Exemple d’épreuve pour une analyse géopolitique
Le texte ci-dessous sur le Timor-Est a été donné à des élèves de 4e année au Collège de Saussure à Genève (= terminales de Lycée). Ils avaient à disposition les dictionnaires « Le Petit Robert » 1 et 2. La durée du travail était de 160 minutes. Trois cartes (Indonésie, Timor, et le « Timor Gap ») accompagnaient le texte ; les deux premières ne sont pas reproduites ici ; le « Timor Gap » est reproduit en fichier jpg avec son commentaire.
Voici les consignes qui leurs ont été données.
–> Construisez un organigramme représentant avec clarté les mécanismes géopolitiques et les acteurs responsables de la situation économique et sociale actuelle du Timor oriental.
–> Parmi les nombreuses informations et explications que contient ce texte, triez et sélectionnez seulement celles qui sont utiles.
–> Organisez les informations et les idées en tenant compte de la démarche apprise en cours.
–> Rendez votre travail sous forme d’une représentation synthétique (organigramme de format A3) dans laquelle vous n’oublierez pas d’établir les liens appropriés entre les éléments en donnant toutes les explications nécessaires pour que la situation actuelle soit rendue intelligible.
–> Libre à vous de présenter votre organigramme sous la forme que vous estimez la meilleure.
–> Les cartes annexées sont un complément très utile pour mener à bien votre analyse.
Ce texte laisse de côté les rivalités ethniques au sein de la population du Timor-Est (Lorosae, l’ethnie majoritaire habitant l’est du pays, contre les Loromunu de l’ouest) et les violences de l’année 2006 ; les élèves ne les traitent donc pas. C’est une simplification voulue par les enseignants.
Un article complémentaire est rajouté sur ces questions pour votre information.
TIMOR LOROSAE
République de Timor Lorosae (1 – voir les notes à la fin du texte)
Le Timor est une île de l’archipel indonésien située à 450 Km au nord de l’Australie, entre les îles de Java (à l’Est) et de l’Irian Jaya (à l’Ouest), mais au sud des îles de Bornéo et de Sulawasi. À plus de 1000 km de Jakarta dans l’île de Java, c’est la plus grande et la plus orientale des petites îles de la Sonde avec une superficie totale de 30’775 km2, ce qui correspond à la superficie des Pays-Bas. Le pays est assez montagneux. Le point culminant de l’île se trouve dans sa partie orientale à une altitude de 2’963 mètres. Le climat est tropical et généralement chaud et humide, caractérisé par une saison sèche et une saison des pluies. La population de toute l’île de Timor est estimée à 1,9 million d’habitants. En raison de son passé colonial, l’île de Timor est partagée en deux territoires :
Timor occidental (superficie de 15’850 km2, à l’ouest de l’île) : autrefois sous contrôle hollandais, c’est aujourd’hui la partie indonésienne appelée la province de Nusa Tenggara avec la ville de Kupang comme capitale. Cette partie est habitée par près d’un million de personnes dont une majorité de Papous parlant des langues papoues et une minorité d’Indonésiens parlant surtout le javanais.
Timor oriental (superficie de 14’925 km2, à l’est de l’île avec une enclave située dans la partie occidentale) : auparavant sous contrôle portugais, cette partie de l’île a été annexée de force par l’Indonésie en 1975 et est devenue la province de Timor Timur avec Dili comme capitale. En 1999, la province est administrée provisoirement par les Nations Unies avant de devenir un État souverain depuis le 20 mai 2002. Timor oriental est habité par 890’000 personnes. On y trouve une minorité d’Indonésiens parlant le javanais (env. 20 %) et une majorité de Timorais (un peu moins de 80 %) de religion catholique romaine dont une bonne partie parle le tétum (environ 80 %). La langue officielle était, jusqu’en 1975, le portugais, puis, jusqu’en 1999, le bahasa indonesia. Depuis 2002, le portugais et le tétum sont les langues officielles du pays.
La répartition de la population, l’histoire coloniale, la langue et la religion ont fait en sorte que les Timorais de l’Est et les Timorais de l’Ouest forment deux sociétés distinctes au sein de la même île. Au sein du méga archipel indonésien peuplé de plus de 200 millions d’habitants, les quelques 650’000 Timorais catholiques ne représentent qu’une goutte d’eau dans cet univers musulman.
Au début du premier millénaire, le territoire du Timor-Est est déjà habité par plusieurs ethnies mélanésiennes et des Papous, contribuant ainsi à former une diversité ethnique encore visible aujourd’hui. Tandis que tout l’archipel indonésien et les Philippines commencent à s’islamiser au XIIIe siècle, les Timorais de l’Est restent à l’écart de ce grand bouleversement à la fois religieux et culturel.
