Émergence du Tiers-monde : Discours de Fidel Castro devant l’assemblée générale de l’ONU, 26 septembre 1960
« 3 millions de Cubains n’ont pas l’électricité, (…) 37% de notre population est illettrée, 95% des enfants de zones rurales souffrent de parasites. (…) Le cas de Cuba n’est pas un cas isolé, c’est celui de tous les pays sous-développés. Il est semblable à celui du Congo, de l’Égypte, de l’Algérie, de l’Iran, à celui de Panama qui veut son canal. (…)
Les problèmes de l’Amérique latine sont les mêmes que ceux de l’Afrique, de l’Asie, du Moyen-Orient. (…) Là-bas, le pétrole est aux mains de compagnies contrôlées par la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas… (…)
Nous sommes du côté du peuple algérien, comme des autres peuples colonisés d’Afrique (…) Nous sommes aussi du côté des peuples qui veulent être libres, non seulement politiquement – car il est très facile d’acquérir un drapeau, un blason, un hymne, une couleur sur la carte – mais aussi économiquement. (…) Nous défendons donc la nationalisation des ressources naturelles et des investissements étrangers dans les pays sous-développés. »
LA SITUATION DANS LE MONDE en 1963
vue par le Secrétaire Général de l’ONU
« On s’accordera à reconnaître que ces dernières années la principale source de conflits est d’ordre idéologique. Dans le domaine économique, on peut dire que c’est l’opposition entre le capitalisme et le communisme ; on a dit aussi – ce qui d’ailleurs prête à discussion – que c’était l’opposition entre la démocratie et le totalitarisme. C’est ce conflit idéologique, que l’on a appelé la guerre froide, qui a empoisonné les relations internationales dans l’après-guerre…
Maintenant nous devons nous occuper d’une autre source de conflit qui découle elle aussi directement de la deuxième guerre mondiale. L’un des buts essentiels de la Charte était de favoriser le développement des territoires non autonomes et leur accession au statut de nations. Les dix premières années de l’après-guerre ont vu la plupart des pays d’Asie, libérés de la domination coloniale, acquérir leur indépendance, de sorte qu’aujourd’hui il ne reste plus dans cette partie du monde que quelques rares vestiges du colonialisme. En Afrique, c’est seulement au cours des cinq dernières années que des progrès remarquables ont été faits dans le même sens. Actuellement, les points de tension sur le continent africain sont principalement localisés dans les territoires coloniaux qui progressent trop lentement vers l’autonomie. Combien de temps faudra-t-il pour achever le processus de décolonisation en Afrique ? A chacun d’essayer de le deviner. J’espère que, dans l’intérêt du monde entier, il ne sera pas trop retardé. (…)
Il y a encore une autre source de conflit que je dois maintenant évoquer. Au XIXe siècle, des millions d’êtres humains qui n’avaient pas la peau blanche ont accepté, assez philosophiquement, le « fardeau du Blanc ». Aujourd’hui, on n’accepte plus cette doctrine périmée. (…)
Il est un pays cependant, un seul [l’Afrique du sud], qui continue officiellement de faire une différence entre les hommes selon la couleur de leur peau et leur origine ethnique et qui a fait de cette discrimination un principe fondamental de la politique de l’Etat. Les perspectives sont loin d’être réjouissantes et je ne puis considérer l’avenir de cette partie du globe avec sérénité.
Le monde de l’après-guerre a vu une autre révolte encore, celle des pays qui ne sont pas nantis. (…) L’écart entre les pays riches et les pays pauvres a creusé une sorte de fossé entre le Nord et le Sud. L’accroissement rapide de la population et l’absence du progrès économique et technique dans les pays en voie de développement ont provoqué une situation telle que cet écart inévitable entre pays riches et pays pauvres n’a cessé de s’élargir, et c’est là, à mon avis, une situation pleine de périls. »
Discours prononcé par U Thant, secrétaire général de l’ONU au dîner de l’Association américaine pour les Nations Unies, 11 novembre 1963
Cité dans « Histoire Terminale », collection Quétel, éditions Bordas, 1989, p. 150
Extrait de l’encyclique Sollicitudo Rei Socialis donnée par Jean-Paul II à Rome, le 30 décembre 1987
Cet encyclique nous donne la vision de l’Eglise catholique et de son pape emblématique Jean-Paul II à propos du conflit est-ouest vécu dans le monde depuis 1945.
Ce témoignage a l’avantage de mettre ce conflit entre les « deux grands » en relation quasi intime avec le sous-développement généré dans les pays du sud, selon Jean-Paul II, par la rivalité des idéologies marxiste et libérale.
Nous y découvrons également la position officielle de l’Eglise face à ces idéologies, à la veille de la fin du conflit est-ouest.
« (…)
Devant l’ensemble de facteurs indubitablement complexes qui se présentent à nous, il n’est pas possible de procéder ici à une analyse complète. Mais on ne peut passer sous silence un fait marquant du contexte politique qui a caractérisé la période historique venant après la deuxième guerre mondiale et qui a été un facteur non négligeable de l’évolution du développement des peuples.
