Chronologie de la guerre d’Algérie

1954
01.11. Le C.R.U.A. (Comité révolutionnaire de l’unité algérienne) déclenche la rébellion armée.
05.11. Le gouvernement français envoie des renforts en Algérie.

1955
30.09. L’Assemblée générale de l’ONU vote l’inscription à l’ordre du jour de l’affaire algérienne.
12.12. Les élections en Algérie sont reportées.

1956
août Les chefs F.L.N. (Front de libération nationale) de l’intérieur se réunissent pour la première fois; c’est le congrès de la Soummam d’où sortira la plate-forme du F.L.N.
29.10. Israël, l’Angleterre et la France déclenchent une opération militaire contre l’Egypte.
15.11. L’ONU inscrit la question algérienne à son ordre du jour.
05.12. Le gouvernement français dissout les conseils généraux et les municipalités en Algérie.

1957
07.01. Le général Massu est chargé du maintien de l’ordre à Alger.
20.09. L’ONU inscrit la question algérienne à son ordre du jour.
29.11. L’Assemblée nationale vote la loi-cadre et la loi électorale de l’Algérie.

1958
26.04. 30 000 Algérois demandent un Gouvernement de salut public après la chute du gouvernement Gaillard.
13.05. Un Comité de salut public est créé à Alger sous la présidence du général Massu; on fait appel à de Gaulle.
15.05. De Gaulle se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République.
01.06. L’Assemblée nationale investit de Gaulle par 339 voix contre 224.
28.09. La nouvelle Constitution est approuvée par référendum (79 % de oui en métropole, 95 % en Algérie).
23.10. De Gaulle propose au F.L.N. la paix des braves.
21.12. De Gaulle est élu président de la République.

1959
30.01. De Gaulle renouvelle l’offre de paix en Algérie.
16.09. De Gaulle proclame le droit des Algériens l’autodétermination.

1960
24.01. Début de la semaine des barricades à Alger.
25.06. Pourparlers préliminaires de Melun.

1961
08.01. La politique algérienne du général est approuvée par référendum (75 % de oui).
25.04. Putsch des généraux à Alger; de Gaulle assume les pleins pouvoirs aux termes de l’article 16 de la Constitution.
20.05. Ouverture des pourparlers d’Evian.
14.07. Recrudescence des attentats de l’O.A.S. (Organisation Armée Secrète).

1962
18.02. Pourparlers des Rousses.
07.03. Négociations d’Evian.
19.03. Cessez-le-feu en Algérie.
08.04. Référendum à propos de l’Algérie (90,7 % des voix approuvent les accords d’Evian).
01.07. Référendum d’autodétermination en Algérie ; l’indépendance est approuvée par 99,72 des voix.
03.07. Le G.P.R.A. (Gouvernement provisoire de la République d’Algérie) s’installe à Alger.


Le Manifeste du Peuple algérien par Ferhat Abbas, fait à Alger, le 10 février 1943.

Extraits

« Le problème algérien (..) est essentiellement d’ordre racial et religieux (..). Le bloc européen et le bloc musulman restent distincts l’un de l’autre, sans âme commune. L’un, fort de ses privilèges et de sa position sociale, l’autre menaçant par le problème démographique qu’il crée et par la place au soleil qu’il revendique et qui lui est refusée (…).

Politiquement et moralement, cette colonisation ne peut avoir d’autre concept que celui de deux sociétés étrangères l’une à l’autre. Son refus systématique ou déguisé de donner accès dans la cité française aux Algériens musulmans a découragé tous les partisans de la politique d’assimilation étendue aux autochtones. (…)

Economiquement, cette colonisation s’est révélée incapable d’améliorer et de résoudre les grands problèmes qu’elle a elle-même posés. (…)

Emprisonnée dans le cadre colonial, [l’Algérie] n’est en mesure ni de nourrir, ni de loger, ni de soigner la moitié de sa population actuelle. »

autres extraits

« Le refus systématique ou déguisé de donner accès, dans la Cité française, aux Algériens musulmans, a découragé tous les partisans de la politique d’assimilation étendue aux autochtones. L’Algérie (…), emprisonné dans le cadre colonial, n’est en mesure ni de nourrir, ni d’instruire, ni d’habiller, ni de loger, ni de soigner, la moitié de sa population actuelle. (…)

Le président Roosevelt, dans sa déclaration faite au nom des Alliés, a donné l’assurance que dans l’organisation du Monde nouveau, les droits de tous les peuples, petits ou grands, seraient respectés. Fort de cette déclaration, le peuple algérien demande dès aujourd’hui (…)

a) la condamnation et l’abolition de la colonisation, c’est-à-dire, de l’annexion et de l’exploitation d’un peuple par un autre peuple. (…)

b) La dotation d’une constitution propre à l’Algérie. (…)

c) La participation immédiate et effective des Musulmans algériens au gouvernement de leur pays. (…) »

___________________________________________________________________________________

LA QUESTION ALGÉRIENNE ET LA FRANCE EN 1946

En juin 1946, les députés musulmans à l’Assemblée Constituante ont déposé, à l’instigation de Ferhat Abbas, un projet de Constitution de la  » République algérienne  » associée à la France. C’est l’occasion d’un vif débat :

« M. SAADANE . Parlant du haut d’une tribune, dans une Assemblée où il y a des Bretons, des Alsaciens… (vives exclamations), des Français…

M. LE TROQUER. Les Bretons sont des Français ! …

M. SAADANE. Parlant, dis-je, à des Français de la métropole qui n’ont peut-être pas étudié de très près le problème algérien, je crains que les accents que j’apporte à cette tribune ne soient pas nettement compris… Vous nous avez apporté votre culture… le ferment qui doit permettre l’affranchissement des hommes. Vous nous avez acheminés, vous nous avez donné le goût de la liberté, et maintenant que nous disons que nous ne voulons pas de l’esprit colonial et de la colonisation… mais que nous voulons être libres, être des hommes, rien que des hommes, ni plus, ni moins, vous nous déniez le droit d’accepter, de prendre certaines formules, et vous vous étonnez, vous Français, que quelques esprits, chez nous, cherchent l’indépendance… (Exclamations)

Au milieu du tumulte et alors que plusieurs députés se lèvent et font mine de marcher, menaçants, sur l’orateur, Ferhat Abbas, député de Sétif, prend la parole.

M. FERHAT ABBAS. Il y a cent seize ans que nous attendons cette heure, c’est-à-dire l’occasion d’être ici et de nous faire entendre parmi vous. Il y a cent seize ans pourtant que l’Algérie est française ! Alors ayez patience, je vous le demande et vous en supplie… Nous sommes une toute petite minorité. Soyez généreux ! Il est possible que nous n’ayons pas la manière. Si vous nous aviez fait l’honneur de nous admettre depuis cent seize ans au milieu de vous, nous l’aurions acquise… »

Cité in J. LACOUTURE, Cinq hommes et la France, Paris, Seuil, 1961


UNE MISSION DIFFICILE : REFORMER L’ALGÉRIE EN 1948

Marcel-Edmond Naegelen, membre influent du parti socialiste S.F.I.O. devient gouverneur général de l’Algérie en février 1948.

« Dès qu’il s’agit de mettre en chantier les projets (…) je me heurtai à trois obstacles dont le dernier surtout s’avéra inébranlable.

1. Les craintes, les préjugés, l’égoïsme, la myopie de la plupart des dirigeants de la population algérienne d’origine européenne. Leur résistance aux réformes profondes fut d’autant plus obstinée qu’ils étaient de bonne foi convaincus que la fin de leur règne serait la fin de l’Algérie française et même de l’Algérie tout court. Ils croyaient sincèrement vouloir et faire le bien des musulmans en maintenant leur propre suprématie économique et politique (…).

2. L’ignorance où se complaisaient les milieux métropolitains des problèmes humains et sociaux de l’Afrique (…). Pour la majorité des Français, ce pays était lointain (…), les gouvernements avaient d’autres soucis (…).

3. L’intransigeance des nationalistes algériens. Ils redoutaient que l’application [des réformes] ne conquît définitivement à la France les populations musulmanes (…). »

M.E. Naegelen, Mission en Algérie, Flammarion, 1962


Élections truquées

Élection du 17 juin 1951 à l’Assemblée nationale

 » À Alger, où la fraude est difficile, la liste officielle n’a que 142 voix sur 7 233 votants, alors que dans les 27 bureaux de la commune mixte de Chélif, elle obtient 10225 voix sur 12166 votants. A Port-Gueydor 23676 inscrits au deuxième collège, 23671 votants, 23645 suffrages candidat administratif. A Djelfa, le candidat administratif a 800 votants alors qu’il n’y a que 500 inscrits. »

R. Aron, Les origines de la guerre d’Algérie, Fayard


La France et ses protectorats d’Afrique du Nord : Maroc et Tunisie

« On a dit que la France n’avait pas de politique en Afrique du Nord [Maroc et Tunisie]. C’est vrai dans ce sens qu’elle n’a pas encore fait son choix entre plusieurs politiques possibles…

Les deux résidents généraux sont les premiers dans la hiérarchie des responsables… Le champ de leurs initiatives est vaste… Outre qu’ils ont tendance à l’élargir, surtout si leurs vues concordent avec celles de la population française… Le fait accompli est la grande et constante tentation à laquelle les résidents généraux ont du mérite à résister dans la mesure où ils n’y succombent pas. Eux-mêmes, d’ailleurs, se trouvent dans une situation analogue à l’égard de certains services (police, information, etc.) qui… échappent facilement à un contrôle efficace…

Au-dessus des résidents généraux le ministre des Affaires étrangères est responsable de leur gestion qui est censée être conforme à ses propres vues. C’est une de ces fictions sur lesquelles repose le régime démocratique… Cette fiction ne tient pas compte d’abord du fait que de Paris, ainsi que je viens de le dire, on n’a qu’une action et un contrôle limités sur les faits et les hommes qui vous représentent. En outre, la politique à suivre… est affaire de gouvernement, c’est-à-dire d’un collège… au sein duquel l’avis du ministre responsable ne prévaut pas nécessairement. Il a, certes, la faculté de se démettre… Mais peut-il facilement provoquer un tel éclat ?… La règle démocratique veut, d’ailleurs, que les décisions de l’exécutif soient la résultante d’opinions divergentes…

J’ai acquis la conviction qu’aucune réforme importante visant les relations entre la France et le Maroc ou la Tunisie ne sera possible sans un retour aux notions exactes de responsabilité et de subordination hiérarchique.

