Exemple d’épreuve pour une analyse géopolitique
Le texte ci-dessous sur la question tamoule a été donné à des élèves de 4e année au Collège de Saussure à Genève (= terminales de Lycée). Ils avaient à disposition les dictionnaires « Le Petit Robert » 1 et 2. La durée du travail était de 160 minutes. Quatre cartes (sous-continent indien, Sri Lanka avec zones de peuplement en particulier) accompagnaient le texte ; elles ne sont pas reproduites ici.
Voici les consignes qui leurs ont été données.
–> A partir du texte ci-joint, faites une analyse géopolitique de la situation du Sri Lanka (Ceylan) !
–> Parmi les nombreuses informations et explications que contient ce texte, triez et sélectionnez seulement celles qui sont utiles à cette analyse !
–> Organisez les informations et les idées en tenant compte de la démarche apprise en cours !
–> Rendez votre travail sous forme d’un tableau synthétique (organigramme) dans lequel vous n’oublierez pas d’établir les liens appropriés entre les éléments en donnant toutes les explications nécessaires pour que la situation en l’an 2000 (date à prendre en compte pour l’analyse ) soit rendue intelligible !
–> Afin de gagner de la place, le style télégraphique est autorisé (maximum un recto de page A3).
–> Libre à vous de présenter votre tableau sous la forme que vous estimez la meilleure !
–> Quatre cartes annexées sont à disposition pour votre réflexion. (elles ne sont pas remises ici)
La question tamoule
Le Sri Lanka
« Depuis son indépendance en 1948, le Sri Lanka a été confronté à une série de troubles dont l’intensité n’a cessé de croître au fil des ans. Pourtant, sa situation géographique (sur la route maritime reliant l’Europe à l’Asie du Sud-Est), ses potentialités économiques (thé, pierres précieuses, tourisme, etc.), son taux d’alphabétisation (près de 90 % – parmi les plus élevés des pays en voie de développement) et la maîtrise de sa croissance démographique auraient dû lui permettre de demeurer un pays de cocagne pour ses habitants, tout en devenant un nouveau pays industrialisé. En dépit de quelques résultats économiques prometteurs, la réussite de « l’île resplendissante » a été en grande partie altérée par une instabilité chronique, combinant affirmations identitaires radicales, fanatismes ethnico-religieux, revendications politiques exacerbées et répression aveugle. »
(extrait de Mondes rebelles, 2001, p. 318)
Géographie
Anciennement appelé Ceylan, le Sri Lanka est situé à 30 km au sud-est de l’Inde dans l’océan Indien. Longue de 440 km et d’une largeur maximale de 220 km, la superficie de l’île est de 66’000 km2 (1 fois et demi la Suisse) et sa population totale est de 18 millions d’habitants (285 habitants par km2). Colombo est la capitale et la ville la plus importante (2 millions d’habitants).
Les Cinghalais forment le groupe ethnique majoritaire (74 % de la population, 13 millions d’hommes) d’origine indo-européenne (langue du groupe indo-iranien, le cinghalais ou sinhala) ; ils sont très majoritaires dans le sud et le centre de l’île.
La minorité tamoule (18 % de la population de langue dravidienne, 3 millions d’hommes) occupe une grande proportion de territoire : tout le Nord, la côte est et une partie du centre de l’île, soit près de 40 % du territoire. Elle forme une petite branche de la communauté tamoule qui compte 50 millions d’individus dans le sous-continent indien, pour la plupart installés dans l’Etat du Tamil Nadu (un des états fédérés de l’Inde).
Le bouddhisme est la principale religion du pays (70 % de la population, dont 90 % des Cinghalais), suivie de l’hindouisme (15 % dont 80 % chez les Tamouls), du christianisme (8 % à la fois chez les Cinghalais et les Tamouls) et de l’islam (7 % surtout chez les Tamouls). Les habitants musulmans de l’île sont considérés comme un groupe ethnique particulier (1,2 millions d’hommes), distinct des Cinghalais et des Tamouls ; ce n’est pas le cas des Chrétiens de l’île, répartis entre Cinghalais et Tamouls.
