Le fait de rattacher à la rhétorique du « politiquement correct », des textes où cette expression n’est pas employée, relève d’un choix assumé et fondé.  Le fait est que toute revendication égalitaire et tout comportement interrogeant des représentations inégalitaires (aujourd’hui le fait que des femmes osent jouer au football au point de disputer une coupe du monde) récolte son lot de dénonciations, au nom du bon sens, du ridicule ou – de façon plus systématique aujourd’hui – du « politiquement correct ». S’il faut savoir à qui profite cette rhétorique, il est patent qu’elle est avant tout contre ce qui peut heurter des représentations inégalitaires ou différentialistes. Edmund Burke dénonçait naguère l’idée qu’on pût commettre une injustice pour en supprimer une autre. Le pourfendeur du politiquement correct est beaucoup moins subtil que Burke. Il fait appel au bon sens populaire et confère à l’objet de sa critique une importance plus grande que l’inégalité passée ou présente qu’il souligne. Il se met ainsi au service du statu quo inégalitaire. Pour le pourfendeur du « politiquement correct », le moindre accroc à l’inégalité équivaut à mettre un genou en terre.


 

En 1972, alors que l’Organisation de l’unité africaine, soutenue par une partie modeste de l’opinion, s’émeut de l’Apartheid en Afrique du Sud et de la ségrégation raciale en Rhodésie (actuel Zimbabwe), Jacques DouzansLe même député s’indignait en juin 1972 d’une discrimination injustifiable révélée par la situation faite aux anciens prisonniers comparée à celle des anciens déportés (question n°24604 du 6 juin 1972) : «[…] il apparait aux observateurs les plus impartiaux que les prisonniers de guerre sont nettement défavorisés en matière de législation sociale par rapport aux anciens déportés. Cette discrimination est injustifiable (JORF…, op. cit., p. 75).»., député-maire centriste de MuretProgrès et démocratie moderne (PDM) est un groupe de centre-droit non-gaulliste demeuré hors de l’alliance FGDS située plus à gauche. Cette situation, récurrente dans la vie du centre-droit, peut être comparée à celle de l’UDI par rapport au MODEM. adresse au gouvernement gaulliste de Pierre Messmer une question écrite dénonçant le « chantage (sic) » de l’OUA et la soumission du gouvernement français à Addis-Abeba, c’est à dire à l’Éthiopie de l’empereur Hailé Sélassié. Le ton peut sans doute rappeler ceux qui s’offusquaient en 1935 qu’on pût défendre la cause d’une nation éthiopienne noire contre l’Italie mussolinienne qui entendait la civiliser. Le député rappelle en tout cas ce qui lui apparaît comme l’œuvre civilisatrice  des « peuples de race blanche » en reprenant les stéréotypes habituelsIl mentionne des réalisations dont on oublie souvent que, si elle furent moins nombreuses qu’on l’a prétendu, elles furent financées par ceux qu’on appela  « indigènes ».. La mémoire coloniale sert ici à justifier une relative complaisance vis-à-vis des lois raciales rhodésiennes. Détail qui fera sourire : la question écrite est datée du 26 août, jour anniversaire de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen qui figure dans le bloc constitutionnel.

« Question 25823 – Jeux olympiques – Exclusion de la Rhodésie – Le gouvernement français est-il solidaire de la démarche du secrétaire général des Nations unies auprès du Comité olympique international pour obtenir l’exclusion de la Rhodésie des Jeux olympiques ? Ne craint-il pas que la décision du Comité olympique international, qui semble avoir cédé au chantage de l’Organisation de l’unité africaine, constitue un redoutable précédent et que, désormais, pour avoir l’honneur et le privilège d’affronter leurs camarades noirs aux prochaines Olympiades, les athlètes blancs ne se voient obligés de solliciter l’aval d’Addis-Abeba !

Les peuples de race blanche, qui ont édifié en Afrique, depuis un siècle, des hôpitaux, des écoles, des routes, des centrales électriques, etc., éprouvent-ils un tel complexe de culpabilité ou ont-ils perdu à ce point le sens de leur dignité qu’ils ne ressentent comme une insulte cette nouvelle forme de ségrégation, totalement incompatible avec l’esprit qui a toujours animé jusqu’à ce jour les Jeux olympiques ! »

« Question écrite n°25823 – Jeux olympiques – Exclusion de la Rhodésie (24 août 1972)», Journal Officiel, Débats, Assemblée nationale, 26 août 1972.

 

 

En juillet 1989, lors des commémorations du Bicentenaire de la Révolution française, l’extrême-droite s’émeut que la Marseillaise soit chantée sur la place de la Concorde par la soprano américaine Jessie Norman.

«Le 14 juillet, c’est la fête de la nation française et […] la France n’est pas noire. [Le choix] systématique des figurants noirs [ou le fait que soit] noire la cantatrice pour interpréter la Marseillaise [est la preuve de la] volonté de déracinement ethnique, volonté de métissage culturel […], les Noirs ont rendu le monde plus perméable, [ils ont été] mis à l’honneur […] comme agents privilégiés du cosmopolitisme.»

Bruno Mégret (alors représentant du Front national), Présent, 21 juillet 1989.