La mise au point de notre politique à l’égard de la Tunisie et du Maroc ne souffre plus de délai… Nous devons proposer un programme d’ensemble… Pour une telle politique, il faudra autant de courage que de clairvoyance, autant de bienveillance que de fermeté. Notre pire ennemi… c’est la routine. »

Robert SCHUMAN, Maroc et Tunisie, le problème du protectorat, La Nef, nouvelle série, no 2, 1953.


Les deux communautés en 1954

Européens Musulmans

Population 1954 980’000 8’850’000
Population 1958 1’030’000 9’250’000
Natalité 0/00 19 45
Mortalité 0/00 9 14
Mortalité infantile 46 181
Propriété des
Terres cultivables (%) 25 75
Population agricole (%) 2 98
Exploitations
de plus de 100 ha (%) 23 1
Exploitations
de moins de 10 ha (%) 32 73
Valeur de la
Production agricole (%) 55 45
Production de
blé dur (quintaux)
en 1954 3’800’000 5’400’000
en 1957 4’500’000 5’300’000
Production
d’agrumes (quintaux) 2’900’000 –
Production de
vin (hl.) 19’300’000 –
Tracteurs 19’091 418
Salaire journalier moyen
dans l’agriculture
(francs de 1954) 1000 380
Enfants scolarisés
dans le primaire (%) 100 20


Proclamation du Front de Libération Nationale (1er novembre 1954)

« Une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d’elle la majorité des éléments encore sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement national de l’impasse où l’ont acculé les luttes de personnes et d’influence pour le lancer aux côtés des frères Marocains et Tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire. (…) Notre mouvement de rénovation se présente, sous l’étiquette de : FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE, se dégageant ainsi de toutes les compromissions possibles et offrant la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens de s’intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération. »

M. Harbi, Les archives de la révolution algérienne, Ed. jeune Afrique, 1981.


Angoisse et détermination des « pieds-noirs »

« La grande aventure a commencé. Nous le savons tous. Du haut de cette tribune, je le dis comme le le pense : j’ai peur. Trois générations des miens dorment sur cette terre d’Algérie. Je ne veux à aucun prix les abandonner, et, je le dis très clairement, je préférerais « crever » plutôt que de partir. »

Dr Salacrou, déclaration faite à Alger, novembre 1954.


Des Algériens au milieu du gué

 » La guerre, l’émigration en France, une révolution économique, avaient miné sourdement les vieux cadres traditionnels, préparant ainsi l’éclatement cellulaire auquel nous assistons aujourd’hui. Songez [qu’en 1946], les musulmans âgés de 20 à 60 ans étaient 1’600’000. Quelques-uns de ceux qui, à cette date, dépassaient la cinquantaine, avaient fait la guerre de 1914-1918 ; les moins de 40 ans, eux, avaient pu être mobilisés en 1939, voire prisonniers, voire évadés ; d’autres – ou quelquefois les mêmes – avaient participé à la campagne de France, à celle d’Indochine. Ajoutez à cela un contingent de 400’000 hommes qui travaillent dans nos usines mais qui se renouvellent régulièrement depuis dix ans, et demandez-vous quel est, en Algérie, le pourcentage des musulmans adultes qui ont traversé la Méditerranée ? La moitié ? Le tiers ? Les deux tiers ? Sûrement beaucoup plus dans certaines régions et beaucoup moins dans d’autres. Mais c’est précisément dans les régions où ils sont la majorité que l’insurrection est née. (…)

Comme [me] disait un vieux Kabyle

– Vous nous avez emmenés au milieu du gué et vous nous y avez laissés. » Quelques-uns, cependant, ont franchi le gué. Combien ? Un quart peut-être, car, prise en bloc, la population algérienne vit pour un tiers dans une économie de type européen et pour deux tiers dans une économie de type africain, ce qui signifie que la plupart des minoritaires (descendants d’Européens) et deux millions environ de majoritaires (musulmans) ont des niveaux de vie et de culture comparables à ceux que l’on peut rencontrer en France. Les autres six millions d’êtres humains, tous appartenant à la majorité – ont progressivement perdu les biens matériels et les valeurs spirituelles des sociétés archaïques, sans avoir pu, faute d’instruction, de technicité (et de ressources), devenir des hommes modernes. Ils se trouvent sur la charnière des deux mondes – au milieu du gué -, hantés par le passé, enfiévrés par l’avenir, mais les mains vides et le ventre creux, entre leurs fantômes et leurs fièvres. « 

Germaine Tillion, l’Algérie en 1957, Les Éditions Minuit, 1957.


Les deux malaises

 » La poussée démographique, dans un pays essentiellement agraire, au sol pauvre et au climat ingrat, a pour résultat le sous-emploi chronique, la désertion des campagnes au profit des bidonvilles, la misère et le désespoir d’une foule croissante d’individus et de familles. Tandis que ce sous-prolétariat s’accroît et s’aigrit chaque jour davantage, une petite bourgeoisie musulmane, instruite à notre contact, cherche vainement un débouché non seulement économique, mais encore et surtout administratif et politique. Or, elle ne le trouve pas. La proportion de musulmans dans l’administration reste infime ; toutes les réformes depuis le projet de Blum-Viollette jusqu’au statut de l’Algérie en 1947 ont été systématiquement repoussées ou sabotées. il faut avoir le courage de reconnaître que la plupart de nos promesses n’ont pas été tenues. (…) D’où un double mécontentement : le malaise social de la masse, le malaise politique de l’élite. En se rejoignant, ces deux malaises constituent une force explosive énorme. « 

Jacques Soustelle, rapport du ler, juin 1955 au gouvernement Edgar Faure. Cité dans Les origines de la guerre d’Algérie, op. cit.


L’intégration

–  » L’Algérie, c’est la France, les départements de l’Algérie sont des départements de la République française. (…) tous ceux qui essayeront, d’une manière ou d’une autre, de créer le désordre et qui tendront à la sécession seront frappés par tous les moyens mis à notre disposition par la loi. (…)

– Si l’intégration consiste à étendre autant qu’il est possible et raisonnable, dans les trois départements algériens, les institutions de la métropole, s’il est également juste et raisonnable de réserver des institutions spécialisées, si l’on peut admettre que, ici et là, les traditions, les habitudes, les façons de penser obligent à constater les différences d’évolution, il n’est pas possible, il n’est pas admissible, il ne sera jamais retenu par le gouvernement qu’à l’intérieur de chacune de ces institutions il y ait des citoyens inégaux. (…) La politique d’intégration du gouvernement ne serait pas comprise s’il ne s’y ajoutait la volonté ferme et entière, dans le domaine économique et social comme dans le domaine politique et dans le domaine administratif, d’offrir des chances égales à tous ceux, quelle que soit leur origine, qui naissent sur le sol algérien. »

Interventions de François Mitterrand, ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès-France, devant l’Assemblée nationale, 12 nov. 1954 et 4 février 1955.


Le manque de lucidité de la classe politique face au problème algérien

L’analyse d’E. Faure, président du Conseil en 1955.

« Le « juridisme » occupait mon esprit, ainsi d’ailleurs que ceux de Pierre Mendès France et de François Mitterrand. (…) Pour eux, l’Algérie c’est la France et la responsabilité des événements est, pour eux aussi, imputable aux incitations extérieures, notamment à l’Égypte qu’on met en face de ses responsabilités ainsi qu’à l’attitude insurrectionnelle du MTLD*. Rétorsion sur le plan externe, répression sur le plan interne demeurent les lignes directrices, mais en même temps des efforts considérables sont annoncés en vue d’assurer le progrès et le bien-être des populations. Il s’agit beaucoup moins de réformes que de crédits. Nous sommes tous tombés dans un second piège. Il résulte d’ailleurs directement du premier, le juridisme conduit à l’économisme. Étant donné que l’on se refuse à envisager le changement du droit, on ne peut procéder que par la modification du fait. On traite par les grands travaux et l’amélioration du niveau de vie un conflit qui trouve sa source dans l’aliénation nationale et dans le déficit de considération. »

* « Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques » créé en 1946 par Messali Hadj qui depuis les années 1920 réclame l’indépendance de l’Algérie.

Edgar Faure, Mémoires, Plon, 1982.


Autour de la guerre d’Algérie : 1954 – 1962.

Quatre discours parlementaires

Sous la IVe République

1 – M. Pierre Mendès France, Président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, le 12 novembre 1954 devant l’Assemblée nationale.

« Il y a quelques semaines à peine, je m’étais fait votre interprète, l’interprète de l’émotion ressentie par tous les Français devant la catastrophe qui, dans la région d’Orléansville, venait d’endeuiller l’Algérie (1). J’avais alors affirmé la solidarité de la nation entière avec les populations éprouvées. L’Algérie, hélas ! vient d’être frappée à nouveau, et cette fois la violence provient de la volonté criminelle de quelques hommes, mais elle n’est pas moins cruelle, inutile et aveugle. A nouveau la nation doit s’affirmer unie et solidaire devant le malheur, devant les forces de destruction.

Vous pouvez être certains, en tout cas, qu’il n’y aura, de la part du Gouvernement, ni hésitation, ni atermoiement, ni demi-mesure dans les dispositions qu’il prendra pour assurer la sécurité et le respect de la loi. Il n’y aura aucun ménagement contre la sédition, aucun compromis avec elle, chacun ici et là-bas doit le savoir.

On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République. Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable. Leurs populations qui jouissent de la citoyenneté française et sont représentées au Parlement, ont d’ailleurs donné, dans la paix comme autrefois dans la guerre, sans distinction d’origine ou de religion, assez de preuves de leur attachement à la France pour que la France à son tour ne laisse pas mettre en cause cette unité. Entre elles et la métropole il n’y a pas de sécession concevable.

Cela doit être clair une fois pour toutes et pour toujours aussi bien en Algérie et dans la métropole qu’à l’étranger. (Applaudissements à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite.)

