Lettre ouverte de Michael Moore à Georges W. Bush

Michael Moore est un réalisateur cinématographique américain (son documentaire « Bowling for Columbine » est devenu le documentaire plus primé de tous les temps).

On retrouvera les 48 points ci-dessous dans Mike contre-attaque, publié aux éditions La Découverte, Paris, 2002, pp. 42-46. Ce pamphlet, dont le titre original est « Stupid White Men », s’est placé en tête des ventes aux USA en 2002, s’écoulant à 4 millions d’exemplaires dans le monde et élu « livre de l’année » en Grande-Bretagne.

Cette lettre ouverte a fait le tour de la toile en 2003. Les faits rapportés sont très impressionnants. Cette lettre est un témoignage d’une opposition acharnée à la politique de Georges W. Bush.

 

« Cher Georges,

Depuis que tu es président des États Unis, de mauvaises langues prétendent que tu te tournes les pouces. Pourtant en quelques mois, tu as réussi à :

1) Réduire de 39 millions de dollars le budget des bibliothèques fédérales.

2) Réduire de 35 millions de dollars le budget du programme de formation en médecine pédiatrique avancée.

3) Réduire de 50% le budget de la recherche sur les énergies renouvelables.

4) Repousser l’émission du règlement réduisant les niveaux « acceptables » d’arsenic dans l’eau potable.

5) Réduire de 28% le budget du programme de recherche pour des véhicules moins polluants et moins consommateurs d’énergie.

6) Abolir la législation permettant à l’État de refuser tout contrat public aux entreprises qui violent les lois fédérales, les lois de protection de l’environnement et les règles de sécurité sur le lieu de travail.

7) Permettre à la secrétaire de l’Intérieur Gale Norton d’explorer la possibilité d’ouvrir les parcs nationaux à l’exploitation forestière et minière et aux forages pétroliers et gaziers.

8) Renier ta promesse de campagne d’investir 100 millions de dollars par an dans la protection des forêts tropicales.

9) Réduire de 86% le programme communautaire d’accès aux soins, qui organisait la coopération des hôpitaux publics, des cliniques privées et autres prestataires pour venir en aide aux malades dépourvus d’assurance médicale.

10) Réduire à néant une proposition visant à accroître l’accès du public aux informations sur les conséquences potentielles des accidents chimiques industriels.

11) Réduire de 60 millions de dollars le programme de logements sociaux de la fondation d’aide à l’enfance.

[ dans Mike contre-attaque, Moore dit plus exactement « Réduire de 60 millions de dollars le programme de logements sociaux du Boys and Girls Club of America. » qui est une fondation d’aide à l’enfance.]

12) Refuser de signer l’accord de Kyoto sur l’effet de serre, contre la volonté de 178 pays.

13) Rejeter un accord international ayant pour but l’application du traité de 1972 bannissant les armements microbiologiques.

14) Réduire de 200 millions de dollars le budget des programmes de formation des travailleurs au chômage.

15) Réduire de 200 millions de dollars le Fonds pour l’enfance et le développement, un programme qui permet aux famille à bas revenus de faire garder leurs enfants pendant les heures de travail.

16) Éliminer la couverture des contraceptifs prescrits médicalement pour les fonctionnaires de l’administration fédérale (alors que le Viagra est encore couvert).

17) Réduire de 700 millions de dollars le budget de réhabilitation des logements sociaux.

18) Réduire d’un demi milliard de dollars le budget de l’EPA (Agence de protection de l’environnement).

19) Abolir les directives concernant les règles d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail.

20) Renier ta promesse de campagne de réguler les émissions de dioxyde de carbone qui contribuent fortement à l’effet de serre.

21) Interdire l’attribution d’aides d’origine fédérale aux organisations internationales de planning familial qui fournissent des conseils ou des services en matière d’IVG, fussent-elles financées sur fond propres.

22) Nommer responsable en matière d’hygiène et de sécurité minières auprès du ministère du Travail un ancien dirigeant d’une entreprise minière, Dan Laurier.

23) Nommer sous secrétaire au ministère de l’Intérieur Lynn Scarlett, un fonctionnaire qui ne croit pas à l’effet de serre et qui s’oppose à l’introduction de règles plus contraignantes contre la pollution atmosphérique.

24) Approuver le projet controversé du ministère de l’Intérieur Gale Norton, qui consiste à mettre aux enchères des fonds marins proches de la côte est de la Floride aux fins d’exploitation pétrolifère et gazière.

