EXTRAITS DE POLITIQUE ET SYNDICATS, DE KARL KAUTSKY, 1900 – (D’APRÈS L’ÉDITION FRANÇAISE DE 1903)
[…] Malgré l’organisation tout à fait indépendante des syndicats, il existe entre eux et le Parti socialiste l’entente la plus étroite. Ce sont la plupart du temps les mêmes hommes qui se trouvent groupés dans l’une et l’autre organisation. Les socialistes se montrent les meilleurs syndiqués, et presque tous les syndiqués vraiment actifs sont aussi de bons socialistes. Si la question des rapports d’organisation entre le Parti socialiste et les syndicats est hors de discussion en Allemagne, il m’apparaît par contre qu’en France cette question est extrêmement controversée.
Les solutions les plus divergentes sont proposée ; tandis qu’un grand nombre veut mettre les syndicats dans la dépendance absolue — au point de vue de l’organisation — des groupements politiques socialistes, les autres préconisent non seulement l’indépendance des syndicats vis-à-vis des organisations politiques, mais même l’opposition à celles-ci, et ils ne voient pas l’action syndicale et l’action politique comme les deux aspects d’un même phénomène —la lutte de classe du prolétariat—, mais deux phénomènes différents et incompatibles.
Examinée au point de vue de la propagande, la question prend un tout autre aspect. Certains syndiqués socialistes allemands ne se contentent pas de l’indépendance des syndicats vis-à-vis du Parti socialiste au point de vue de l’organisation. Ils demandent encore aux syndiqués socialistes de s’abstenir de toute démonstration socialiste à l’intérieur des syndicats, de faire ailleurs leur propagande socialiste, parce que cela éloignerait des syndicats les éléments non socialistes. […]
Et je suis heureux de pouvoir constater qu’en Allemagne aussi la conception de la neutralité, qui est combattue dans les pages qui suivent, n’a pas pris racine. Le prolétariat militant d’Allemagne a l’idée socialiste trop dans le sang pour qu’il ne trouve pas à la manifester dans tous ses actes, en dépit des accès passagers de tiédeur politicienne. La discussion qui a donné lieu aux articles traduits ici ne date que de deux ans. Mais au récent congrès des syndicats tenu à Stuttgart, l’esprit socialiste a dominé aussi complètement et aussi ouvertement que dans n’importe quel congrès du Parti socialiste. L’écrasante majorité des congressistes n’a laissé aucun doute à cet égard: pour eux, les syndicats n’exerceront une action utile que par une entente harmonieuse avec le Parti socialiste. Pour la rendre plus facile, le congrès de Stuttgart a transporté le siège du Conseil général de la Fédération des syndicats de Hambourg à Berlin, où se trouve également le siège du Comité directeur du Parti socialiste. […]

[Le SPD] ne veut pas non plus voir les socialistes devenir de majorité une minorité dans les syndicats, et aussi longtemps qu’ils seront la majorité, la direction des syndicats restera aux mains des socialistes. Or, les socialistes, s’ils font de la politique, ne peuvent faire que de la politique socialiste; ils peuvent bien s’allier avec des ouvriers ultramontains et libéraux pour le droit de coalition, par exemple, mais pour cela, ils se serviront d’arguments socialistes et ils en appelleront pour la défense de leurs intérêts aux socialistes des corps législatifs et de la presse. En outre, si la direction des syndicats tombait dans des mains non socialistes, les syndicats ne feraient pas de la politique neutre, mais bien de la politique anti-socialiste. Le Parti socialiste joue actuellement dans toutes les questions ouvrières un rôle beaucoup trop important pour qu’un représentant des travailleurs puisse rester indifférent à son égard. […]
Vouloir neutraliser les syndicats, c’est vouloir en fait maintenir les syndiqués en un parfait état d’innocence politique. Cette neutralité consiste simplement en ceci : rester neutre en théorie et faire dans la pratique de la politique de parti. « On » se laisse guider dans le syndicat par les mêmes idées de parti qu’en dehors du syndicat; seulement, dans le syndicat, on appelle politique ouvrière cette même politique qu’on vient d’appeler politique du Parti socialiste dans une réunion électorale, et l’on soutient ici comme un ami des ouvriers le même candidat qu’on recommande là-bas comme un homme de parti éprouvé!
Si les syndicats font de la politique, les syndiqués, du moins les meilleurs d’entre eux, ceux qui ont une certaine maturité politique, feront constamment de la politique de parti. Si on veut bannir cette politique des syndicats, il faudra condamner la politique en général dans les syndicats et dans leurs organes, il faudra les transformer en de simples caisses de secours, en de pures entreprises d’affaires. Alors on pourra être neutre, mais il ne le faudra pas nécessairement, parce qu’il y a des sociétés de secours (maladies ou autres accidents) socialistes, ultramontaines, etc. La politique de parti pénètre l’ouvrier allemand jusqu’à la moelle des os, c’est elle qui détermine tous ses faits et gestes. »