Des domestiques étrangers vivent dans des conditions de quasi-esclavage

Une association dénonce des situations intolérables de surexploitation sur le territoire français. Une demi-douzaine de cas ont déjà été soumis à la justice, malgré les difficultés qu’ont les victimes à engager des poursuites contre leurs « employeurs »
par Michèle Aulagnon

DROITS DE L’HOMME Le Comité France contre l’esclavage moderne dénonce des « situations intolérables  » d’exploitation de domestiques étrangers par leurs employeurs. Une dizaine d’affaires ont été portées à sa connaissance, dont la moitié font l’objet de procédures en justice.
Les victimes sont le plus souvent des femmes, parfois des couples, originaires de pays en développement, venues en France pour échapper à la misère. En situation irrégulière ou privées de papiers, elles hésitent à porter plainte.
Lorsque leurs employeurs bénéficient de l’immunité diplomatique, le ministère des affaires étrangères tente de régler les dossiers à l’amiable

LE VOILE se lève tout juste en France sur le traitement réservé à certains domestiques employés le plus souvent par leurs compatriotes. D’origine étrangère, sans papiers, maîtrisant mal la langue française, ils travaillent sans percevoir de salaire dans des conditions indignes, étant violentés et séquestrés la plupart du temps. Réduits à la condition d’esclaves, leurs employeurs exercent à leur encontre un véritable droit de propriété.
Jusque-là, ces personnes demeuraient invisibles, gardées au secret par leurs employeurs et ignorées par les institutions judiciaires, policières – et même des services sociaux. Celles d’entre elles qui parvenaient à témoigner de leur condition auprès des autorités compétentes étaient en général expulsées, en vertu des lois sur les étrangers en situation irrégulière. Les employeurs, bénéficiant souvent de l’immunité diplomatique, demeuraient intouchables.
Que vaut en effet la parole d’une bonne sans papiers contre celle d’un ambassadeur?
Le 4 mars 1996, une jeune domestique érythréenne de vingt ans était délivrée dans des conditions rocambolesques au domicile d’une diplomate libanaise en poste à Paris (Le Monde du 7 mars 1996). Depuis plusieurs mois, Mehret Kifle travaillait sans horaire ni salaire. Ses papiers avaient été confisqués et elle était séquestrée dans l’appartement Le Comité France contre l’esclavage moderne, association créée début 1995, fut à l’origine de cette libération, qui a abouti au renvoi au Liban de l’employeur indélicat et à l’indemnisation de Mehret, qui demeure aujourd’hui en France.
« A moins d’un an du cent cinquantième anniversaire de l’abolition de esclavage par Victor Schoelcher; explique la journaliste Dominique Torrès, fondatrice de ce comité, il existe encore en France des situations intolérables. Les personnes concernées sont sans doute beaucoup plus nombreuses que ce que l’on imagine. Avant que nous ne créions le comité, on nous disait que cela n’existait pas en France !  » Le comité a déjà eu connaissance d’une dizaine d’affaires. Une demi-douzaine ont été soumises à la justice, mais aucun procès n’a encore eu lieu.

SALAIRE DÉRISOIRE. Les victimes sont le plus souvent des femmes, parfois des couples, originaires de pays en développement, qui viennent en France pour échapper à la misère. Le salaire qui leur est proposé est dérisoire en regard de la législation française du travail, mais il est très supérieur à ce qu’il leur est permis de gagner dans leur pays. A en croire le comité, il est rarement versé.
Les bourreaux ne sont pas tous des nantis. Pendant quatre ans, Marie-Laure, une jeune Ivoirienne venue en France à l’âge de quatorze ans, a été exploitée, maltraitée et battue par une famille modeste de compatriotes habitant un village de Seine-Saint-Denis. Marie-Laure s’est enfuie et vit actuellement dans un foyer de jeunes filles. Une enquête préliminaire a été ouverte à son sujet le 30 juin.
Bertrand Mertz, l’avocat qui a suivi ce dossier, explique que les victimes de cette forme d’exploitation ne peuvent pas faire valoir leurs droits seules. « Le fait d’être en situation irrégulière n’interdit pas de porter plainte, mais beaucoup renoncent de peur d’être expulsés, explique-t-il. Lorsque les affaires sont connues, comme dans le cas de Marie-Laure, la justice suit son cours Mais sinon, on a le sentiment que ces petites bonnes étrangères dérangent un peu, avec leurs dossiers compliqués et leurs imbroglios administratifs. »
« Lorsque de tels faits sont révèles, les communautés se sentent menacées et craignent que le discrédit rejaillisse sur eux tous, car ces pratiques sont parfois courantes dans leur pays d’origine « , affirme de son côté le pasteur André Lanvin, membre de la Cimade, un service oecuménique d’entraide. « Nous ne pouvons pas nous constituer partie civile, car nous n’avons pas les cinq ans d’existence requis par la loi, déplore Philippe Boudin, du Comité France contre l’esclavage moderne. Deux solutions s’offrent à nous : soit la victime dépose plainte elle-même, soit nous alertons le parquet.  »
Lorsque les employeurs bénéficient de l’immunité diplomatique, l’affaire est encore plus complexe. Le ministère des affaires étrangères tente alors de les régler, à l’amiable le plus souvent. Théoriquement, des titres de séjour sont délivrés pour tout le personnel des ambassades. Mais le système ne fonctionne pas toujours. Ainsi, le cas de deux jeunes Phillippines, qui se sont enfuies le 15 août 1995 de l’ambassade du Qatar à Paris, a-t-il été signalé par le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti) au Quai d’Orsay. Leur contrat de baby sitter signé par l’ancien ambassadeur en poste à Paris, prévoyait un salaire de 300 dollars par mois pour « un maximum de huit heures de travail par jour; six jours par semaine » et trente jours de congés tous les deux ans. L’employeur se réservait en outre le droit de mettre fin au contrat en cas »d’engagement dans des activités syndicales « .