Jamais la France, aucun Gouvernement, aucun Parlement français, quelles qu’en soient d’ailleurs les tendances particulières, ne cédera sur ce principe fondamental. »

(1) II s’agit d’un tremblement de terre.

idem un plus court extrait

« À la volonté criminelle de quelques hommes doit répondre une répression sans faiblesse, car elle est sans injustice (…). Les départements d’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps ; leur population, qui jouit de la citoyenneté française et est représentée au Parlement, a donné assez de preuves de son attachement à la France pour que la France ne laisse pas mettre en cause son unité (…). Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. »

Pierre Mendès-France, président du Conseil, 12 novembre 1954.

 

2 – « M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Intérieur. M. François Mitterrand, ministre de l’Intérieur. » ( 12 novembre 1954, même séance)

« Mesdames, Messieurs, je pense que l’Assemblée nationale, à la fin de ce débat, voudrait connaître le plus exactement possible le déroulement des faits dont nous parlons. C’est ainsi que, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, des attaques à main armée, des attentats à la bombe, des sabotages de lignes et de voies de communication, des incendies enfin ont eu lieu sur l’ensemble du territoire algérien, de Constantine à Alger et d’Alger à Oran.

Dans le département de Constantine, vous le savez, se produisirent les événements les plus graves. Là, cinq personnes furent tuées : un officier, deux soldats qui remplissaient leur devoir, un caïd et un instituteur, dans les conditions qui furent rappelées à cette tribune et dont personne ne dira suffisamment le caractère symbolique. De jeunes instituteurs sont venus accomplir – et c’était le premier jour – la tâche qu’ils avaient choisie. Et voilà qu’ils sont frappés. Sauront-ils pourquoi ? Sans doute non, les choses sont vite faites. Assassinés, ils ont quand même le temps d’apercevoir le frère musulman qui tente de les défendre et qui meurt le premier.

Je prétends qu’actuellement certains doivent cruellement méditer sur le déclenchement hâtif de l’émeute, qui les a précipités dans une aventure qui les conduira à leur perte. Voilà donc qu’un peu partout, d’un seul coup, se répand le bruit que l’Algérie est à feu et à sang.

De même que le Maroc et la Tunisie ont connu ce phénomène du terrorisme individuel dans les villes et dans les campagnes, faut-il que l’Algérie ferme la boucle de cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans contre les nations qui prétendaient les tenir en tutelle ?

Eh bien ! non, cela ne sera pas, parce qu’il se trouve que l’Algérie, c’est la France, parce qu’il se trouve que les départements de l’Algérie sont des départements de la République française. Des Flandres jusqu’au Congo, s’il y a quelque différence dans l’application de nos lois, partout la loi s’impose et cette loi est la loi française ; c’est celle que vous votez parce qu’il n’y a qu’un seul Parlement et qu’une seule nation dans les territoires d’outre-mer comme dans les départements d’Algérie comme dans la métropole.

Telle est notre règle, non seulement parce que la Constitution nous l’impose, mais parce que cela est conforme à nos volontés.

Personne ici n’a le droit de dire que le Gouvernement de la République a pu hésiter un seul instant sur son devoir car l’action qu’il a menée correspond à l’essentiel même de sa politique.

M. le Président du Conseil l’a déclaré cet après-midi : comment pourrait-on expliquer, autrement qu’avec beaucoup de vilenie, le règlement des affaires françaises que nous avons été contraints de conclure en Asie si l’on n’admettait pas que nous avons agi alors conformément aux principes que nous avons les uns et les autres définis, écrits et proclamés, afin de préserver le domaine français, ce domaine qui s’étend fondamentalement – je viens de le dire – des Flandres au Congo ?

C’est là notre vérité, l’axe de notre politique. C’est pourquoi il n’est certes pas contradictoire qu’on traite, lorsque cela paraît nécessaire, à Genève, et qu’on se batte parce que cela est également nécessaire dans l’Aurès ou en tout lieu où on tentera d’abattre, de détruire, de s’attaquer à l’unité de la patrie.

Les mesures que nous avons prises ont été immédiates. On me permettra, je suppose, de ne pas les énumérer. Mais, je ne vois vraiment aucun inconvénient à indiquer à l’Assemblée nationale, comme je l’ai fait à la commission de l’intérieur, qu’en l’espace de trois jours, seize compagnies républicaines de sécurité ont été transportées en Algérie, ce qui a porté à vingt le nombre total de ces compagnies sur le territoire algérien.

En trois jours tout a été mis en place. On a dit : Est-ce pour maintenir l’ordre ? Non pas seulement. Mais pour affirmer la force française et marquer notre volonté. Il ne s’agissait pas seulement de réprimer, de passer à la contre-offensive de caractère militaire afin de reconquérir un territoire qui n’était point perdu ! Il s’agissait d’affirmer, à l’intention des populations qui pouvaient s’inquiéter, qu’à tout moment, à chaque instant, elles seraient défendues. »

 

idem un plus court extrait

« Voilà donc qu’un peu partout, d’un seul coup, se répand le bruit que l’Algérie est à feu et à sang. De même que le Maroc et la Tunisie ont connu ce phénomène du terrorisme individuel dans les villes et dans les campagnes, faut-il que l’Algérie ferme la boucle de cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans contre les nations qui prétendaient les tenir en tutelle ?

Eh bien non ! cela ne sera pas, parce qu’il se trouve que l’Algérie, c’est la France, parce qu’il se trouve que les départements de l’Algérie sont des départements de la République française.

Des Flandres jusqu’au Congo, s’il y a quelque différence dans l’application de nos lois, partout la loi s’impose et cette loi est la loi française; c’est celle que vous votez parce qu’il n’y a qu’un seul Parlement et qu’une seule nation dans les territoires d’outre-mer comme dans les départements d’Algérie comme dans la métropole. Telle est notre règle, non seulement parce que la Constitution nous l’impose, mais parce que cela est conforme à nos volontés.

(…) seize compagnies républicaines de sécurité ont été transportées en Algérie… Il ne s’agissait pas seulement de réprimer, de passer à la contre-offensive de caractère militaire afin de reconquérir un territoire qui n’était point perdu ! Il s’agissait d’affirmer, à l’intention des populations qui pouvaient s’inquiéter, qu’à tout moment, à chaque instant, elles seraient défendues. »

in J.O., Débats parlementaires.

 

Sous la Ve République

3 – M. Michel Debré, Premier ministre du Général De Gaulle présente le programme du Gouvernement à l’Assemblée nationale le 15 janvier 1959

« Dans nos préoccupations nationales, l’Algérie a la priorité absolue.

Des hommes et des femmes y vivent, dont les pères ont fait l’Algérie, et qui continuent à la faire chaque jour. La France y a groupé autour de son drapeau, et par ses hautes conceptions politiques, des Européens et des Africains, les uns et les autres citoyens comme nous-mêmes. Nos concitoyens musulmans sont, comme les descendants de ceux qui ont traversé la Méditerranée, des hommes et des femmes dans le regard desquels nous voyons l’image d’une commune espérance.

Il est des esprits qui pèsent avant toute chose le doit et l’avoir, les profits et les charges : disons hautement, à l’honneur de notre peuple, et spécialement à l’honneur des officiers et des soldats, que nous mettons avant toute chose cet élan des sentiments qui unit des millions d’Algériens, de la ville et du bled, dans l’affection spontanée qui crée, au-dessus et par-delà les différences d’origine, de race et de religion, la communauté d’espérance.

Faut-il convaincre les calculateurs ? Montrons-leur le Sahara, ce désert où le coq gaulois s’est longtemps en vain réchauffé les ergots. Que de puissances désormais y viendraient volontiers gratter le sable brûlant ! Acceptons de les associer à une oeuvre immense qui peut ouvrir une ère nouvelle à l’Algérie et à l’Afrique, à la France et à l’Europe.

A ceux que ne contente pas la vision des grandes possibilités économiques et humaines auxquelles nous accédons grâce à l’Algérie, recommandons de réfléchir au problème de notre sécurité. La France est à Alger par une nécessité fondamentale que nos ancêtres ont connue et que nous ne pouvons méconnaître sans trahir. C’est par notre présence indiscutée, notre autorité incontestée, que nous garantissons la sécurité de la Méditerranée occidentale, et, par là, notre sécurité.

Devant les troubles du Moyen-Orient et leurs très fâcheuses conséquences, nous pouvons mesurer la valeur de la tranquillité maintenue dans cette partie plus proche d’une mer dont ce serait une grave faute que d’oublier la capitale importance stratégique. Quelle tragédie ce serait pour nous, pour l’Europe, pour l’Occident, si, tout entière, la Méditerranée redevenait une frontière entre deux mondes hostiles. L’Occident a suffisamment perdu au cours des dernières années ; que les moins imaginatifs veuillent bien, désormais, imaginer où mèneraient de nouveaux abandons. (Applaudissements.)

Osons dire, enfin, au-delà de nos sentiments profonds, au-delà des intérêts économiques et des exigences militaires, que notre siècle remet en lumière la véritable hiérarchie des valeurs politiques. Les États, leurs aspirations, leurs ambitions, leurs méthodes, ne peuvent être appréciés du seul point de vue des résultats. Les succès acquis parle mensonge, le mépris des dignités de l’homme ou de la femme, sont sans doute efficaces : ils mènent de tragédie en tragédie. La légitimité française en Algérie, dépassant le fait que l’Algérie est une création commune à divers éléments mais qui ont été soudés et fondus par l’action de la France, dépassant cet autre fait que, demain, il ne peut y avoir d’enrichissement et d’amélioration sociale que par l’effort de la France, la légitimité française, dis-je, est fondamentalement établie au regard des valeurs éternelles parce qu’elle est la seule qui soit inspirée par la volonté de fraternité humaine. »

 

4 – Message du général de Gaulle au Parlement, Assemblée nationale et Sénat, 20 mars 1962

« Mesdames, Messieurs les députés,

La politique poursuivie par la République depuis tantôt quatre années au sujet de l’Algérie a été, à mesure de son développement, approuvée par le Parlement, soit explicitement, soit du fait de la confiance qu’il n’a cessé d’accorder au gouvernement responsable. Le référendum du 8 janvier 1961 a démontré, quant à la direction ainsi tracée, l’accord massif et solennel du pays.

Mais, voici que la proclamation du cessez-le-feu, les mesures fixées pour l’autodétermination des populations, les conditions adoptées quant à la coopération de l’Algérie et de la France – y compris les garanties assurées à la population de souche française – dans le cas où l’autodétermination instituerait un État algérien indépendant, marquent une étape décisive de cette politique. L’ensemble des dispositions arrêtées en conclusion des négociations d’Evian avec les représentants du FLN (1) et des consultations menées auprès d’autres éléments représentatifs algériens se trouve maintenant formulé dans les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 (2).

