Renseignements biographiques sur l’auteur

« Le 26 février 1851, à Serrières, près de Neuchâtel, en Suisse, Théodore Bost, prend la diligence pour Genève. Le 20 avril suivant, il débarque à New York. Il a dix-sept ans.

Théodore est le dixième des onze enfants d’un pasteur suisse d’origine française. A treize ans, malade, il a dû quitter l’école pour aller travailler dans des fermes. C’est alors qu’il a formé comme des centaines de milliers d’Européens de l’époque, le projet d’aller défricher des terres en Amérique.

Du jour de son arrivée à New York jusqu’à celui de sa mort, survenue en 1920, en bon fils, bon frère et bon cousin qu’il est, Théodore écrira plusieurs fois par semaine aux membres de sa famille. Ses lettres et celles de sa femme, Sophie Bonjour, qu’il épouse en 1858, ont été retrouvées, classées, annotées, présentées par Charles Marc Bost, son petit-neveu (…). Document unique et passionnant, qui a paru aux Editions Hachette, sous le titre Les Derniers Puritains, pionniers d’Amérique. »

extrait du journal « Le Nouvel Observateur », 1er août 1977.

Bien chers père et mère,

Nous venons répondre à ta lettre, cher père, reçue aujourd’hui, quoique Soso ait répondu à celle de maman il n’y a que quelques jours. [Théodore parle ensuite de sa santé]

Mais quant à la guerre, notre gouverneur [du Minnesota] vient de proposer au Président de lever 3000 hommes de plus que ceux que nous avons déjà envoyés la guerre ; ce sera impossible à faire sans une conscription forcée des plus lourdes sur ce pays composé de jeunes et pauvres ménages ; si cette guerre était en Suisse et conduite par des Suisses, je serais heureux et fier d’en faire partie, mais l’idée me répugne toujours plus de me battre pour ces infâmes, cochons, lâches Américains ! Pardonne ces expressions, mais quand au son du clairon du Sud à Bull Run deux ou quatre régiments américains dont le terme expirait le matin même tournent le dos à l’ennemi pendant que des régiments d’Irlandais et d’Allemands restent se battre, il y a de quoi vous fâcher; et quand on entend comme je l’ai fait il y a quinze jours un de nos gros Américains blâmer Lincoln de ne pas avoir accepté l’offre [inventée] de Garibaldi et de vingt mille nobles républicains européens, en disant que ce n’était que des étrangers et que ça épargnerait la vie de vingt mille de leurs gens, on se demande si de si infâmes égoïstes méritent qu’on se batte pour eux, pour ensuite qu’ils vous parlent de la noble hospitalité de l’Amérique et vous insultent du mot de foreigner .

Puis la cause de cette guerre : on ne veut pas faire la guerre contre l’esclavage, on veut l’union forcée ; moi je veux la guerre contre l’esclavage ou la désunion immédiate. On se bat pour rien et les 250’000 hommes du Nord sur pied n’ont aucune existence, les papiers vous parlent de 20’000 ici, de 20’000 là, de 50’000, de 90’000, etc., etc., puis ils vous disent qu’il n’y a que 55’000 hommes du Sud en Virginie et que ces 55’000 vont faire une attaque et prendre l’agressive. Si on formait un régiment de Suisses, j’aimerais assez m’y joindre parce que les Suisses savent se battre et que je crois que je ne leur ferais pas honte dans une cause juste mais je n’aime pas l’idée de me battre avec ces lâches égoïstes américains. Il faut dire qu’une bonne partie des Abolitionnistes, qui sont les hommes les plus déterminés, ne se battent pas pour cette guerre dont les soldats renvoient encore les esclaves du Sud. Oh la Suisse, la Suisse ! C’est un petit pays, comme il y a plus de sentiments et de patriotisme là que dans ce pays de blagueurs et d’hypocrites. J’espère que cette guerre durera assez longtemps pour apprendre aux chrétiens américains à se conduire en chrétiens.

Notre guerre du Sonderbund [en 1847] avait été finie en moins de temps que celle-ci n’est commencée et en 57 la Suisse était prête en quelques jours à se battre contre la Prusse [deux contre quinze] et aurait vaincu tandis qu’ici on est dix-neuf contre sept et on a peur. Les dix-neuf millions s’accordent pourtant à tempêter contre Russell [du London Times] de ce qu’il écrit ce que les Américains ont tous dit, que la déroute a duré pendant quinze miles et a été des plus dégoûtantes, surtout quand on sait qu’on ne les poursuivait pas.

De notre côté inactivité parce que le peuple ne répond à l’appel de Lincoln et de ses généraux ; du côté du Sud activité, décision, vol forcé de banques, empoisonnements de puits, de sources, sautages de trains de passagers, pendaisons d’hommes par les pieds et autres choses élégantes.

Vraiment les Américains sont un grand peuple (…).

Enfin Dieu sait ce qu’il fait, mais il semble qu’Il veut par cette guerre punir l’égoïsme, la blague et l’hypocrisie des millions de chrétiens du Nord qui, après avoir tant crié contre l’esclavage, veulent l’union avec l’esclavage.

Mais adieu chers, bien chers parents je vais prendre l’air et le froid car il y a eu ce matin la première gelée blanche. Adieu à tous.

Théodore »