MANIFESTE SOCIALISTE CONTRE LE PROJET DE SERVICE DE TROIS ANS
« Les conseils centraux des deux partis socialistes de France et d’Allemagne et les députés composant la fraction socialiste , tant au Reichstag qu’au Parlement français, ont publié ensemble, le 1er mars 1913, le manifeste suivant pour être affiché en même temps dans leur deux pays respectifs.
Au moment où, en Allemagne et en France, les gouvernements se préparent à déposer de nouveaux projets de loi, qui vont encore accroître les charges militaires déjà formidables, les socialistes allemands et les socialistes français estiment que c’est leur devoir de s’unir plus étroitement que jamais pour mener ensemble la bataille contre ces agissements insensés des classes dirigeantes.
Les socialistes allemands et les socialistes français protestent, unanimement et d’une même voix, contre les armements incessants qui épuisent les peuples, les contraintes à négliger les plus précieuses Ïuvres de civilisation, aggravent les défiances réciproques, et au lieu d’assurer la paix, suscitent des conflits qui conduisent à une catastrophe universelle, et qui aboutissent à la misère et à la destruction des masses.
Les socialistes des deux pays ont le droit de se regarder comme les interprètes, tant à la fois du peuple allemand et du peuple français, quand ils affirment que la masse des deux peuples, à une majorité écrasante, veut la paix, et qu’elle a horreur de la guerre. Ce sont les classes dirigeantes qui, d’un côté et de l’autre de la frontière, provoquent artificiellement, au lieu de les combattre, les antagonismes nationaux, attisent l’hostilité réciproque, et détournent ainsi les peuples, dans leur pays, de leurs efforts de civilisation et de leur bataille émancipatrice.
Pour assurer tout à la fois le maintien de la paix, l’indépendance des nations et le progrès dans tous les domaines des démocraties des deux États, les socialistes réclament que tous les conflits entre les peuples soient réglés par des traités d’arbitrage ; car ils estiment que les résoudre par la voie de la violence n’est que barbarie et honte pour l’humanité.
Ils réclament qu’à l’armée permanente, qui constitue pour les nations une permanente menace, soient substituées des milices nationales, établies sur des bases démocratiques et n’ayant pour objet que la défense du pays.
Et si enfin, en dépit de leur opposition passionnée, de nouvelles dépenses militaires sont imposées aux peuples, les socialistes des deux pays lutteront de toute leur énergie pour que les charges financières reposent sur les épaules des possédants et des riches.
Les socialistes d’Allemagne et de France ont déjà, par leur conduite dans le passé, démasqué le double jeu, le jeu perfide des chauvins et des fournisseurs militaires des deux pays, qui évoquent aux yeux du peuple de France, une prétendue complaisance des socialistes allemands pour le militarisme, et en Allemagne, une prétendue complaisance des socialistes français pour le même militarisme.
La lutte commune contre la chauvinisme, d’un côté et de l’autre de la frontière, l’effort commun pour une union pacifique des deux nations civilisées doivent mettre fin à cette artificieuse duperie.
C’est le même cri contre la guerre, c’est la même condamnation de la paix armée qui retentissent à la fois dans les deux pays. C’est sous le même drapeau de l’Internationale &endash; de l’Internationale qui repose sur la liberté et l’indépendance assurées à chaque nation &endash; que les socialistes allemands et les socialistes français poursuivent, avec une vigueur croissante, leur lutte contre le militarisme insatiable, contre la guerre dévastatrice, pour l’entente réciproque, pour la paix durable entre les peuples.»
Pour la démocratie socialiste d’Allemagne
Le Bureau : (12 signatures) Le groupe socialiste au Reichstag : (112 signatures)
Pour le Parti socialiste (Section française de l’Internationale ouvrière)
La Commission administrative permanente : (23 signatures) Le groupe socialiste au Parlement : (72 signatures)
M. Chaulanges, Textes historiques (1871-1914), Delagrave, 1966.
Manifeste socialiste SFIO
« Citoyens,
L’anarchie fondamentale du système social, les compétitions des groupes capitalistes, les convoitises coloniales, les intrigues et les violences de l’impérialisme, la politique des rapines des uns, la politique d’orgueil et de prestige des autres, ont créé depuis dix ans dans toute l’Europe une tension permanente, un risque constant et croissant de guerre […].
