation reste ce qu’elle est, il n’est pas certain que les militaires ne le renverseront pas pour prendre le pouvoir. L’armée américaine risque d’échapper à notre contrôle. « (…)

Je compris qu’il devenait urgent de reconsidérer notre position.  » Camarades, dis-je, il nous faut trouver un moyen de sortir de ce conflit sans nous humilier. En même temps, bien sûr, nous devons prendre garde à ne pas compromettre la situation de Cuba.  » Une note fut envoyée aux Américains dans laquelle nous nous déclarions prêts à évacuer les fusées et les bombardiers si le président nous donnait l’assurance que Cuba ne ferait l’objet d’aucune invasion de la part des États-Unis ou de tout autre pays. Finalement, Kennedy céda et accepta de faire une déclaration dans laquelle il prenait cet engagement. »

Extrait de « Les mémoires de l’Europe », tome VI, l’Europe moderne, sous la direction de Jean-Pierre Vivet, édition Robert Laffont, Paris, 1973


Deux lettres soviétiques parviennent le 26 octobre à Kennedy. La première parle de retrait si les Américains promettent de ne pas attaquer Cuba. La deuxième est plus intransigeante. Robert Kennedy propose de répondre à la première lettre sans tenir compte de la deuxième.

Extraits de la réponse de Kennedy à Khrouchtchev du 27 octobre 1962 à 1 h. 50.

« J’ai lu votre lettre du 26 octobre avec une grande attention et j’accueille avec satisfaction l’affirmation de votre désir de rechercher une solution rapide au problème. (…)

Telle que je lis votre lettre, les éléments clefs de vos propositions — qui semblent généralement acceptables tels que je les comprends — sont les suivants :

— Vous accepteriez d’éliminer les installations armées à Cuba sous une observation et un contrôle appropriés des Nations unies, et vous vous engageriez avec des sauvegardes convenables à interrompre toute nouvelle entrée de telles armes à Cuba ;

Nous, de notre côté, nous accepterions — après la mise au point d’arrangements convenables par l’intermédiaire des Nations unies — d’assurer la mise en oeuvre et l’application des engagements suivants :

— La levée rapide des mesures de quarantaine actuellement en vigueur, et donner des assurances contre toute invasion de Cuba. J’ai confiance que les autres nations de l’hémisphère occidental seront prêtes à agir de même. (…)

Je voudrais dire que une fois de plus les Etats-Unis sont très désireux de réduire les tensions et d’arrêter la course aux armements. (…)

Mais le premier impératif, laissez-moi le souligner, est la cessation des travaux sur les bases de missiles à Cuba et la prise de mesures destinées à rendre ces armes inopérantes sous des garanties internationales efficaces. La continuation de cette menace, ou la prolongation de cette discussion concernant Cuba, en liant ces problèmes aux questions plus vastes de la sécurité européenne et mondiale, mèneraient certainement à l’aggravation de la crise cubaine et constitueraient un risque sérieux pour la paix du monde. »

Fidel Castro pousse à la confrontation
Extrait du procès verbal de l’intervention de Fidel Castro devant le comité central du parti communiste cubain les 25 et 26 janvier 1968. Il évoque sa lettre à Khrouchtchev du 26 octobre 1962.

Entre [ ] dans le texte = informations complémentaires

« C’était la nuit, (…) je me suis dit alors : je vais faire une lettre à Khrouchtchev pour lui donner du courage. J’ai eu peur que ces gens commettent une erreur historique. (…) Il fallait maintenir notre position avec fermeté et je me suis décidé à écrire une lettre à Nikita, à ce moment-là, pour lui donner du courage et l’exhorter à ce qu’il ne flanche pas (Rires).

(…) Mon opinion était que, en cas d’invasion, il fallait leur envoyer une bordée de missiles nucléaires massive et totale (…). Je ne lui disais pas : mettez-leur en une volée, mais s’ils attaquent, s’il envahissent, c’est une situation tellement dramatique et à laquelle il sera tellement difficile de faire face que l’on ne doit pas perdre de temps à des sottises, ni à donner à l’ennemi le temps de lancer la première frappe.