À la même époque, un groupe de missionnaires portugais s’installent au Timor oriental. Ceux-ci réussissent à convertir les autochtones, les Bélu, à la religion catholique. De leur côté, les Timorais de l’Ouest protégés par les Hollandais restent musulmans. Avec les années, les missionnaires portugais attirent des colons, des soldats, des marchands et des navigateurs formant une communauté assez disparate en raison du métissage entre Portugais et Timorais. Les descendants de ces métis sont à l’origine d’un groupe appelé Topasses qui, à partir du XIVe siècle, établissent leur domination sur les autres ethnies autochtones de l’île. Outre le portugais, la langue la plus utilisée devient le tétum, la langue des Bélu.
Un peu plus tard (au XVIe siècle), l’île de Timor-Est est divisée en deux royaumes rivaux autochtones : la partie occidentale se trouve sous la dépendance du royaume musulman de Sombay, alors que la partie orientale est soumise au royaume catholique de Behale. Mais les rivalités entre les deux royaumes poussent les belligérants à rechercher l’aide militaire des puissances coloniales de l’île : les Portugais pour le royaume de Behale, les Hollandais pour le royaume de Sombay. En 1515, les deux groupes rivaux, l’un musulman, l’autre catholique, se livrent la guerre et les Topasses finissent par régner sur les deux parties de l’île. La religion catholique devient une arme culturelle pour s’imposer sur tout le territoire.
En 1613, les Hollandais viennent disputer aux Portugais la suprématie économique de la région. Quelques décennies plus tard, soit à partir de 1640, les Portugais intensifient leur présence politique et militaire au Timor oriental. Pendant ce temps, les Hollandais expulsent les Portugais des îles voisines et s’installent définitivement dans toute l’Indonésie et, en 1769, au Timor occidental, lequel dépendait alors du royaume local de Sombay. Durant trois siècles, le Portugal maintient sa tutelle coloniale au Timor oriental et les Pays-Bas font de même au Timor occidental ainsi que dans le reste de l’Indonésie. C’est seulement en 1859 que les Pays-Bas et le Portugal signent un traité déterminant les frontières précises entre le Timor occidental hollandais et le Timor oriental portugais. Les frontières coloniales sont reconnues et fixées, le 25 juin 1914, par la Cour internationale de justice de La Haye.
Au début du XXe siècle, les incessantes luttes entre les royaumes autochtones rivaux finissent par excéder le Portugal qui délaisse quelque peu sa colonie jusqu’au moment où, en 1932, Antonio de Oliveira Salazar, alors ministre des Colonies du Portugal, décide d’imposer au Timor une dictature fasciste, semblable à celle qui sévit en Métropole. Les Timorais de l’Est s’opposent à la politique de Salazar et, en conséquence, subissent une dure répression. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Timor oriental se retrouve au centre des combats opposant les Alliés aux Japonais, ceux-ci ayant envahi la région afin de préparer une offensive contre l’Australie. Salazar autorise l’Australie à s’établir au Timor oriental. Les Timorais aident alors des commandos australiens. Cependant, après de violents combats, les Australiens abandonnent le terrain aux Japonais. Non seulement 50’000 Timorais perdent la vie lors de l’occupation japonaise, mais la région se trouve dévastée par les bombardements.
Après la guerre (1945), le Portugal reprend immédiatement le contrôle du Timor oriental et impose à nouveau sa dictature fasciste. Pourtant, rien n’est entrepris pour reconstruire la colonie. Pendant ce temps, la guerre reprend entre les Pays-Bas et sa colonie indonésienne. En 1949, les Pays-Bas abandonnent la lutte et quittent leur colonie qui devient la République fédérale indonésienne. En 1950, le président Suharto proclame la république d’Indonésie. Alors que le Timor oriental reste sous administration portugaise, le Timor occidental devient une possession de l’Indonésie.
En 1961, les habitants du Timor oriental se soulèvent contre le régime fasciste portugais, mais Salazar maintient son autorité jusqu’en 1968. Victime d’une attaque cérébrale, il doit céder le pouvoir à Marcelo Caetano. Ce dernier tente de réformer le régime autoritaire de l’Estado Novo (l’Etat Nouveau) qui continue de faire peser une chape de plomb sur le Portugal depuis 1933, mais l’inertie du système et l’omnipotence de la police secrète et militaire empêchent tout changement.
Le régime vieillissant et ankylosé est en complet décalage par rapport à un monde occidental en pleine mutation culturelle et intellectuelle. Les colonies africaines – le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe – entraînées par le mouvement de la décolonisation sont en révolte depuis le début des années 1960 et forcent le régime à investir de plus en plus d’énergie dans une vaine guerre de pacification visant à garder la mainmise du Portugal sur les restes de son Empire colonial. Une telle guerre contraste par rapport aux autres puissances coloniales qui cherchent toutes alors à créer les conditions d’une décolonisation satisfaisante.