Contre la politique de violence, contre les méthodes de brutalité qui peuvent à tout instant déchaîner sur l’Europe une catastrophe sans précédent, les prolétaires de tous les pays se lèvent et protestent. Ils signifient leur horreur de la guerre et leur volonté de la prévenir. Les socialistes, les travailleurs de France, font appel au pays tout entier pour qu’il contribue de toutes ses forces au maintien de la paix […]. Ce qu’ils demandent au gouvernement français, c’est de s’employer à faire prévaloir une politique de médiation rendue plus facile par l’empressement de la Serbie à accorder une grande partie des demandes de l’Autriche. Ce qu’ils lui demandent, c’est d’agir sur son alliée, la Russie, afin qu’elle ne soit pas entraînée à chercher dans la défense des intérêts slaves un prétexte à opérations agressives. Leur effort correspond ainsi à celui des socialistes allemands demandant à l’Allemagne d’exercer auprès de l’Autriche, son alliée, une action modératrice […].
A bas la guerre ! Vive la République sociale ! Vive le socialisme international ! »
Manifeste du comité directeur de la SFIO, 28 juillet 1914.
Évolution de la position de la CGT vis à vis de la guerre en 1914
Manifeste de la C.G.T., 20 juillet 1914 :
«La C.G.T. déclare que la guerre européenne peut, doit être évitée, si la protestation ouvrière, jointe à celle de tous les partisans de la paix, est assez formidable pour faire taire les clameurs guerrières […] L’action du prolétariat doit venir renforcer celle de tous les hommes qui, comprenant le péril couru par l’humanité tout entière, veulent mettre toutes leurs forces et leur conscience au service de la civilisation contre la barbarie […]
L’Autriche porte une lourde responsabilité devant l’histoire, mais la responsabilité des autres nations ne serait pas moins lourde si elles ne s’employaient pas activement pour que le conflit ne s’étende pas […]
Ainsi, rappelant la déclaration de l’Internationale : «Tous les peuples sont frères,» et les déclarations des Congrès nationaux : « Toute guerre est un attentat contre la classe ouvrière, elle est un moyen sanglant et terrible de faire diversion à ses revendications », elle réclame de toutes les organisations ouvrières une attitude ferme, dictée par le souci de conserver les droits acquis par le travail dans la paix.»
L’ UNION SACRÉE
Au début de l’été 1914, les campagnes de presse se multiplient contre Jaurès, qui prône la réconciliation franco-allemande. Le 31 juillet, Raoul Villain abat le leader socialiste d’un coup de revolver.
Discours à Paris, devant la mairie du XVIe arrondissement, de Léon Jouhaux, Secrétaire Général de la C.G.T., juste avant le départ du cercueil de Jean Jaurès qui va être emmené à Albi, le 4 août 1914 :
«Que dire à l’heure où s’ouvre cette tombe ? Ami Jaurès, tu pars, toi l’apôtre de la paix, de l’entente internationale, à l’heure où commence, devant le monde atterré, la plus terrible des épopées guerrières qui aient jamais ensanglanté l’Europe.
Victimes de ton ardent amour de l’humanité, tes yeux ne verront pas la rouge lueur des incendies, le hideux amas de cadavres que des balles coucheront sur le sol […] Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute, ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé […]
Cette guerre, nous ne l’avons pas voulue. Ceux qui l’ont déchaînée, despotes aux visées sanguinaires, aux rêves d’hégémonie criminelle, devront en payer le châtiment. […] Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de civilisation et d’idéologie généreuse que nous a légué l’histoire. Nous ne voulons pas que sombrent les quelques libertés si péniblement arrachées aux forces mauvaises.
[…] Notre volonté fut toujours d’agrandir les droits populaires, d’élargir le champ des libertés. C’est en harmonie de cette volonté que nous répondons » présent » à l’ordre de mobilisation. jamais nous ne ferons de guerre de conquête. Non, camarades, notre idéal de réconciliation humaine et de recherche du bonheur social ne sombre pas.
[…] Nous serons les soldats de la liberté pour conquérir aux opprimés un régime de liberté, pour créer l’harmonie entre les peuples par la libre entente entre les nations, par l’alliance entre les peuples. Cet idéal nous donnera la possibilité de vaincre. C’est l’ombre du grand Jaurès qui nous l’atteste.»