L’économie du Sri Lanka est principalement agricole avec le thé, dont l’île est le 3e producteur mondial, l’hévéa, la noix de coco et le riz. L’industrie est concentrée autour de Colombo. S’il n’y a pas de pétrole, il y a des pierres précieuses et semi-précieuses (saphirs, rubis, topazes) en nombre. Mais, surtout, si elle était en paix, cette île serait le paradis des touristes.
Histoire ancienne du Sri Lanka
Les ancêtres des Cinghalais actuels ont occupés l’île 500 ans avant Jésus-Christ. Le bouddhisme les suivit au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Au Ier siècle avant J.-C. les Tamouls, habitants du sud de l’Inde, tentèrent de prendre l’île. Ils restèrent très liés à leur pays d’origine, l’Etat actuel du «Tamil Nadu » au sud de l’Inde, dont ils partagent la culture et la religion hindouiste.
Les deux groupes se constituèrent des petits royaumes qui se combattirent souvent. Les mariages mixtes furent assez fréquents, malgré les tensions entre les deux communautés. L’Islam arriva au Moyen Age par les marchands arabes et se répandit un peu chez les Tamouls.
Trois colonisateurs européens se succédèrent par la suite : les Portugais (1505-1568), les Hollandais (1568-1796) et les Britanniques (1796-1948).
Les Portugais, occupant une partie de l’île, amenèrent le catholicisme. Ils établirent deux administrations, une pour les Tamouls et une autre pour les Cinghalais. Un roi cinghalais du centre de l’île (roi de Kandy) demanda l’aide des Hollandais contre les Portugais ; les Hollandais chassèrent ceux-ci par étape de 1568 à 1668 et gardèrent le système dual de l’administration portugaise en tentant d’imposer le calvinisme. Le prosélytisme chrétien agressif des colonisateurs catholiques et calvinistes devaient déteindre sur le comportement des religieux bouddhistes et hindouistes de l’île.
Après une brève apparition des Français, ce furent les Anglais qui s’emparèrent de toute l’île en 1796. Une seule administration fut établie pour la première fois à Ceylan. Les Anglais développèrent les plantations de thé, d’hévéas, et importèrent de la main d’oeuvre tamoule socialement de basses castes ou parias (intouchables) du sud de l’Inde pour y travailler (XIXe et début XXe siècle). Ces immigrés furent appelés « Tamouls indiens » ou « Tamouls des montagnes » ou « Tamouls des plantations », car les plantations sont principalement situées au centre de l’île, lieu qu’ils habitent encore (ils sont environ 1 million aujourd’hui sur les 3 millions de Tamouls). Les Britanniques favorisèrent les écoles tamoules au détriment des écoles bouddhiques cinghalaises. Les Tamouls seront surreprésentés dans les Universités et l’administration britannique, suscitant l’animosité des Cinghalais. La minorité musulmane fut, elle aussi, favorisée par les Britanniques au dépend des Cinghalais, ce qui déclencha des émeutes en 1915 contre les Moors (ou Maures), Musulmans de Ceylan, accusés de collaborer avec le colonisateur. La politique britannique de « diviser pour régner » fut, ici comme ailleurs, lourde de conséquence.
Dès les années trente du XXe siècle, l’île obtint un régime représentatif avec une certaine autonomie interne.
En 1944, une commission fut chargée de transférer de manière équitable le pouvoir aux mains des habitants de l’île et, conformément au droit britannique, préconisa une représentation de 65 % pour les Cinghalais et de 35 % pour les Tamouls (correspondant à l’époque au principe un homme, une voix). Cela favorisa la formation d’un gouvernement majoritairement cinghalais sans prévoir une protection explicite pour les minorités.
L’indépendance
L’indépendance est proclamée en février 1948 dans le cadre du Commonwealth. Seule l’administration de l’île est laissée aux Ceylanais ; la reine d’Angleterre demeura la souveraine jusqu’en 1972, date à laquelle le pays reprit son nom précolonial de Sri Lanka.
