Fernand Boverat (1885-1962), l’auteur du texte, est un personnage étonnant! Entré en 1912 au conseil de direction de l’ « Alliance nationale pour l’accroissement de la population française », il a consacré sa vie à militer pour la renaissance de la natalité française et devient ainsi dans l’entre-deux guerres la figure la plus influente du lobby nataliste et anti-avortement.
Le texte ci-dessous est extrait de l’introduction de « Patriotisme et Paternité » publié en 1913, premier d’une longue série d’ouvrages qui fit connaître Fernand Boverat au public.
Ce texte est à replacer dans le contexte de l’inquiétude qui saisit un certain nombre de personnalités face à la baisse régulière de la natalité française depuis le milieu du XIXème siècle et à la relative stagnation démographique qui en résulte. Cette évolution, improprement qualifiée de « dépopulation » est, avant 1914, incarnée par l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française », fondée en 1896 par Jacques Bertillon.
Cette inquiétude se mue chez Fernand Boverat en une véritable angoisse existentielle face à une possible disparition de la France. Il fait donc de la paternité, c’est à dire avoir plus de trois enfants, un véritable devoir patriotique, car « le devoir de la paternité est le complément indispensable du devoir militaire ». Dans l’atmosphère culturelle de la Revanche, l’auteur a évidemment en tête les chiffres de la croissance de la population allemande. Ce faisant, il contribue à faire de la question démographique un véritable enjeu géopolitique.
Dans une vision uniquement masculine, F. Boverat, qui est à l’époque célibataire et sans enfant, omet totalement le rôle des femmes dans cette affaire ; comme si elles n’avaient pas elles aussi leur mot à dire dans la renaissance de la natalité française…
Le nombre de nos naissances décroît de plus en plus ; toutefois il ne diminue pas parce que notre race devient stérile, mais uniquement parce que chaque année il y a plus de Français qui ne veulent pas avoir d’enfants ou qui n’en veulent pas avoir plus de deux ou trois, ce qui est trop peu pour assurer la survivance de leur pays. Il en est ainsi même dans les milieux les plus honnêtes et les plus patriotes de France. Se marier ou ne pas le faire, avoir ou n’avoir pas d’enfants, ce sont là maintenant des questions de goût et de commodité personnelle : le devoir de la paternité n’existe plus !
Ce devoir est cependant, depuis que le monde existe, la condition fondamentale de la vie de toute société; les nations qui l’ont oublié sont toutes, sans aucune exception, disparues rapidement, celles qui l’oublieraient aujourd’hui ou demain subiraient infailliblement un sort identique.
Si nous voulons que la France vive, il faut que le devoir de la paternité redevienne un des principes fondamentaux de la morale courante, un de ceux que le laboureur n’a pas plus le droit d’ignorer que le philosophe, un de ceux qui sont acceptés par tout homme qui n’est pas un anarchiste ou un fou.
J’ai tenté de montrer que nous disposons, pour faire accepter ce devoir par les jeunes générations, d’un levier puissant, qui est le patriotisme. Ce sentiment a fait d’immenses progrès dans notre pays depuis quelques années et l’on peut être certain qu’il en fera encore de bien plus grands à l’avenir, à mesure que la menace étrangère deviendra plus terrible. Or, à l’heure actuelle, la plupart de nos jeunes gens sont déjà prêts à sacrifier leur vie pour sauver la France d’un démembrement : si on leur montre à tous que la Patrie n’est pas seulement exposée à être envahie, ruinée et amoindrie, mais qu’elle est menacée de disparaître complètement, de leur vivant, de la carte du monde, si on leur fait bien comprendre que le devoir de la paternité est le complément indispensable du devoir militaire, ils auront l’énergie de faire aussi bien que faisaient leurs grands-parents et de donner assez d’enfants à la France pourqu’elle puisse vivre et rester libre.
J’ai été amené, au cours de cette étude, à insister fortement sur cette idée que le fait de se soustraire au devoir de la paternité doit être considéré comme aussi déshonorant que celui de se dérober au devoir militaire; je tiens, à ce sujet, à bien préciser le point suivant : si j’ai proclamé cette vérité, sans chercher à atténuer en rien sa brutalité, c’est parce que, dans mon esprit, mes paroles s’adressent uniquement aux hommes de la jeune génération, qui connaissent à l’heure actuelle le péril de la dépopulation ou qui le connaîtront demain ; je n’ai pas eu un instant la pensée qu’elles doivent s’adresser à des gens d’âge mûr qui, durant leur jeunesse, ont tout ignoré de ce danger et du devoir qu’il leur imposait. Il se trouve parmi ces derniers des centaines de milliers d’hommes qui ont servi la France de toutes leurs forces, qui ont contribué à la relever après les désastres de la guerre, qui se sont imposé pour elle les plus grands sacrifices; il serait aussi injuste que déplacé de leur faire un reproche de l’erreur qu’ils ont commise à leur insu. Personne n’a donc le droit de dire qu’un passage de ce volume, quel qu’il soit, peut être considéré comme une insulte pour eux ; ce qui serait les insulter, ce serait de supposer qu’ils désirent, afin que leur erreur reste ignorée, que l’on cache à leurs concitoyens le plus grand danger qui menace la patrie et que l’on écarte le seul remède capable de la sauver.
A côté de ces personnes âgées, il se trouve des hommes plus jeunes qui n’ont pas d’enfants ou qui n’en ont pas assez pour des raisons indépendantes de leur volonté, soit qu’une tare héréditaire leur interdise de procréer, soit que leur mariage reste stérile, soit qu’enfin, par suite de maladies ou d’accidents, la maternité puisse faire courir à leur épouse de mortels dangers. Il est bien évident que leur conduite ne mérite pas le moindre blâme, du moins s’ils prouvent, en s’imposant volontairement pour leur patrie de grands sacrifices, que ce n’est pas l’égoïsme qui les a empêchés de peupler des berceaux français : il n’y a point dans ce livre une seule phrase qui comporte une critique à leur égard !
Arrivé à la fin de cette étude, je me suis posé la question angoissante qui tourmentera demainntous les Français : la lutte contre la dépopulation peut-elle être couronnée de succès ? Et sans hésitation, avec tous ceux qui ont étudié ce problème, j’ai hardiment répondu : Oui !
Si sombre que soit l’horizon nous ne devons pas désespérer de l’avenir, car la nation française a conservé trois des grandes vertus qui ont les grands peuples : elle est honnête, elle est travailleuse, elle est brave. L’énergie française n’est pas morte ; elle a peut-être subi une baisse momentanée, mais à l’heure actuelle elle refleurit dans les jeunes générations qui prennent sur les champs de sport le goût de la lutte et le culte du courage ; si nous savons lui montrer les obstacles à vaincre, elle saura les surmonter.
Fernand BOVERAT Patrotisme et Paternité, introduction, Paris, 1912-1913.