Le débat sur la dépénalisation de l’homosexualité fut l’occasion de débats lourds montrant les valeurs de chacun des camps en présence.

Après l’exposé des motifs présidant à l’abrogation de l’article 331 alinéa 2 hérité du régime de Vichy, le député Jean Foyer prend la parole. Ce dernier, né en 1928, fut l’un des artisans de la Constitution de 1958. Ancien résistant, gaulliste, professeur de droit, Jean Foyer est à cette époque membre du RPR et député du Maine-et-Loire. Son intervention reprend tous les poncifs homophobes possibles en faisant de l’homosexualité une pratique déviante contre-nature et forcément synonyme de prostitution. À son intervention s’opposent, dans les extraits choisis ici, celles de Robert Badinter et de Raymond Forni, député socialiste du territoire de Belfort qui est alors Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale.

Notons qu’au cours du débat, Jean Foyer fait une allusion à François Mitterrand sans le nommer directement. En effet, « un jour du mois d’avril 1981 » fait référence à une interview que le futur Président avait accordé le 29 avril au cours de laquelle, interrogé par Gisèle Halimi, il déclarait alors que s’il était  élu, l‘homosexualité cesserait d’être un délit.


[…]

M. Jean Foyer. Mesdames, messieurs, quelle hâte, quelle précipitation ! L’Assemblée nationale a choisi la dernière séance de sa session ordinaire, un dimanche après-midi, pour aborder, devant le vingtième de ses membres, la discussion de la proposition de loi abrogeant l’article 331, alinéa 2, du code pénal.
Sur ce point, messieurs de la majorité et du Gouvernement., vous avez montré plutôt un esprit de continuité que de rupture car, sous le pouvoir précédent, par deux fois à la veille de Noël, le Parlement avait légitimé l’avortement. Cette fois, c’est l’homosexualité qu’il s’agit, selon vous, de réhabiliter.

M. Alain Chénard. Ils ne se reproduisent pas entre eux ! (Rires.)

M. Jean Foyer. Pourquoi cette rapidité ? On trouve une explication dans la conclusion du rapport de Mme Halimi qui fait état d’un certain engagement pris en sa présence un jour du mois d’avril 1981, qu’on ne peut guère appeler autrement, en raison de la date, qu’un engagement électoral. […] J’ai lu en détail et avec

Jean Foyer en 1988 – Photo : Georges BENDRIHEM

attention le rapport déposé au nom de la commission des lois. J’en ai réentendu tout à l’heure une bonne partie. Certains de ses accents présentaient tous les caractères d’une sorte d’hymne à la sexualité et même à l’homosexualité. Car, après cette proclamation de principe :  « Chacun connaît la nécessité, pour l’individu, de vivre en accord avec ce qui reste le plus profondément inexprimé — par peur, honte, conditionnement social ou répression — sa sexualité a, on lit, à la page 12 du rapport, ces affirmations catégoriques : Hétérosexualité et homosexualité ne sont pas deux situations différentes mais deux aspects d’une même réalité. L’homosexualité ne peut, en elle-même, constituer une infraction pénale parce qu’elle n’entraîne aucune réprobation morale . » Enfin, on voit combattre à la page 13, l’opinion selon laquelle l’homosexualité constitue une forme anormale, une déviation de la sexualité, opinion que récusent les socialistes.
Il ne s’agit pas pour vous d’abroger une loi pénale que le garde des sceaux, suivant une méthode qui paraît lui être habituelle, a déjà abolie par circulaire avant que le Parlement n’en délibérât — il faudra sans doute, sur ce point, réviser nos notions de droit constitutionnel qui sont quelque peu dépassées et, après avoir indiqué que les effets de la loi peuvent cesser par une abrogation expresse ou une abrogation tacite, indiquer qu’il existe un nouveau mode d’abolition : la circulaire du garde des sceaux interdisant au parquet de requérir l’application de ladite loi.
Ce que vous voulez, en réalité, c’est proclamer par la loi l’abrogation d’une morale et l’instauration d’une morale différente. La morale que les socialistes récusent, ce n’est pas seulement celle de la tradition judéo-chrétienne à laquelle j’ai personnellement l’honneur d’adhérer, c’est aussi la morale laïque, ce qu’affirmaient avec force les moralistes qui, au début de la IIIème République, étaient les collaborateurs de Jules Ferry et les fondateurs de l’école publique. Mais vous avez de plus en plus établi une séparation étanche entre deux domaines. Dans tout ce qui touche à l’ordre économique et social, vous réglementez et vous légiférez avec une extrême minutie en réduisant sans cesse la marge de liberté. Au contraire, dans le domaine des moeurs, votre principe est celui d’une liberté absolument dépourvue de toute entrave et complètement déchaînée. (Murmures sur les bancs des socialistes.)