Le 25 avril 1974, le Parti socialiste du Portugal, appuyé par les Forces armées très hostiles à la poursuite des guerres coloniales, renverse le régime d’extrême droite des partisans de Salazar (le dictateur était décédé en 1970). La dictature salazariste est balayée par cette révolution dite « des Œillets » au profit d’un régime démocratique. Le général Antonio de Spinola est porté à la présidence de la République. La fin de l’Estado Novo fournit l’occasion au nouveau gouvernement de reconnaître le droit à l’indépendance des peuples des colonies. Dans les faits, le désintérêt du Portugal pour ses colonies permet au gouverneur du Timor oriental de conserver ses fonctions dans ce qui est encore la «province d’outre-mer du Portugal».
Du côté de la population timoraise, la révolution au Portugal provoque l’émergence des partis politiques nationalistes. En opposition, il y a trois forces politiques qui représentent trois voies possibles :
– l’Union démocratique timoraise (UDT), un parti conservateur qui prône une autonomie politique tout en conservant des liens étroits avec le Portugal : c’est la voie de l’association ;
– le Front révolutionnaire pour un Timor-Est indépendant (le FRETILIN), un parti de gauche regroupant des intellectuels catholiques auxquels vont se joindre des étudiants : cette deuxième voie défend le droit à l’indépendance ;
– l’Association populaire et démocratique timoraise (APODETI), un parti de droite largement manipulé par les autorités de Jakarta : cette dernière voie défend le rattachement à l’Indonésie.
De son côté, le Parlement portugais promulgue une loi destinée à préparer l’élection d’une assemblée populaire dans le territoire timorais et, en octobre 1975, il fait savoir que la souveraineté du Portugal sur le Timor oriental prendra fin en octobre 1978. En choisissant l’option de l’indépendance du Timor oriental, le Portugal soutient de fait le Front révolutionnaire pour un Timor-Est indépendant (le FRETILIN).
Au cours du mois de novembre 1975, la guerre civile éclate au Timor oriental entre les partisans du FRETILIN favorables à l’indépendance et les partisans de l’UDT et de l’APODETI. Agitant l’épouvantail rouge, les partisans de l’UDT prennent Dili, capitale du Timor oriental, dans la nuit du 11 au 12 août 1975. En dix-sept jours d’une courte et violente guerre civile (3000 morts), le FRETILIN sort vainqueur du conflit et, après avoir obtenu le contrôle du territoire, proclame la république du Timor-Est le 28 novembre 1975.
Mais l’éphémère république du Timor-Est ne vivra que dix jours. En effet, les généraux de Suharto, encore sous le coup de la victoire communiste en Indochine, ne peuvent accepter un « nouveau Cuba » aux portes de l’Indonésie. Ils sont largement encouragés dans ce sens par le président des États-Unis, Gérald Ford, et Henri Kissinger, son ministre des affaires étrangères, qui se trouvent en visite à Jakarta le 6 décembre. Par conséquent, dès la proclamation de l’indépendance (2), les généraux engagent une invasion déguisée du Timor oriental. La radio indonésienne annonce sur les ondes timoraises que des armes soviétiques, chinoises et vietnamiennes ont été introduites clandestinement au Timor oriental pour soutenir le FRETILIN. Cette propagande est destinée à justifier une intervention de l’armée qui, selon la version officielle, a pour objectif de combattre le communisme. De fait, le 7 décembre 1975, l’armée indonésienne envahit le territoire, ce qui entraîne le retrait immédiat de l’administration portugaise. Le 12 décembre, l’ONU exige le retrait des troupes indonésiennes (3). Pourtant, la résolution reste lettre morte et le Timor oriental devient, le 17 juillet 1976, la 27e province indonésienne (4).
Après avoir pris possession de l’île, le président indonésien Suharto demande aux derniers combattants de la résistance timoraise de se rendre en leur promettant un armistice. Cependant, l’inattendue résistance timoraise va contraindre l’Indonésie à mener une longue guerre d’occupation. Les opérations militaires se poursuivront jusqu’en 1978, puis reprendront de 1983 à 1989. Les 16’000 soldats indonésiens ont fort à faire pour mâter les « forces rebelles ». L’armée d’occupation a recours à toutes sortes de méthodes. Elle se sert des Timorais comme de boucliers humains, elle parque la population dans des camps de concentration, brûle tout le couvert végétal de l’île, fait des arrestations arbitraires, torture, déporte, exécute sans jugement, etc.
