La distribution de pièces commémoratives de deux euros aux écoliers français dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques ne manque pas de surprendre, qui plus est à un moment où, le 21 février 2024, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, nous apprend que l’enseignement scolaire devra économiser 691 millions supplémentaires (138 millions dans le primaire, presque 260 millions dans le secondaire). L’opération pour les jeux coûtera 16 millions d’euros et fait écho, selon le ministère, à une « opération similaire lancée en 1989 par le président Mitterrand pour le bicentenaire de la Révolution française où un livret et une pièce commémorative de 1 franc avait été remis à chaque élève de CM2 »

Nous avons souhaité en savoir plus et nous vous proposons un article paru le 11 mai 1989 dans Sud Ouest qui éclaire sur le contexte et les intentions de cette précédente distribution.


La révolution de l’impôt

Tous les élèves de CM2 apprendront aujourd’hui que l’impôt nouveau créé après les états généraux du 5 mai 1789 a contribué à asseoir la démocratie en France. Deux siècles d’histoire résumés en une heure d’instruction civique.

Que savent-ils de la gabelle, la taille ou la dîme, ces enfants qui, le soir à la maison, entendent plutôt parler de TVA ou impôt sur le revenu ? Que connaissent-ils des états généraux lorsqu’ils découvrent à peine, à la faveur d’une élection, l’existence de l’Assemblée nationale? Mais qui sauraient faire grief à ces enfants de 10 ou 11 ans plus préoccupés des jeux de leur âge ou, au pire, de leur passage en sixième. Pourtant aujourd’hui jeudi, les 826 000 élèves des 51000 classes de CM2 Les classes de CM2 ont été choisies car ces élèves ont déjà profité d’un programme sur les finances. Notamment l’action « Marianne fait ses comptes ». de France, Navarre et DOM-TOM vont suivre une heure d’instruction civique d’ungenre particulier. Ils vont en effet découvrir la création de l’impôt moderne et l’histoire de la fiscalité sur le thème « 1789-1989 : les finances de la France vers la démocratie». Une leçon de choses qui s’inscrit dans le cadre de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française et qui veut aussi témoigner du souci de l’école de former les citoyens de demain. Des citoyens appelés à payer des impôts. Autant comprendre pourquoi et comment.

Initiative commune

Il s’agit, en fait, d’une initiative conjointe des deux ministères de l’éducation nationale et de l’économie, finance et budget. Tous deux désireux, à leur manière, de commémorer la réunion des états généraux à Versailles, le 5 mai 1789. Jusqu’alors, en effet, seul le tiers état, autrement dit les plus pauvres, payait les impôts. Une injustice contre laquelle s’élevèrent les représentants des trois ordres (clergé, noblesse, tiers état) lors de ces états généraux. Leur refus de voter l’impôt supplémentaire réclamé par Louis XVI demeure pour nombre d’historiens le détonateur de la Révolution.

Peu à peu, l’impôt a donc été modifié, jusqu’à évoluer encore et susciter toujours quelques controverses. Mais ses défenseurs insistent aujourd’hui sur les deux notion d’équité et de libre consentement, telles qu’elles sont imprimées noir sur blanc dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leur faculté » est-il écrit dans l’article 13. Et dans l’article 14 : « Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

Voici donc pour l’histoire. Même abrégée. Deux siècles plus tard, les instituteurs et les financiers de l’État en retraceront de la même manière les grandes lignes. Certes, pour commémorer cet événement, le 5 mai dernier était tout désigné. Mais le calendrier scolaire était tel que la journée du 11 mai a semblé plus opportune à cette manifestation.

Une heure de classe

À l’heure de leur choix, les 51 000 instituteurs vont donc, chacun dans leur classe, animer cette leçon d’instruction civique. Ils seront épaulés pour la circonstance par un des 25 000 agents du ministère des finances, tous volontaires. Une plaquette a été remise à chacun. Elle leur rappelle en divers chapitres la situation de la société française avant la Révolution, les finances sous la monarchie, les grandes étapes de la Révolution, l’évolution de la fiscalité de 1789 à nos jours ou encore une présentation du budget actuel. Libre à eux de développer le sujet comme ils l’entendent.

Libre aussi à ces élèves de poser toutes les questions qui leur brûlent les lèvres, puis ensuite aux maîtres et maîtresses de poursuivre la leçon dans les jours à venir. Un petit fascicule rédigé par Alain Decaux et illustré de gravures et portraits sera également remis à chaque élève. En souvenir. mais aussi pour le plaisir de feuilleter à loisir ce petit livre d’histoire. Autre cadeau : une pièce de 1 franc frappée spécialement pour commémorer le bicentenaire. Elle représente d’ailleurs l’ouverture des états généraux. Ces enfants seront d’ailleurs parmi les rares privilégiés à le détenir puisque 4 millions seulement de ces francs symboliques ont été frappés par les monnaies et médailles.

B.D.

Sud Ouest, 11 mai 1989