La majorité cinghalaise domine la politique, la justice, l’administration, l’armée, l’économie. Cela inquiète les Tamouls, d’autant plus que certains intellectuels cinghalais propagent le concept de « race cinghalaise » chargée d’une « mission » liée à la grandeur du bouddhisme. Langue et religion fondent ici l’identité cinghalaise.
Les Cinghalais s’identifient au bouddhisme theravada (le petit Véhicule), interprétation élitiste du bouddhisme, réservant l’illumination et l’accession au Nirvana aux seuls purs. Beaucoup de politiciens cinghalais suivent les avis de la hiérarchie bouddhiste, qui détient un pouvoir important sur les carrières politiques.
Dès 1948, le gouvernement cinghalais prive de leur citoyenneté le million de « Tamouls des montagnes », ceux-là même que les Anglais avaient installé dans l’île, sous prétexte qu’ils sont de descendance indienne. Pour expliquer cette attitude, on peut souligner que les Cinghalais craignent aussi l’influence indienne par l’intermédiaire des Tamouls qui sont nombreux au sud de l’Inde, dans l’Etat du Tamil Nadu.
Une autre cause d’antagonisme entre les deux communautés est l’attrait des nouvelles zones irriguées du centre-nord et de l’est. Ces zones agricoles riches, à majorité tamoule, attirent les travailleurs cinghalais.
Ainsi, chez les Tamouls du nord de l’île se crée, dès l’indépendance, le premier parti nationaliste tamoul, le « Parti fédéral Tuwral », dont voici le programme :
1. Statut d’autonomie pour les provinces tamoules du Nord et de l’Est regroupées dans un Sri Lanka fédéral.
2. Egalité entre Cinghalais et Tamouls.
3. Citoyenneté ceylanaise aux Tamouls indiens qui le souhaitent.
4. Condamnation des colonies cinghalaises de peuplement en territoire tamoul.
Notons que la majorité des Tamouls « indiens » au centre de l’île, membres de basses castes ou parias (intouchables), sont partisans de la conciliation et de l’intégration nationale à l’opposé de nombreux Tamouls « sri-lankais », souvent membres de castes supérieures, du nord et de l’est. A partir de 1964 suite à un accord de rapatriement, 450’000 Tamouls « indiens » retournent en Inde.
En 1956, le « Sri Lanka Freedom Party » (SLFP) prend le pouvoir et applique la politique du « Cinghalais seulement », faisant de cette langue la seule langue officielle. Le bouddhisme devient la religion d’Etat. Il n’y a plus aucun Tamoul au gouvernement. En 1961, les écoles tamoules sont nationalisées et les Tamouls doivent apprendre le cinghalais.
Enfin, la fin d’une politique sociale (fin de l’Etat-providence), dans les années 1970, aggrave les inégalités et frustrations des deux côtés.
La guerre civile
La réaction des Tamouls face à la domination cinghalaise ne se fait pas attendre. Le « Front uni de libération des Tamouls » demande la création d’un état indépendant dans les provinces du nord et de l’est. Refusant de vagues promesses, les activistes tamouls prônent à partir de 1974 la création d’un état séparé : L’Eelam tamoul.
Le Tigre « suprême
« Velupillai Prabhakaran est né en 1954 dans une famille de pêcheurs de basse caste de la région de Jaffna. Il s’engage dans la voie révolutionnaire dès l’âge de 16 ans et se fait connaître par un militantisme exacerbé. Il fonde le TNT (futur LTTE) à 18 ans et bascule dans la violence armée à 21 ans, en assassinant en juillet 1975 le maire de Jaffna. Après un bref exil en Inde de 1979 à 1983, il rentre au Sri Lanka et devient « supremo » (chef suprême) du LTTE. Il prend une part active au déclenchement de la première guerre tamoule, dirigeant personnellement le commando ayant monté l’embuscade contre une patrouille de l’armée qui devait marquer le début des troubles à l’été 1983.