25) Prévoir l’autorisation de forages pétroliers dans une aire protégée du Montana, la Lewis and Clark National Forest.

26) Menacer de fermer le Bureau de lutte contre le sida de la maison Blanche.

27) Décider de ne plus consulter l’Association américaine du barreau en matière de nomination des juges fédéraux.

28) Refuser toute aide financière aux étudiants condamnés pour des délits de toxicomanie mineurs (alors que les personnes condamnées pour assassinat ont toujours droit à ces aides).

29) Dégager seulement 3% du montant défini par les avocats du département de la justice pour le budget alloué aux poursuites de l’administration contre l’industrie du tabac.

30) Faire passer ton projet de baisse d’impôts qui profite, pour 43% au 1% des américains les plus fortunés.

31) Signer un décret qui rend beaucoup plus difficile aux américains disposant de revenus faibles ou moyens de se déclarer en faillite personnelle, même quand ils font face à des dépenses médicales exceptionnelles.

32) Nommer directeur du personnel de la Maison Blanche Kay Cole James, une adversaire de la discrimination positive en faveur des minorités.

33) Réduire de 15,7 millions de dollars le budget du programme contre la maltraitance des mineurs.

34) Proposer l’élimination du programme  » Lire, c’est fondamental « , qui permettait de distribuer gratuitement des livres aux enfants de familles pauvres.

35) Stimuler le développement d’armements  » micronucléaires  » destinés à atteindre des cibles souterraines et ce en violation du traité d’interdiction des essais nucléaires.

36) Essayer d’éliminer une législation protégeant 24 millions d’hectares de forêts contre toute forme d’exploitation forestière et contre la construction de routes.

37) Nommer responsable du contrôle des armements et des questions de sécurité internationale John Bolton, adversaire des traités de non-prolifération et hostile à l’ONU.

38) Nommer une dirigeante de Monsanto, Linda Fisher, comme administratrice adjointe de l’Agence de protection de l’environnement.

39) Nommer à un poste de juge fédéral Michael McConnel, dont on connaît bien l’opposition à la séparation de l’Église et de État.

40) Nommer à un poste de juge fédéral Terrence Boyle, adversaire des droits civiques.

41) Éliminer la date butoir de 2004 accordée aux constructeurs d’automobiles pour développer des prototypes de véhicules plus économes en carburant.

42) Nommer à la tête du programme gouvernemental de lutte contre la drogue John Walters, adversaire du traitement des toxicomanes incarcérée.

43) Nommer secrétaire adjoint à l’intérieur J.Steven Giles, bien connu pour son travail au service des lobbies du charbon et du pétrole.

44) Nommer responsable pour l’eau et la recherche scientifique auprès du ministère Bennett Raley, adversaire de la législation en faveur de la protection des espèces menacées.

45) Faire pression pour bloquer les poursuites engagées contre le Japon par les femmes asiatiques ayant servi d’esclaves sexuelles aux troupes japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale.

46) Nommer conseiller juridique de la maison Blanche Ted Olson, ton principal avocat dans la controverse juridique sur la légalité du scrutin en Floride.

47) Proposer d’améliorer la procédure d’autorisation de la construction de barrages et de centrales nucléaires, y compris en affaiblissant les critères de protection de l’environnement.

48) Proposer la vente de zones de forage gazier et pétrolier dans les aires protégées de l’Alaska.

Et maintenant, tu veux te lancer dans une guerre dont tu ne mesures pas les conséquences à venir.

Je crois, cher Georges, que la France devrait faire voter par l’ONU l’envoi de casques bleus aux USA car visiblement, tu es en train de faire ce qu’aucun de tes prédécesseurs n’avait oser faire à ton peuple…..ET PAR VOIE DE CONSÉQUENCE A NOUS.

Alors, cesse de faire joujou avec tes soldats et de traiter Saddam Hussein comme un ennemi car visiblement tu lui ressembles.

Allez Georges, rentre chez toi et arrête de faire peur à mon fils avec tes bruits de bottes.

Merci de faire circuler cette lettre ouverte afin que le monde ouvre les yeux et sache… »


Nous nous tenons passivement muets

Discours tenu devant le Sénat le mercredi 12 février 2003 par le sénateur Robert Byrd des États-Unis

« Envisager la guerre, c’est penser à la plus horrible des expériences humaines. En ce jour de février [2003], alors que cette nation se tient à deux doigts de la bataille, chaque Américain se doit d’envisager les horreurs de la guerre.

