Le Mardi 25 septembre 1792, est fait lecture de la lettre du Ministre de la Guerre, qui demande sa démission. Il s’agit de Joseph Servan de Gerbey (né à Romans en 1741 – mort à Paris en 1808). Ce militaire de carrière avait publié dans l’Encyclopédie des articles sur l’art militaire. Il avait été aussi l’auteur d’un « Projet de constitution pour l’armée française » en 1790. Servan de Gerbey cessera ses fonctions de ministre le 3 octobre 1792, pour être remplacé par Lebrun.

(…)

(Lettre du ministre de la guerre)

« Paris, le 25 septembre, l’an Ier de la République.

Au moment où le peuple a reconquis la liberté, toutes les mesures étaient prises pour l’accabler de chaînes mille fois plus pesantes que celles qu’il avait commencé de briser le 14 juillet. Ainsi, il ne paraît plus possible de douter, que du 15 au 25 août, les ennemis seraient entrés dans Paris, comme leur imprudente présomption en laissait depuis quelque temps transpirer la nouvelle. Tout était préparé pour aplanir les difficultés, et l’on avait, pour ainsi dire, jalonné leur route.

En effet, Luckner n’avait à Metz que 17.000 soldats; Lafayette tramait dans son camp de Sedan des trahisons à la tête de 18.000 hommes, formait de vastes, mais inutiles projets: obligé de diviser ses forces entre Pont-sur- Sambre, Maubeuge et Maulde. Biron était sur les bords du Rhin; mais malgré son ardente envie de servir la chose publique, il ne voyait que des trahisons à craindre, et un peuple séduit par le fanatisme et la cabale; en vain Custine s’était jeté dans Landau; Ferrières était à Porentuy; Kellermann à Wissembourg; les ennemis étaient partout; et tandis que le roi de Prusse devait marcher tranquillement et sans obstacle sur Paris, les Hessois et les émigrés devaient passer le Rhin, les Autrichiens pénétrer dans les départements du Nord, les Piémontais dans ceux du Midi, et l’aristocratie lever ouvertement le masque dans toutes les parties de l’intérieur. Une seule nuit vit disparaître tous ces projets, et le courage de nos braves concitoyens fit évanouir, le 10 août, ces trames si perfidement ourdies contre notre liberté.

Depuis, Messieurs, la scène a changé; en vain les ennemis ont-ils profité des trahisons préparées à Longwy et à Verdun; en vain ont-ils réuni sur un même point la plus grande partie des forces qu’ils avaient sur le Rhin et dans les Pays-Bas.

Déjà nous leur avons opposé plus de 60.000 hommes réunis à Sainte-Menehould; déjà ils ont été repoussés plusieurs fois devant Thionville: Metz est dans un état respectable de défense; la France tout entière s’est levée, et toutes les villes, les bourgs, les villages entre Paris et Châlons, se garnissent journellement de volontaires prêts à se réunir en corps d’armées; le Nord va revoir incessamment une armée en campagne; les Brabançons ne nous aurons pas appelés en vain; de nouvelles forces ne tarderont point à être dirigées sur les derrières de l’ennemi: sans un orage affreux qui a endommagé les lignes de la Lauter, le brave Custine aurait déjà porté nos armes à Coblentz; nous avons dû entrer en Savoie, et attaquer le comté de Nice; les Espagnols tenteraient en vain de traverser les Pyrénées.

D’autres entreprises qui exigent du secret ne tarderont pas à être mises à exécution; enfin, de tous les côtés, le peuple français est en mouvement pour assurer sa liberté, et concourir avec ses représentants à jeter les fondements durables d’une constitution qui l’honore à jamais.

Si, au milieu d’événements qui tiennent autant du prodige, il était permis à un citoyen de parler de lui, je prierais que l’on me permit de me féliciter de m’être trouvé au milieu des mouvements multipliés et rapides imprimés en si peu de temps à toute la machine. Je prierais surtout de pouvoir nommer les citoyens qui ont concouru et qui concourent encore avec moi au salut de la chose publique; mais les effets heureux dont ils sont la cause parlent assez pour eux; et dans un moment où il faut naturaliser l’égalité parmi nous, chaque Français ne peut plus être heureux que de la prospérité de la République.

Cependant, mes forces n’ont pas suffi à mon désir extrême de répondre aux bontés excessives de mes concitoyens pour moi. Dans la place qu’on m’a confiée, il ne suffit pas de la volonté; il ne suffit pas de méditer pour correspondre avec les armées; il faut s’occuper à les alimenter, les augmenter et suivre leurs mouvements.

Pour entretenir des relations exactes avec toutes les parties de la république, il faut que le ministre soit lui-même dans une action continuelle, et c’est ce qui ne m’est plus possible. Un mois et demi passé sans aucune espèce de repos ni le jour ni la nuit, toujours entre la crainte des événements et celle de ne pas faire, aussi bien que je l’aurais voulu, tout ce qui intéresse le salut de la chose publique, m’a réduit dans un état de douleur si continuel, qu’il ne m’est plus possible à peine de signer. Obligé pour tout le reste de m’en rapporter à d’autres, je ne peux plus conserver cette responsabilité morale dont tout homme honnête doit être si jaloux.

Veuillez donc, Monsieur le Président, prier la Convention nationale d’accepter ma démission d’une place que je ne peux plus occuper pour le bonheur de ma patrie et mon honneur… Ce qui tranquillise cependant un peu, en me voyant dans l’impossibilité de rester plus longtemps à la place où mes concitoyens m’avaient appelé, c’est de la quitter dans un moment où tout est préparé pour donner bien plus d’espérance que de crainte; aussi osé-je me flatter que mes concitoyens me sauront quelque gré des efforts que je n’ai cessé de faire depuis plus d’un mois pour le service de la chose publique; et que hors d’état de les soutenir, faute de forces physiques suffisantes, je ne continuerai pas moins de mériter toute leur estime.

Signé SERVAN ».

Saint-Just : « Je demande qu’il soit décrété que le citoyen Servan a bien mérité de la patrie ».

(On applaudit)

Granet : « Je demande qu’il soit invité à rester dans le ministère et qu’on lui donne un adjoint ».

(L’assemblée ajourne la délibération sur ces lettres à la séance de la nuit. La séance est levée à 6 heures).

Source : « Journal officiel de la Convention Nationale – La Convention Nationale (1792-1793), Procès-verbaux officiels des séances depuis le 21 septembre 1792, Constitution de la grande assemblée révolutionnaire, jusqu’au 21 janvier 1793, exécution du roi Louis XVI, seule édition authentique et inaltérée contenant les portraits des principaux conventionnels et des autres personnages connus de cette sublime époque », auteur non mentionné, Librairie B. Simon & Cie, Paris, sans date, pages 37 à 38.