La dernière lettre de Robert Scott
Ce texte est la dernière lettre du capitaine Robert Falcon Scott, explorateur britannique de 44 ans. Il l’a écrite à la fin mars 1912, alors que la course au Pôle sud venait d’être remportée par Amundsen, bloqué par la tempête, attendant la mort. Il tente d’expliquer au peuple anglais qui l’a soutenu les motifs de sa défaite. Aujourd’hui, cette lettre retrouvée par une expédition ultérieure est exposée dans une vitrine au British Museum de Londres.
« Les causes du désastre ne sont pas dues à une organisation défectueuse de l’expédition, mais à la malchance dans tous les risques que nous avions à courir.
1° La perte des poneys survenue en mars 1911 m’obligea à partir plus tard que je ne l’avais décidé primitivement et me contraignit à emporter une quantité de vivres moindre que celle prévue tout d’abord.
2° Le mauvais temps à l’aller, notamment la longue tourmente que nous subîmes sous le 83ème degré de latitude, retarda notre marche.
3° La neige molle, dans les régions inférieures du glacier, ralentit encore nos progrès.
Avec énergie nous avons lutté contre ces circonstances imprévues et nous en avons triomphé mais au prix de prélèvements sur nos vivres de réserve. Approvisionnements, vestiaires et organisation de la file de dépôts établis sur le plateau, comme sur toute la route du Pôle, longue de 1300 kilomètres, tout nous a donné pleine satisfaction en tous points. (…)
Ces circonstances se sont produites en quelque sorte à l’improviste et notre perte est due à l’arrivée subite de ce mauvais temps, phénomène dont il me semble impossible de découvrir la cause. Jamais des êtres humains n’ont souffert autant que nous pendant ce dernier mois. En dépit du froid et du vent, nous aurions cependant réussi à passer, sans la maladie d’un second de nos compagnons, le capitaine Oates, sans la diminution de la provision de combustible contenue dans les dépôts, diminution inexplicable, sans enfin ce dernier ouragan. Il nous a arrêtés à 11 milles [18 kilomètres] du dépôt où nous espérions trouver les vivres nécessaires à la dernière partie du voyage. Eût-on jamais plus mauvaise chance ? Nous sommes arrêtés à 11 milles du dépôt One Tom Camp, n’ayant plus de vivres que pour deux jours et de combustible que pour un seul repas. Depuis quatre jours, il nous a été impossible de quitter la tente : l’ouragan hurle autour de nous. Nous sommes faibles, je puis à peine écrire. Cependant, pour ma part, je ne regrette pas d’avoir entrepris cette expédition ; elle montre l’endurance des Anglais, leur esprit de solidarité et prouve qu’ils savent regarder la mort avec autant de courage aujourd’hui que jadis. Nous avons couru des risques, nous savions d’avance que nous allions les affronter. Si les choses ont tourné contre nous, nous ne devons pas nous plaindre, mais nous incliner devant la volonté de la Providence, résolus à faire de notre mieux jusqu’au bout. (…)
Robert Scott »