Les Indes néerlandaises de 1848 à 1860

(in Démocraties et capitalisme de G. Pouthas, PUF 1961, p. 339.)

« Les Indes néerlandaises restent soumises encore au système Van den Bosch, c’est-à-dire au régime des corvées de soixante jours par an appliquées à la culture du cinquième des terres prélevées par l’Etat. En réalité, ce cinquième représentait plus du tiers des bonnes terres ; la durée de la corvée dépassait les soixante jours, et les entrepreneurs n’en rémunéraient le travail que de façon dérisoire. Ces abus, avec l’esclavage en Guyane et aux Antilles, servirent de plate-forme politique au parti libéral hollandais : il obtint des Etats généraux, en 1854, la suppression de l’esclavage, pour être réalisé en 1860, contre une indemnité de 15 millions de florins aux planteurs et l’établissement du contrôle du gouvernement sur l’administration de la Compagnie des Indes. Mais le système des cultures était trop avantageux à l’Etat – la vente d’indigo, tabac, café, thé, poivre, à Amsterdam fournissait un excédent au budget colonial de 30 millions de florins qui servait à équilibrer le budget de la métropole – pour ne pas être obstinément maintenu. En 1860, ni l’émancipation des esclaves, ni la réforme de la corvée n’étaient réalisées. C’est à la faveur de ce scandale que les libéraux renverseront, l’année suivante, le gouvernement conservateur et imposeront un nouveau régime.

La riche Java continue donc de jouer son personnage dans la vie hollandaise, mais des autres colonies le gouvernement se désintéresse de plus en plus : ainsi de ses comptoirs de la côte de l’Or en Afrique…Dès 1850 avaient été entamées des négociations pour leur achat par les Anglais ; elles aboutiront en 1871. »

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« Les Pays-Bas, Dieu merci, ne manquent jamais de coeur, ou plutôt d’hommes de coeur…Edward Douwes Dekker, sous le pseudonyme de Multatuli, met le feu aux poudres. En 1860, il publie…Max Havelaar… La même année, l’esclavage est aboli en Indonésie…
L’expansion territoriale gagne les îles et l’Archipel est peu à peu conquis, non sans peine, non sans guerre, tandis que Batavia centralise tous les pouvoirs.
C’est alors qu’un pieux calvinisme aidant se font jour des préoccupations plus hautes. La bonne banque protestante reçoit ce que le regretté Paul Repiton-Préneuf (qui fut le bras droit de Leclerc) appelait le « coup de pied au cul métaphysique. » Elle s’engage dans la « voie morale » (Ethischte Richtung), de 1900 à 1913, non sans souci modestement et prudemment humanitaire, mais aussi pour s’opposer aux manufacturiers et limiter les « dégâts » d’une industrialisation préoccupante. Hélas, l’ingratitude des indigènes – au mieux leur incompréhension , répond, comme d’habitude, à tant de bienfaits. On sait que la générosité rengorge le donateur et dégrade le bénéficiaire, qui réagit en se rebiffant. Les dociles Javanais – et les autres – se livrent aux délices du virus nationaliste… »

« L’ethische Richting », in Vincent Monteil, l’Indonésie , Petite Planète, 1972.