Cependant, cette Chambre est, dans sa plus grande majorité, silencieuse – sinistrement et terriblement silencieuse. Il n’y a aucune discussion, aucun débat, aucune tentative de présenter à la nation le pour et le contre de cette guerre. Il n’y a rien.

Nous nous tenons passivement muets au Sénat des États-Unis, paralysés par notre propre incertitude, apparemment assommés par le tumulte des événements. Il n’y a que dans les éditoriaux de nos journaux qu’on trouve une réelle discussion sur la sagesse ou l’imprudence de s’engager dans cette guerre.

Et ce n’est pas un petit incendie qui se profile. Il ne s’agit pas d’une simple tentative de neutraliser un ennemi. Non. La bataille qui vient, si elle a lieu, représente un tournant dans la politique étrangère des États-Unis, et probablement un tournant dans l’histoire récente du monde.

Cette nation est sur le point de s’embarquer dans l’expérimentation d’une doctrine révolutionnaire appliquée d’une manière extraordinaire à une époque bien mal choisie. La doctrine de la « préemption » [la « guerre préventive »] –, l’idée que les États-Unis ou n’importe quelle autre nation puisse légitimement attaquer une nation qui ne constitue pas une menace imminente, mais qui pourrait en devenir une dans le futur – est vraiment une nouvelle perversion de la conception traditionnelle de la légitime défense. Elle semble être en violation du droit international et de la charte de l’O.N.U. Et elle est expérimentée à une époque où le terrorisme est mondialement répandu, faisant craindre à de nombreux pays de se trouver prochainement sur notre liste noire, ou celle d’une autre nation. Des personnages de la haute administration ont récemment refusé d’exclure a priori les armes nucléaires des plans d’attaque de l’Irak. Qu’est ce qui pourrait être plus déstabilisant et imprudent que ce genre d’incertitudes, en particulier dans un monde où la mondialisation a lié si intimement les intérêts vitaux économiques et de sécurité de nombreuses nations ? D’énormes fissures apparaissent dans nos alliances scellées de longue date, et les intentions américaines font soudain l’objet de spéculations préjudiciables venant de toutes parts. L’anti-américanisme qui naît de la défiance, de la désinformation, de la suspicion et de la rhétorique alarmiste des dirigeants des États-Unis est en train de briser la solide alliance contre le terrorisme global qui existait après le 11 Septembre.

Ici à la maison, les gens sont mis en garde contre d’imminentes attaques terroristes, mais avec peu d’indications sur quand et où de telles attaques pourraient se produire. Pères et fils sont appelés sous les drapeaux, sans savoir la durée de leur séjour ni les horreurs auxquelles ils pourraient être confrontés. Des communautés se retrouvent avec des forces de police et de pompiers insuffisantes. D’autres services essentiels sont également en pénurie de personnel. Le moral de la nation est sinistre. L’économie vacille. Le prix des carburants monte et risque de bientôt bondir encore plus haut.

Ce gouvernement, maintenant au pouvoir depuis un peu plus de deux ans, doit être jugé sur son bilan. Je pense que ce bilan est lamentable.

En deux petites années, ce gouvernement a dilapidé l’énorme excédent prévu de quelques 5600 milliards de dollars pour la prochaine décennie, et nous a entraîné dans une situation déficitaire pour aussi loin qu’on puisse prévoir.

Ce gouvernement a adopté des règlements qui ont ralenti la croissance économique. Ce gouvernement a délaissé des problèmes urgents, tels que la crise du système de soins aux personnes âgées. Ce gouvernement a tardé à financer correctement la sécurité de la patrie. Ce gouvernement a traîné les pieds pour renforcer la protection de nos frontières longues et poreuses.

En ce qui concerne la politique étrangère, ce gouvernement n’a pas réussi à trouver Ousama Ben Laden. En fait, nous l’avons entendu pas plus tard qu’hier haranguer ses troupes et les appeler à tuer. Ce gouvernement a cassé les alliances traditionnelles, risquant de paralyser, pour toujours, des organisations internationales de maintien de l’ordre telles que les Nations Unies et l’O.T.A.N. Ce gouvernement a remis en question la perception traditionnelle et internationale des États-Unis comme un gardien de la paix, bien intentionné. Ce gouvernement a changé l’art délicat de la diplomatie en menaces, insultes et diffamations, qui sont le lamentable reflet du peu d’intelligence et de sensibilité de nos dirigeants. Cela aura de lourdes conséquences pour les années à venir.