D’une population estimée à 600’000 en 1975, 200’000 Timorais auraient trouvé la mort sous l’effet direct de l’occupation indonésienne. Selon l’Église catholique, les zones occupées se seraient «vidées» de quelques 300’000 habitants. À partir de 1980, 250’000 colons et fonctionnaires indonésiens s’installent au Timor oriental, des «transmigrants (5)» (selon la terminologie officielle) originaires des îles indonésiennes prétendument surpeuplées de Sulawesi, de Java, de Mandura et de Bali. Cette transmigration se fait sous le prétexte que la nouvelle province de Timor Timur est trop sous-peuplée pour qu’un développement autonome puisse être viable. En fait, ce sont surtout des Javanais qui s’implantent au Timor oriental. En contrôlant le commerce du café et l’exploitation des richesses du sous-sol, les commerçants javanais, les militaires et les représentants gouvernementaux peuvent ainsi profiter du développement économique de l’île au détriment des Timorais.
Pour Jakarta, la nouvelle province indonésienne devient rentable à plus d’un titre. D’abord, le territoire rapporte des dividendes à l’économie indonésienne en raison de l’existence de vastes réserves de pétrole et de gaz naturel. L’invasion permet aussi au gouvernement indonésien d’améliorer son image en se faisant l’apôtre de la lutte contre le communisme international incarné par le FRETILIN. Enfin, l’occasion est donnée aux forces armées indonésiennes de s’associer étroitement au pouvoir politique de Jakarta.
Pendant les années qui suivent l’annexion forcée, le Portugal ignore le Timor et préfère considérer l’occupation indonésienne comme un fait accompli, ce qui lui évite de devoir gérer la décolonisation de sa dernière colonie. De son côté, l’Australie revendique le territoire à des fins d’exploration et d’exploitation pétrolière et gazière (6).
L’annexion permet à l’Indonésie de pratiquer une politique d’assimilation : imposition de la nationalité indonésienne, repeuplement par « transmigration », contrôle des naissances, imposition du bahasa indonesia et de l’islam, etc. Avant l’invasion indonésienne, tous les Timorais pouvaient se prévaloir de la nationalité portugaise. Ils manifestaient ainsi leur non-appartenance à la société indonésienne. C’est pour contrer cette attitude que l’administration indonésienne veut imposer la citoyenneté indonésienne aux Timorais, celle-ci devenant une condition de la promotion sociale en même temps qu’un outil de discrimination.
L’acceptation de la citoyenneté indonésienne devient obligatoire pour obtenir des postes dans la fonction publique et l’éducation, les fonctionnaires et les enseignants devant être totalement soumis au régime. Inutile de dire que, sauf de rares exceptions, les Timorais sont rapidement exclus de ces postes. En effet, les très nombreux « transmigrés » javanais finissent par détenir tous les pouvoirs dans l’Administration et l’éducation. Par conséquent, l’éviction des Timorais dans ces postes stratégiques implique le non-emploi de leur langue.
Les autorités indonésiennes imposent le bahasa indonesia comme la seule langue véhiculaire de tous les Timorais. Les langues locales, comme le tétum, sont tout juste tolérées par l’Indonésie dans les communications orales en public, mais l’emploi du portugais, la langue de l’ancien colonisateur, est rigoureusement interdit dans l’île. Comble de l’ironie, la langue portugaise, que les Timorais rejetaient durant la colonisation, devient un instrument de combat utilisé contre les Indonésiens.
Le gouvernement indonésien met en place un système de conditionnement idéologique auprès des jeunes afin de rendre moins manifestes les mesures de répression. À l’école primaire, un nouveau programme éducatif impose l’apprentissage de la langue indonésienne, mais aussi des cours sur la culture et les coutumes indonésiennes. Les parents sont obligés d’apprendre le bahasa indonesia tandis que les mères doivent apprendre les rudiments de la cuisine indonésienne lors de cours qui leur sont spécialement destinés. Quant à l’enseignement secondaire, il est presque inexistant, afin de ne pas favoriser l’émergence de futurs opposants au régime. Les rares étudiants timorais qui obtiennent l’autorisation de fréquenter une université indonésienne sont sévèrement surveillés par la police.
La Constitution indonésienne garantit la liberté religieuse dans tout l’archipel, sauf pour les Timorais. Alors que 90 % d’entre eux sont de religion catholique romaine, la pratique de cette religion est interdite. De plus, à l’école, l’imposition du bahasa indonesia s’accompagne de l’imposition de la lecture du Coran et d’une islamisation forcée.
La législation indonésienne interdit à tout «étranger» de posséder une propriété au Timor. Par exemple, si les agriculteurs timorais ne demandent pas la nationalité indonésienne, ils perdent leurs terres qui sont confisquées et attribuées à l’armée ou aux nouveaux colons indonésiens. En les contraignant à accepter la citoyenneté indonésienne, le gouvernement peut prétendre que les Timorais sont satisfaits de leur intégration à l’Indonésie. Toutefois, comme la plupart des grands propriétaires terriens se sont exilés en Australie ou au Portugal et qu’ils n’ont aucune envie de solliciter la citoyenneté indonésienne, l’État indonésien peut ainsi récupérer ces terres et les distribuer aux amis du régime.