A ce moment, je lui ai présenté une sorte de condoléance, vraiment, parce qu’il était dans ce merdier et je me suis dit : « Cet homme doit être triste ! » (…)

Dans ces moments (…) nous n’envisagions pas avec légèreté l’idée que nous pouvions disparaître. (…) J’étais sûr qu’il n’y avait pas un autre endroit au monde où les gens étaient plus calmes qu’ici (…). C’est un fait très intéressant, parce que nous étions en fait dans l’antichambre de l’holocauste et nous nous racontions des blagues (…). Evidemment, nous savions qu’on allait nous faire jouer le rôle du mort, mais nous étions décidés à le jouer (…).

Ayant commencé à perdre foi en la politique soviétique, nous avons commencé à modifier notre tactique. Et si à un moment, nous luttions pour que les avions restent et pour que les troupes restent aussi, par la suite, nous avons décidé que dans une telle situation – face à un allié en total retrait et même au-delà de la capitulation, qui prend ses jambes à son cou – il fallait au moins essayer de sauver certaines choses (…).

Une nouvelle phase dans nos relations avec l’Union Soviétique commença, caractérisée par les circonstances particulières dans lesquelles nous nous trouvions : devant nous, un ennemi agressif et arrogant, un allié qui se rétracte, notre désir de garder les armes et enfin, la décision d’empêcher que les relations avec cet allié ne se dégradent au point d’aboutir à une rupture (…).

Quelles que soient les erreurs commises par la Révolution russe, nous croyons sincèrement qu’elle a imprégné pendant une longue période le peuple soviétique d’un profond esprit de solidarité, de stoïcisme [philosophie antique qui prônait l’austérité et la fermeté dans la douleur], un esprit de travail. Mais nous ignorons combien de temps encore, sous l’influence de nouvelles circonstances, de nouveaux événements, cet esprit pourra se maintenir (…).

Cuba ne connaissait alors aucune crise au moment où ils ont avancé cette histoire de missiles. Cuba ne connaissait aucune crise lorsque l’Union Soviétique, considérant qu’il s’agissait d’un devoir international, déclara qu’elle acceptait l’installation à Cuba de mille missiles [mille est la proposition des Cubains, 40 sera le nombre prévu] ; mais Cuba s’opposa à la façon avec laquelle on aborda le problème : elle définit la nécessité de l’aborder différemment et fut en total désaccord avec la façon dont il fut liquidé. Il y a cependant l’argument «Cuba vit…» ! Mais nous vivons aussi depuis que nos mères ont mis au monde chacun d’entre nous, et elles n’ont rien à voir avec les missiles soviétiques ! (…) »

publié par « Le Monde », 15 août 1997

La position de Castro semble avoir plus effrayé Khrouchtchev qu’autre chose !


Extraits d’une lettre de Khrouchtchev à Kennedy du 27 octobre 1962 à 15 h. 30.

Ce texte fut publié dans le journal « Le Monde » le 30 octobre 1962.

« (…) Le peuple cubain veut édifier sa vie, en tenant compte de ses intérêts, sans ingérence de l’extérieur. C’est là son droit, et l’on ne peut lui imputer comme une faute le fait qu’il veut être maître de son pays, disposer des fruits de son travail. La menace d’une invasion de Cuba et toutes autres menées visant à créer une atmosphère tendue autour de Cuba n’ont qu’un but : faire hésiter le peuple cubain, l’effrayer, l’empêcher d’édifier tranquillement sa nouvelle vie.

Je désire déclarer clairement, une fois encore, que nous ne pouvions pas être indifférents à cela, et le gouvernement soviétique a décidé d’accorder son aide à Cuba, en lui fournissant des moyens de défense contre l’agression, uniquement des moyens visant à la défense.