Traiter des chefs d’États de « pygmées », qualifier des pays entiers de maléfiques, dénigrer et mépriser l’opinion de puissants alliés européens, ce type d’insensibilités grossières ne peuvent être bonnes pour notre nation. Nous avons peut-être une puissance militaire massive, mais nous ne pouvons pas mener seuls une guerre globale contre le terrorisme. Nous avons tout autant besoin de la coopération et de l’amitié de nos alliés de longue date, que de celles des nouveaux amis que notre richesse a attiré. Notre impressionnante machine militaire nous sera de peu d’utilité si nous subissons sur notre sol une nouvelle attaque dévastatrice qui nuise gravement à notre économie. Nos effectifs militaires s’amenuisent et nous aurons besoin de l’appui renouvelé de ces nations qui peuvent fournir des forces armées, au lieu de se contenter de signer des lettres d’encouragement.

Jusqu’à présent, la guerre en Afghanistan nous a coûté 37 milliards de dollars, et pourtant il y a des signes que le terrorisme serait déjà en train de ré-investir cette région. Nous n’avons pas trouvé Ben Laden, et à moins que nous établissions durablement la paix en Afghanistan, les repaires de terroristes refleuriront dans ce pays lointain et dévasté.

Le Pakistan également est menacé par des forces de déstabilisation. Ce gouvernement n’a pas terminé la première guerre contre le terrorisme que déjà il est impatient de s’embarquer dans un autre conflit, avec des risques bien plus grands qu’en Afghanistan. Avons-nous la mémoire si courte ? N’avons-nous pas appris qu’après avoir gagné la guerre, on doit toujours stabiliser la paix ?

Et pourtant on n’entend pas grand chose au sujet de l’après-guerre en Irak. En l’absence de plans, les spéculations à l’étranger vont bon train. Nous allons nous emparer des champs de pétrole irakiens, nous allons devenir une puissance occupante qui contrôlera le prix et les approvisionnements de pétrole de cette nation pour une durée indéterminée. À qui proposons-nous de remettre les rênes du pouvoir après Saddam Hussein ?

Notre guerre va-t-elle enflammer le monde musulman et engendrer des attaques dévastatrices sur Israël ? Israël répondra-t-il avec son arsenal nucléaire ? Les gouvernements jordanien et saoudien seront-ils renversés par des radicaux, soutenus par l’Iran, qui est beaucoup plus lié au terrorisme que l’Irak ?

Une interruption de l’approvisionnement en pétrole conduira-t-elle à une récession mondiale ? Notre langage insensé et belliqueux et notre insensible mépris des intérêts et opinions d’autres nations ont-ils relancé la course à l’entrée dans le club nucléaire, et rendu la prolifération encore plus lucrative pour des pays qui ont besoin ressources financières ?

En seulement deux petites années, ce gouvernement insouciant et arrogant a initié une politique qui pourrait engendrer des conséquences désastreuses pour de longues années.

On peut comprendre la colère et le choc de n’importe quel Président après les attaques sauvages du 11 Septembre. On peut imaginer la frustration de n’avoir qu’une ombre à chasser et un ennemi amorphe et insaisissable, à qui il est presque impossible d’infliger un châtiment.

Mais transformer sa frustration et sa colère en ce genre de débâcle de notre politique étrangère, extrêmement déstabilisante et dangereuse et dont le monde entier est témoin, c’est inexcusable de la part d’un gouvernement ayant l’incroyable puissance et responsabilité de diriger la plus grande superpuissance de la planète. Franchement, de nombreuses déclarations faites par ce gouvernement sont indignes. Il n’y a pas d’autre mot.

Et pourtant cette Chambre reste obstinément silencieuse. Nous sommes peut-être à la veille d’infliger la mort et la destruction à la population de l’Irak – une population, ajouterais-je, dont la moitié à moins de 15 ans – et cette Chambre est muette. Peut-être plus que quelques jours avant que nous envoyions des milliers de nos citoyens affronter les horreurs inimaginables des armes chimiques et biologiques – et cette Chambre reste muette. Nous sommes peut-être à la veille d’une vicieuse attaque terroriste en représailles de notre attaque de l’Irak, et tout va comme d’habitude au Sénat des États-Unis.