Hindou, marié et père de deux enfants, il est connu pour promouvoir des moeurs rigides. Il gère le LTTE d’une main de fer, liquidant tous ceux qui s’opposent à son pouvoir et éliminant tout rival susceptible de lui porter ombrage. »
(extrait de Mondes rebelles, 2001 , p. 331)
En 1983, les dissidents tamouls regroupés dans le mouvement des « Tigres de la libération de l’Eelam tamoul » (LTTE) entrent en rébellion ouverte contre les Cinghalais. Attentats terroristes, émeutes anti-tamoules à Colombo, commandos suicides se suivent. Très vite les haines vont croître et les horreurs se multiplier. On vit des fillettes tamoules, munies d’une capsule de cyanure au cou pour ne pas être capturées vivantes, effectuer des missions suicides et l’armée cinghalaise massacrer à l’aveuglette, pratiquer couramment la torture.
Le suicide comme acte militant ultime
« La culture militante du LTTE est caractérisée par la référence permanente au suicide comme acte de soumission suprême au chef adulé. La majorité des militants portent en permanence sur eux &endash; à l’exemple de prabhakaran &endash;, une capsule de cyanure destinée à les empêcher de parler en cas de capture. Plusieurs centaines de Tigres se sont ainsi suicidés de cette manière ces dernières années. Mais, à ce suicide « défensif », s’oppose ce que l’on pourrait appeler un suicide « offensif », stade ultime de la lutte armée. L’une des spécificités du conflit tamoul et l’une des spécialités du LTTE résident dans le recours régulier à des attentats-suicide à l’explosif dans le but d’éliminer des personnages clefs s’étant fait connaître par leur engagement anti-LTTE. La liste de cette sorte d’« exploits » du LTTE est longue. Son « tableau de chasse » peut s’enorgueillir d’un président de la République sri-lankaise en exercice (Ranasinghe Premadesa, tué en compagnie d’une vingtaine d’autres personnes à Colombo le 1er mai 1994), un ancien premier ministre indien (Rajiv Gandhi, tué le 21 mai 1991 à Madras dans un attentat faisant une douzaine de victimes) … Parfois, des finalités militaires tactiques peuvent être recherchées, comme ce fut le cas lors de l’attentat perpétré le 21 juin 1991 contre le centre des opérations militaires de l’état-major sri-lankais … La mission-suicide peut également recéler une dimension économique ou politique (assassinat d’un candidat à l’élection présidentielle pour signifier qu’on ne votera pas pour lui ; la présidente actuelle du Sri-Lanka, Mme Kumaratunga, fut victime d’un attentat de ce genre, mais en réchappa en y perdant un oeil).
Les opérations-suicide sont perpétrées par une unité spéciale, dont les membres sont dénommés Black Tigers. Pour approcher plus facilement les objectifs ou victimes visés, le LTTE utilise fréquemment des jeunes filles, moins soupçonnables par les services d’ordre. Les Tigres disposeraient en permanence d’une cinquantaine de candidats ou candidates au martyre. »
(extrait de Mondes rebelles, 2001, p. 332)
Le conflit commencé au nord, dans la péninsule de Jaffna, s’étend vers l’est, le Manar. Cette province orientale est un enjeu majeur avec le contrôle du port de Trincomalee, potentiellement un des meilleurs de l’Asie. A majorité tamoule, cette région est aussi peuplée de nombreux Musulmans hostiles à la partition de l’île, ce qui déclenche un conflit dans le conflit.
Les Tigres, bien armés, sont déterminés et organisés. Ils ont des soutiens arrières dans l’état indien du Tamil Nadu avec réseau financier, humain et matériel. Trafics, drogues, rackets, contrebandes diverses complètent leurs finances. Cette guérilla est la seule au monde à disposer d’une marine de guerre. Ils contrôlent une large zone au nord et à l’est du pays, dont la capitale provisoire est Kilinochchi.