Nul ne peut se méprendre sur la vaste portée de cet aboutissement en ce qui concerne, tant la vie nationale de la France, que son oeuvre africaine et son action internationale. Nul ne peut, non plus, méconnaître les difficultés d’application qui en résultent aujourd’hui et risquent d’en résulter demain, non seulement quant à la situation d’un grand nombre de personnes et de beaucoup de choses, mais aussi dans le domaine de l’ordre public et de la sûreté de l’État. Il m’apparaît donc comme nécessaire que la nation elle-même sanctionne une aussi vaste et profonde transformation et confère au chef de l’État et au Gouvernement les moyens de résoudre, dans les moindres délais des problèmes qui seront posés à mesure de l’application.

C’est pourquoi, en vertu de l’article 11 de la Constitution j’ai décidé, sur la proposition du Gouvernement, de soumettre au référendum (3) un projet de loi comportant l’approbation des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 ; autorisant le Président de la République à conclure les actes qui seront à établir au sujet de la coopération de la France et de l’Algérie si l’autodétermination institue un État algérien indépendant et enfin et jusqu’à ce que soient, dans cette éventualité, créés en Algérie des pouvoirs publics algériens, attribuant au Président de la République le pouvoir d’arrêter, par ordonnances ou par décrets pris en conseil des ministres, toutes mesures relatives à l’application de ces mêmes déclarations.

Au moment où semblent s’achever enfin les combats qui se déroulent depuis plus de sept ans et où s’ouvre à la France nouvelle et à l’Algérie nouvelle, la perspective d’une féconde et généreuse coopération, je suis sûr, mesdames, messieurs les députés, que vous voudrez vous joindre à moi pour élever le témoignage de notre confiance et de notre espérance vers la patrie et vers la République. « 

(1) Front de libération nationale.

(2) Déclaration rendant compte des accords d’Evian (18 mars 1962) qui reconnaissent l’indépendance de l’Algérie.

(3) Le 8 avril 1962 les accords d’Evian seront approuvés par référendum : les Français répondent oui (90,7 % des suffrages exprimés).

Les 4 discours sont tirés de : « Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours », rassemblés et commentés par Michel Mopin – Notes et études documentaires – La Documentation française – Paris, 1988

« Documents repris de
http://www.clionautes.org/clio01/TropesCafe/DebatsParlementairesAlgerie.rtf
sur le site des Clionautes sur proposition de Sylviane Tabarly (stabarly@wanadoo.fr) »


Tant que les assassins ne commencent pas !

« La guerre nord-africaine nous est imposée. Nous en refusons la responsabilité. Nous ne nous battons pas en Algérie pour conquérir, mais pour ne pas nous laisser conquérir. Que les fellaghas déposent les armes, comme les y a invités, il y a moins d’un mois, M. Guy Mollet, et nous rappellerons nos soldats pour ne plus envoyer dans nos départements algériens que des instituteurs, des médecins, des agronomes, des architectes. Mais tant que les assassins ne commencent pas, comme disait à peu près Alphonse Karr, notre premier devoir, notre devoir impérieux, est d’assurer la vie des nôtres, Français musulmans aussi bien que Français non musulmans. Il est essentiel que soit ainsi démontré une fois de plus que  » le crime ne paie pas « . »

Robert BONY. in L’Aurore, 2 avril 1956.


L’affaire du 6 février 1956

« Guy Mollet décide donc de venir à Alger. Malgré nos recommandations, il passe outre.

Le jour de son arrivée, toute l’Algérie française s’est donnée le mot d’ordre pour lui faire une conduite de Grenoble. Tout ce qu’il y avait de Français dans l’Algérois était mobilisé contre le président du conseil. D’abord parce qu’il était socialiste, et vous savez, dans leur majorité, les Français d’Algérie n’étaient pas des gens de gauche.

Etant maire de la ville, il était de mon devoir d’aller le saluer à l’aérodrome, où je parvenais après avoir traversé cette multitude innombrable qui l’attendait.

Mon premier et mon deuxième adjoint, Me Rime et Paul Arnold, m’accompagnaient, et ensemble nous pensions tout haut :  » Mon Dieu ! Tout à l’heure, qu’est-ce qu’il va prendre !  »

En prévision de cette réception agitée, j’avais proposé à M. Cutoli, secrétaire général du gouvernement général, un itinéraire de secours qui permettrait au président de gagner le palais d’Été par le ravin de la Femme-Sauvage. A l’aérodrome je réitérai ma suggestion à M. Cutoli qui me répondit que Guy Mollet ne l’entendait pas comme ça et qu’il tenait à aller déposer sa gerbe au monument aux morts.

Alors, ce fut affreux. La cérémonie, si l’on peut dire, se déroula sous une grêle de tomates, de billes de plomb, de mottes de terre. C’était horrible.

Sous cette grêle et les huées, le président du Conseil dut précipitamment sauter en voiture et gagner le palais d’Été, où il demeura pratiquement prisonnier durant deux jours.

Tout cela était évidemment peu glorieux et fort désagréable quant au prestige et à l’autorité de l’État. On eut pu en faire l’économie. Mais il y avait pire. Cette aventure donnait aux Français d’Algérie, aux pieds-noirs, le sentiment qu’il suffisait d’agir de façon brutale pour être les patrons et que rien ne les empêchait ainsi d’imposer leur volonté au Gouvernement.

On peut dire que c’est à partir de ce moment-là, de ce 6 février 1956, que le gouvernement français a perdu le contrôle réel de la population française d’Algérie.

Dès cet instant, il suffisait que cinquante types de Bab-el-Oued se réunissent sur la place des Trois-Horloges pour décider ce que Paris devait faire, et ne pas admettre, au nom de tous les Français d’Algérie, qu’il en aille différemment. Toute autorité française sur les Français d’Algérie a été détruite le 6 février. C’est un fait absolument indiscutable. « 

Jacques Chevallier, Mémoires de notre temps, 1967.


La politique de Guy Mollet

 » L’important c’est d’assurer la coexistence des communautés qui composent l’Algérie, sans que l’une puisse opprimer l’autre. L’Algérie ne peut vivre et connaître la prospérité que par une collaboration active de ces communautés dans l’égalité et la justice : l’une a le nombre, l’autre l’expérience technique et la puissance économique. Cette collaboration établie, il deviendra simple d’organiser les rapports avec la France, économiquement indispensables, affectivement souhaités.

Depuis la formation du gouvernement à direction socialiste [SFIO], notre objectif a été de faire cesser l’effusion de sang. Nous avons présenté, nous avons fait maintenir en permanence une offre inconditionnelle de cessez-le-feu, sans aucun préalable politique, quel qu’il soit. Le gouvernement a fait connaître qu’il était prêt à tout instant à entrer en contacts officiels et directs avec ceux qui se battent pour régler avec eux les conditions générales du cessez-le-feu.

Dans les mois qui suivront le retour au calme, nous avons promis que seront organisées des élections libres, au collège unique, qui se dérouleront en présence d’envoyés des nations démocratiques, invités par la France, C’est avec les représentants ainsi élus que le gouvernement devrait entrer immédiatement en discussion pour arrêter l’organisation définitive future de l’Algérie.

Le triptyque socialiste – qui est devenu le triptyque français – cessez-le-feu, élections, négociations, nous a fait accorder à l’ONU l’appui de la très grande majorité des nations démocratiques et libres. « 

Guy Mollet, Bilan et perspectives socialistes, Plon, 1958.



Le scepticisme d’un intellectuel musulman face à l’intégration
18 mai 1958

« M. Soustelle est arrivé hier après-midi à Alger. Prétexte à de nouvelles manifestations. Le forum, le Gouvernement général, les grandes artères d’Alger ne désemplissent pas depuis quatre jours. Les musulmans sont choyés, dorlotés, surtout les manifestants. J’ai vu passer les loqueteux de Maison-Carrée (1) ou d’ailleurs, qui furent frénétiquement applaudis par les badauds. Des voitures pavoisées klaxonnent éperdument :  » Algérie française ! Algérie française ! « .

L’euphorie générale est proche de l’hystérie. Et il y a là une véritable communauté franco-musulmane. Dans l’hystérie. Mais il y a aussi, derrière cette masse moins impressionnante qu’on le dit, cette masse hétéroclite qu’on hésite à prendre au sérieux, une autre masse silencieuse, qui garde parfaitement son calme ou se réjouit de cette mascarade. Non, vraiment, on ne peut prendre au sérieux cette révolution. Et, à Paris, on aurait tort de céder. »

M. FERAOUN, Journal (1955- 1962), Le Seuil, 1962. (Instituteur kabyle, Mouloud Feraoun sera assassiné par L’OAS en mars 1962, trois jours avant les accords d’Évian.)

(1) Localité de la banlieue algéroise.


Discours du général de Gaulle (4 juin 1958)

Dès son arrivée au pouvoir, de Gaulle se rend en Algérie et prononce à Alger un discours qui rassure les partisans de l’Algérie française.

« Je vous ai compris !

Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité.

Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. Et je dis la fraternité parce que vous offrez ce spectacle magnifique d’hommes qui, d’un bout à l’autre, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main.

Eh bien ! de tout cela je prends acte au nom de la France et je déclare qu’à partir d’aujourd’hui la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière — des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup.

Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas.

Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait.

Cela veut dire qu’il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une.

L’armée, l’armée française, cohérente, ardente, disciplinée, sous les ordres de ses chefs, l’armée éprouvée en tant de circonstances et qui n’en a pas moins accompli ici une oeuvre magnifique de compréhension et de pacification, l’armée française a été sur cette terre le ferment, le témoin, et elle est le garant, du mouvement qui s’y est développé.

Elle a su endiguer le torrent pour en capter l’énergie. Je lui rends hommage. Je lui exprime ma confiance. Je compte sur elle pour aujourd’hui et pour demain.

Français à part entière, dans un seul et même collège ! Nous allons le montrer, pas plus tard que dans trois mois, dans l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les 10 millions de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin.

Pour ces 10 millions de Français, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres.

Ils auront à désigner, à élire, je le répète, en un seul collège, leurs représentants pour les pouvoirs publics, comme le feront tous les autres Français.

Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste.

Ah ! puisent-ils participer en masse à cette immense démonstration, tous ceux de vos villes, de vos douars, de vos plaines, de vos djebels ! Puissent-ils même y participer ceux qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux — car le courage ne manque pas sur cette terre d’Algérie –, qu’il est courageux mais qu’il n’en est pas moins cruel et fratricide !
Oui, moi, de Gaulle, à ceux-là, j’ouvre les portes de la réconciliation.

Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux la France !

Vive la République ! Vive la France ! « 

(Discours et messages, t. III, Avec le renouveau, mai 1958-juillet 1962 , pp. 15-17)
Cité dans Les collections de L’Histoire No 1, 1998 (Hors série No 1 de L’Histoire ) p.36.


Les conscrits. Témoignage et réflexion.

« Ce fut un étrange voyage, pour beaucoup le premier grand voyage de leur vie, au pays des filles voilées et cachées, l’horizon hostile et splendide et nous le fusil à l’épaule et la grenade à la ceinture. Nous avons tous, je crois, passionnément aimé et détesté ce pays. (…)

Le racisme était la loi… Cette population algérienne, par les moeurs, ses comportements, sa culture, restait totalement impénétrable aux jeunes Français de 1956-1962. Eux se sentaient parfaitement innocents d’une guerre qu’ils détestaient. »

A. Frémont, témoignage dans La Guerre d’Algérie et les Français, Fayard, 1990. D.R.

 

Le poids du silence

« J’aurais aimé avoir vingt ans pendant l’Occupation, ce qui m’aurait permis, comme mon père et mes frères aînés, de participer à la Résistance. Mais je n’avais que sept ans en 1940… Ma guerre à moi fut celle d’Algérie, alors qualifiée par les gouvernants « d’opérations de maintien de l’ordre »! (…) En Algérie, les exactions nombreuses ont été commises honteusement, en contradiction avec nos principes fondamentaux et combattues tant dans la société civile qu’à moindre échelle, dans l’armée ou l’administration française. (…) Or, les tortures ou actes de barbarie commis par l’adversaire ne peuvent justifier ni les déplacements de populations, ni les exécutions sommaires ou les viols, ni l’institutionnalisation de la torture au sein de l’armée d’un pays qui se proclame celui des droits de l’homme. (…) À mon retour, comme la plupart des appelés, je m’étais réfugié dans le silence. »

Ugo IANNUCI, Soldats dans les gorges, Palestro, Aléas, 2001

 

LA GUERRE AU QUOTIDIEN

Extrait du Journal de l’écrivain kabyle Mouloud Feraoun qui mourra assassiné par l’O.A.S. en 1962, peu avant l’indépendance de l’Algérie.

« 19 mars 1956… Voici ce que le Journal d’Alger rapporte :  » Une opération d’envergure a été déclenchée dans la journée du samedi à la base du massif de Fort-National, entre la grande route Alger-Bougie et cette cité… Il s’agissait de détruire une bande terroriste qui a à son actif des assassinats et de nombreux sabotages. Après de nombreux kilomètres de marche dans la nuit, les forces de l’ordre ont accroché à plusieurs reprises les rebelles dans les centres de Belias, Ighil, Ounechial et Ighil Hadj Ali. Un guetteur et huit autres hors-la-loi ont été tués et un blessé. Trente et un suspects ont été appréhendés et des armes, des munitions récupérées. Cinq d’entre eux ont été abattus alors qu’ils tentaient de s’enfuir…  »

Dans ce cas particulier, l’armée a pu avoir ses renseignements d’un jeune homme d’Azouza qui s’est réfugié récemment à la caserne, menacé par ses camarades du maquis. Une liste a été dressée et plusieurs bataillons ont été envoyés dans les villages pour y ramasser les Kabyles. Aucun doute que tous ceux qui figuraient sur la liste n’aient quelque complicité, quelque sabotage, quelque coup de main à leur actif. Mais enfin, c’étaient des gens  » bien rangés « , vivant chez eux, vaquant à leurs occupations et coulant leurs jours sans inquiétude pour tout dire. Des attentistes en quelque sorte. Et, à ce point de vue, on peut affirmer que toute la population en est là ; car ce n’est pas d’aujourd’hui que date la sympathie pour les rebelles, ni le désir de les aider si l’occasion s’en présente… »

MOULOUD FERAOUN, Journal, Editions du Seuil, Paris, 1962.

 

Trois mots chargés de sens

« Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin des raisons de s’indigner ; laissons le passé et ses occasions perdues ; le présent suffit bien à notre angoisse. Je ne prononcerai que trois mots, assez chargés de sens : camps de concentration, torture et répression collective. Je ne veux scandaliser personne et ne prononcerai pas à la légère les noms sacrés de Dachau et Buchenwald ; il me suffira, hélas ! d’en prononcer un autre, déjà bien lourd à porter : nous, Français, avions déjà sur la conscience le camp de Gurs, et nous savons, n’ayant pas d’excuse, de quelles abominations, de quelles souffrances, au surplus politiquement toujours inutiles, s’accompagnent le recrutement des  » suspects  » et leur abandon aux démences concentrationnaires. Passant à la torture, je ne puis éviter de parler de  » Gestapo  » : partout en Algérie, la chose n’est niée par personne, ont été installés de véritables laboratoires de torture, avec baignoire électrique et tout ce qu’il faut, et cela est une honte pour le pays de la Révolution française et de l’affaire Dreyfus (…). Et que dire enfin de la répression collective, car de quelque nom qu’on la décore – ratissage, démonstration aérienne (…) – l’opération consiste toujours à frapper indistinctement innocents et coupables, combattants et désarmés. On ne  » venge  » pas un assassinat par de tels crimes, car ce sont là des crimes. (…) Oui, la grandeur française est en péril. Je m’adresse à tous ceux qui, comme moi (…) ont des enfants et des petits-enfants : il faut que nous puissions leur parler, sans être couverts d’humiliation, d’Oradour et des procès de Nuremberg. »

H.I. MARROU,  » France, ma patrie … « , in Le Monde du 5 avril 1956.


Le malaise de l’armée, de l’Indochine à l’Algérie

L’exemple de l’affaire indochinoise où l’armée métropolitaine a dû prendre à son compte une tâche que ne pouvaient assumer à elles seules les troupes coloniales, montre qu’en définitive c’est toujours aux mêmes qu’il faut faire appel.

« C’est à eux qu’on a demandé de s’adapter au matériel et aux méthodes américaines de 1944, puis de préparer, à partir de 1950, la  » défense sur de grands espaces « , enfin de concevoir un conflit atomique et les techniques de combat qu’il implique. En même temps, on les expédiait en Indochine, quitte à les prier à leur retour de secouer ce qu’on appelait leur  » apathie intellectuelle « , de lutter contre leur  » sclérose  » et de comprendre qu’il existait maintenant une  » guerre révolutionnaire « . Manier le radar, compter les roentgen émis par une explosion nucléaire n’était pas suffisant ; il fallait aussi, du jour au lendemain, se transformer en administrateurs, distribuer les cartes d’identité, comprendre les subtilités de la politique algérienne locale et celles de la loi-cadre, appliquer les règlements sanitaires, instruire les enfants, organiser des chantiers, s’attirer l’amitié de la population, se muer en coureurs de djebels et en combattants d’une guerre de partisans, enfin, dernier et pénible avatar, se déguiser en policiers. »

Jean Planchais, Le malaise de l’armée, Plon éd., 1958, p. 49.


SOUVENIRS D’APPELÉS EN ALGÉRIE

« Dix-huit mois après mon retour, un jour, les gendarmes sont venus à l’usine me chercher. (…) Je n’avais pas vraiment envie d’y aller. (…) Avant notre départ, dans le coin, il y a eu des actions très dures, puisqu’on a fait sauter des voies [de chemin de fer] à Beaurepaire (…).
On nous a fait prendre le bateau à Port-Vendres, car il y avait beaucoup de manifestations à Marseille. (…) Jusqu’à l’embarquement, on a manifesté. Je me rappelle la prise d’armes dans la cour de la caserne ; les gars chantaient Le Déserteur, je ne connaissais pas encore ce chant à l’époque. L’hostilité des rappelés était totale. (…) On hurlait contre la guerre. C’était énorme. Les officiers ne disaient rien, ou plutôt je me souviens de l’un d’eux qui disait : “Faut les laisser faire. Quand ils auront eu un des leurs tué, à ce moment-là ils se mettront à faire la guerre” ».

« (…) Les pieds-noirs étaient un peu distants ; j’avais l’impression qu’on les gênait, qu’on perturbait leurs habitudes. Ils avaient besoin de nous parce qu’on était là pour les défendre, mais on les gênait parce qu’ils avaient l’habitude de commander. On nous avait dit en métropole que l’Algérie, c’était un département français ou plutôt trois départements. Quand je suis arrivé là-bas, je me suis dit : c’est la France. Et puis je me suis rendu compte que la monnaie n’était pas la même, que les cigarettes ne coûtaient pas le même prix, que l’essence était moins chère…, bref, ce n’était pas la France, mais le pays des Algériens (…) ».

« Le 24 mai [1956]
Pour les militaires déjà en place, voici ce que pensent 99% : il faudrait tout raser : les Arabes, ce sont des incapables, des lâches, des fainéants, et ils sont tous fellagha la nuit ! Cette opinion est très vite adoptée par nous, et maintenant, à longueur de journée, on se plaint de ne pouvoir fouiller tout le monde. Celui qui vous dit bonjour est suspect. Il n’y a plus de communistes [parmi nous]. Il n’y a que des partisans de la répression, de tout bousiller. On voudrait passer sa rancœur sur les Arabes parce que personne ne comprend pourquoi le gouvernement nous envoie ici, parce que personne ne désirait venir, parce que tout le monde est venu. Parce qu’on en a marre. On voudrait pouvoir se servir de ce que l’on a entre les mains. On en veut à mort aux musulmans. »
Extrait de la lettre d’un appelé à un ami prêtre.