Nous traversons l’Histoire comme de vrais somnambules [« sleepwalking through history»]. Au plus profond de mon coeur je prie pour que cette grande nation et ses citoyens, bons et confiants, n’aient pas à subir le plus rude des réveils.

S’engager dans une guerre, c’est toujours jouer un joker. Et la guerre doit toujours être la dernière solution, pas le premier choix. Je dois réellement mettre en question le discernement de tout Président qui peut dire qu’une attaque militaire, massive, non provoquée, d’une nation composée à plus de 50 % par des enfants est « dans la plus haute tradition morale de notre pays ». Cette guerre n’est pas nécessaire à l’heure actuelle. Les pressions semblent donner de bons résultats en Irak. Notre erreur a été de nous acculer nous-mêmes dans un coin. Notre défi est de trouver un moyen de nous sortir élégamment de cette boîte que nous avons nous-mêmes construite. Peut-être y-a-t-il un moyen, si nous nous donnons plus de temps. « 

Robert C. Byrd est sénateur démocrate de Virginie occidentale, États-Unis. Né en 1917, doyen du Sénat, ancien leader du groupe démocrate (1977-1998), puis Président de cette assemblée (1989-1994 & 2001-2002).

Il prononça ce discours devant une salle pratiquement vide et quasiment personne ne donna écho à ses propos. Il y a un plan où on voit le Président de l’Assemblée se tortiller, mal à l’aise, sur son siège.

Ce texte a été traduit par Bruno Viaris.

Il est disponible en anglais sur le site du sénateur Byrd : http://byrd.senate.gov/speeches/byrd_speeches_2003february/byrd_speeches_2003march_list/byrd_speeches_2003march_list_1.html (lien brisé)

Il faut savoir que ceci est le discours écrit et que R. Byrd l’a prononcé dans des termes légèrement différents, parfois plus virulents (des extraits de ce discours ont été repris dans le documentaire de W. Karel, Le monde selon Bush, 2004).


Démission d’un diplomate

Voici la lettre de démission que John Brady Kiesling, conseiller politique à l’Ambassade des États-Unis à Athènes, a remis le 27 février 2003 à son supérieur le secrétaire d’État Colin Powell.

« Monsieur le secrétaire d’État,

Je vous écris pour vous signifier ma démission du département d’État des États-Unis et de ma fonction de Conseiller Politique à l’Ambassade américaine à Athènes, à dater du 7 mars. Je le fais le coeur lourd. Mon éducation incluait un sens du devoir vis-à-vis de mon pays. Servir les États-Unis en tant que diplomate était donc un rêve. J’étais payé pour comprendre les langues et les cultures étrangères, pour rencontrer des diplomates, des politiciens, des savants et des journalistes, afin de les persuader que les intérêts américains et les leurs coïncidaient. La foi que j’avais dans mon pays et dans ses valeurs était l’arme la plus puissante de mon arsenal diplomatique.

Il est inévitable qu’en vingt années de service, je devienne plus sceptique et cynique au vu des motifs purement bureaucratiques, égoïstes et étroits qui ont parfois tracé les contours de nos politiques. La nature humaine étant ce qu’elle est, j’ai été récompensé et promu parce que je la comprenais. Cependant, jusqu’à l’arrivée de ce gouvernement, il m’a été possible de croire qu’en soutenant la politique de mon président, je promouvais aussi les intérêts du peuple américain et du monde. Je n’y crois plus.

Les politiques que l’on nous demande maintenant de promouvoir sont incompatibles, non seulement avec les valeurs américaines, mais avec les intérêts américains. Notre acharnement à vouloir la guerre avec l’Irak nous mène à gaspiller la légitimité internationale qui fut l’arme la plus puissante des États-Unis depuis l’époque de Woodrow Wilson. Nous avons commencé à démanteler le réseau relationnel le plus étendu et le plus efficace que le monde ait jamais connu. Notre trajectoire actuelle ne peut qu’apporter instabilité et danger, au lieu de la sécurité.