La morale que vous voulez proclamer légalement, indépendamment de toute considération religieuse ou philosophique, présente, sur le point dont nous délibérons, le défaut d’être —je veux parler un langage qui ne blesse personne — en désaccord évident avec l’anatomie et la physiologie. Mais cela ne vous importe guère. Dans la circonstance — je vous étonnerai peut être mais c’est ma conviction profonde — votre attitude ressemble beaucoup à celle des juges de Galilée, car la réaction psychologique est la même : vous niez la nature en niant l’existence d’actes contre-nature, et cela au nom de votre idéologie. […] Cette utopie libertaire est dangereuse pour ceux-là mêmes qu’on prétend libérer, car elle justifierait, rendrait parfaitement légal ce crime qu’il faut dénoncer ici et combattre partout : le recrutement des enfants en vue de la prostitution.  Il faut en effet savoir que sous toute forme de prostitution se cache le problème dramatique du recrutement, du renouvellement du cheptel humain. Que des hommes vendent leur corps, cela les regarde ; qu’ils puissent le faire dès leurs dix-huit ans est une retombée imprévue de la loi abaissant l’âge de la majorité, encore que cette loi fasse le bonheur des proxénètes. Mais il existe une forte demande en chair fraîche et, nous l’avons vu, les petits tapins sont de plus en plus jeunes. Or, si une partie des jeunes se livrant à la prostitution le font de leur plein gré, combien d’entre eux y sont incités, entraînés, voire contraints ? De nos jours, des dizaines de milliers d’enfants des deux sexes vagabondent, jour et nuit, sans que nul ne s’en soucie. Dans certains établissements de nuit vous verrez, longtemps après minuit, des garçons de quatorze ans autour desquels folâtrent de beaux messieurs qu’on n ‘inquiète jamais. Qui se préoccupe de ces gosses? Oui, qui se préoccupe de ce massacre de gamins, qui s’indigne de l’impunité dont jouissent les ogres fortunés, qui songe aux travestis drogués qui profitent de l’argent que rapporte la prostitution, qui ferme les yeux, qui se tait, qui est complice ? La fameuse liberté dont on nous rebat les oreilles ne serait elle que le droit qu’ont les ogres de dévorer les petits poucets ? […]

Mme la présidente. La parole est à M. Forni, inscrit contre la question préalable.

M. Raymond Forni. j’avais souhaité parler pendant quinze minutes, pensant que M. Foyer nous assènerait toute une série d’arguments comme à son habitude. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il utilise certaines lectures pour appuyer son argumentation et dresser une vision apocalyptique de la France de demain, après le vote de l’abrogation de l’alinéa 2 de l’article 331 du code pénal. Dans le conservatisme, monsieur Foyer, je vous reconnais ; ce qui me gène, et je le dis pour vous, c’est que votre horizon s’arrête aux années 1942.

M. Gabriel Kaspereit. Il y a des choses qu’on ne dit pas !

M. Job Durupt. C’est un constat, monsieur Kaspereit !

Raymond Forni (source : site de l’AN)

M. Raymond Forni. Pour nous socialistes, notre référence, c’est 1789.  […] Le proxénétisme sera également toujours réprimé. Nous considérons pour notre part que l’arsenal dont dispose aujourd’hui la justice est suffisant pour sanctionner certaines déviations. J’en arrive à ma conclusion.
Chacun se souvient des problèmes immenses qu’ont connus les homosexuels à certaine époque de notre histoire. À cette tribune, nous avons déjà rappelé que, dans les années sombres qu’a connues la France il y a quelque quarante ans, les homosexuels étaient marqués d’une étoile rose. Nous avons le sentiment, nous socialistes, qu’ils ne sont jamais totalement sortis du ghetto dans lequel on les a confinés. Notre honneur ne sera pas de voter une loi permissive.[…] Notre honneur, ce sera d’avoir mis un
terme à une discrimination qui apparaît comme de plus en plus choquante.
Je puis vous assurer, monsieur Foyer — vous le savez d’ailleurs aussi bien que moi — que tout homme politique à l’esprit calculateur se garderait bien, dans ce domaine, de faire quelque promesse électorale que ce soit. Nous avons tout simplement le courage de nos opinions et nous avons une conception tour à fait particulière de la liberté de chacun. Il ne s’agit que de cela aujourd’hui et de rien d’autre. […]

M. le garde des sceaux. Si le Gouvernement a mis l’accent sur l’arsenal répressif destiné à protéger l’intégrité et la dignité de la personne humaine, c’est bien parce que ces textes existent et continueront d’exister et de s’appliquer. Mais vous avez utilisé, monsieur Foyer, une image saisissante, destinée à mobiliser les sensibilités, et en particulier celle des parents, en évoquant le cas d’un jeune garçon qui serait livré —je ne reprendrai pas tous les détours de votre rhétorique — à la lubricité d’un vieillard. Vous avez posé cette question : Qui pourrait supporter la vision d’un vieillard sodomisant un jeune garçon de quinze ans, même consentant ? Mais, monsieur Foyer, quel père de famille pourrait supporter la même vision d’un vieillard lubrique sodomisant une jeune fille de quinze ans ? (Applaudissements sur les bancs des socialistes.)
Là est le problème, et vous le savez parfaitement. […]

Assemblée Nationale, deuxième session du 20 décembre 1981, extraits page, archives de l’Assemblée Nationale, disponible ICI