Nous avons expédié là-bas des moyens de défense, que vous appelez moyens offensifs. Nous les avons expédiés afin que ne fut pas menée une attaque contre Cuba, afin que ne fussent pas admises des actions irréfléchies.

J’éprouve respect et confiance à l’égard de la déclaration que vous avez faite dans votre message du 27 octobre 1962, selon laquelle il n’y aura pas d’attaque contre Cuba, qu’il n’y aura pas d’invasion, et non seulement de la part des Etats-Unis, mais également des autres pays de l’hémisphère occidental, ainsi qu’il est dit dans votre message.

Alors, les motifs qui nous ont poussés à accorder une aide de telle nature à Cuba disparaissent également. Voilà pourquoi nous avons indiqué à nos officiers — et ces moyens, comme je vous l’ai déjà communiqué, se trouvent entre les mains d’officiers soviétiques — de prendre les mesures adéquates pour interrompre la construction des objectifs indiqués, les démonter et les ramener en Union soviétique.

Comme je vous l’ai déjà signalé dans ma lettre du 27 octobre, nous sommes prêts à nous mettre d’accord avec vous pour que des représentants de l’ONU se rendent à Cuba afin de pouvoir constater la réalité du démantèlement des moyens que vous appelez offensifs.

De la sorte, si l’on se fonde sur les assurances que vous avez données et sur nos dispositions relatives au démantèlement, toutes les conditions indispensables existent pour que le conflit qui s’est créé soit liquidé. »

Outre la levée du blocus et l’engagement de ne pas envahir Cuba, Khrouchtchev a obtenu la promesse faite par Kennedy de démanteler des bases de missiles à moyenne portée installée en Turquie. Cette assurance a été donnée en privé à l’ambassadeur soviétique Dobrynine par Robert Kennedy dans la soirée du 27 octobre, peu de temps après que Khrouchtchev en eut fait publiquement la proposition. La Maison Blanche demanda seulement que cette promesse demeurât secrète pour ne pas donner l’impression d’être issue d’un simple marchandage. Nous savons que les Américains avaient déjà décidé de les éliminer, car vulnérables, au profit de fusées embarquées dans des sous-marins. Elles furent effectivement démontées en 1963.
Le 20 novembre, la quarantaine est levée.

Devant le Soviet suprême de l’URSS, Khrouchtchev justifie sa politique le 12 décembre 1962.
Texte cité dans « La coexistence pacifique » de Khrouchtchev (1964, pp. 136-139).

« (…) Toutes les dissertations selon lesquelles Cuba se transformait en base d’attaque contre les Etats-Unis sont des mensonges prémédités ayant pour but de camoufler les projets d’agression contre Cuba. (…)

Le 22 octobre, le Gouvernement Kennedy annonça la mise en quarantaine de Cuba. Soit dit en passant, le terme quarantaine n’est dans ce cas qu’une feuille de vigne. Il s’agissait en réalité d’un blocus, de piraterie en pleine mer.

Le commandement américain plaça en état d’alerte toutes ses forces armées, y compris les troupes stationnées en Europe, de même que la 6e flotte se trouvant en Méditerranée et la 7e flotte qui a pour base la région de Taïwan.

Les troupes des alliés américains dans le cadre de l’OTAN furent également placées en état d’alerte. (…) Par suite de ces actes agressifs du Gouvernement des Etats-Unis, un danger de guerre thermonucléaire plana sur le monde.

Face à des préparatifs militaires aussi intenses, nous fûmes forcés de notre côté de prendre des mesures appropriées. Le Gouvernement soviétique chargea le ministre de la défense de l’URSS de placer en état d’alerte toute l’armée de l’Union soviétique, et, avant tout, les formations de fusées stratégiques de portée intercontinentale. (…) Notre flotte sous-marine, atomique y compris, occupa les position qui lui ont été assignées. (…) Les forces armées des pays du Pacte de Varsovie furent également mises entièrement en état d’alerte. (…)

Le 23 octobre, aussitôt après que les Etats-Unis eurent déclaré le blocus de Cuba, le Gouvernement soviétique, en adoptant des mesures de caractère défensif, avait fait une déclaration avertissant résolument que le gouvernement des Etats-Unis assumait une lourde responsabilité pour les destinées du monde et jouait dangereusement avec le feu.