Le poids exceptionnel des opérations navales
« Le conflit sri-lankais se caractérise par l’importance des opérations navales, situation assez rare dans le cadre d’un conflit interne. Plusieurs observateurs n’hésitent pas à expliquer le succès du LTTE … face à l’armée gouvernementale par ses importantes capacités d’action maritime. Le LTTE dispose d’un embryon de forces navales alignant plusieurs centaines d’embarcations légères en fibre de verre. Armées de mitrailleuses et de lance-roquettes, et équipées de puissants moteurs …, ces vedettes ne mettent qu’une demi-heure pour traverser le détroit de Palk et amener hommes et ravitaillement depuis les côtes du Tamil Nadu vers les zones tenues par les « Tigres ». Outre cette « poussière navale », les Tigres possèdent des installations portuaires bien adaptées à leurs besoins, de petits chantiers navals de construction et de réparation, ainsi que des installations radars mobiles leur permettant de contrôler le trafic maritime dans le détroit de Palk et de suivre ainsi les mouvements des unités sri-lankaises et indiennes. Début janvier 1993, ils ont en outre affirmé avoir testé un mini-submersible destiné à des opérations-suicide.
Dirigés par Soosai, les Sea Tigers sont recrutés parmi les populations de pêcheurs et de contrebandiers tamouls vivant dans le nord de l’île et possèdent ainsi une excellente connaissance des lieux. Outre les missions de ravitaillement et de transport d’armes et de personnels, les Sea Tigers remplissent des tâches défensives (mouillage de mines pour interdire certaines zones maritimes à la marine sri-lankaise et garde des installations portuaires du LTTE). Ils mènent également des missions plus offensives contre les bâtiments de la marine sri-lankaise, les harcelant par des opérations-suicide ou les affrontant dans de véritables batailles navales ayant pour cadre le détroit de Palk ou le lagon de Jaffna, par où transitaient les approvisionnements en direction de la « capitale » tamoule.
Depuis 1983, la marine sri-lankaise s’est considérablement développée pour faire face à cet aspect du conflit. … Elle bénéficie en outre depuis le début des années 90 de l’appui de la marine indienne qui patrouille dans le détroit de Palk pour empêcher les infiltrations depuis les côtes indiennes. … L’importance des opérations navales dans la crise tamoule a encore été soulignée &endash; de manière symbolique &endash; par l’attaque, le 19 avril 1995, de deux patrouilleurs sri-lankais mouillés en rade de Trincomalee, premier engagement de la « troisième guerre tamoule ». L’opération a été menée par une équipe de nageurs de combat du LTTE (dont au moins une femme) qui a placé des charges explosives sur la coque des deux bâtiments, tuant 12 marins et en blessant 23 autres. Depuis lors, les nageurs de combat du LTTE ont perpétré plusieurs raids audacieux contre les bâtiments sri-lankais à l’ancre. … »
(extrait de Mondes rebelles, 2001, p. 334)
L’Inde a bien tenté d’intervenir pour calmer le jeu. Suite à un accord en 1987, des troupes indiennes tentent de s’interposer dans le nord du pays, tandis qu’une nouvelle constitution donne plus d’importance à la langue tamoule (qualifiée de langue nationale et langue administrative au nord et à l’est du pays). En 1988, les 250’000 derniers Tamouls « indiens » qui n’avaient toujours pas la nationalité sri-lankaise l’obtiennent.
Mais, enlisées et incapables d’éliminer le potentiel militaire des « Tigres tamouls », les troupes indiennes se retirent piteusement en 1990. L’Inde, prenant du recul, se contentent depuis d’entraîner les soldats de l’armée sri-lankaise.
De l’ambiguïté au fiasco : l’implication de l’Inde dans le conflit sri-lankais
« L’analyse de la politique indienne vis-à-vis des troubles secouant son petit voisin insulaire oblige à distinguer la stratégie suivie par le pouvoir central du jeu spécifique mené par les autorités locales du Tamil Nadu. Si New Dehli a agi en tant que puissance régionale prédominante en Asie du Sud, soucieuse de préserver sa stabilité interne et de protéger ses intérêts stratégiques, les autorités en place à Madras, alternativement contrôlées par des partis régionalistes tamouls … ont été très favorables, du moins jusqu’à l’assassinat de Rajiv Gandhi en 1991, à la cause de leurs frères sri-lankais.
