La crainte d’être enterré vivant ou taphophobie est attestée dès l’Antiquité avant d’atteindre des sommets au XIXème siècle. Derrière cette terreur, se cache le doute entourant le diagnostic de la mort, qu’on ne saurait limiter au seul arrêt de l’activité cardiaque. Le texte proposé ici date de la fin du XVIIIe siècle, en pleine Révolution française, au moment où plusieurs médecins et observateurs comme Madame Necker, rapportent des réveils inopinés de cadavres ou, à tout le moins, des mouvements suspects de telle ou telle partie du corps.

Portrait de Leopold I. Berchtold, par Josef Rupert Maria Přecechtěl, 1862

Homme de lettres et grand voyageur originaire de Bohême, Léopold de Berchtold (1759-1809) propose à l’Assemblée nationale une batterie de mesures qui, du curé au médecin, doivent permettre de mieux repérer les morts apparentes. Il réclame également du gouvernement la création de « maisons d’exposition », c’est-à-dire des morgues ou chambres funéraires permettant d’attendre les premiers signes de putréfaction avant l’inhumation.

Berchtold, de retour chez lui, a ouvert des établissements de santé et a transformé son château familial en hôpital.

Rappelons enfin que l’article 77 du Code civil proscrit tout enterrement avant un délai de vingt-quatre heures après le décès, hors situation particulière. En 1960, un décret a rendu obligatoire la production d’un certificat de décès par un médecin, avant tout permis d’inhumer délivré par l’officier d’état-civil.

 


Extrait 1 : le préambule

LETTRE À MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

MONSIEUR, LE désir dêtre utile à mes semblables me détermine à vous communiquer un plan très important et très aisé, pour mettre les habitants de la France et des possessions françaises, outre mer, à l’abri du malheur très fréquent dêtre enterrés vivants (…). Je vous prie, Monsieur le PRÉSIDENT, de communiquer à l’Assemblée nationale le contenu du projet que j’ai l’honneur de vous envoyer, et d’observer qu’on n’aura pas suffisamment pourvu à la sûreté que l’on doit au citoyen, tant qu’on laissera subsister un usage dangereux pour sa vie , et qui l’expose à périr dans la tombe , au milieu des tourments les plus cruels que l’on puisse imaginer.

En cas que l’exécution de mon plan demande du temps , et que dans les circonstances présentes, on ne puisse pas s’en occuper, il serait à souhaiter qu’une législature aussi éclairée et aussi pleine d’humanité, daigne faire incessamment un règlement provisoire, pour empêcher les inhumations précipitées, et quelle s’oppose de toutes
ses forces , au danger le plus redoutable , qui menace chaque jour tous les habitants de la France.

Je suis avec respect,

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Votre très humble et très obéissant serviteur.

Le Comte LÉOPOLD DE BERCHTOLD.

 

Extrait 2 :

Pour justifier les médecins Français , il suffit d’observer qu’en 1742 , M. BRUHIER avait déjà donné au public un ouvrage excellent, traduit en allemand, sur l’incertitude des signes de la mort , et l’abus des enterrements et embaumements précipités ; ce livre n’a pas manqué de faire sensation, mais il n’a pas suffi pour forcer un gouvernement insoucieux et impopulaire , à réfléchir sérieusement sur les moyens de mettre les citoyens à l’abri du malheur d’être enterrés vivants.

L’ouvrage de M. JANIN , sur le triste sort des personnes qui, sous une apparence de mort, ont été enterrées. vivantes, publié eu 1772 , ainsi que le mémoire de M. PINEAU, sur le danger des inhumations précipitées, imprimé en 1776 , auraient certainement mérité d’attirer l’attention de la police.

En 1787 , M. THIERY, médecin consultant du roi , donna une preuve de son zèle philanthropique, en publiant un ouvrage intitulé : la vie de l’homme respectée et défendue dans ses derniers moments, ou instructions sur les soins qu’on doit aux morts et à ceux qui paraissent l’être ; mais cet écrivain généralement applaudi dans les pays étrangers , n’a pas eu non plus la satisfaction de voir paraître un règlement pour préserver ses compatriotes du danger sur lequel il les éclaire.

Les obstacles que les auteurs cités ( dont les noms doivent être chers à l’humanité ) ont rencontré dans le temps passé, ne m’ont point découragé , bien persuadé que les preuves de mon assertion seront assez fortes pour déterminer l’Assemblée nationale à détruire l’abus funeste que je me suis proposé de combattre.

Quand on considère les circonstances nécessaires pour découvrir qu’une personne a été enterrée vivante, on ne s’étonnera plus que les exemples des inhumations précipitées parviennent si rarement à la connaissance du public ; mais que cela ne vous empêche pas, MESSIEURS , de prendre en considération tes tourments cruels d’ une foule de malheureux qui, depuis tant d’années, périssent chaque jour, par le plus redoutable de tous les genres de mort.

Les personnes que vous chérissez le plus , vos amis, vos parents , vos enfants , sont-elles exemptes de ce danger général ? N’y êtes-vous pas exposés vous-mêmes, ainsi que tous les étrangers qui séjournent en France ?

Extrait 3 : l’incertitude des signes de la mort

Ou croit communément le malade expiré :

1°. Quand on ne sent plus son pouls ni le mouvement de son cœur.
2°. Quand sa respiration ne peut agiter un duvet, ou la flamme d’une chandelle tenue devant sa bouche et ses narines , ou quand son haleine n’obscurcit pas un miroir appliqué de la même manière.
3°. Quand le corps devient tout à fait insensible.
4°. Quand tous les mouvements extérieurs ont cessé.
5°. Quand le corps a perdu sa chaleur extérieure.
6°. Quand les membres sont devenus roides et inflexibles , ou quand la crampe ( dont on suppose que le malade a été affligé ) a cessé à un tel point que les membres ont repris leur souplesse ordinaire.
7°. Quand la bouche s’ouvre par le relâchement de la mâchoire inférieure, et quand les excréments sortent du corps.
8°. Quand le sang ne vient pas après la saignée.
9°. Quand les yeux ont perdu leur clarté , et que la prunelle ne se rétrécit pas , lorsqu’on lui présente une lumière.

