Georges Bidault1 évoque dans ses souvenirs le déroulement de la conférence de Paris à laquelle il participait avec Ernest Bevin2 et Viatcheslav Molotov3. Il s’agissait d’étudier l’offre d’aide économique américaine à l’Europe.
À Paris, la France et l’Angleterre se mirent d’accord pour inviter Molotov à une réunion à trois urgente […] Cette invitation posait des problèmes. La solution, dans le cas d’une acceptation, serait plus difficile à trouver […] Les ressources américaines, quelle que soit la richesse du peuple des États-Unis, n’étaient pas inépuisables. Il allait de soi que l’adjonction des États de l’Europe communiste aux pays de l’Occident se traduirait vraisemblablement par une diminution de la quote-part attribuée à chacun.
Cependant j’insistai. Bevin se laissa convaincre. Il me paraissait clair, en effet, qu’on ne pouvait pas, en dépit des inconvénients probables, laisser échapper l’occasion, soit en cas d’acceptation russe, d’une véritable détente en Europe, soit en cas de refus, d’une clarification définitive de la politique communiste […]
Molotov vint à Paris, et la conférence à trois s’ouvrit à la fin de juin. Je proposai que toutes les nations européennes, alliées, neutres et ex-ennemies soient admises à participer au plan Marshall. Molotov fut intraitable et refusa, jour après jour, l’établissement d’un programme pour l’ensemble de l’Europe car, disait-il, un tel programme porterait atteinte à la souveraineté des États.
Georges Bidault, D’une résistance à l’autre, Paris, Presse du Siècle, 1965.
1 Georges Bidault (1899-1983) : Ministre français des Affaires étrangères en 1947. Il a succédé à Jean Moulin en 1943 à la tête du Conseil national de la résistance.
2 Ernest Bevin (1881-1951): ministre britannique des Affaires étrangères de 1945 à 1951.
3 Viatcheslav Molotov (1890-1986) : Commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l’Union soviétique entre l939 et 1949.