GRAVITÉ DE LA SITUATION. « 90 % des ambassades ont un comportement correct avec leur personnel. Restent les autres…, indique-t-on au service du protocole du Quai d’Orsay. Nous sommes les garants de l’immunité diplomatique, mais c’est aussi notre rôle de faire comprendre qu’elle ne permet pas de faire n’importe quoi.  » En cas de révélation d’un scandale, le Quai d’Orsay peut demander des explications à l’ambassadeur concerné et,. si les faits sont extrêmement graves, lui demander de quitter le territoire.
L’une des difficultés peut être aussi de faire comprendre aux employeurs qu’ils sont dans leur tort. « Les employeurs ne se rendent pas compte de la gravité de la situation « , explique ainsi Bernard Sexe, directeur de la cellule d’urgence et de veille au service de l’action humanitaire du Quai d’Orsay, qui vient d’intervenir dans une tentative de conciliation, qui a d’ailleurs échoué. « Certains affirment même qu’ils donnent une chance aux filles en les emmenant en France. Il faut faire comprendre que cela ne se fait pas. C’est aussi une des solutions pour que ces pratiques cessent. »

tiré du journal « Le Monde » – 15 juillet 1997

A Genève, en 1998

« Les travailleurs membres du personnel administratif, technique et de service des missions diplomatiques et du personnel de service des fonctionnaires internationaux font appel à vous afin d’obliger les diplomates à respecter les Droits de l’Homme et les Conventions signées par les pays qu’ils représentent.

Accepteriez-vous de travailler 12 à 18 heures par jour et cela sans bénéficier de la sécurité sociale, de l’A.V.S., d’un 2ème pilier; d’une assurance maladie et accidents, d’une assurance perte de gain, d’une assurance chômage, des allocations familiales?

Accepteriez-vous de travailler pour un salaire allant de 950 à 1.200 Frs.?

Savez-vous qu’à Genève il y a des employés de diplomates qui gagnent 10.-, 90.-, 120.-, 400.-, 600.- Frs. par mois?

Savez-vous qu’il est possible de travailler à Genève 7 jours sur 7 sans avoir jamais de congé?

Savez-vous que pour obtenir le droit d’être exploité de la sorte il faut être célibataire, veuf ou divorcé!

Bravo, vous avez deviné pourquoi ces postes de travail ne sont JAMAIS occupés par des suisses ou des bénéficiaires de permis de travail!

Pourquoi l’ONU admet-elle que les travailleurs des missions diplomatiques et les employés des fonctionnaires internationaux soient exploités ainsi à Genève et dans le monde?

Comment peut-elle admettre que la Charte des Droits de l’Homme soit bafouée quotidiennement?

Les droits de l’homme sont l’affaire de chacun puisque les diplomates s’avèrent incapables de les respecter et de les faire respecter. Depuis la création de la Société des Nations et l’existence de son siège à Genève, ce problème scandaleux existe et perdure. De mémoire de travailleur l’exploitation est la règle générale. Voilà qui suffit!

Les travailleurs de ce secteur, malgré l’indifférence des autorités et responsables concernés ont décidé de reconquérir leur dignité d’être humain et ils se sont organisés en syndicat malgré la peur de la perte de leur emploi et la crainte d’être expulsés un mois après leur licenciement.

Face à leur courage il ne peut y avoir qu’une réponse : la solidarité. Nous luttons depuis 7 ans avec des moyens très modestes puisque la seule source de revenus du syndicat est les cotisations de Fr.20.- par mois dont les travailleurs s’acquittent au prix de grands sacrifices lorsque cela leur est possible. Le travail syndical est fait bénévolement mais les frais de la défense des cas s’élèvent de plus en plus et nous ne pouvons plus faire face à la demande d’aide. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de nous aider à faire respecter la Charte des Droits de l’Homme, le code civil suisse, le code des obligations et les conventions du BIT ratifiées par la Suisse.

Il n’y a pas de délit de pauvreté, il ne peut donc y avoir condamnation à l’exploitation, pas même au nom de l’immunité diplomatique!

Vous avez le pouvoir de défendre les droits élémentaires de chaque être humain en soutenant l’action des travailleurs du Syndicat sans Frontières.

Nous ne vous cachons pas que nous avons aussi besoin de votre soutien financier!

Vous pouvez aussi devenir membre soutien de notre syndicat au nom de la fraternité universelle qui seule peut s’opposer à la scandaleuse impunité diplomatique.

L’indignation ne suffit plus il faut des actes, vous avez la possibilité de participer à cette lutte pour la dignité de tous les travailleurs dans la cité des Droits de l’Homme. Aidez-nous dans notre action nous avons besoin de vous car la partie adverse est puissante. Il y a des menaces contre des travailleurs pour le simple fait qu’ils sont syndiqués, des menaces contre les dirigeants syndicaux mais ce n’est rien à côté du danger de voir bafouer les droits de l’homme et les droits les plus élémentaires de tous les travailleurs de ce secteur.

Grâce à des actions bénévole de nos membres, des cas extrêmes ont été résolues, et une contribution de votre part nous aiderait beaucoup, pour tous les autres cas en attente.

S.O.S. du Syndicat Sans Frontières

Il vous est possible de verser cette contribution volontaire au nom de :

Syndicat sans Frontières au ccp No. : 40-8888-1.

Dans l’espoir de votre soutien

Syndicat sans Frontières, Membre de l’Union des Syndicats du Canton de Genève

Le président: Luis CID »

Une lettre du « Syndicat sans Frontières » sur Internet, Genève, 1998.