Malgré la féroce répression indonésienne et le programme d’assimilation, le FRETILIN trouve un nouvel élan sous la direction d’Alexandre Gusmão dit « Xanana ». Dès 1979, il dirige le mouvement et, en 1987, il forme le Conseil national de la résistance de Timor oriental (CNRT), regroupant tous les indépendantistes et mobilisant la jeunesse contre la répression. Le charisme généreux de Xanana devient source d’inspiration. Bête noire des militaires indonésiens, il est capturé en 1992, condamné à vingt ans de réclusion et emprisonné à Jakarta (7).
La crise financière asiatique de 1997 entraîne l’Indonésie dans une profonde dépression économique et sociale : émeutes politiques, ethniques et religieuses se succèdent. En 1998, la répression des manifestations étudiantes met Jakarta à feu et à sang. Le président Suharto est contraint de démissionner le 21 mai 1998 à l’immense joie de ses opposants qui réclament sa mise en jugement et la saisie de sa fortune, la réforme du système, la fin de la corruption et du rôle politique de l’armée.
Pour se remonter économiquement, l’Indonésie a besoin d’une aide internationale de 43 milliards de dollars qu’elle sollicite auprès du FMI. Pour obtenir cette aide, le nouveau président Habibie propose, en juin 1998, un référendum sur le statut du territoire du Timor oriental. Le 7 février 1999, le ministre indonésien des Affaires étrangères accepte le principe d’une consultation d’autodétermination organisée par les Nations Unies auprès des Timorais. Le 5 mai suivant, sous l’égide de l’ONU, l’Indonésie et le Portugal signent un accord qui, en prévoyant un référendum pour le 30 août, ouvre la voie à l’indépendance.
Les militaires indonésiens ne peuvent empêcher que 450’000 Timorais s’inscrivent sur les listes électorales. Le 30 août, malgré la terreur que fait régner l’armée et les milices anti-indépendantistes, 78,5 % des votants refusent l’autonomie interne proposée par Jakarta et se prononcent pour l’indépendance (avec une participation de 98,6 %). Dès l’annonce du résultat référendaire, le président Habibie annonce à la télévision indonésienne que son gouvernement accepte et respectera ce verdict populaire. Il affirme avoir ordonné à la police et à l’armée indonésiennes d’assurer la sécurité et l’ordre dans le territoire.
À l’encontre de la parole du président (8), l’armée déclenche aussitôt une violente action punitive, tuant, violant, pillant, détruisant tout. De plus, elle laisse agir en toute impunité des milices pro-indonésiennes ne dépendant pas du gouvernement et farouchement déterminées à ignorer l’écrasante victoire des indépendantistes au référendum. Dans une démonstration de force sans précédent, les milices indonésiennes s’emparent du centre de Dili, la capitale, lancent une chasse sanglante aux indépendantistes. Elles s’en prennent aussi aux fonctionnaires nationaux et internationaux de la mission des Nations Unies au Timor oriental (UNAMET), accusée d’avoir favorisé les indépendantistes et biaisé le scrutin. Dili est brûlée, pillée et dévastée à 90 %. Quelque 500’000 Timorais sont déplacés par les Forces indonésiennes dont 200’000 vers le territoire indonésien du Timor occidental pour une population totale (incluant les Indonésiens) estimée à 890’000 personnes. Après plusieurs jours de tueries et de pillages, l’Indonésie est contrainte d’accepter, le 20 septembre 1999, l’envoi d’une Force de paix internationale pour le Timor oriental (Interfet) sous commandement australien (9000 Casques bleus) pour pacifier la région. La capitale en ruine devient un vaste camp de réfugiés.
Le 20 octobre 1999, le nouveau régime indonésien présidé par Abdurrahman Wahid, plus démocratique, entérine l’indépendance de Timor oriental (Timor Lorosae). Le Conseil de sécurité de l’ONU vote à l’unanimité la mise en place, le 1er janvier 2000, d’une administration onusienne (l’Untaet) forte de 11’000 hommes, y compris les Casques bleus, pour au moins un an. Xanana Gusmão est accueilli en triomphe. Cependant, le pays est en ruine et 80 % du personnel administratif (techniciens, infirmiers et médecins, enseignants, employés municipaux, etc., tous d’origine indonésienne) vient de quitter l’île en brûlant les archives. Bref, tout est à reconstruire et les ressources limitées (pétrole, café) rendent nécessaire une importante aide internationale.
