DEUX VISIONS OPPOSÉES DU COMMONWEALTH
Document 1
« Le Commonwealth n’est pas une unité politique. Ce n’est pas une alliance. Il n’a pas de politique commune. Les nations du Commonwealth prennent leurs propres décisions séparément concernant les affaires mondiales, et aucune d’entre elles n’est disposée à renoncer à ce droit. Mais elles ont néanmoins des intérêts communs en ce qui concerne les questions qui comptent réellement. Toutes les nations du Commonwealth sont attachées à certains idéaux politiques, tels que le maintien d’une grande liberté pour l’individu au sein de la collectivité et le maintien d’un contrôle réel des citoyens sur leur gouvernement. A la base de ces conceptions, il y a l’idée que les nations, grandes ou petites, ont le droit de mener leurs affaires comme il leur plaît, à condition qu’elles ne menacent pas l’existence ou la liberté de leurs voisins. Ces idéaux du Commonwealth n’ont rien d’exclusif. Ce sont des idéaux qui, en fait, pourraient être adoptés par tous les autres pays pour le plus grand bien du monde. Je crois, en fait, que les rapports existant entre les nations du Commonwealth ont créé chez tous ses membres une habitude de compréhension et de coopération qui permet à nos nations et à nos gouvernements de travailler plus facilement avec les autres pays et gouvernements, que ce soit à l’intérieur ou au dehors du Commonwealth, pour servir tels intérêts qu’ils peuvent avoir en commun. Il suit donc que rien ne nous empêche d’être à la fois membre du Commonwealth et membre des Nations Unies ainsi que de l’alliance de l’Atlantique nord (…).
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le Commonwealth a subi un profond changement. Jusqu’à la guerre, le Commonwealth se composait, en dehors du Royaume-Uni, de nations situées géographiquement hors d’Europe, mais européennes de façon prédominante par leurs origines et le caractère fondamental de leurs institutions. Depuis 1945, trois grandes nations asiatiques ont été incluses dans le Commonwealth sur un pied d’égalité absolue (…).
A l’intérieur du Commonwealth, nous cherchons, sur une base d’égalité complète et de respect mutuel, à établir et à maintenir l’amitié, l’entente et la coopération entre l’Asie et l’Occident. Si nous réussissons à faire du Commonwealth un véritable pont entre l’Orient et l’Occident, peut-être un jour viendra-t-il où nous considérerons la liberté et l’indépendance de l’Inde, du Pakistan et de Ceylan comme le plus grand événement de l’histoire du Commonwealth.»
Déclaration à la BBC en janvier 1951 de M. SAINT-LAURENT, Premier ministre du Canada.
Document 2
« Le Commonwealth est véritablement devenu une gigantesque farce. La plupart des gens – notamment la plupart des conservateurs – savent cela, et au fond de leur coeur ils méprisent les hommes politiques qui entretiennent cette farce. Non seulement les pays membres non européens, dont le nombre s’accroît au rythme de six à une douzaine par an, mais aussi ceux que l’on appelle les « vieux Dominions » n’ont actuellement d’autres liens véritables avec la Grande-Bretagne que ceux qui peuvent se créer au cours de l’histoire entre deux pays étrangers. En fait, le ressentiment éprouvé contre l’ancienne puissance dominatrice ou « nation-mère » porte certains à être moins bien disposés à l’égard du Royaume-Uni qu’à l’égard de l’Allemagne, de la Chine ou d’Israël. Pourquoi en serait-il autrement ?
Actuellement, épouser la fiction des « relations spéciales », indéfinies et indéfinissables, qui séparent le Royaume-Uni et les pays du Commonwealth d’une part du reste du monde d’autre part, peut être inoffensif – et parfois aussi profitable – pour Nehru, Nkrumah, ou même Makarios. Ils ne donnent rien, ils en retirent tous les avantages possibles. Pour la Grande-Bretagne, les absurdités que cela entraîne dans ses lois et dans son mode de pensée ont déjà fait trop de mal.
C’est parce que nos lois sont si peu adaptées à la réalité que l’immigration massive des gens de couleur, depuis une dizaine d’années, a causé un dommage politique et social qui ne pourra être réparé avant plusieurs décennies. Il a cependant fallu qu’une convulsion se produise pour que le parti conservateur soit obligé de reconnaître, tardivement qu’une citoyenneté commune du Commonwealth était une chimère dépassée. »
Un conservateur anonyme, cité dans « Un parti en quête d’une doctrine », The Times, 2 avril 1964.