« Lorsque je suis revenu d’Algérie, j’étais comme les copains. J’étais un peu… hébété. J’ai mis un an à me remettre dans la vie active vraiment. Je me souviens, les premiers temps, dans les rues… Au moindre bruit de moto, je sursautais. La nuit, je me réveillais et je me disais : c’est fini, tu es rentré.
La guerre m’avait changé ; tous ceux qui sont passés par là sont revenus avec un caractère changé, durci. Je crois qu’on a… vieilli. En vingt-cinq mois d’armée, je n’ai pas vieilli de deux ans, mais de dix. On a le sentiment d’avoir gâché sa jeunesse, puisque l’amusement, on n’a pas connu. Je fais partie d’une génération qui n’a pas eu de chance. Lors de la guerre de 39-45, nous étions gamins, mais les jouets, on ne les a pas vus. Quand on a eu vingt ans, c’était le moment de s’amuser en Algérie. Je ne faisais ni politique ni syndicalisme, donc j’y suis allé sans me poser de questions. Mais ce que j’ai fait là-bas n’a servi à rien (…) ».

D’après les témoignages recueillis et publiés par Patrick ROTMAN et Bertrand TAVERNIER, La guerre sans nom. Les appelés d’Algérie 1954-1962. Paris, Seuil, 1992.


La banalisation de la violence et le racisme

Un soldat du contingent évoque l’engrenage dans lequel se trouvent pris les  » appelés  » servant en Algérie.

« La guerre d’Algérie, du côté arabe, est une guerre de partisans. Ce sont donc eux qui choisissent le jour et l’heure du harcèlement ou de l’embuscade (…). Pourchassés, ils disparaissent d’un secteur, pour réapparaître longtemps après. Et un soir, à la surprise générale, des quatre coins du poste à la fois, ils tirent sur les sentinelles (…).

Des  » suspects  » sont arrêtés.

Les grands moyens sont employés avec l’arrivée d’un spécialiste qui s’attaque aux suspects. Jusqu’ici, quelques coups de poings, deux ou trois gifles, des menaces. Ses méthodes soulèvent la nausée et la protestation de ceux qui ont vu.  » Nous ne sommes pas des assassins « , disent les appelés.  » Mais vous savez de quoi les rebelles sont capables ?  » leur répond-on. Ils ont exécuté trois amis de la France, la compagnie voisine a eu deux tués dans une embuscade. Le saviez-vous ? Non, nul ne le savait. Alors, on parle d’efficacité, de sauver des vies humaines, la vôtre peut-être. Ceux qui protestent sont déjà moins nombreux. Tous s’imaginent la gorge ouverte. (…) Le capitaine dit :  » On vous a confiés à moi, je veux que vous reveniez entiers. Pour cela, nous devons prendre les fellouzes. Vous savez ce que les rebelles font aux types qui leur tombent entre les pattes ? » Un geste du tranchant de la main à la hauteur de la gorge. Message reçu.

Les patrouilles se multiplient. La fatigue et la peur commencent à agir. Alors quelques-uns bousculent un peu un Arabe. Un salaud, il est de mèche avec les rebelles. Bicots ou bougnoules apparaissent dans le vocabulaire du poste. A titre de représailles, alors qu’on cherche des armes, des jarres d’huile sont cassées à coups de crosse, quelqu’un vole une poule, ou frappe un suspect. C’est l’escalade. Peu à peu, on s’abandonne à l’esprit raciste savamment entretenu ; un adjudant cherche deux volontaires pour asticoter un suspect. Il les trouve. Après quoi, ils racontent en riant :  » Le type gueulait comme un âne, il pissait le sang « … »

J.P. Vittori, Nous, les appelés d’Algérie, Stock éd., 1977, p. 241.


La question

Henri Alleg, ancien rédacteur en chef d’Alger républicain, quotidien exprimant la politique du Parti communiste algérien, s’était engagé avec un certain nombre de communistes européens d’Algérie dans la lutte aux côtés du F. L. N.
Le récit de son arrestation et des tortures qu’il subit, publié sous le titre  » La Question  » en 1958, provoqua une forte émotion en France.

 » Mes lunettes avaient depuis longtemps voltigé. Ma myopie renforçait encore l’impression d’irréel, le cauchemar que je ressentais, et contre laquelle je m’efforçais de lutter, dans la crainte de voir se briser ma volonté.

« Allez, Audin, dites-lui ce qui l’attend. Évitez-lui les horreurs d’hier soir !  » C’était Cha… qui parlait. Ir… me releva la tête. Au-dessus de moi, je vis le visage blême et hagard de mon ami Audin qui me contemplait tandis que j’oscillais sur les genoux.

« Allez, parlez lui « , dit Cha…

« C’est dur, Henri », dit-il. Et on le remmena.

Brusquement, Ir… me releva. Il était hors de lui. Cela durait trop.  » Écoute, salaud ! Tu es foutu ! Tu vas parler ! Tu entends, tu vas parler !  » Il tenait son visage tout près du mien, il me touchait presque et hurlait :  » Tu vas parler ! Tout le monde doit parler ici ! On a fait la guerre en Indochine, ça nous a servi pour vous connaître. Ici, c’est la Gestapo ! Tu connais la Gestapo ? » Puis, ironique :  » Tu as fait des articles sur les tortures, hein, salaud ! Eh bien ! maintenant, c’est la 10e D.P. qui les fait sur toi.  » J’entendis derrière moi rire l’équipe des tortionnaires. Ir… me martelait le visage de gifles et le ventre de coups de genou.  » Ce qu’on fait ici, on le fera en France. Ton Duclos et ton Mitterrand, on leur fera ce qu’on te fait, et ta putain de République, on la foutra en l’air aussi ! Tu vas parler, je te dis. » Sur la table, il y avait un morceau de carton dur. Il le prit et s’en servit pour me battre. Chaque coup m’abrutissait davantage mais en même temps me raffermissait dans ma décision : ne pas céder à ces brutes qui se flattaient d’être les émules de la Gestapo.

 » Bon dit Cha… tu l’auras voulu ! On va te livrer aux fauves.  » Les  » fauves  » c’étaient ceux que je connaissais déjà, mais qui allaient déployer plus largement leurs talents. Ir… me traîna vers la première pièce, celle où se trouvaient la planche et le magnéto. « 

Henri Alleg, La question, Éditions de Minuit 1958.

 

Le témoignage d’un Algérien sur la torture

(orthographe d’origine)

« J’ai l’honneur de porté à votre connaissance l’effet suivant au sujet de notre arrestation dans la nuit du 10 au 11 février 1960 (…) pendant la perquisition, [les gendarmes] ont trouvé une lettre quel ma été adresser par un voisin quil avait mal écri son nom et qui est actuellement au maquis, cette lettre elle datte depuit plus d’un an, que je l’ait reçu par la poste, (…) alors il mon demander, dout été venu cette lettre, comme moi je me souvien plus, j’ai répondu je ne sait pas, un geune sous lieutenant ma giflé devant mes petits enfants, qu’ils ont commencé à pleurer, (…) aussitôt ont nous a emener, moi, ma fille et mon beau fils a el biar sans mot dire directement à la torture, dans la chambre a torture il y avait inviron 8 à 10, le nombre des tortionnaires, gendarmes et asurtés, mon demander si mes dents sont a moi, j’ai répondu non, enlevé les parce que vont être cassé (…) quant ont commencé à m’attacher, l’attacheurs a mis un pied de chaque coté sur mes épelles quil me les a fait craquet, je dit un peu d’humanité, une voix se lève un peu plus loin de mes pieds, me dit pas d’humanité pour les arabes, les yeux bander douche avec caoutchouc l’eau froide de la nuit du 10/27 1960. J’ai été frigorifier, tuyaut dans la bouche, que la femme il est enceinte dans 9 mois, moi j’ai été enceinte dans 9 secondes et non pas 9 minutes, âpre se la séance de l’électricité qui commence, une espèce de tirboulette avec fil dans la prise du courant, je me suis considéré comme un poisson dans une poile sur le feu, au bout d’un demi heure environ, j’ai été presque à la mort, j’ai été évanué, j’ai été jeté, dans une cellul sans connaissance, le lendemain, j’ai été reveillés par la semelle d’un soulier sur ma figure, j’ai pas pu bougé de ma place sur le lendemain ils mon fait monté à l’interrogatoire (…) alor moi je dit, le général de gaulle et contre les tortures et les sévices, si lui si ma repondu que le général de gaulle ne commende pas ici, chez nous ; ici si nous qui nous commendions (…).

Apre les tortures j’ai été bien bouleversé et presque perdu la mémoire par suite des chocs des coups de points sur la tête et a la figure tous des bosses jentant presque pas le bourdonnement et la cigal qui sifle nuit et jour dans mes oreilles sant compté les brelures de l’ectricité qui font foi sur mon corps actuel lement,

Escusé moi je ne sait pas bien écrire j’ai jamais été a l’école

Recevez mes meilleur salutation

Boupacha Père de Djamila

Beni-Messous, 28 mai 1960″

Lettre de Boupacha Abdelaziz à son avocate, février 1960, cité par S. Thénault, R. Branche, La guerre d’Algérie.


Massu à Alger

 » La bataille d’Alger fut menée avec l’aide systématique de la torture. Le général Massu a pris fermement position pour l’emploi de ces méthodes, appuyé d’ailleurs dans sa foi catholique par le R.P. Delarue, aumônier de la 10e D.P. Dans une note rédigée, semble-t-il, par celui-ci en collaboration avec le colonel Trinquier, la torture est comparée successivement à la fessée qu’inflige à un enfant récalcitrant le père de famille et à l’intervention douloureuse mais nécessaire d’un chirurgien. Dans une autre note, qui fut publiée par le journal des étudiants d’Alger, le R.P. Delarue écrivait :  » Entre deux maux, faire souffrir pour un temps un bandit pris sur le fait, qui du reste mérite la mort, et de l’autre côté laisser massacrer des innocents que l’on pourrait sauver si l’on pouvait, grâce aux révélations de ce criminel, anéantir la bande, il faut sans hésiter choisir le moindre : un interrogatoire efficace sans sadisme.  »

Le général Massu, qui s’était fait infliger lui-même une séance d’électricité pour mieux en juger, se réjouit de cette prise de position et, dans une note du 19 mars 1957 qui porte la double et paradoxale mention :  » Secret  » et  » Diffusion générale en Z.N.A.  » (Zone Nord-algérois), écrit :  » La condition sine qua non de notre action en Algérie est que ces méthodes soient admises, en nos âmes et consciences, comme nécessaires et moralement valables. « 

P. Vidal-Naquet, La torture dans la République, Éditions de Minuit,1972.

 

Un drame de conscience : la torture

« La torture se distingue des autres procédés [de guerre] en ceci qu’elle n’est pas anonyme. La torture met face à face le bourreau et sa victime. Celui-là a au moins le mérite d’opérer à visage découvert (…). Certes, dans la torture, la victime est désarmée, mais les habitants des villes bombardées ne le sont-ils pas ? Qu’on m’entende bien. Je ne veux en aucune manière faire l’apologie de la torture. La torture, encore une fois, est un acte de guerre, aussi abominable que la guerre, mais pas plus qu’elle. »

Colonel ARGOUD, La décadence, l’imposture et la tragédie, Fayard, 1974.

