Vers 1393 un bourgeois de Paris, riche et vieillissant, épouse une jeune orpheline de quinze ans. Pour l’aider à devenir une « prude femme », il écrit un ouvrage qui compile des conseils d’économie ménagère, des règles de comportement social et religieux, des instructions relatives au soin des chevaux, au dressage des éperviers ou à la tenue de la domesticité… mais aussi des recettes de cuisine.

Ménagier de Paris, miniature du XVe siècle

27. A partir de ces menus vous pourrez choisir, sélectionner et connaître les mets qui vous plairont selon la saison et les aliments disponibles dans le pays où vous vous trouverez lorsque vous aurez à donner un dîner ou un souper […]

51. Le menu de monseigneur de Lagny prévu pour un banquet en l’honneur de monseigneur de Paris , du président du Parlement , du procureur et de l’avocat du roi , ainsi que des autres membres du Conseil du Roi, repas à huit écuelles .
Primo : fournitures : des tentures, de la vaisselle de table et de cuisine, des rameaux de verdure pour la décoration. A mettre sur la table : des aiguières et des hanaps à pieds, deux drageoirs, des salières d’argent, du pain de deux jours pour le pain séché et les tranchoirs. Pour la cuisine : deux grandes poêles, deux cuviers à eau et deux balais. Nota que monseigneur de Paris a trois écuyers à son service exclusif ; il fut servi seul de plats couverts , tandis que le Président eut un seul écuyer à son service exclusif sans bénéficier pour autant de plats couverts […]
52. Voici maintenant la composition du repas : deux quartes de vin de grenache ; échaudés chauds, un quarteron de pommes de rouvel rôties recouvertes de dragée blanche ; 5 quarterons de grasses figues rôties ; du soret, du cresson et du romarin. Potages : salemine de 6 brochets et de 6 tanches, porée verte, un quarteron de harengs blancs, 6 anguilles d’eau douce mises dans le sel un jour auparavant. Ingrédients pour les potages : six livres d’amande, une demie-livre de gingembre en poudre, une demie once de safran, deux onces de menues épices, un quarteron de cannelle en poudre ; une demi-livre de dragées. Poisson de mer : soles rougets, congres, turbot, saumon ; poisson d’eau douce : brochet, deux carpes de la Marne et de la brème. Entremets : plies et lamproie à la boue. Rôti (ajouter ici seize oranges et changer les serviettes) ; marsouin en sauce, maquereaux, soles, brèmes, aloses à la cameline ou au verjus, du riz parsemé d’amandes grillées. Une livre de sucre pour le riz et les pommes, de petites serviettes. Desserte : compote parsemée de dragée blanche et rouge, rissoles, flans, figues, dates, raisins et noisettes. L’hypocras et le métier constituent l’issue avec deux quartes de vin de grenache ; deux cent oublies et les supplications. Et nota que l’on compte par écuelle 8 oublies, 4 supplications et 4 étriers […] Du vin et des épices en guise de boutehors. Puis on se lave les mains, on rend grâces et on va dans la salle de parement. C’est le tour des serviteurs de dîner. Peu après on apporte le vin et les épices, puis les invités prennent congé […]
86. Si vous voulez faire passer un morceau de bœuf pour de la venaison de cerf – ou d’ours si vous demeurez dans un pays où on en trouve- choisissez un filet de bœuf ou du gîte, faites bouillir et lardez, mettez à la broche et faites rôtir. Il faut le manger à la sauce queue de sanglier. Le bœuf doit être bouilli, puis lardé sur toute sa longueur après avoir été coupé en petits morceaux. Puis versez la sauce bien chaude dans le plat de votre bœuf, qui primo doit être rôti ou jeté dans de l’eau bouillante et retiré aussitôt après, parce qu’il est plus tendre que le cerf […]
89. Le sanglier frais doit être cuit dans de l’eau avec du vin et mangé au poivre chaud. Le sanglier salé doit être cuit de la même manière mais on le mange à la moutarde au milieu de l’hiver ; au début de cette saison il se mange aux épices et aux soupes […]
107. Blanc-manger au chapon pour les malades. Faites bien cuire le chapon dans de l’eau. Puis broyez une grande quantité d’amandes et les chairs du chapon et délayez-les avec votre bouillon, puis passez à l’étamine. Mettez-les à bouillir jusqu’à obtenir une bonne et épaisse consistance. Broyez alors du gingembre épluché et les autres épices mentionnées ci-dessus […] 157. Cygne. Il faut le plumer de la même manière qu’un poussin ou qu’une oie, l’ébouillanter ou le plonger dans l’eau, le mettre à la broche et l’arçonner en quatre points, et le rôtir tout entier, avec les pattes et le bec ainsi qu’avec la tête non plumée ; il est mangé au poivre jaunet. Item, on peut le dorer si l’on veut. Item, il faut fendre la tête jusqu’aux épaules lorsqu’on le tue […]

180. Si vous voulez conserver des anguilles, faites-les mourir dans le sel et laissez-les y entières durant trois jours et trois nuits. Puis ébouillantez-les, limonez-les, coupez-les en tronçons et faites-les cuire dans l’eau avec des ciboules ; tout à la fin vous ajouterez du vin […]
196. Le thon est un poisson que l’on trouve dans la mer ou dans les étangs marins du Languedoc ; il n’a pas d’arêtes en dehors de l’os de l’épine dorsale ; il a la peau dure. On doit le cuire à l’eau et le manger au poivre jaunet […]
222. Les moules doivent être cuites à gros feu très rapidement, dans très peu d’eau et de vin, sans sel. On les mange au vinaigre. Item, quand elles sont cuites au verjus vieux avec du persil et du beurre frais, cela fait un très bon potage. Les meilleures moules sont celles du début du nouveau temps de mars […]