Le 30 août 2001, les Timorais votent massivement lors des premières élections démocratiques. Le FRETILIN, le mouvement qui a lutté pendant près d’un quart de siècle en faveur de l’indépendance vis-à-vis de l’Indonésie, remporte facilement le scrutin. Xanana Gusmão est élu président le 14 avril 2002. La nouvelle constitution entre en vigueur le 20 mai 2002. Le Timor oriental devient un État démocratique, souverain et unitaire : la république de Timor Lorosae ou Timor-Leste (9).
Quatre ans après avoir gagné son indépendance, le très pauvre Timor-Leste demeure l’un des pays les moins avancés du monde. La moitié de la population n’a pas accès à une eau potable salubre. Le pays n’arrive pas à produire assez d’aliments de base pour satisfaire sa demande intérieure. Soixante nourrissons sur 1’000 naissances vivantes meurent avant d’avoir atteint leur premier anniversaire. L’espérance de vie, évaluée à 55,5 ans en 2004, ne s’améliore pas. Les deux tiers des femmes et la moitié des hommes âgés de 15 à 60 ans sont analphabètes. Et pour finir, le revenu annuel de 370 dollars par habitant est en baisse.
Toutefois, l’espoir d’un développement peut reposer au large des côtes. En effet, le 12 janvier 2006, le Timor-Leste signe un traité avec l’Australie pour permettre à des projets de développement pétrolier et gazier d’aller de l’avant dans la Mer du Timor (située entre les deux pays). Bien que l’exploitation des ressources sous-marines en hydrocarbures constitue un processus long et ambitieux, la valeur potentielle de ces réserves est estimée à des milliards de dollars.
Cependant, comme 80 % des foyers du Timor-Leste vivent de l’agriculture, les revenus du pétrole et du gaz ne pourraient réduire la pauvreté que s’ils sont canalisés vers le développement rural, et vers des domaines d’accompagnement comme l’éducation, les soins de santé et la formation en cours d’emploi. Le défi consiste donc à s’assurer que les habitants de tout le pays pourront tirer profit des revenus des hydrocarbures.
Notes :
1) Timor-Leste en portugais, Timor Lorosae en tétum.
2) Durant leur entrevue du 6 décembre, Kissinger déclara qu’«il est important que quoi que vous fassiez vous le réussissiez rapidement» ou encore: «Je suis seulement en train de vous dire qu’il serait préférable que vous le fassiez après que nous nous en allions.» En langage diplomatique, on appelle cela un feu vert.
3) Résolution 384 (1975) du 22 décembre 1975
« Le Conseil de sécurité, (…),
Reconnaissant le droit inaliénable du peuple du Timor oriental à l’autodétermination et à l’indépendance conformément aux principes de la Charte des Nations unies et à la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, contenu dans la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960, (…),
Déplorant l’intervention des Forces armées de l’Indonésie au Timor oriental,
Regrettant que le gouvernement portugais ne se soit pas pleinement acquitté des responsabilités qui lui incombent en tant que Puissance administrante du territoire aux termes du chapitre XI de la Charte,
1. Demande à tous les États de respecter l’intégrité territoriale du Timor oriental ainsi que le droit inaliénable de son peuple à l’autodétermination, conformément à la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale ;
2. Demande au gouvernement indonésien de retirer sans délai toutes ses forces du territoire ;
3. Demande au gouvernement portugais, en tant que Puissance administrante, de coopérer pleinement avec l’Organisation des Nations unies afin de permettre au peuple du Timor oriental d’exercer librement son droit à l’autodétermination; (…).
Adoptée à l’unanimité à la 1869e séance. »
4) L’ONU protestera à plusieurs reprises contre cette annexion, mais laissera finalement tomber la question timoraise, d’autant plus que les États-Unis feront tout pour que l’ONU ne condamne pas trop fermement l’agression indonésienne. Par conséquent, l’Indonésie pratiquera impunément une politique d’assimilation forcée, tandis que, complètement oubliée par la communauté internationale, la rébellion des Timorais se déroulera dans une obscurité totale.
5) La politique d’indonésiation des Timorais consistait à les minorer sur leur propre territoire en déplaçant massivement des populations indonésiennes et en limitant sévèrement les naissances chez les femmes timoraises (par exemple, stérilisations par le biais de produits présentés comme des vaccins contre le tétanos). Les paysans indonésiens «transmigrés» se sont très mal adaptés au Timor en raison de la mauvaise qualité des terres concédées et des engrais fournis, ainsi que du matériel agricole insuffisant. Les fonctionnaires indonésiens qui ont accepté de se rendre au Timor oriental l’ont fait parce que les salaires étaient de 20 % à 100 % supérieurs à ceux du reste du pays. Dans le secteur commercial, des milliers de commerçants, d’employés originaires de Sumatra et de Sulawesi se sont implantés au Timor, parce que les autorisations d’ouvrir un commerce étaient rarement octroyées à des Timorais.