Le tailleur de pierre japonais

« Il était une fois un homme qui taillait des pierres dans le rocher. Son labeur était très dur, et il peinait beaucoup, mais son salaire était maigre et il n’était pas satisfait.
Il soupirait parce que son labeur était dur. Et il s’écriait . »Ah, si seulement j’étais riche pour pouvoir reposer sur un baleh-baleh au klambu de soie rouge. »
Or voici qu’un ange descendit du ciel, qui lui dit : « Qu’il vous advienne ce que vous avez dit. »
Aussitôt dit, aussitôt fait : il était riche. Et il reposait sur un baleh-baleh, et son klambu était en soie rouge.
Or le roi du pays vint à passer, des cavaliers précédant sa voiture. Et derrière la voiture il y avait d’autres cavaliers, et l’on tenait le payong d’or au-dessus de la tête du roi.
Et lorsque l’homme riche vit cela, il fut chagriné qu’on ne tînt pas de payong d’or au-dessus de sa tête. Il n’était pas satisfait.
Il soupirait, et s’écriait : « Je voudrais être roi. »
Et voici qu’un ange descendit du ciel, qui lui dit : « Qu’il vous advienne ce que vous avez dit. »
Aussitôt dit, aussitôt fait : il était roi. Et devant sa voiture galopaient de nombreux cavaliers, et d’autres venaient derrière sa voiture, et au-dessus de sa tête on tenait le payong d’or.
Et le soleil brillait de ses rayons brûlants et roussissait la terre, et le brin d’herbe se desséchait.
Et le roi se plaignait que le soleil lui brûlait le visage, et était plus puissant que lui. Et il n’était pas satisfait.
Il soupirait, et s’écriait : « Je voudrais être le soleil. » Et voici qu’un ange descendit du ciel, qui lui dit : « Qu’il vous advienne ce que vous avez dit. »
Aussitôt dit, aussitôt fait : il était le soleil. Et il envoyait ses rayons vers le haut et vers le bas, vers la droite et vers la gauche, et de toutes parts. Et il roussissait le brin d’herbe à la surface de la terre, et le visage des princes qui y vivaient.
Et un nuage s’interposa entre la terre et lui, et il repoussa les rayons du soleil.
Et il fut courroucé de voir qu’on résistait à sa puissance, et se plaignit que ce nuage était plus puissant que lui. Et il n’était pas satisfait.
Il voulait être le nuage, qui était si puissant.
Et voici qu’un ange descendit du ciel, qui lui dit : « Qu’il vous advienne ce que vous avez dit. »
Et il devint nuage et se plaça entre le soleil et la terre et arrêta les rayons, en sorte que l’herbe verdit.
Et le nuage pleuvait à grosses gouttes à la surface de la terre, et faisait s’enfler les rivières et des banjirs emportaient les troupeaux.
Et il dévastait les campagne par la masse de ses eaux.
Et il tomba sur un rocher, qui ne céda pas. Et il cascadait en larges torrents, mais le rocher ne cédait pas.
Et il fut courroucé parce que le rocher ne voulait pas céder, et parce que la puissance de ses torrents était vaine. Et il n’était pas satisfait.
Il s’écria : « Ce rocher a reçu une puissance supérieure à la mienne. Je voudrais être ce rocher. »
Et voici qu’un ange descendit du ciel, qui lui dit : »Qu’il vous advienne comme vous avez dit. »
Et il devint rocher, et il ne bougeait pas quand le soleil brillait, ni quand il pleuvait.
Or voici qu’arriva un homme avec une pique, et un ciseau pointu, et un lourd marteau, qui taillait des pierres dans le rocher.
Et le rocher dit : « Qu’est-ce donc, cet homme est plus puissant que moi, et il taille des pierres dans mon sein ? » Et il n’était pas satisfait.
Il s’écria : « Je suis plus faible que celui-là. Je voudrais être cet homme. »
Et voici qu’un ange descendit du ciel, qui lui dit : « Qu’il vous advienne ce que vous avez dit. »
Et il fut tailleur de pierre. Et il taillait des pierres dans le rocher, au prix d’un dur labeur, et il peinait beaucoup pour un maigre salaire, et il était satisfait. »

Jeronimus, pseudonyme du baron Van Hoëvell, pasteur de Batavia (1812-1879)
(extrait de Multatuli, Max Havelaar, p.204-206, Ed. Actes Sud, 1991.)

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Accord de Linggadjati

Accord du 15.11.46

1. Le gouvernement des Pays-Bas reconnaissait que la République exerçait une autorité de fait non seulement sur Java mais aussi sur Sumatra, et il acceptait le principe de l’incorporation dans le territoire de la République des zones de Java et Sumatra occupées par les forces alliées, ce qu’il n’avait pas fait jusqu’ici.

2. Les gouvernements des pays-Bas et de la République décidaient de coopérer pour constituer rapidement un Etat démocratique souverain, à base fédérale, les Etats-Unis d’Indonésie, qui devait comprendre le territoire entier des Indes néerlandaises et dont les parties constitutives seraient la République, Bornéo et le Grand Est.

3. La population d’un territoire quelconque pourrait toutefois décider, selon un procédé démocratique, de sa position au sein des Etats-Unis d’Indonésie ou même de ne pas s’y joindre. Elle pourrait dans ce cas définir les rapports qu’elle voulait voir établir entre son territoire, les Etats-Unis d’Indonésie et le Royaume des Pays-Bas.

4. Les deux gouvernements s’emploieraient à établir l’Union hollando-indonésienne qui succéderait au Royaume des Pays-Bas, et qui comprendrait d’une part les Pays-Bas, Surinam, Curaçao, et d’autre part les Etats-Unis d’Indonésie. Le gouvernement des Pays-Bas prendrait les mesures nécessaires pour faire admettre les Etats-Unis d’Indonésie à l’ONU dès la formation de l’Union hollando-indonésienne.

5. Les deux gouvernements s’efforceraient d’établir les Etats-Unis d’Indonésie et l’Union hollando-indonésienne avant le 1er janvier 1949.

Ph. Devillers et Fr. Cayrac-Blanchard in L’Asie du Sud-Est, Livre 3, Paris, 1970.