« Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. »
Cette célèbre citation extraite du roman 1984 de George Orwell est toujours d’actualité. Elle nous rappelle que le contrôle de l’histoire et du travail de l’historien est une dimension de tout pouvoir dictatorial ou totalitaire.
En décembre 2018, l’historien belge Antoon de Baets a popularisé la notion de « crime contre l’histoire », dans l’ouvrage éponyme en anglais « crimes against History » , dont nous reproduisons ici un extrait. Antoon de Baets, né en 1995, est professeur d’histoire, d’éthique et des droits humains à l’université de Groningue, aux Pays-Bas. Auteur de nombreux ouvrages, il anime aussi le réseau international d’historiens Network of Concerned Historians, consacré à la défense de la liberté d’exercer librement le métier d’historien dans son pays d’origine.
La définition de crime contre l’histoire est construite sur d’autres notions juridiques du même type comme celui de crime contre l’humanité, par exemple. Antoon de Baets désigne par là des atteintes extrêmes à la liberté des historiens qui vont au delà de la censure traditionnelle, pouvant aller parfois jusqu’à l’emprisonnement et même l’assassinat ou la disparition des « producteurs d’histoire ». Antoon de Baets agit donc ici en tant qu’historien reconnu et surtout comme citoyen du monde engagé depuis longtemps dans la défense de nos collègues « producteurs d’histoire ».
À un moment où la liberté de « faire de l’histoire » est remise en cause dans de nombreux pays, notamment dans la Russie poutinienne, il nous semble plus que jamais nécessaire de soutenir ce combat qui rejoint celui pour la liberté et la démocratie …
Crimes contre l’Histoire, une définition
D’autres perspectives, plus inhabituelles, peuvent être mises en évidence dans l’étude de la censure historique. Parfois, les censeurs reçoivent l’ordre de remplacer le travail patient de contrôle des productions historiques individuelles par des mesures plus drastiques. Lorsqu’ils recourent à des sanctions disproportionnées et à des solutions extrêmes, ils ne suppriment pas « simplement » des messages historiques individuels mais détruisent leurs véhicules ou même assassinent leurs producteurs. Les censeurs deviennent des chahuteurs, des tueurs et des justiciers. Ces actes extrêmes transcendent la compréhension commune de ce qu’est la censure de l’histoire. On ne peut les appeler que crimes : crimes contre l’histoire . Étonnamment, ces formes draconiennes qui remplacent le contrôle de messages historiques par la destruction brutale soit des messages, soit de leurs producteurs, ne sont pas bien étudiés. Une définition provisoire serait la suivante :
Les crimes contre l’histoire désignent l’un des atteintes suivantes aux droits humains lorsque ces atteintes sont commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique résultant de la mise en oeuvre ou de l’application d’une politique étatique ou non étatique :
- l’assassinat et la disparition de producteurs d’histoire ;
- les attaques personnelles publiques contre les producteurs d’histoire par des discours de haine, la diffamation et les poursuites malveillantes ;
- la destruction intentionnelle du patrimoine culturel ;
- la désinformation, y compris la négation de génocide, et la censure de l’histoire.
Les crimes contre l’histoire sont des abus de l’histoire qui constituent des violations des droits de l’homme. Ils violent notamment le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le droit à la liberté d’expression, le droit à l’égalité et les droits à la culture et à la science.
J’ai étudié dans le passé certains éléments de la contre-histoire en tant que phénomènes autonomes : les discours de haine, la diffamation, la négation du génocide et, bien sûr, la censure de l’histoire. L’accent de ce livre sera mis sur les éléments restants – les pires – afin d’appréhender le concept général des crimes contre l’histoire dans son intégralité.
Antoon de Baets, Crimes against History, éd. Routledge, déc. 2018, extrait de l’introduction
Approaching the extreme
Other, more unusual, perspectives can be highlighted in the study of history censorship. Sometimes censors are ordered to replace the patient job of controlling individual historical productions by more drastic measures. When they resort to disproportionate sanctions and extreme solutions, they do not « simply » suppress individual historical messages but destroy their vehicles or even murder their producers. Censors become hecklers, killers, and avengers. These extreme acts transcend the common understanding of what the censorship of history is. They can only be called crimes: crimes against history. Surprisingly, these draconian forms that replace the control of historical messages by the brutal destruction of either the messages or their producers are not well studied. A tentative definition would be:
Crimes against history mean any of the following acts when committed as part of a wide-spread or systematic attack pursuant to or in furtherance of a state or non-state policy :
- the assassination and disappearance of history producers ;
- public personal attacks on history producers through hate speech, defamation, and malicious prosecution ;
- intentional destruction of cultural heritage ;
- disinformation, including genocide denial, and censorship of history.
Crimes against history are abuses of history that constitute violations of human rights. In particular, they violate the right to life, the right to a fair trial, the right to free expression, the right to equality, and the rights to culture and science.
I studied some of the elements of against history as stand-alone phenomena in the past : hate speech, defamation, genocide denial, and, naturally, the censorship of history. The emphasis of this book will be on the remaining elements-the worst- in order to grasp the umbrella concept of crimes against history in its entirety.
Antoon de Baets, Crimes against History, éd. Routledge, déc. 2018, extrait de l’introduction
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