Léon Jouhaux, «À Jean Jaurès», Discours prononcé aux obsèques de Jean Jaurès, 4 août 1914
idem, autre découpage
Discours à Paris, devant la mairie du XVIe arrondissement, de Léon Jouhaux, Secrétaire Général de la C.G.T., juste avant le départ du cercueil de Jean Jaurès qui va être emmené à Albi, le 4 août 1914 :
«Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix. Ce n’est pas sa faute ni la nôtre, si la paix n’a pas triomphé. Avant d’aller au grand massacre […] je crie devant ce cercueil toute notre haine de l’impérialisme et du militarisme aveugle qui déchaînent l’horrible crime […]
Cette guerre, nous ne l’avons pas voulue. Acculés à la lutte, nous nous levons pour repousser l’envahisseur, pour sauvegarder le patrimoine de civilisation et l’idéologie généreuse que nous a légués l’histoire. Nous ne voulons pas que sombrent les quelques libertés si péniblement arrachées aux forces mauvaises […]. C’est en harmonie de cette volonté que nous répondons « présent » à l’ordre de mobilisation. Jamais nous ne ferons de guerre de conquêtes.
Empereurs d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie, hobereaux de Prusse et grands seigneurs autrichiens qui, par haine de la démocratie, avez voulu la guerre, nous prenons l’engagement de sonner le glas de votre règne.
Nous serons les soldats de la liberté pour conquérir aux opprimés un régime de liberté, pour créer l’harmonie entre les peuples par la libre entente entre les nations, par l’alliance entre les peuples. Cet idéal nous donnera la possibilité de vaincre.»
Histoire, Première, Bertrand-Lacoste, collection «J. Le Pellec», 1997, p. 185
Le départ à la guerre
«Nos syndiqués sont partis à la guerre, ils n’ont pas fait l’insurrection. Je les ai vus partir, nous avons pris la même rame de wagons à bestiaux. (… ) Mon train ressemblait aux autres, il était identique à ceux qui nous précédaient et à ceux qui nous suivaient. Il était bondé du même monde d’ouvriers, de paysans, de commerçants, d’employés, Les chants, les cris, le vacarme étaient semblables dans toutes les gares. […] Je ne reproche rien, je constate. Parmi ce monde, je souffris. Mon silence était le signe de la désapprobation, autant que la honte qui m’étouffait.»
Georges Dumoulin, Les syndicalistes français et la guerre, sd.
Un antimilitariste devenu soldat
«Je suis parti à la guerre sans enthousiasme ! J’ai toujours pensé, et je pense encore, que nos gouvernants pouvaient empêcher ce conflit sanglant. Ce qui est certain, c’est qu’au début des hostilités […] ils surent merveilleusement mater, « à la manière douce », l’esprit de révolte qui pouvait sommeiller dans le cœur des travailleurs.
[…] Mes idées d’autrefois sont encore mes idées de maintenant. Ma haine de la guerre et du militarisme va toujours grandissante.
Mais, comme les autres, j’ai mis sac au dos. J’ai vécu des heures terribles ; maintes fois, j’ai vu la mort de près ; cependant, j’ai fait ce que certains appellent « leur devoir ». Sans me vanter, sans vaine gloriole, je puis dire que, souvent, j’ai montré à des chauvins d’hier, êtres aujourd’hui flapis, comment sait se conduire un bougre ayant récolté onze ans de prison pour antimilitarisme. Je n’en suis pas plus fier pour cela, et j’aspire de toutes mes forces à la paix libératrice.»
«Lettre d’Eugène Morel à Léon Jouhaux», 21 décembre 1914, B. Georges et D. Tintant, Léon Jouhaux, cinquante ans de syndicalisme, P.U.F., 1962.
Le soutien du S.P.D. à la guerre
Au Reichstag, le député socialiste HAASE lit la déclaration de son parti :
«La social-démocratie a combattu de toutes ses forces le développement catastrophique de cette politique [impérialiste] et en particulier en étroite entente avec nos frères français… A présent nous voici devant le fait brutal de la guerre. Nous sommes angoissés par l’horreur de l’invasion, dont nous menacent nos ennemis. Nous n’avons pas à décider aujourd’hui pour ou contre la guerre, mais sur la question des moyens pour assurer la défense du pays… Pour notre peuple… la victoire du despotisme de la Russie serait un événement d’une gravité incalculable… A l’heure du danger nous n’abandonnerons pas notre patrie… Nous exigeons qu’une fois la sécurité de l’Allemagne assurée… une paix conclue qui rende possible l’amitié avec les peuples qui nous environnent.»
