Napoléon le Petit

Sa grandeur éblouit l’histoire,
Quinze ans il fut
Le dieu qui traînait la victoire
Sur un affût;
L’Europe sous sa loi guerrière
Se débattit.
Toi, son singe, marche derrière
Petit, petit.

Napoléon dans la bataille,
Grave et serein
Guidait à travers la mitraille
L’aigle d’airain.
Il entra sur le pont d’Arcole
Il en sortit.
Voici de l’or, viens, pille et vole,
Petit, petit.

Berlin, Vienne étaient ses maîtresses;
Il les forçait,
Leste et prenant les forteresses,
Par le corset.
Il triomphe de cent bastilles
Qu’il investit.
Voici pour toi, voici des filles,
Petit, petit.

Il passait les monts et les plaines;
Tenant en main
La palme, les poudres et les rênes,
Du genre humain;
Il était ivre de sa gloire
Qui retentit.
Voici du sang, accours, viens boire,
Petit, petit.

Quand il tombe, lâchant le monde,
L’immense mer
Ouvrit à sa chute profonde
Le gouffre amer;
Il y plonge, sinistre archange,
Et s’engloutit.
Toi, tu te noieras dans la fange
Petit, petit.

Victor Hugo, Les Châtiments (1855)