La politique mise en oeuvre par New Dehli s’est articulée autour de deux grands principes :
– obtenir de l’Etat sri-lankais la reconnaissance de l’identité tamoule et la fin des discriminations ;
– préserver l’unité du Sri lanka et empêcher la création d’un Etat tamoul indépendant et ethniquement homogène, susceptible de constituer un précédent dangereux pour la mosaïque de minorités ethniques que constitue l’Union indienne. (L’exemple sri-lankais était d’autant plus dangereux que certains partis tamouls indiens ont revendiqué dans les années 50 la création dans le sud de l’Inde d’un Dravidastan regroupant les populations dravidiennes de l’Union.).
(Suite à l’échec de ses troupes dans l’intervention de 1987-1990, et à l’assassinat de Rajiv Gandhi le 21 mai 1991 près de Madras), l’Inde allait désormais se cantonner dans une attitude prudente vis-à-vis du bourbier sri-lankais, tout en faisant preuve d’une relative fermeté à l’encontre du LTTE : interdiction officielle de ce mouvement en Inde, reprise en main du Tamil Nadu, démantèlement de plusieurs réseaux de sympathisants et déploiement de la marine indienne dans le détroit de Palk afin d’empêcher les flux en hommes et en armes en direction de la péninsule de Jaffna. »
(extrait de Mondes rebelles, 2001, p. 323)
L’échec de négociations de paix, en 1995, a provoqué une forte reprise des hostilités. Les combats se déroulent dans la zone nord tamoule ; il y a aussi des attentats suicides à Colombo et Kandy.
Les Tigres ont pratiqué une épuration ethnique avec l’expulsion de 100’000 Musulmans jugés hostiles des territoires qu’ils contrôlent en 1990. Les Musulmans, bien qu’en grande partie parlant tamoul, craignent de se retrouver minorisés dans un état tamoul majoritairement hindous et se sont rapprochés des Cinghalais.
En 1999, une offensive tamoule surprend l’armée sri-lankaise, bloque 40’000 soldats à Jaffna et lui inflige de lourdes pertes, mais l’aide du Pakistan et d’Israël fournissant de nouvelles armes à Colombo permet à l’armée sri-lankaise de repousser finalement le LTTE.
En l’an 2000, afin de mettre fin à la guerre, le gouvernement du Sri Lanka propose un projet de constitution fédérale pour le pays. Mais une autonomie n’est pas une indépendance et les Tigres refusent alors une telle révision de la constitution.
La guerre « ingagnable » se poursuit. Les morts sont nombreux (+ de 60’000 victimes), les déplacés innombrables (1,6 millions en 19 ans). Le Nord, en particulier la péninsule de Jaffna, est totalement dévasté.
La situation économique générale de l’île est dramatique. De nombreux enfants ne fréquentent jamais l’école et la prostitution enfantine s’est développée faisant de Colombo un haut-lieu des pédophiles du monde entier…
La présidente du Sri Lanka (Chandrika Kumaratunga) déclare en décembre 2000 : « Je n’arrive toujours pas à comprendre comment une société civilisée comme la nôtre a pu devenir si animale, si bestiale. »
Résultat du colonialisme qui a divisé pour régner et qui a ainsi développé les antagonismes religieux et ethniques, les Cinghalais ont voulu se venger en instaurant « la dictature de la majorité ». Les Tamouls se sont radicalisés et le conflit ethnique a dégénéré en guerre civile sans issue entre deux camps fortement armés.
Les Cinghalais ont voulu, suite à l’indépendance, instaurer un Etat-nation, alors que le pays était clairement binational. L’échec de cette politique autoritaire débouche sur la violence et la radicalisation des deux camps comme ailleurs (pensons aux Albanais du Kosovo et la Serbie, aux Palestiniens et Israël…).
Espoir
Au début du XXIe siècle, le Conseil oecuménique des Eglises a permis des échange entre le « Conseil chrétien national de Sri Lanka » et le « Conseil chrétien de Norvège » pour encourager l’idée d’une initiative norvégienne pour la paix au Sri Lanka.