 

« Au cours de visites récentes effectuées aux centres de détention, j’ai reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices ou des tortures qu’il y a quatorze ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo (…). Par ces méthodes improvisées et incontrôlées, l’arbitraire trouve toutes les justifications. La France risque, au surplus, de perdre son âme dans l’équivoque. Je n’ai jamais eu le cynisme et je n’ai plus la force d’admettre ces  » bavures « , résultat d’un système dans lequel l’anonymat est seul responsable.

Lettre de démission de P. TEITGEN, secrétaire de la police à Alger, in Y. COURRIERE, La guerre d’Algérie, t. II, Fayard, 1969.


La victoire militaire en Algérie

« Au printemps 60 il n’y a plus de katibas (1) , le diagramme de la formation d’une armée révolutionnaire a été coupé. Après être passée par un maximum, la courbe des armes et des effectifs groupés diminue très vite. Sauf dans les Aurès, il n’y a plus partout que des embryons de sections, occupés surtout à échapper à nos troupes.

Le quadrillage, trop statique auparavant, a pu se démultiplier et ses éléments dynamiques peuvent faire la course au rebelle avec des unités de plus en plus petites.

Le rebelle n’est plus le roi du djebel; il est traqué. Alors par tout petits groupes, il se réfugie de plus en plus dans le terrorisme. La phase militaire de la rébellion est terminée à l’intérieur de l’Algérie par la défaite du fellagha.

Cependant en Tunisie et au Maroc, les effectifs rebelles se sont groupés et organisés. Mais leurs tentatives sur les barrages se soldent par des échecs.

(…) le G.P.R.A. (2) ne se fait plus aucune illusion sur ses possibilités de victoire militaire et compte maintenant sur son action diplomatique dans le monde, action bien plus vigoureuse que celle de la diplomatie française, désuète et inefficace.

Au fur et à mesure que nos troupes remportent des succès sur la rébellion interne, jusqu’à la faire disparaître presque complètement, notre situation psychologique internationale se dégrade et le gouvernement français multiplie des concessions qui ne satisfont personne. La politique impérialiste des Soviets est évidente. Mais la politique américaine n’en est pas moins agressive à notre égard. Nous assistons à un phénomène ahurissant d’autodestruction de l’Occident par lui-même.

(…) On l’a vu depuis plusieurs années. C’est en partie l’Occident qui a obligé les Hollandais à abandonner les Indes néerlandaises à la dictature, les Belges à se retirer précipitamment du Congo en y laissant le chaos; c’est lui qui se réjouit des difficultés du Portugal en Angola, des Sud-Africains sur leur territoire ou des Français en Algérie et au Sahara.

(…) On allait assister à cette chose inouïe : un gouvernement dont l’armée était victorieuse allait faire cadeau de cette victoire à son adversaire. Cela ne s’était pas produit en France depuis la rétrocession gratuite par Louis IX à l’Angleterre de l’Aunis, du Poitou et de la Saintonge. (…)

Le cadeau fait à un G.P.R.A. qui ne représente qu’une fiction, qui est organisé suivant une structure totalitaire, qui est anti-occidental et antichrétien, dépasse les limites de l’entendement (…). »

1) Equivalent d’une compagnie.
2) Gouvernement provisoire de la République d’Algérie

Général Maurice Challe, Notre révolte , pp. 41-43, 48


Extrait du Manifeste des 121 (6 septembre 1960)

À la suite du procès intenté contre le réseau Jeanson d’aide au FLN, 121, puis plus de 200 intellectuels, proclament le droit à l’insoumission. (La droite répondra par un contre-manifeste des « intellectuels français » réunissant 300 signatures.)

« Pour les Algériens, la lutte, poursuivie, soit par des moyens militaires, soit par des moyens diplomatiques, ne comporte aucune équivoque. C’est une guerre d’indépendance nationale. Mais, pour les Français, quelle en est la nature ? Ce n’est pas une guerre étrangère. Jamais le territoire de la France n’a été menacé. Il y a plus : elle est menée contre des hommes que l’État affecte de considérer comme Français, mais qui, eux luttent précisément pour cesser de l’être. (…) Faut-il rappeler que, quinze ans après la destruction de l’ordre hitlérien, le militarisme français, par suite des exigences d’une telle guerre, est parvenu à restaurer la torture et à en faire à nouveau comme une institution en Europe ?

(…) N’y a-t-il pas des cas où le refus de servir est un devoir sacré, où la « trahison » signifie le respect courageux du vrai ? Et lorsque, par la volonté de ceux qui l’utilisent comme instrument de domination raciste ou idéologique, l’armée s’affirme en état de révolte ouverte ou latente contre les institutions démocratiques, la révolte contre l’armée ne prend-elle pas un sens nouveau ? (…) Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres. »

Parmi les signatures figurent : Simone de Beauvoir, André Breton, Marguerite Duras, Théodore Monod, Alain Resnais, Jean-Paul Sartre, Simone Signoret.


Discours du général de Gaulle (23 avril 1961)

Le lendemain du coup de force du 22 avril, à Alger, par lequel les généraux Salan, Jouhaud, Zeller et Challe tentent de mettre fin à la poilitique d’autodétermination, le général de Gaulle décide d’assumer des pouvoirs exceptionnels et en informe la nation.

« Un pouvoir insurrectionnel s’est établi en Algérie par un pronunciamento militaire.

Les coupables de l’usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités spécialisées, l’adhésion enflammée d’une partie de la population de souche européenne qu’égarent les craintes et les mythes, l’impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire.

Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite (1) . Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques (2) . Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la nation et le monde que déformés à travers leur frénésie. Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national.

Car l’immense effort de redressement de la France, entamé depuis le fond de l’abîme, le 18 juin 1940, mené ensuite jusqu’à ce qu’en dépit de tout la victoire fût remportée, l’indépendance assurée, la République restaurée ; repris depuis trois ans, afin de refaire l’Etat, de maintenir l’unité nationale, de reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au-dehors, de poursuivre notre oeuvre outre-mer à travers une nécessaire décolonisation, tout cela risque d’être rendu vain, à la veille même de la réussite, par l’aventure odieuse et stupide des insurgés en Algérie. Voici l’Etat bafoué, la nation défiée, notre puissance ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place et notre rôle en Afrique compromis. Et par qui ? Hélas ! hélas ! par des hommes dont c’était le devoir, l’honneur, la raison d’être, de servir et d’obéir.

Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J’interdis à tout Français et, d’abord, à tout soldat d’exécuter aucun de leurs ordres. L’argument suivant lequel il pourrait être localement nécessaire d’accepter leur commandement sous prétexte d’obligations opérationnelles ou administratives ne saurait tromper personne. Les seuls chefs, civils et militaires, qui aient le droit d’assumer les responsabilités sont ceux qui ont été régulièrement nommés pour cela et que, précisément, les insurgés empêchent de le faire. L’avenir des usurpateurs ne doit être que celui que leur destine la rigueur des lois.

Devant le malheur qui plane sur la patrie et la menace qui pèse sur la République, ayant pris l’avis officiel du Conseil constitutionnel, du Premier ministre, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, j’ai décidé de mettre en oeuvre l’article 16 de notre Constitution. A partir d’aujourd’hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui me paraîtront exigées par les circonstances. Par là même, je m’affirme, pour aujourd’hui et pour demain, en la légitimité française et républicaine que la nation m’a conférée, que je maintiendrai, quoi qu’il arrive, jusqu’au terme de mon mandat ou jusqu’à ce que me manquent, soit les forces, soit la vie, et dont je prendrai les moyens d’assurer qu’elle demeure après moi.

Françaises, Français ! Voyez où risque d’aller la France, par rapport à ce qu’elle était en train de redevenir.

Françaises, Français ! Aidez-moi ! « 

1) Quatre généraux (Challe, Salan, Zeller, Jouhaud) prétendent constituer le Haut commandement d’Alger
2) Les colonels Argoud, Godart et Lacheroy

(Discours et messages, t. III, Avec le renouveau, mai 1958-juillet 1962 , pp. 306-308)
Cité dans Les collections de L’Histoire No 1, 1998 (Hors série No 1 de L’Histoire ) p.38
.


Tract diffusé en Métropole en Mars 1962 par l’OAS

« Français de métropole, mon Frère, essaie de nous comprendre. Nous ne sommes ni des fascistes, ni des assassins professionnels, ni des ambitieux avides de pouvoir et sans scrupules. Nous avons supporté durant plus de sept ans une guerre ignoble où votre fils et les nôtres ont été lâchement assassinés autant par le FLN que par le pouvoir gaulliste qui, d’abandons en abandons, mène ce pays à la ruine et à la désolation.

Depuis plus de 7 ans, nous avons cherché à désiller les yeux du pouvoir, mais la veulerie des uns et la trahison des autres ont rendu vains nos efforts. Le 13 mai ne fut que l’imposture la plus vile d’un régime qui n’est plus aujourd’hui que celui d’un homme seul soutenu pour quelques temps encore par une mafia qui s’accroche désespérément à ses prébendes *.

Toutes les formes d’opposition légale nous ayant été successivement retirées, il ne nous est resté que l’action clandestine pour faire respecter nos droits les plus imprescriptibles à un moment où malgré les engagements les plus solennels le pouvoir se prépare à livrer l’Algérie aux assassins du FLN totalitaire et communisant. Ses crimes recevront-ils ainsi la caution gratuite de notre Patrie ?

Derrière des officiers qui n’ont qu’un but : leur fidélité à une parole donnée, c’est-à-dire garder l’Algérie à la France, nous sommes prêts à tous les sacrifices pour défendre cette cause. »

* revenus.