6) Voir la carte « Timor Gap » (ci-dessous)
7) Après la chute du président indonésien Suharto, il participera aux négociations préparant le référendum sur l’indépendance du 30 août 1999.
8) Il faut comprendre que le projet du président indonésien allait à l’encontre des vues et des intérêts d’une armée qu’il ne contrôlait pas. Celle-ci considérait la perte du Timor oriental comme une défaite et elle croyait aussi que cet acte politique serait perçu comme un encouragement pour d’autres régions troublées de l’archipel, qui n’hésiteraient pas à revendiquer un changement de statut. C’est pourquoi beaucoup d’observateurs ont accusé l’ONU d’avoir été naïve d’organiser un référendum selon les normes des pays démocratiques, alors que la vie politique indonésienne est dominée par la corruption et le trafic d’influence.
9) Le 27 septembre 2002, Timor-Leste devient le 192e État membre de l’ONU, suivant la Suisse (191e État membre le 10 septembre) de quelques jours.
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Bibliographie
• CATRY, Jean-Pierre. Quand l’Australie spolie le Timor-Oriental, Le Monde diplomatique, novembre 2004.
• CORDELLIER, Serge. Le dictionnaire historique et géopolitique du 20e siècle, Paris, éditions la découverte et Syros, 2005.
• DEFERT, Gabriel. Le Timor-Est, le génocide oublié, Paris, L’Harmattan, 1992.
• GAUTHIER, François, Jacques LECLERC et Jacques MAURAIS. Langues et constitutions, Montréal/Paris, Office de la langue française / Conseil international de la langue française, 1993, 131 p.
• INSTITUT DE GÉOGRAPHIE. Timor ou l’île oubliée, Université de Fribourg, Fribourg (Suisse), 15 novembre 1998 www.multimania.com/date/DD.htm lien brisé.
• KAESER, Thibaut. Timor-Oriental, Le Courrier, Mardi 29 novembre 2005.
• LECLERC, Jacques. L’aménagement linguistique dans le monde, article Timor Lorosae, WWW.TLFQ.ULAVAL.CA/AXL/ASIE/TIMOR_EST.HTM (lien brisé), 26 février 2005
• LECLERC, Jacques. Langue et société, Laval, Mondia Éditeur, coll. « Synthèse », 1992, 708 p.
• PNUD. Rapport national sur le développement humain à Timor-Leste, 2006.
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Carte du TIMOR GAP
C’est en 1972 que l’Australie négocie avec l’Indonésie le partage de la mer qui sépare les deux pays. L’une des normes en vigueur à l’époque, pour fixer les frontières maritimes, privilégie la plate-forme continentale, ce qui donne la part du lion – 85 % – à l’Australie, ne laissant que 15 % à l’Indonésie. Alors puissance coloniale du Timor oriental, le Portugal refuse cette solution. Ainsi, la délimitation de la frontière entre l’Australie et Timor-Est demeure en attente d’un accord (zone appelée « Timor Gap »). En 1981, après l’invasion indonésienne, le critère des 200 milles de zone maritime exclusive gagne de la force sur le plan international (lorsque la mer séparant deux pays n’atteint pas les 400 milles, c’est la ligne médiane qui détermine la frontière). L’Australie accepte ce critère pour le partage des zones de pêche avec l’Indonésie, mais le rejette pour les ressources du fond de la mer. En 1982, la « ligne médiane » est consacrée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. L’Indonésie signe en 1989 un traité cédant la grande majorité des ressources de la zone contestée à l’Australie, en échange de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Timor oriental – une reconnaissance violant les résolutions de l’ONU. L’Australie est avertie que le traité n’engagera pas le Timor oriental s’il accède à l’indépendance. Cependant, cette situation permet à l’Australie de pomper dans des réserves qui, du point de vue du nouveau droit de la mer, appartiennent presque exclusivement au Timor. Cela explique les incessants chantages que l’Australie exerce sur le nouvel État indépendant pour qu’une renégociation se fasse à son avantage. De plus, en faisant traîner les négociations, l’Australie peut continuer à empocher les revenus gaziers de la zone contestée qu’elle exploite. Enfin, les États qui fournissent de l’aide au nouveau pays pressent les Timorais de s’accorder avec les Australiens. En effet, même si l’accord final est désavantageux pour les Timorais, les revenus pétroliers et gaziers doivent permettre de réduire l’aide. L’accord est finalement signé en janvier 2006. L’Australie, dont le Timor a besoin pour sa protection, a finalement eu gain de cause, obtenant un gel pour 50 ans des revendications timoraises sur l’ensemble des gisements, dont celui de Greater Sunrise, et « offrant » à Timor 80% des recettes du site de Bayu-Undan pour solde de tout compte.