Malgré des manifestations d’extrémistes bouddhistes devant l’ambassade de Norvège à Colombo, le gouvernement norvégien joue maintenant un rôle de médiateur et la population semble très favorable au processus de paix en cours, immense espoir mêlé de scepticisme.
Un cessez-le-feu permanent est en vigueur depuis février 2002. En avril de la même année, les Tigres ont conclu avec les Musulmans un accord de paix permettant le retour de ceux-ci dans leurs foyers du nord ; les Tigres ont reconnu que l’expulsion des Musulmans de la péninsule de Jaffna, en 1990, avait été une « erreur ». Cependant, à la fin du mois de juin 2002, des affrontements se sont encore produits entre les deux communautés.
Enfin, au début de pourparlers de paix en septembre 2002 en Thaïlande, les Tigres ont annoncé qu’ils renonçaient à un état indépendant en échange d’une large autonomie, ce qui lève le plus gros obstacle à un accord.
En janvier 2003 eut lieu la 4e session des pourparlers de paix. La présidente Chandrika Kumaratunga a souhaité le désarmement des Tigres qui ont immédiatement refusé de le faire sans garanties conséquentes ; la guérilla refuse de déposer les armes, condition préalable posée par l’armée sri-lankaise au repli de son dispositif militaire de la péninsule de Jaffna, chacun s’estimant vulnérable s’il désarme ou se retire en premier. Mais un accord de principe sur les réfugiés, le déminage et la réhabilitation des zones ravagées par 19 ans de guerre, semble acquis. La Banque mondiale devrait avoir la mission de gérer l’aide internationale pour cette reconstruction.
Une grande conférence internationale sur l’aide à apporter au Sri Lanka se tiendra au Japon en juin 2003.
Notons aussi qu’en décembre 2002 à Oslo, les deux parties ont décidé de transformer l’Etat sri-lankais en fédération. Anton Balasingham, leader de la délégation LTTE a expliqué avoir eu des discussions intensives avec des officiels suisses pour comprendre « la nature et la structure du modèle fédéral suisse ».
Dernière nouvelle
Manifestant, le 7 avril 2003, à Genève devant l’ONU, 3000 Tamouls ont demandé que « le LTTE soit reconnu comme représentant du peuple tamoul et que l’interdiction à son égard soit levée dans les Etats concernés. L’interdiction de la pêche dans la mer au large des côtes tamoules de l’île doit en outre être levée. » Enfin, malgré les négociations de paix en cours, la marine sri-lankaise a coulé, le 10 mars 2003, un bateau des Tigres soupçonné de transporter des armes. (in Tribune de Genève du 8 avril 2003)
Le texte ci-dessus a été élaboré à partir des sources internet suivantes (de nombreux liens sont brisés) :
– Jacques Leclerc, »Sri Lanka », dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 4 mars 2003, http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/srila.htm
-Arte – Le dessous des cartes – « Sri Lanka, un conflit sans fin » (émission du 3.4.1999)
http://www.arte-tv.com/hebdo/dessouscartes/19990403/ftext/index.html
-Encyclopédie électronique Yahoo, http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/cl/cl_860_p0.html
-Jean-Pierre Vauthier, 1982,
http://ethnisme.ben-vautier.com/analyse/etat/srilanka.html
-http://www.chez.com/inderuenion/actu/Lanka/conflit.htm
-http://users.skynet.be/suffrage-universel/lkmitana.htm
-http://www.religioscope.com/notes/2002/026_lankamuslim.htm
-http://fr.news.yahoo.com/030109/5/2xd0d.html
-Bernt Jonsson, « Les populations de Sri Lanka aspirent à la paix », document COE, http://www.wcc-coe.org/wcc/news/press/01/09feat-f.html
-http://www.liberation.com/page.php?Article=79816
-http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3238–309905-,00.html
-http://radio-canada.ca/nouvelles/International/nouvelles/200301/06/003-sri-lanka-paix.shtml
(sites consultés le 18 mars 2003)
et de
« Mondes rebelles », sous la direction de J.-M. Balencie, 2001, éd. Michalon, pp. 318-340 (article « Sri Lanka »)