243. Riz au lait pour les jours gras. Triez et lavez le riz dans deux ou trois bains d’eau chaude et mettez-le à évaporer sur le feu. Puis versez-le dans du lait de vache frémissant, ajoutez du safran pour jaunir, que vous délaierez dans votre lait. Ajoutez pour finir du gras de bouillon de bœuf […]
256. Grenouilles. Pour les attraper il vous faut une ligne et un hameçon avec un appât de viande ou un morceau de tissu rouge. Une fois les grenouilles prises, coupez-les en deux par le milieu du corps près des cuisses et videz leurs intestins. Prenez les deux cuisses que vous pèlerez toutes crues après avoir coupé les pattes. Puis lavez-les à l’eau froide ; si elles restent pendant une nuit dans de l’eau froide, elles en seront d’autant meilleures et plus tendres. Après qu’elles auront trempé, il faut les laver à l’eau tiède, puis les essuyer dans une serviette. Ensuite elles sont roulées dans la farine, puis on les fait frire dans de l’huile, de la graisse ou un autre liquide. Les mettre ensuite dans une écuelle avec de la poudre fine d’épices […]

267. Panais. Les meilleurs sont les plus jeunes, fraîchement déterrés, qu’on ramasse en janvier, en février, etc. On peut reconnaitre les plus frais à ce qu’ils se brisent lorsqu’on les plie, alors que ceux qu’on a déterrés depuis longtemps se laissent fléchir. Il faut les gratter et en ôter les parties abîmées avec le couteau comme on fait avec les navets. Ensuite il faut très bien les laver à l’eau tiède et les faire un peu bouillir, les mettre sur une toile à sécher, puis les enfariner, les faire frire et les servir joliment arrangés sur de petits plats, saupoudrés de sucre […]

271. Cameline. Nota qu’à Tournay, pour préparer la cameline, on broie du gingembre, de la cannelle et du safran, une demi-noix de muscade ; on délaie avec du vin, puis on ôte le tout dans un mortier. Faites ensuite tremper de la mie de pain blanc non grillé dans de l’eau froide, broyez-la dans un mortier, délayez avec du sucre et passez. Faites bouillir le tout et à la fin ajoutez du sucre roux : c’est ce qu’on appelle la cameline d’hiver. En été on procède de la même manière, sauf qu’on ne la fait pas bouillir […]
284. Saupiquet pour accommoder un lapin, un oiseau de rivière ou un pigeon ramier. Faites frire des oignons dans de la bonne graisse ; vous pouvez aussi les émincer et les mettre à cuire dans la lèchefrite avec du bouillon de bœuf, n’y ajoutez ni verjus ni vinaigre avant l’ébullition. Il faut alors verser moitié verjus, moitié vin et un peu de vinaigre ; les épices doivent dominer. Puis ajoutez moitié vin, moitié verjus et un peu de vinaigre et mettez-le tout dans la lèchefrite sous le lapin, le pigeon ou l’oiseau de rivière. Quand ils seront cuits, faites bouillir la sauce, prenez des tartines grillées et mettez-les dans la lèchefrite avec l’oiseau […]

301. Breuvage aux noisettes. Faites bouillir et pelez les noisettes, puis mettez-les dans l’eau froide. Broyez-les et délayez avec de l’eau bouillie, passez, broyez et passez à deux reprises. Mettez à refroidir à la cave ; ce breuvage a davantage de vertus qu’une tisane […]
315. Confiture aux noix. Pelez et percez des noix nouvelles d’avant la Saint-Jean, mettez-les à tremper dans de l’eau fraîche pendant 9 jours en renouvelant chaque jour l’eau ; laissez-les sécher ensuite et mettez des clous de girofle et du gingembre dans les trous, mettez à bouillir dans du miel et conservez-les ainsi […]

340. Le hérisson doit être égorgé, écorché et vidé, puis mis à tremper comme un poussin. Bien le presser et l’essuyer dans une serviette. On le fait ensuite rôtir puis on le mange à la cameline ou en pâté à la sauce de halbran. Nota que si le hérisson ne veut pas se laisser dérouler, on doit le mettre dans de l’eau chaude et alors il se détendra.
341. Les écureuils doivent être écorchés, vidés et mis à tremper comme le lapin, puis être rôtis ou mis en pâté ; les manger à la cameline ou, en pâté, à la sauce de halbran […]
357. Pies, corneilles et choucas. On les tue avec des carreaux d’arbalète à gros ailerons ; on peut se servir d’arbalètes moins puissantes pour viser les corneilles sur les branches. Mais pour attraper celles qui sont dans leur nid, il faut utiliser des bâtons plus forts pour abattre le nid tout entier. Ensuite il faut les écorcher et les faire bouillir avec du lard, puis les découper et les faire revenir émiettées avec des œufs comme pour une charpie.
358. La tête de mouton doit être très bien cuite. Puis ôtez les os et hachez le reste finement et parsemez de poudre fine d’épices […]
363. Pour préparer une rate de porcelet, il n’y a rien d’autre à faire que la laver, l’embrocher, l’enrober dans son enveloppe et la faire cuire longuement. »

Le Mesnagier de Paris, texte traduit du moyen français par Karin Ueltschi, Paris, Le Livre de Poche, collection « Lettres gothiques», 2010.