Article repris de RFI actualités sur http://www.rfi.fr/actufr/articles/082/article_47048.asp (le 3 novembre 2006)
De notre correspondant à Jakarta
«Ce regain de violence était prévisible». Olivier Langoisseux, le chef de mission d’une Ong française basée au Timor oriental, n’est «pas surpris» par les nouveaux affrontements qui secouent la capitale timoraise, Dili. Les six victimes recensées ont toutes été tuées par balles dans un quartier où se situent de nombreuses ambassades, le long d’une route menant à l’aéroport. «La tension était palpable depuis plusieurs semaines», affirme Olivier Langoisseux, joint par téléphone.
La responsabilité de l’ex-Premier ministre Alkatiri
«Les gens avaient peur que leur nom apparaisse sur la liste dressée par la Commission des Nations unies chargée d’enquêter sur les violences intervenues au printemps dernier.» Le rapport, rendu public le 17 octobre, a conclu à la responsabilité de l’ex-Premier ministre Mari Alkatiri. On lui reproche de ne pas s’être opposé à l’armement de milices. Entre les mois d’avril et juin, des factions de l’armée se sont affrontées dans les rue de la capitale. Des gangs rivaux ont profité du chaos pour se livrer à des pillages, poussant la plupart des 150 000 habitants de Dili à se réfugier dans les églises.
Début juin, 1300 soldats australiens ont débarqué dans l’île pour rétablir l’ordre, épaulés par des contingents venus de Malaisie, de Nouvelle-Zélande et du Portugal, trois pays que le gouvernement timorais a aussi appelés au secours. Le calme est revenu le mois suivant avec la démission de Mari Alkatiri. Très impopulaire, l’ancien Premier ministre a cédé sous la pression du président Xanana Gusmao qui lui reprochait son «arrogance» et sa «rigidité». Mais les partisans de Alkatiri affirment que Gusmao est manipulé par l’Australie. Selon eux, Cambera n’aurait pas digéré l’attitude de Mari Alkatiri dans la négociation des frontières maritimes qui opposent les deux pays depuis 4 ans.
Une pomme de discorde pétrolière avec l’Australie
Le détroit du Timor, objet du litige, abrite des gisements pétroliers dont l’exploitation pourrait générer des revenus estimés à 10 milliards de dollars. Les Australiens, qui ont d’abord refusé de concéder plus de 18% de royalties au Timor, ont finalement accepté de partager la donne équitablement face à l’intransigeance de Mari Alkatiri qui menaçait de bloquer toute exploitation jusqu’à ce qu’un tribunal international ait tranché le différend.
Les proches de Xanana Gusmao, dont l’épouse est australienne, réfutent ces accusations. Ils affirment que l’ancien Premier ministre n’a pas su gérer les rivalités ethniques du pays. Ils rappellent que la crise a débuté en février lorsque 600 militaires – un tiers de l’armée – ont déserté. Ils accusaient le gouvernement de favoriser les soldats lorosaes, l’ethnie majoritaire, au détriment des Loromunu. Les rebelles, qui avaient pris le maquis dans les montagnes, avaient finalement réclamé leur réintégration. Mais Alkatiri s’y était opposé et avait décrété leur mise à pied définitive en mai.
Le chef des mutins, Alfredo Reinado, s’est rendu aux soldats australiens après la démission du Premier ministre. Incarcéré, il s’est évadé le mois dernier avec 50 autres prisonniers. Il appelle depuis à une révolution du peuple contre le gouvernement du nouveau Premier ministre, le prix Nobel de la paix 1996, José Ramos Horta, un homme avec lequel il avait négocié sa reddition.
L’ONU va sans doute rester
«Cette crise est très complexe, nous n’en comprenons pas tout les ressorts», affirme un représentant des Nations unies au Timor. L’ONU a décidé de se réinstaller dans l’île. Une nouvelle mission s’est mise en place pour garantir le bon déroulement des élections, prévues en mai prochain. Le mandat de la force armée internationale s’achève à cette date. Mais il pourrait être prolongé de plusieurs années. «Les forces de sécurité timoraises sont presque totalement désintégrées», avait déclaré Jose Ramos Horta, peu après son investiture, «nous avons besoin d’une force de l’ONU pour au moins deux ans».
Le Timor a déjà été administré par les Nations unies de 1999 à 2004. Les infrastructures, que l’armée indonésienne avait entièrement détruites à son départ, ont été reconstruites. Mais la moitié des 900 000 Timorais vit toujours au-dessous du seuil de pauvreté et le taux de mortalité infantile est l’un des plus élevés au monde.
par Jocelyn Grange
Article publié le 26/10/2006