Cité dans J. Kuczynski, Der Ausbuch des Ersten Weltkrieges und die Deutsche Sozialdemocratie, Berlin, Akademie Verlag, 1957.
Vers la disparition de la lutte des classes ?
«Devant les ouvriers du Creusot assemblés en demi-cercle… ayant à ses côtés M. Schneider, l’un des plus grands » patrons » de France, le député socialiste devenu ministre de l’Artillerie et des Munitions, M. Albert Thomas, exhorte au travail ces milliers d’ouvriers qu’il eût, hier, exhortés à la résistance contre » l’exploitation capitaliste « … Il leur montre que leur devoir est de peiner » jusqu’à la maladie, jusqu’à la mort « … Ils l’ont écouté, ces rudes hommes à la face noire, … et l’ont applaudi… Après les épisodes héroïques des combats du front, une scène comme celle du Creusot complète notre histoire nationale.»
L’Illustration, 4 septembre 1915
LE MANIFESTE DE ZIMMERWALD (7 octobre 1915)
Protestation de socialistes de nombreux pays réunis en Suisse. Il y a des révolutionnaires (Lénine est présent et signe ce manifeste) et des socialistes légalistes (comme le Suisse Grimm).
« Prolétaires d’Europe !
Voici plus d’un an que dure la guerre ! Des millions de cadavres couvrent les champs de bataille. Des millions d’hommes seront, pour le reste de leurs jours, mutilés. L’Europe est devenue un gigantesque abattoir d’hommes. Toute la civilisation créée par le travail de plusieurs générations est vouée à l’anéantissement. La barbarie la plus sauvage triomphe aujourd’hui de tout ce qui, jusqu’à présent, faisait l’orgueil de l’humanité.
Quels que soient les responsables immédiats du déchaînement de cette guerre, une chose est certaine : la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l’impérialisme. Elle est issue de la volonté des classes capitalistes de chaque nation de vivre de l’exploitation du travail humain et des richesses naturelles de l’univers. De telle sorte que les nations économiquement arriérées ou politiquement faibles tombent sous le joug des grandes puissances, lesquelles essaient, dans cette guerre, de remanier la carte du monde par le fer et par le sang, selon leurs intérêts.
C’est ainsi que des peuples et des pays entiers comme la Belgique, la Pologne, les États balkaniques, l’Arménie, courent le risque d’être annexés, en totalité ou en partie, par le simple jeu des compensations.
Les mobiles de la guerre apparaissent dans toute leur nudité au fur et à mesure que les événements se développent. Morceau par morceau, tombe le voile par lequel a été cachée à la conscience des peuples la signification de cette catastrophe mondiale.
Les capitalistes de tous les pays, qui frappent dans le sang des peuples la monnaie rouge des profits de guerre, affirment que la guerre servira à la défense de la patrie, de la démocratie, à la libération des peuples opprimés. Ils mentent. La vérité est qu’en fait, ils ensevelissent, sous les foyers détruits, la liberté de leurs propres peuples en même temps que l’indépendance des autres nations. De nouvelles chaînes, de nouvelles charges, voilà ce qui résultera de cette guerre, et c’est le prolétariat de tous les pays, vainqueurs et vaincus, qui devra les porter.
Ouvriers !
Vous, hier, exploités, dépossédés, méprisés, on vous a appelés frères et camarades quand il s’est agi de vous envoyer au massacre et à la mort. Et aujourd’hui que le militarisme vous a mutilés, déchirés, humiliés, écrasés, les classes dominantes réclament de vous l’abdication de vos intérêts, de votre idéal, en un mot une soumission d’esclaves à la paix sociale. On vous enlève la possibilité d’exprimer vos opinions, vos sentiments, vos souffrances. On vous interdit de formuler vos revendications et de les défendre. La presse jugulée, les libertés et les droits politiques foulés aux pieds : c’est le règne de la dictature militariste au poing de fer.
Nous ne pouvons plus ni ne devons rester inactifs devant cette situation qui menace l’avenir de l’Europe et de l’humanité.
Pendant de longues années, le prolétariat socialiste a mené la lutte contre le militarisme ; avec une appréhension croissante, ses représentants se préoccupaient dans leurs congrès nationaux et internationaux des dangers de guerre que l’impérialisme faisait surgir, de plus en plus menaçants. A Stuttgart, à Copenhague, à Bâle, les congrès socialistes internationaux ont tracé la voie que doit suivre le prolétariat.
