Guerres de religion, tolérance et passé paléochrétien
Il est affreux sans doute que l’Église chrétienne ait toujours été déchirée par ses querelles, et que le sang ait coulé pendant tant de siècles par des mains qui portaient le Dieu de la paix. Cette fureur fut inconnue au paganisme. Il couvrit la terre de ténèbres, mais il ne l’arrosa guère que du sang des animaux; et si quelquefois, chez les Juifs et chez les païens, on dévoua des victimes humaines, ces dévouements, tout horribles qu’ils étaient, ne causèrent point de guerres civiles. La religion des païens ne consistait que dans la morale et dans les fêtes : la morale, qui est commune aux hommes de tous les temps et de tous les lieux, et les fêtes, qui n’étaient que des réjouissances, ne pouvaient troubler le genre humain.
L’esprit dogmatique apporta chez les hommes la fureur des guerres de religion. J’ai recherché longtemps comment et pourquoi cet esprit dogmatique, qui divisa les écoles de l’antiquité païenne sans causer le moindre trouble, en a produit parmi nous de si horribles. Ce n’est pas le seul fanatisme qui en est cause; car les gymnosophistesSages indiens nus. et les braminsLes brahmanes., les plus fanatiques des hommes, ne firent jamais de mal qu’à eux-mêmes. Ne pourrait-on pas trouver l’origine de cette nouvelle peste qui a ravagé la terre dans ce combat naturel de l’esprit républicain, qui anima les premières Églises, contre l’autorité, qui hait la résistance en tout genre ? Les assemblées secrètes, qui bravaient d’abord dans des cavesOn le crut longtemps mais les premiers chrétiens étaient des gens ordinaires, connus comme tels de leurs voisins et non des marginaux. Ils ne se cachaient pas dans les catacombes comme le croit Henryk Sienkiewicz (1896), dans le roman Quo Vadis, 1896. et dans des grottes les loisBien qu’autorisé par l’Édit de tolérance de Constantin de 313, le christianisme ne fut en fait jamais interdit par Rome, ce qui constitua un argument juridique pour les chrétiens persécutés. de quelques empereurs romains, formèrent peu à peu un État dans l’État. C’était une république cachée.
La persécution des protestants sous Louis XIV
Louis XIV était animé contre les réformés par les remontrances continuelles de son clergé […], par la cour de Rome, et enfin par le chancelier Le Tellier et Louvois, son fils, tous deux ennemis de Colbert, et qui voulaient perdre les réformés comme rebelles, parce que Colbert les protégeait comme des sujets utiles. Louis XIV, nullement instruit d’ailleurs du fond de leur doctrine, les regardait, non sans quelque raison, comme d’anciens révoltés soumis avec peine. Il s’appliqua d’abord à miner par degrés, de tous côtés, l’édifice de leur religion. On leur ôtait un temple sur le moindre prétexte. On leur défendit d’épouser des filles catholiques; et, en cela, on ne fut pas peut-être assez politique : c’était ignorer le pouvoir d’un sexe que la cour pourtant connaissait si bien. Les intendants et les évêques tâchaient, par les moyens les plus plausibles, d’enlever aux huguenots leurs enfants. Colbert eut ordre, en 1681, de ne plus recevoir aucun homme de cette religion dans les fermes. On les exclut, autant qu’on le put, des communautés des arts et métiers. Le roi, en les tenant ainsi sous le joug, ne l’appesantissait pas toujours. On défendit par des arrêts toute violence contre eux. On mêla les insinuations aux sévérités; et il n’y eut alors de rigueur qu’avec les formes de la justice […]
On employa surtout un moyen souvent efficace de conversion : ce fut l’argent; mais on ne fit pas assez d’usage de ce ressort […] Il était enjoint à tout le clergé de faire des prosélytes, et il était défendu aux pasteurs réformés d’en faire, sous peine de bannissement perpétuel. Tous ces arrêts étaient publiquement sollicités par le clergé de France […] Enfin les huguenots osèrent désobéir en quelques endroits. Ils s’assemblèrent dans le Vivarais et dans le Dauphiné, près des lieux où l’on avait démoli leurs temples. On les attaqua; ils se défendirent. Ce n’était qu’une très légère étincelle du feu des anciennes guerres civiles. Deux ou trois cents malheureux, sans chefs, sans places, et même sans desseins, furent dispersés en un quart d’heure. Les supplices suivirent leur défaite. L’intendant du Dauphiné fit rouer le petit-fils du pasteur Chamier qui avait dressé l’édit de Nantes. Il est au rang des plus fameux martyrs de la secte, et ce nom de Chamier a été longtemps en vénération chez les protestants.