Nous voulons parler de l’existence de deux blocs opposés, désignés habituellement par les noms conventionnels d’Est et Ouest, ou bien Orient et Occident. Le motif de cette connotation n’est pas purement politique mais aussi, comme on le dit, géopolitique. Chacun des deux blocs tend à assimiler ou à regrouper autour de lui, selon des degrés divers d’adhésion ou de participation, d’autres pays ou groupes de pays.
L’opposition est avant tout politique, en ce sens que chaque bloc trouve son identité dans un système d’organisation de la société et de gestion du pouvoir qui tend à être incompatible avec l’autre ; à son tour, l’opposition politique trouve son origine dans une opposition plus profonde, qui est d’ordre idéologique.
En Occident, il existe en effet un système qui s’inspire historiquement des principes du capitalisme libéral, tel qu’il s’est développé au siècle dernier avec l’industrialisation ; en Orient, il y a un système inspiré par le collectivisme marxiste, qui est né de la façon d’interpréter la situation des classes prolétaires à la lumière d’une lecture particulière de l’histoire. Chacune des deux idéologies, en se référant à deux visions aussi différentes de l’homme, de sa liberté et de son rôle social, a proposé et favorise, sur le plan économique, des formes contraires d’organisation du travail et de structures de la propriété, spécialement dans le domaine de ce qu’on appelle les moyens de production.
Il était inévitable que l’opposition idéologique, en développant des systèmes et des centres antagonistes de pouvoir, avec leurs propres formes de propagande et d’endoctrinement, évolue vers une croissante opposition militaire, donnant naissance à deux blocs de puissances armées, chacun se méfiant et craignant que l’autre ne l’emporte.
A leur tour, les relations internationales ne pouvaient pas ne pas ressentir les effets de cette « logique des blocs » et des « sphères d’influence » respectives. Née de la conclusion de la deuxième guerre mondiale, la tension entre les deux blocs a dominé les quarante années qui ont suivi, revêtant le caractère tantôt de « guerre froide », tantôt de « guerres par procuration » grâce à l’exploitation de conflits locaux, ou encore en tenant les esprits dans l’incertitude et l’angoisse par la menace d’une guerre ouverte et totale.
Si, actuellement, un tel danger semble s’être éloigné, sans avoir complètement disparu, et si l’on est parvenu à un premier accord sur la destruction d’un certain type d’armement nucléaire, l’existence et l’opposition des blocs ne cessent pas pour autant d’être un facteur réel et préoccupant qui continue à conditionner le panorama mondial.
21. On peut l’observer, et avec un effet particulièrement négatif, dans les relations internationales concernant les pays en voie de développement. On sait en effet que la tension entre l’Orient et l’Occident vient d’une opposition, non pas entre deux degrés différents de développement, mais plutôt entre deux conceptions du développement même des hommes et des peuples, toutes deux imparfaites et ayant besoin d’être radicalement corrigées. Cette opposition est transférée au sein de ces pays, ce qui contribue à élargir le fossé existant déjà sur le plan économique entre le Nord et le Sud et qui est une conséquence de la distance séparant les deux mondes plus développés et ceux qui sont moins développés.
C’est là une des raisons pour lesquelles la doctrine sociale de l’Eglise adopte une attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral aussi bien que du collectivisme marxiste. En effet, du point de vue du développement, on se demande spontanément de quelle manière ou dans quelle mesure ces deux systèmes sont capables de transformations ou d’adaptations propres à favoriser ou à promouvoir un développement vrai et intégral de l’homme et des peuples dans la société contemporaine. Car ces transformations et ces adaptations sont urgentes et indispensables pour la cause d’un développement commun à tous.
Les pays indépendants depuis peu, qui s’efforcent d’acquérir une identité culturelle et politique, et qui auraient besoin de la contribution efficace et désintéressée des pays plus riches et plus développés, se trouvent impliqués – parfois même emportés – par des conflits idéologiques qui engendrent d’inévitables divisions à l’intérieur du pays, jusqu’à provoquer en certains cas de véritables guerres civiles. Et cela, entre autres, parce que les investissements et l’aide au développement sont souvent détournés de leur fin et exploités pour alimenter les conflits, en dehors et à l’encontre des intérêts des pays qui devraient en bénéficier. Beaucoup de ces derniers deviennent toujours plus conscients du danger d’être les victimes d’un néo-colonialisme et tentent de s’y soustraire. C’est une telle prise de conscience qui a donné naissance, non sans difficultés, hésitations et parfois contradictions, au « Mouvement international des pays non alignés ». Dans son aspect positif, ce mouvement voudrait affirmer effectivement le droit de chaque peuple à son identité, à son indépendance et à sa sécurité, ainsi qu’à la participation, sur la base de l’égalité et de la solidarité, à la jouissance des biens qui sont destinés à tous les hommes.
22. Ces considérations étant faites, nous pouvons avoir une vision plus claire du tableau des vingt dernières années et mieux comprendre les contrastes existant dans la partie Nord du monde, c’est-à-dire l’Orient et l’Occident, comme cause, et non la dernière, du retard ou de la stagnation du Sud. »