Après Hélène Brion et Madeleine Pelletier, nous terminons notre brève évocation des féministes qui ont marqué l’histoire du début du XXème siècle avec Marthe Bigot et  quelques extraits de son ouvrage, la servitude des femmes.

Marthe Bigot (1878-1962) est une institutrice, militante socialiste et féministe engagée dans l’action syndicale et politique, bien avant 1914. Elle fait partie de ces féministes qui fondent de grands espoirs sur la révolution bolchevique, imaginée comme le   prélude à la libération du prolétariat mondial et des femmes. Au moment de la publication de la servitude des femmes en 1921, Marthe Bigot est une des 4 femmes membres du Comité directeur du Parti communiste-SFIC fondé à Tours 1920. Opposée à la bolchevisation, elle quitte le parti en 1926, à l’instar de nombreux membres fondateurs.

Dans son ouvrage, Marthe Bigot inscrit sa réflexion dans une perspective résolument communiste. Cependant, en tant que féministe, elle cherche à déterminer les causes spécifiques de « la servitude » et de l’aliénation des femmes, qui résident, selon elle, dans le fait que les tâches ménagères sont dévolues aux femmes : la reine du foyer est en réalité une esclave du foyer, en particulier dans les milieux populaires et ouvriers!

Pour Marthe Bigot, la révolution prolétarienne est une condition nécessaire mais non suffisante à l’émancipation des femmes. Dans l’extrait n°2, elle semble fonder de grands espoirs sur le progrès scientifique, en particulier sur « l’électricité, fée bienfaisante », dont l’usage à des fins domestiques « délivrera la femme de son antique esclavage, et l’aidera à tous les degrés de son ennuyeuse besogne ». Nous ne sommes pas très loin ici du fameux slogan léniniste : « Le socialisme, c’est les soviets plus l’électricité » !

Dans le dernier extrait, M. Bigot propose une socialisation ou, si l’on préfère,  une sorte de collectivisation  d’un certain nombre de tâches domestiques, notamment celles liées à la maternité.

Face à un texte à dimension prédictive, il est toujours tentant (et facile) de comparer avec ce qui s’est réellement passé. Si l’on s’en tient à la société française de l’après guerre, la révolution prolétarienne rêvée par Marthe Bigot n’a pas eu lieu ; pour le reste, ce n’était pas si mal vu…


La femme est la reine du foyer

L’auteur bourgeois qui présente cet aphorisme comme une vérité démontrée, se représente sans doute une dame de son monde, qui doit diriger les bonnes, femmes de chambre, cuisinière, etc…, qui composent son domestique. II voit la patronne, gourmandant ici, encourageant là, distribuant reproches et conseils, sans faire oeuvre de ses dix doigts. Il existe sans doute de ces femmes, mais le nombre en est si infime que nous le tiendrons pour négligeable. Nous pensons surtout à toutes les travailleuses : à la fermière qui, presque seule, veille au ménage et fait marcher la ferme ; à la femme de l’ouvrier, à celle de l’employé, femmes qui ne font pas faire leur besogne par d’autres.

Vous sentez-vous vraiment souveraines, camarades, qui le matin, lorsque votre mari est parti, devez expédier les enfants à l’école, laver la vaisselle, faire le blanchissage, le repassage, monter les seaux de charbon, rapporter de lourds filets de légumes du marché, préparer le repas, en songeant sans cesse que vous n’avez que telle somme pour passer la semaine, la quinzaine ou le mois, et qu’il vous faudrait deux ou trois fois plus ?

Douteriez-vous de votre royauté, quand le repas de midi pris, vous retrouvez les assiettes, fourchettes, plats, casseroles à fourbir à nouveau?

Le ménage remis en ordre, vous songez au repas du soir, au feu à entretenir, au linge à raccommoder…

Et le lendemain ramène les mêmes tâches aussi rebutantes, aussi malpropres, aussi urgentes et tous les lendemains qui suivront les ramèneront inexorablement car votre royauté ne connaît pas de dimanche.

Oui, femmes, ménagères, vous êtes reines ! Reines de l’eau de vaisselle et des chaussettes trouées ! […]

Pages 9-10

 

 

Le ménage

[…] L’état actuel des découvertes scientifiques nous permet de compléter l’exposé de Kropotkine. L’électricité, fée bienfaisante, délivrera la femme de son antique esclavage, et l’aidera à tous les degrés de son ennuyeuse besogne.

Plus d’éclairage par lampes, qui exige une manipulation aussi malpropre qu’impatiente : l’ampoule électrique.

Plus de charbon  à remuer. Le réchaud et la cuisinière électriques sont déjà réalisés, et les tapis et les vêtements chauffants.

L’aspirateur de poussières, mû à l’électricité, remplacera le balai malpropre et les chiffons sordides. La maison chauffée toute entière à l’électricité, mettra à la disposition de tous, pour la toilette, l’eau chaude à volonté.

La machine à laver la vaisselle et la lessiveuse-repasseuse électrique, accompliront les tâches répugnantes de la blanchisseuse, de la « reine du foyer » ou de la bonne à TOUT faire.

Mais pour mettre toutes ces commodités à portée de tous, […] La vie du travailleur ne deviendra plus confortable que le jour où cessera de se placer entre lui et les progrès de la science, le Capitalisme, chercheur de profits.

Pour que nous puissions jouir du seul bien-être matériel, il faudra que le Capitalisme ne prenne pas de bénéfices sur le charbon, ni sur le minerai tirés de la mine, qu’ils ne prennent pas de bénéfices sur le travail des ingénieurs, créateurs de machines, sur celui des métallurgistes qui réalisent les projets des inventeurs.

Il ne faudra pas que la pieuvre capitaliste étende ses tentacules sur les blanches cascades, sur les torrents des montagnes, qui nous fournissent l’énergie électrique à bon compte. […]

Pages 18-21

 

La maternité

Un des premiers devoirs d’une société communiste devra être l’organisation et le développement des services qui se rattachent à la natalité.

On devra  d’abord assurer aux femmes enceintes des conditions de vie adoucies. […]

Les accouchements devront avoir lieu, d’une façon habituelle, dans les hôpitaux spécialement aménagés. Les décès qui se produisent parmi les femmes au moment de la procréation, sont causés pour un  nombre considérable de cas, par l’absence de soins spéciaux, rapidement donnés par des docteurs compétents. Dans les maternités, le nombre de cas mortels ne cesse de diminuer. Et il n’y a besoin que d’un peu de réflexion  pour comprendre que jamais une maison privée ne peut offrir, au point de vue de l’hygiène et de l’installation, la garantie d’un établissement public, où tout est prévu.

Les maisons d’accouchement devront être complétées par des maisons d’allaitement, où la mère trouvera le secours d’une organisation en commun pour le linge, le lait, la garde de l’enfant pendant quelques heures par jour.

Pourtant, ces maisons ne devront pas être des casernes où un réglement rigide soumet les hôtes à une discipline quasi militaire. Elles recevront seulement un nombre minime de personnes et chaque rue, chaque petite agglomération devra avoir la sienne. […]

Pages  21-22