En ce premier quart du 21e siècle, la question du réchauffement climatique occupe une place  croissante dans l’actualité et dans les débats politiques. Dans leur excellent ouvrage, « les révoltes du ciel – Une histoire du changement climatique – XVe-XXe siècle », Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher ont démontré que ces préoccupations pour le changement climatique  n’étaient pourtant pas propres à notre temps  et qu’on  pouvait en trouver des traces dès le 16e siècle.

Mais, au siècle des Lumières, la thèse dominante penche pour un refroidissement climatique  progressif de la Terre. Elle a été exprimée et argumentée par le grand naturaliste du 18e siècle, Buffon, qui est l’auteur du texte que nous présentons ici.

Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), a laissé une oeuvre considérable et il est  considéré comme un des meilleurs représentants de l’Esprit scientifique de son temps.

la thèse de Buffon est que la Terre connaît depuis sa naissance un refroidissement progressif lié à son origine. Boule de matière en fusion détachée du soleil, la Terre se refroidirait inexorablement, comme un boulet en fusion se refroidit plus ou moins vite, en fonction de sa surface. Buffon pense  que la principale source de chaleur de la Terre vient de ses tréfonds et considère comme négligeable l’influence du rayonnement solaire ; c’est en cela que sa thèse est fausse.
Buffon s’appuie également,  pour conforter sa thèse, sur les découvertes de nombreux fossiles de végétaux et d’animaux qui tendent à prouver que l’Europe, à une époque très ancienne, a connu un climat beaucoup plus chaud.

Enfin, il s’appuie sur la variation de la hauteur des glaciers des Alpes pour prouver le refroidissement climatique. La deuxième moitié  du 18e siècle connaît en effet  une vogue des glaciers qui entrent véritablement dans le « paysage culturel » des élites du Temps et dont témoigne l’illustration ci-contre.

La thèse principale de Buffon, exprimée alors que  le « petit âge glaciaire » (qu’on ignorait bien évidemment) va bientôt prendre fin, est fausse. Cependant, compte tenu de l’influence  de l’oeuvre de Buffon  parmi les élites des Lumières,  la thèse du refroidissement climatique  est largement  admise comme une « vérité scientifique », jusqu’au début du 19e siècle.


 […] Quoi qu’il en soit, toutes les régions septentrionales au delà du 76e degré depuis le nord de la Norvège jusqu’à l’extrémité de l’Asie, sont actuellement dénuées d’habitants, à l’exception de quelques malheureux que les Danois et les Russes ont établis pour la pêche, et qui seuls entretiennent un reste de population et de commerce dans ce climat glacé. Les terres du nord autrefois assez chaudes pour faire multiplier les éléphants et les hippopotames, s’étant déjà refroidies au point de ne pouvoir nourrir que des ours blancs et des rennes, seront dans quelques milliers d’années entièrement dénuées et désertes par les seuls effets du refroidissement. Il y a même de très fortes raisons qui me portent à croire que la région de notre pôle qui n’a pas été reconnue ne le sera jamais : car ce refroidissement glacial me paraît s’être emparé du pôle jusqu’à la distance de sept ou huit degrés, et il est plus que probable que toute cette plage polaire, autrefois terre ou mer, n’est aujourd’hui que glace. Et si cette présomption est fondée, le circuit et l’étendue de ces glaces, loin de diminuer, ne pourront qu’augmenter avec le refroidissement de la terre. 

Or, si nous considérons ce qui se passe sur les hautes montagnes, même dans nos climats, nous y trouverons une nouvelle preuve démonstrative de la réalité de ce refroidissement et nous en tirerons en même temps une comparaison qui me paraît frappante. On trouve au-dessus des Alpes, dans une longueur de plus de soixante lieues sur vingt, et même trente de largeur en certains endroits, depuis les montagnes de la Savoie et du canton de Berne jusqu’à celles du Tyrol, une étendue immense et presque continue de vallées, de plaines et d’éminences de glaces, la plupart sans mélange d’aucune autre matière et presque toutes permanentes et qui ne fondent jamais en entier. Ces grandes plages de glace, loin de diminuer dans leur circuit, augmentent et s’étendent de plus en plus ; elles gagnent de l’espace sur les terres voisines et plus basses ; ce fait est démontré par les cimes des grands arbres et même par une pointe de clocher, qui sont enveloppés dans ces masses de glaces, et qui ne paraissent que dans certains étés très chauds, pendant lesquels ces glaces diminuent de quelques pieds de hauteur ; mais la masse intérieure, qui dans certains endroits est épaisse de cent toises, ne s’est pas fondue de mémoire d’homme. Il est donc évident que ces forêts et ce clocher enfouis dans ces glaces épaisses et permanentes étaient ci-devant situés dans des terres découvertes, habitées, et par conséquent moins refroidies qu’elles ne le sont aujourd’hui ; il est de même très certain que cette augmentation successive de glaces ne peut être attribuée à l’augmentation de la quantité de vapeurs aqueuses, puisque tous les sommets des montagnes qui surmontent ces glacières ne se sont point élevés, et se sont au contraire abaissés avec le temps et par la chute d’une infinité de rochers et de masses en débris qui ont roulé, soit au fond des glacières, soit dans les vallées inférieures. Dès lors l’agrandissement de ces contrées de glace est déjà et sera dans la suite la preuve la plus palpable du refroidissement successif de la terre, duquel il est plus aisé de saisir les degrés dans ces pointes avancées du globe que partout ailleurs : si l’on continue donc d’observer les progrès de ces glacières permanentes des Alpes, on saura dans quelques siècles combien il faut d’années pour que le froid glacial s’empare d’une terre actuellement habitée, et de là on pourra conclure si j’ai compté trop ou trop peu de temps pour le refroidissement du globe.

[…]

Buffon, époques de la nature , sixième époque de la nature, page 116-117-118, 1775

Texte établi par J.-L. de Lanessan, A. Le Vasseur

 

Note : les rédacteurs de Cliotexte précisent que la sélection de textes concernant le climat n’a pas pour but d’entretenir ou d’encourager le climatoscepticisme ni de remettre en question les conclusions alarmantes du GIEC. Les textes et documents choisis sont ici pour présenter la manière dont les contemporains perçoivent les événements météo et leurs conséquences.