Mais, partis socialistes et organisations ouvrières de certains pays, tout en ayant contribué à l’élaboration de ces décisions, ont méconnu, dès le commencement de la guerre, les obligations qu’elles leur imposaient. Leurs représentants ont entraîné les travailleurs à abandonner la lutte de classe, seul moyen efficace de l’émancipation prolétarienne. Ils ont accordé aux classes dirigeantes les crédits de guerre ; ils se sont mis au service des gouvernements pour des besognes diverses ; ils ont essayé, par leur presse et par des émissaires, de gagner les neutres à la politique gouvernementale de leurs pays respectifs; ils ont fourni aux gouvernements des ministres socialistes comme otages de l’« Union sacrée ». Par cela même ils ont accepté, devant la classe ouvrière, de partager avec les classes dirigeantes les responsabilités actuelles et futures de cette guerre, de ses buts et de ses méthodes. Et de même que chaque parti, séparément, manquait à sa tâche, le représentant le plus haut des organisations socialistes de tous les pays, le Bureau socialiste international manquait à la sienne.
C’est à cause de ces faits que la classe ouvrière, qui n’avait pas cédé à l’affolement général ou qui avait su, depuis, s’en libérer, n’a pas encore trouvé, dans la seconde année du carnage des peuples, les moyens d’entreprendre, dans tous les pays, une lutte active et simultanée pour la paix dans cette situation intolérable, nous, représentants de partis socialistes, de syndicats, ou de minorités de ces organisations, Allemands, Français, Italiens, Russes, Polonais, Lettons, Roumains, Bulgares, Suédois, Norvégiens, Hollandais et Suisses, nous qui ne nous plaçons pas sur le terrain de la solidarité nationale avec nos exploiteurs mais qui sommes restés fidèles à la solidarité internationale du prolétariat et à la lutte de classe, nous nous sommes réunis pour renouer les liens brisés des relations internationales, pour appeler la classe ouvrière à reprendre conscience d’elle même et l’entraîner dans la lutte pour la paix.
Cette lutte est la lutte pour la liberté, pour la fraternité des peuples, pour le socialisme. Il faut entreprendre cette lutte pour la paix, pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre. Mais une telle paix n’est possible qu’à condition de condamner toute pensée de violation des droits et des libertés des peuples. Elle ne doit conduire ni à l’occupation de pays entiers, ni à des annexions partielles. Pas d’annexions, ni avouées ni masquées, pas plus qu’un assujettissement économique qui, en raison de la perte de l’autonomie politique qu’il entraîne, devient encore plus intolérable. Le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes doit être le fondement inébranlable dans l’ordre des rapports de nation à nation.
Prolétaires !
Depuis que la guerre est déchaînée, vous avez mis toutes vos forces, tout votre courage, toute votre endurance au service des classes possédantes, pour vous entretuer les uns les autres. Aujourd’hui, il faut, restant sur le terrain de la lutte de classe irréductible, agir pour votre propre cause, pour le but sacré du socialisme, pour l’émancipation des peuples opprimés et des classes asservies.
C’est le devoir et la tâche des socialistes des pays belligérants d’entreprendre cette lutte avec toute leur énergie. C’est le devoir et la tâche des socialistes des pays neutres d’aider leurs frères, par tous les moyens, dans cette lutte contre la barbarie sanguinaire.
Jamais, dans l’histoire du monde, il n’y eut tâche plus urgente, plus élevée, plus noble ; son accomplissement doit être notre oeuvre commune. Aucun sacrifice n’est trop grand, aucun fardeau trop lourd pour atteindre ce but : le rétablissement de la paix entre les peuples.
Ouvriers et ouvrières, mères et pères, veuves et orphelins, blessés et mutilés, à vous tous qui souffrez de la guerre et par la guerre, nous vous crions : Par dessus les frontières par dessus les champs de bataille, par dessus les campagnes et les villes dévastées :
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Zimmerwald (Suisse), septembre 1915.
Pour la délégation allemande : Georg Ledebour, Adolf Hoffmann.
Pour la délégation française : A. Bourderon, A . Merrheim.
Pour la délégation italienne : G. E. Modigliani, Constantino Lazzari.
Pour la délégation russe : N. Lénine, Paul Axelrod, M. Bobrov.
Pour la délégation polonaise : St. Lapinski, A . Varski, Cz. Hanecki.