Le sacrifice de ces intérêts globaux à la politique intérieure et à des intérêts égoïstes n’est pas nouveau et ce n’est certes pas un problème purement américain. Cependant, nous n’avions pas connu une telle distorsion systématique des informations, ni une manipulation aussi systématique de l’opinion publique américaine depuis la guerre du Vietnam. La tragédie du 11 septembre nous avait laissés plus forts qu’avant, rassemblant autour de nous une vaste coalition internationale prête à coopérer pour la première fois d’une manière systématique contre la menace du terrorisme. Cependant, au lieu d’utiliser le bénéfice de ce succès et construire quelque chose de solide sur cette base, ce gouvernement a choisi d’utiliser le terrorisme comme un argument de politique intérieure, enrôlant un Al Qaïda dispersé et largement affaibli comme allié administratif. Nous avons répandu une terreur et une confusion démesurée dans le public, liant arbitrairement deux problèmes sans relation, le terrorisme et l’Irak. Le résultat, mais peut-être aussi le motif, a été de justifier le déplacement à mauvais escient de fonds publics en décroissance vers les dépenses militaires et d’affaiblir les garde-fous qui protègent les citoyens américains de la lourde main du gouvernement. Le 11 septembre n’a pas fait autant de mal à la structure de la société américaine que ce que nous semblons déterminés à nous infliger nous-mêmes. La Russie des derniers Romanov est-elle notre modèle, un empire égoïste et superstitieux fonçant vers l’autodestruction au nom d’un statu-quo condamné d’avance ?

Nous devrions nous demander pourquoi nous n’avons pas réussi à persuader plus de gens qu’une guerre avec l’Irak est nécessaire. Au cours des deux dernières années, nous en avons trop fait, persuadant nos partenaires dans le monde que des intérêts américains, étroits et financiers, passaient au-dessus de leurs valeurs les plus chéries. Même quand nos buts n’étaient pas contestables, notre cohérence l’a été. L’exemple de l’Afghanistan réconforte peu nos alliés lorsqu’ils se demandent sur quelles bases nous voulons reconstruire le Moyen-Orient, dans l’intérêt de qui. Sommes-nous vraiment devenus aveugles, comme la Russie l’est en Tchétchénie, comme Israël l’est dans les territoires occupés, pour ignorer qu’un pouvoir militaire écrasant n’est pas la réponse au terrorisme ? Lorsque les ruines de la guerre en Irak s’additionneront à celles de Grozny et de Ramallah, qui donc pourra encore nous suivre ?

Nous disposons encore d’une coalition solide. La loyauté de beaucoup de nos amis est impressionnante, un tribut au capital moral que l’Amérique a accumulé au cours du siècle dernier. Cependant, nos alliés sont moins persuadés du fait que la guerre soit justifiée que du danger de laisser les États-Unis glisser dans un complet égocentrisme. La loyauté devrait être réciproque. Pourquoi notre président tolère-t-il la manière fanfaronne et méprisante de son administration, même aux plus hauts niveaux, traite nos amis et alliés ?

Je vous en prie, écoutez les amis de l’Amérique partout dans le monde. Même ici, en Grèce, que l’on dit être le siège de l’anti-américanisme le plus virulent, nous avons plus d’amis que le lecteur moyen de la presse américaine ne peut le supposer. Même lorsqu’ils se plaignent de l’arrogance américaine, ils savent que le monde est un endroit dangereux et difficile et ils veulent un système international solide, avec les États-Unis et l’Europe travaillant main dans la main. Quand nos amis ont peur de nous au lieu d’avoir peur pour nous, il est temps de s’interroger. Et maintenant, ils sont inquiets. Qui va leur dire de manière convaincante que les États-Unis sont toujours, comme ils l’étaient, un phare de liberté, de sécurité et de justice pour la planète ?

Monsieur le secrétaire d’État, j’éprouve beaucoup de respect pour votre personnalité et vos compétences. Vous avez sauvegardé pour nous plus de crédibilité internationale que n’en mérite notre politique et maintenu un aspect positif à ce gouvernement, malgré ses excès idéologiques. Cependant, votre loyauté envers le président va trop loin. Nous exigeons trop d’un système international que nous avons peiné à construire. Son réseau de lois, de traités et d’organisations ont bien plus maintenu à l’écart nos ennemis qu’ils n’ont limité la capacité de l’Amérique à défendre ses intérêts.

Je démissionne parce que j’ai échoué à faire coordonner ma conscience et mes capacités à servir la présente administration. Je garde cependant confiance dans le fait que notre système démocratique est auto-correcteur. J’espère que, d’une toute petite manière, je pourrai continuer de l’extérieur à définir des politiques qui serviront mieux la sécurité et la prospérité du peuple américain et du monde que nous partageons.

John Brady Kiesling »

source : réseau Voltaire

 

Y La crise irakienne (2003) : opposition entre l’Europe et les USA