Texte sur l’hérésie vaudoise
Bernard Gui : la secte des Vaudois (1170-1215)
« De la secte des vaudois et premièrement de ses origines et de ses débuts. La secte et l’hérésie des vaudois ou pauvres de Lyon prit naissance vers l’an du Seigneur 1170. Son auteur et responsable fut un habitant de Lyon nommé Vaudès, d’où le nom de ses sectateurs. Il était riche, mais, ayant abandonné tous ses biens, il se proposa d’observer la pauvreté et la perfection évangélique à l’instar des apôtres. S’étant fait traduire en langue vulgaire les Évangiles et quelques autres livres de la Bible ainsi que quelques passages tirés des saints Augustin, Ambroise, Jérôme et Grégoire, distribués sous des titres que lui et ses partisans appelèrent sentences. Il se mit à les lire avec beaucoup d’assiduité mais sans y comprendre grand-chose, de sorte que, gonflés d’orgueil, bien qu’ils fussent peu instruits, ils finirent par usurper la fonction des apôtres ; péchant de présomption, ils osèrent prêcher l’Évangile dans les rues et sur les places publiques. Ledit Vaudès fut suivi par un grand nombre de disciples des deux sexes, qu’il envoyait à son tour prêcher en les rendant ainsi complices d’une telle présomption.
Ces gens, bien qu’étant ignorants et illettrés, parcouraient les villages et pénétrant dans les maisons, les hommes comme les femmes, prêchant sur les places et même dans les églises, les hommes surtout, ils répandirent partout autour d’eux une foule d’erreurs.
Convoqués par l’archevêque de Lyon, le seigneur Jean Belles-Mains, qui leur interdit d’être si présomptueux, ils refusèrent de lui obéir, soutenant, pour pallier leur folie, qu’il fallait obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, car Dieu avait enjoint aux apôtres de prêcher l’Évangile à toute créature. C’est ainsi que, s’appliquant à eux-mêmes ce qui était réservé aux apôtres, dont ils se proclamaient les imitateurs et les successeurs par une fausse profession de pauvreté et sous l’image déguisée de la sainteté, ils méprisaient prélats et clercs, parce qu’ils étaient pleins de richesses et vivaient dans les délices. Aussi, désobéissants par leur arrogante usurpation de l’office de la prédication, et puis contumaces, furent-ils excommuniés et bannis de leur ville et leur patrie. Finalement, convoqués au concile qui se tint à Rome avant celui du Latran, ils y furent jugés comme schismatiques entêtés et ensuite condamnés comme hérétiques. S’étant multipliés et répandus dans la province et les régions voisines jusqu’aux confins de la Lombardie, séparés et retranchés de l’Église, ils se mêlèrent à d’autres hérétiques, dont ils absorbèrent les erreurs, de sorte qu’ils mêlèrent à leurs élucubrations les erreurs et les hérésies des hérétiques antérieurs ».
Bernard Gui, Manuel de l’Inquisiteur, XIIIe, éd. G. Mollat, t.1, Paris, 1926, « Les Classiques de l’histoire de France au Moyen-Age », p. 34-39.