Le Gouvernement soviétique a appelé en même temps tous les peuples à barrer la voie aux agresseurs. Il a entrepris en même temps les démarches que l’on connaît à l’Organisation des Nations Unies. (…)

Cependant les forces militaristes des Etats-Unis ont hâté la marche des événements de façon à pouvoir attaquer Cuba. Dans la matinée du 27 octobre, nous avons reçu une information des camarades cubains et d’autres sources, où l’on disait sans détours que cette agression aurait lieu dans les deux ou trois jours qui suivraient. (…)

Il fallait entreprendre des actions immédiates pour prévenir l’agression contre Cuba et sauvegarder la paix. Un message fut envoyé au Président des Etats-Unis proposant une décision acceptable pour les deux parties. (…) Nous avons déclaré que si les Etats-Unis s’engageaient à ne pas envahir Cuba, l’Union soviétique serait prête à évacuer de Cuba les armes que les Etats-Unis qualifiaient d’ offensives .

De son côté, le Président des Etats-Unis a déclaré dans sa réponse que si le Gouvernement soviétique consentait à évacuer ces armes de Cuba, le Gouvernement américain lèverait la quarantaine, c’est-à-dire le blocus, et renoncerait, en donnant des garanties, à l’invasion de Cuba aussi bien par les Etats-Unis eux-mêmes que par les autres pays de l’hémisphère occidental. (…)

Mais c’est justement pour prévenir une agression contre Cuba que nous y avions envoyé nos armes ! C’est pourquoi le Gouvernement soviétique a confirmé son consentement d’évacuer les fusées balistiques de Cuba.

En bref, on a ainsi établi une solution acceptable pour les deux parties, qui signifiait une victoire de la raison, un succès de la cause de la paix. »

« (…) Je tenais à ce que mes camarades acceptent en pleine connaissance de cause et soutiennent la décision d’amener des fusées et des bombardiers à Cuba, sans rien ignorer de ses conséquences possibles – en fait, la guerre avec les Etats-Unis. Ainsi, pendant toute cette crise, nous ne fîmes pas un seul geste qui n’ait été d’abord examiné et discuté par le collectif dirigeant.

A peine avions-nous rendue publique notre décision d’évacuer les fusées de Cuba que les Américains commencèrent à se montrer arrogants, insistant pour envoyer sur l’île une commission de contrôle. Nous répondîmes qu’ils devraient pour cela obtenir l’autorisation du gouvernement cubain. Puis la presse chinoise et la presse américaine se mirent à proclamer que Khrouchtchev, pris de peur, avait reculé. Je ne nierai pas que nous fûmes obligés de faire d’importantes concessions dans l’intérêt de la paix. (…) »

Extrait des « Souvenirs » de Khrouchtchev, 1983.

En décembre 1962, adoption par les Américains de la doctrine de Robert MacNamara dite de la « riposte graduée ».

En juin 1963, installation d’un « téléphone rouge » (télétype) entre Washington et Moscou.

Le 5 août 1963, traité de Moscou sur l’interdiction des essais nucléaires dans l’atmosphère, les mers et l’espace signé par les USA, l’URSS et le Royaume-Uni. La France, qui a la bombe A depuis 1960, ne le signe pas.

14 octobre 1964, limogeage de Nikita Khrouchtchev, remplacé pas Leonid Brejnev à la tête du PCUS.

16 octobre 1964, explosion de la première bombe atomique chinoise.

Film de l’année 1964 : « Le Docteur Folamour » de Stanley Kubrick.
Y Le docteur Folamour