Pour la Fédération socialiste interbalkanique :
Au nom de la délégation roumaine : C. Racovski;
Au nom de la délégation bulgare : Vassil Kolarov.
Pour la délégation suédoise et norvégienne : Z . H?glund, Ture Nerman.
Pour la délégation hollandaise : H. Roland Holst.
Pour la délégation suisse : Robert Grimm, Charles Naine.»
extrait plus court du même texte
Le Manifeste de Zimmerwald (5-8 septembre 1915)
«Travailleurs d’Europe !
La guerre dure depuis plus d’un an. Des millions de corps humains gisent sur les champs de bataille; des millions d’hommes ont été mutilés pour la vie. L’Europe est devenue une demeure gigantesque où des hommes s’entretuent. Toute la science, le travail des générations passées sont voués à la destruction. La barbarie la plus sauvage célèbre son triomphe sur tout ce qui était naguère la fierté de l’Humanité. La guerre qui a causé ce chaos est la conséquence des rivalités impérialistes, des tentatives des classes capitalistes de chaque nation de satisfaire son appétit pour le profit en exploitant le travail de l’homme et les trésors de la nature.
Dans chaque pays, les Capitalistes qui forgent l’or des bénéfices de guerre avec le sang et la chair des combattants déclarent que cette guerre est une guerre de défense nationale, de défense de la démocratie et pour la libération des nationalités opprimées. Ils mentent.
En vérité, ils procèdent aux funérailles des libertés de leur propre peuple comme à celle de l’indépendance des autres nations. Ce sont de nouveaux fers, de nouvelles chaînes, de nouveaux fardeaux qu’ils forgent, et ce sont les travailleurs de tous les pays, aussi bien les vainqueurs que les vaincus, qui auront à les supporter. Le but annoncé au commencement de la guerre était une civilisation et une vie meilleure : la misère et la privation, le chômage et le besoin, la sous-alimentation et la maladie, tels sont les résultats. Ainsi se révèle l’aspect véritable du capitalisme moderne, incompatible non seulement avec les intérêts de la masse des travailleurs ou avec le développement historique mais avec les conditions les plus élémentaires de l’existence en société.»
Une lettre envoyée au député Brison
Le député socialiste a refusé de voter de nouveaux crédits de guerre. Il reçoit cette lettre.
Paris, le 25 juin 1916,
Monsieur le Député
«Lectrice assidue du journal. J’ai lu ce matin avec plaisir les belles Paroles de Paix que vous avez prononcer (sic) hier à la Chambre. Enfin il y aura donc quelqu’un assez humain qui se lèvera pour faire cesser cette boucherie et malgré les protestations que vous avez soulever (sic) en prononçant ces belles Paroles. Soyez certain Monsieur le Député que le peuple entier est avec vous et je ne crois pas mentir en me faisant l’interprète moi une simple femme du peuple.
Et sachant toutes les horribles souffrances que ces hommes endurent sur le front depuis bientôt 2 ans Il faut qu’il y ait une fin. assez de sang de couler et de larmes de verser et j’estime que le peuple a été admirable de courage Moi qui est (sic) mon mari sur le front depuis 18 mois je sais les horribles souffrances moral (sic) que j’ai endurer (sic) et toujours et encore plus ces jours-ci car il est probable que sa division va aller fondre aussi dans cette fournaise de Verdun […] que après cette horrible guerre qu’on ne vienne plus nous parler d’humanité. voila Monsieur le Député les idées du peuple et soyez sur (sic) que nous suivons avec plaisir vos belles paroles prononcer pour la Paix en comptant sur votre discrétion pour ma signature.»
Reproduction conforme à l’original.
L’Allemagne troublée
Tandis que les grèves se multiplient, une majorité pacifique apparaît au Reichstag.
«La tâche la plus pressante des ouvriers allemands est de prendre en main la cause de la paix et de faire en sorte que cette paix corresponde aux intérêts du prolétariat international contre les intérêts impérialistes.»
(Tract distribué lors d’une grève à Berlin en avril 1917.)
«Le Reichstag désire une paix d’entente, de réconciliation durable entre les peuples. Les conquêtes territoriales obtenues par la force, les mesures violentes d’ordre politique, économique et financier, sont incompatibles avec une paix de ce genre.»
Motion votée par le Reichstag le 19 juillet 1917 Avec 212 voix favorables (S.P.D. et catholiques du centre (Zentrum)).