[…] L’intendant du Languedoc fit rouer vif le prédicant Chomel. On en condamna trois autres au même supplice, et dix à être pendus. La fuite qu’ils avaient prise les sauva, et ils ne furent exécutés qu’en effigie. Tout cela inspirait la terreur, et en même temps augmentait l’opiniâtreté. On sait trop que les hommes s’attachent à leur religion à mesure qu’ils souffrent pour elle.
Ce fut alors qu’on persuada au roiTournure ancienne. On dirait aujourd’hui qu’on persuada le roi. qu’après avoir envoyé des missionnaires dans toutes les provinces, il fallait y envoyer des dragons. Ces violences parurent faites à contre-temps. Elles étaient les suites de l’esprit qui régnait alors à la cour, que tout devait fléchir au nom de Louis XIV. On ne songeait pas que les huguenots n’étaient plus ceux de Jarnac, de Moncontour et de CoutrasBatailles du temps des Guerres de religion du XVIe siècle.; que la rage des guerres civiles était éteinte; que cette longue maladie était dégénérée en langueur; que tout n’a qu’un temps chez les hommes; que si les pères avaient été rebelles sous Louis XIII, les enfants étaient soumis sous Louis XIV. On voyait en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, plusieurs sectesSecte : terme désignant les différentes branches du christianisme protestant dans le vocabulaire de Voltaire., qui s’étaient mutuellement égorgées le siècle passé, vivre maintenant en paix dans les mêmes villes. Tout prouvait qu’un roi absolu pouvait être également bien servi par des catholiques et par des protestants. Les luthériens d’Alsace en étaient un témoignage authentique. Il parut enfin que la reine Christine Christine de Suède. avait eu raison de dire dans une de ses lettres, à l’occasion de ces violences et de ces émigrations : « Je considère la France comme un malade à qui l’on coupe bras et jambes, pour le traiter d’un mal que la douceur et la patience auraient entièrement guéri.
Louis XIV, qui, en se saisissant de Strasbourg, en 1681, y protégeait le luthéranismeUne forme du christianisme protestant qu’on retrouve beaucoup en Allemagne, en Suède ou au Danemark., pouvait tolérer dans ses États le calvinisme (Forme du christianisme protestant qu’on retrouve beaucoup en Suisse, en France, aux Pays-Bas, anciennes Provinces-Unies.], que le temps aurait pu abolir, comme il diminue un peu chaque jour le nombre des luthériens en Alsace. Pouvait-on imaginer qu’en forçant un grand nombre de sujets, on n’en perdrait pas un plus grand nombre, qui, malgré les édits et malgré les gardes, échapperait par la fuite à une violence regardée comme une horrible persécution ? […] Mais Louis XIV, conciliant les intérêts de sa religion et ceux de sa grandeur, voulut à la fois humilier le pape d’une main, et écraser le calvinisme de l’autre.
Il envisageait dans ces deux entreprises cet éclat de gloire dont il était idolâtre en toutes choses. Les évêques, plusieurs intendants, tout le conseil, lui persuadèrent« Lui persuadèrent » : le persuadèrent. que les soldats, en se montrant seulement, achèveraient ce que ses bienfaits et les missions avaient commencé. Il crut n’user que d’autorité; mais ceux à qui cette autorité fut commise usèrent d’une extrême rigueur. Vers la fin de 1684, et au commencement de 1685, tandis que Louis XIV, toujours puissamment armé, ne craignait aucun de ses voisins, les troupes furent envoyées dans toutes les villes et dans tous les châteaux où il y avait le plus de protestants; et comme les dragons, assez mal disciplinés dans ce temps-là, furent ceux qui commirent le plus d’excès, on appela cette exécution la dragonnade […]
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