Reproduit dans L’OAS parle, collection Archives, Gallimard-Julliard, 1964.


Accords d’Évian

Le général de Gaulle qui a mis à profit les événements d’Alger pour revenir au pouvoir en France reprend en main l’armée, puis prépare lentement l’opinion à des négociations avec le F.L.N. Celles-ci s’engagent en 1960 et, malgré la résistance désespérée des partisans de l’  » Algérie française  » regroupés dans l’Organisation de l’Armée Secrète (O.A.S.), elles aboutissent en mars 1962 aux accords d’Évian :

« 1 – L’Etat algérien exercera sa souveraineté pleine et entière à l’intérieur et à l’extérieur.

Cette souveraineté s’exercera dans tous les domaines, notamment la défense nationale et les affaires étrangères. L’État algérien se donnera librement ses propres institutions et choisira le régime politique et social qu’il jugera le plus conforme à ses intérêts. Sur le plan international, il définira et appliquera en toute souveraineté la politique de son choix (…)

L’État algérien souscrira sans réserve à la Déclaration universelle des droits de l’homme et fondera ses institutions sur les principes démocratiques et sur l’égalité des droits politiques entre tous les citoyens sans discrimination de race, d’origine ou de religion. Il appliquera, notamment, les garanties reconnues aux citoyens de statut civil français.

2 – Des droits et libertés des personnes et de leurs garanties.

Dispositions communes : nul ne pourra faire l’objet de mesures de police ou de justice, de sanctions disciplinaires ou d’une discrimination quelconque en raison d’opinions émises à l’occasion des événements survenus en Algérie avant le jour du scrutin d’autodétermination ; d’actes commis à l’occasion des mêmes événements avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu. Aucun Algérien ne pourra être contraint de quitter le territoire algérien, ni empêché d’en sortir.

Dispositions concernant les citoyens français de statut civil de droit commun : dans le cadre de la législation algérienne sur la nationalité, la situation légale des citoyens français de statut civil de droit commun est réglée selon les principes suivants. Pour une période de trois années à dater du jour de l’autodétermination, les citoyens français de statut civil de droit commun : nés en Algérie et justifiant de dix années de résidence habituelle et régulière sur le territoire algérien au jour de l’autodétermination : ou justifiant de dix années de résidence habituelle et régulière sur le territoire algérien au jour de l’autodétermination et dont le père ou la mère né en Algérie remplit, ou aurait pu remplir, les conditions pour exercer les droits civiques; ou justifiant de vingt années de résidence habituelle et régulière sur le territoire algérien au jour de l’autodétermination, bénéficieront, de plein droit, des droits civiques algériens et seront considérés, de ce fait, comme des nationaux français exerçant les droits civiques algériens (…)

Au terme du délai de trois années susvisé, ils acquièrent la nationalité algérienne par une demande d’inscription ou de confirmation de leur inscription sur les listes électorales ; à défaut de cette demande, ils sont admis au bénéfice de la convention d’établissement (…)

3 – De la coopération entre la France et l’Algérie.

Les relations entre les deux pays seront fondées, dans le respect mutuel de leur indépendance, sur la réciprocité des avantages et l’intérêt des deux parties.

L’Algérie garantit les intérêts de la France et les droits acquis des personnes physiques et morales dans les conditions fixées par les présentes déclarations. En contrepartie, la France accordera à l’Algérie son assistance technique et culturelle et apportera à son développement économique et social une aide financière privilégiée. »

Extrait de Jacques Dalloz, « Textes sur la décolonisation », PUF, Paris, 1989


Victoire contre l’impérialisme...

« Pendant sept ans et demi d’une guerre cruelle le peuple algérien a tenu tête à l’une des plus fortes puissances coloniales du siècle: plus d’un million de soldats français ont été mobilisés à cet effet avec tout leur armement moderne: aviation, artillerie, blindés, marine.

La France est arrivée à dépenser jusqu’à trois milliards de francs par jour. Elle a bénéficié de l’appui massif de l’OTAN dans tous les domaines: militaire, financier, diplomatique, moral.

Elle a tenté avec l’aide d’une grande partie du peuplement européen en Algérie, de lutter désespérément pour le maintien de l’Algérie française .

Face à cette puissance qu’avait à opposer le Peuple algérien ?

D’abord sa foi en la justesse de sa cause, la confiance en lui-même et en ses destinées et la volonté inébranlable de briser les chaînes du colonialisme; ensuite, et surtout, son unanimité dans la lutte. Les Algériens – hommes et femmes, jeunes et vieux, d’Alger à Tamanrasset et de Tebessa à Mamia – se sont dressés dans leur totalité dans la guerre de libération. Ni les tentatives de division, ni la présence de contre-révolutionnaires et de provocateurs dans leurs rangs n’ont pu altérer leur foi et leur unité. Les Algériens se sont sentis comme les organes d’un même corps dans cette lutte gigantesque. Le F.L.N. et l’A.L.N. ont été des instruments de combat efficaces au service du Peuple, et par leur action continue ont porté des coups sérieux au colonialisme.

La Révolution algérienne a forcé l’admiration de tous. Elle jouit actuellement d’un prestige universel qui lui vaut de nombreux appuis.

A nos frères Maghrébins et Arabes, au pays socialistes, aux peuples du tiers monde, aux démocrates de France et d’Europe qui nous ont aidés, nous devons aujourd’hui d’exprimer notre reconnaissance pour leur soutien et leur solidarité.

Cette lutte a été d’un précieux enseignement pour les peuples subjugués encore par l’impérialisme. Elle a détruit le mythe de l’invincibilité de l’impérialisme. Tout en conduisant à la libération de l’Afrique, elle a démontré qu’un peuple aussi petit soit-il, et avec des moyens réduits, peut tenir tête à un impérialisme même très puissant et arracher sa liberté. »

Extraits de l’ Appel au peuple algérien par le président du GPRA, Benkhedda, in « Le Moujahid » , édition spéciale du 19 mars 1962


Réconciliation impossible ?

« Les signataires d’Evian, les Français en particulier, peuvent-ils assurer que la paix raciale est là, que la vie communautaire juste et équitable va régner par enchantement, que les adversaires d’hier vont, fraternellement, bâtir une Algérie nouvelle ?

La croire et même l’espérer, c’est oublier une réalité vieille de sept ans et cinq mois. D’aucuns diront très antérieure.

Les lointains attentats du 1er novembre 1954 se sont transformés en flots de sang et de haine. L’armée française a laissé derrière elle des centaines de milliers de tués. Le F.L.N. annoncera un million, chiffre probablement peu éloigné de la réalité. Il y eu des représailles aveugles et collectives (…). Chaque famille algérienne compte plusieurs chouhada (1) (…).

Les tortures, les sévices ont été le lot journalier. La bataille d’Alger a été gagnée, si l’on se rappelle les termes de Bigeard, dans la m… et le sang.

Dans les postes, les commissariats, la contrainte a été constamment le moyen de pression pour obtenir des renseignements. Il y a eu des exécutions légales aussi bien en France qu’en Algérie. La justice française n’a pas été tendre. La guillotine a fonctionné. Pendant les quelques mois où François Mitterrand a été garde des Sceaux, cinquante-huit terroristes algériens ont été guillotinés. Les corvées de bois ont liquidé les irréductibles, les gêneurs, tous ceux qu’on ne pouvait plus présenter. Les cadavres ont été éparpillés au hasard dans les fonds d’oued et des fourrés avant de devenir la proie des chacals pleurant dans la nuit.

En France même, il y a eu des ratonnades policières. (…) Il y a eu les prisons, les internements, les camps de déportation. Des régions transformées en zones interdites ont été dévastées. Des douars entiers ont vu leurs mechtas brûlées, le bétail abattu, les récoltes abandonnées. Les populations regroupées ont pataugé dans la boue et plié sous la misère.

Les haines de clan ont joué à mort entre Algériens pro-français et anti-français. Le neutralisme n’était pratiquement plus possible. L’engagement pour un camp ou pour l’autre était obligatoire.

(…) Le F.L.N., qui a commencé les assassinats et les massacres, a de son côté autant servi l’horreur. Elle fut sa meilleure alliée. (…) Bombes, attentats se sont succédé. Jeunesse innocente fauchée au Milk Bar ou à l’ Otomatic, fermiers assassinés, musulmans francophiles égorgés, la liste est longue de ceux qui ont payé le tribut de leur titre de Français ou de Pro-Français. Qui n’a pas supporté dans sa famille, dans ses biens, dans sa chair même le prix de la rébellion ?

La réponse est sans ambiguïté. Faute de protection, la communauté européenne et ses amis sont condamnés à l’exil ou à la mort. La valise ou le cercueil. »

1) Martyrs

Pierre Montagnon, La guerre d’Algérie , pp. 376-377


Le drame algérien

« L’Algérie, pendant l’année dont nous parlons [1961-1962], a été une terre maudite. Tous ceux qui y ont touché se sont sali les mains. Les responsables sont dans tous les camps. Le F.L.N., le pouvoir, les barbouzes, les gendarmes, les autorités civiles : personne ne s’est montré brillant, ni tout à fait honnête. Ce fut une vaste foire d’empoigne, où le plus fort et le plus rusé a gagné. Si elle ne sut pas se montrer unie, l’O.A.S. (1) avait au moins des motifs pour expliquer son action. L’avenir a prouvé que les pieds-noirs avaient quelques raisons de ne pas vouloir l’Algérie algérienne.

S’il fallait choisir l’acteur le moins médiocre de cette tragédie, je désignerais sans hésiter l’armée. L’armée française d’Algérie. Ce fut une très belle armée. Prise entre deux feux, divisée par d’inextricables drames de conscience, placée dans des situations apparemment sans issues, elle fit jusqu’au bout ce que la majorité attendait d’elle. Elle le fit peut-être sans conviction, par discipline et pour se sauver elle-même. Il faut dire que les erreurs de l’O.A.S. l’y ont, sur la fin, beaucoup aidée.

1) Organisation Armée secrète

Robert Buchard, Organisation Armée secrète , Paris, Albin Michel, 1963, T. II, pp. 211-212

Vous trouverez aussi sur Cliotexte des textes parlant de l’Algérie dans le chapitre sur la IVe République (notamment sur la crise de mai 1958) et sur la conquête et la colonisation de l’Algérie.