L’unique signe de la mort qui soit infaillible, est la putréfaction , lorsqu’elle est accompagnée des autres signes ordinaires.

Elle se manifeste sur tout le corps par des taches jaunes, brunes, verdâtres, noirâtres et mêlées de bleu, et en même temps on sent une odeur cadavéreuse.

Encore faut-il être très circonspect pour ne pas confondre les signes de la putréfaction avec les taches que l’on observe quelquefois dans les fièvres putrides , qui cependant n’empêchent pas la guérison du malade ; il faut aussi distinguer la puanteur de quelques malades ( surtout de ceux qui sont mal-propres ) de l’odeur cadavéreuse.

Les signes ordinaires de la mort sont incertains, et les meilleurs médecins de tous les temps s’en sont méfiés avec beaucoup de raison car on sait que tous les signes de la sensibilité et du mouvement peuvent disparaître, sans que leur cause soit entièrement détruite.

Extrait 4 : le règlement proposé

Pour empêcher les enterrements précipités, sans exposer le public au moindre inconvénient.

Pour obvier au danger des enterrements précipités, il serait nécessaire que le gouvernement, la faculté de médecine et les curés travaillassent de concert.

Le gouvernement devrait :

1°. Faire ériger et meubler incessamment dans chaque ancien cimetière des villes et de la campagne, ou sur un autre emplacement exposé à l’air , des édifices destinés à recevoir tous les corps , pour les y exposer, jusqu’à ce que les signes infaillibles de la mort se manifestent et pour y employer, avec ordre et persévérance , tous les remèdes que la médecine et la chirurgie peuvent fournir , pour les rappeler à la vie.

2°. Etablir dans les villes et les hôpitaux de campagne, des écoles pratiques pour enseigner aux chirurgiens les différentes maniérés de traiter les personnes crues mortes, et transportées à la maison d’exposition.

3°. Encourager le public à fonder une société des amis de l’humanité , pour seconder les vues bienfaisantes du gouvernement , en faveur des personnes que l’on croit expirées.

4°. Fixer des récompenses pour les médecins et les chirurgiens qui auraient les talents et le bonheur de rappeler à la vie un citoyen cru mort.

La faculté de médecine serait chargée ;

1°. De publier, aux dépens du gouvernement , une espèce de catéchisme pour le traitement des personnes mortes en apparence.

2°. De nommer des professeurs intelligents et doués de patience, pour enseigner dans les écoles pratiques toutes les méthodes de rappeler à la vie les personnes qui paraissent mortes , d’examiner les élèves, et de donner des attestations sans lesquelles les chirurgiens ne devraient pas être employés.

3°. De surveiller à l’exécution des ordonnances faites à l’égard des personnes mortes en apparence.

4°. De revoir les registres mortuaires tenus par les curés.

Les curés devraient ;

1°. Se procurer des connaissances nécessaires relatives au traitement des personnes crues mortes, pour pouvoir juger si les ordonnances du gouvernement et les règlements de la faculté de médecine ont été exécutés ponctuellement.

2°. Veiller sur l’exécution desdites ordonnances du gouvernement, et des règlements de la faculté de médecine.

3°. Tenir les registres mortuaires.

4°. Inculquer à leurs paroissiens les devoirs sacrés qu’ils ont à remplir envers les personnes mortes en apparence.

Extrait 5 : Observations sur les maisons d’exposition

Je respecte trop le mérite distingué de M. THIERY, pour ne pas avouer que son ouvrage , digne de reconnaissance de la patrie, m’a infiniment aidé à étendre le plan des édifices que j’ai l’honneur de vous communiquer.

Ces édifices devraient être érigés avec beaucoup d’économie et de simplicité , pour épargner des frais qui pourraient être beaucoup mieux employés à fournir les secours nécessaires pour les personnes exposées , et à rendre l’intérieur propre et salubre. On choisirait d’anciens cimetières où l’on n’enterre plus , on d’autres emplacements élevés et sains qui ne soient pas trop éloignés de la paroisse. L’étendue de ces édifices serait proportionnée au nombre des habitants de l’endroit ; chaque maison d’exposition consisterait en quatre chambres spacieuses et assez hautes , dont une servirait pour l’exposition et le traitement des hommes ; une autre , grillée pour là bienséance , serait destinée aux femmes ; dans la troisième, qui serait pourvue d’un double ventilateur, pour dissiper entièrement l’odeur cadavéreuse, on mettrait les personnes réellement mortes ; et le fossoyeur habiterait la quatrième.

Les chambres auraient des cheminées pour l’hiver, et le service de l’établissement; l’air serait continuellement renouvelé par des ventilateurs appliqués aux fenêtres.

Il ne faudrait cependant pas laisser entrer trop de monde à la fois dans les chambres d’exposition, parce qu’en rendant l’air moins salubre , on retarderait le retour de la vie extérieure de ceux qui sont ex- posés.

On pourrait placer à l’entrée de la porte une boëte pour recevoir les contributions volontaires.

Les personnes riches, qui peut-être ne voudraient pas être confondues avec les pauvres, pourraient en payant , être exposées et traitées dans une chambre séparée.

La notice de la BNF est à cette adresse.

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