Voici 3 textes de Victor Hugo décrivant des exécutions capitales au XIX° siècle :  Son combat contre la peine de mort fut permanent.
Il écrivit  » Le dernier jour d’un condamné «  dès 1832 et utilisa tout son talent de poète, de romancier et d’orateur pour peser de tout son poids pour l’abolition de tous les gibets. Il ne refusa jamais de prêter son nom pour aider à un recours en grâce.
Dans ces trois textes, il n’hésite pas à théâtraliser l’exécution, à faire ressortir les détails les plus terribles pour arriver à son effet. C’est magistral.
(Thierry Poinot)

Victor Hugo contre la peine de mort

Le dernier jour d’un condamné, préface de 1832, extrait

« Il faut citer ici deux ou trois exemples de ce que certaines exécutions ont eu d’épouvantable et d’impie. Il faut donner mal aux nerfs aux femmes des procureurs du roi. Une femme c’est quelque fois une conscience.

Dans le midi, vers la fin du mois de novembre dernier, nous n’avons pas bien présent à l’esprit le lieu, le jour, ni le nom du condamné, mais nous les retrouverons si l’on conteste les faits, et nous croyons que c’est à Pamiers ; vers la fin de septembre donc, on vient trouver un homme dans sa prison, où il jouait tranquillement aux cartes : on lui signifie qu’il faut mourir dans deux heures, ce qui le fait trembler de tous ses membres, car, depuis six mois qu’on l’oubliait, il ne comptait plus sur la mort ; on le rase, on le tond, on le garrotte, on le confesse; puis on le brouette entre 4 gendarmes, et à travers la foule, au lieu de l’exécution. Jusqu’ici rien que de simple. C’est comme cela que cela se fait. Arrivé à l’échafaud, le bourreau le prend au prêtre, l’emporte, le ficelle sur la bascule, l’enfourne, je me sers ici d’argot, puis il lâche le couperet. Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe en cahotant dans ses rainures, et, voici l’horrible qui commence, entame l’homme sans le tuer. L’homme pousse un cri affreux. Le bourreau, déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un troisième ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois , cinq fois il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et secoua sa tête vivante en criant grâce ! Le peuple indigné prit des pierres et dans sa justice se mit à lapider le misérable bourreau. Le bourreau s’enfuit sous la guillotine et s’y tapit derrière les chevaux des gendarmes. Mais vous n’êtes pas au bout. Le supplicié se voyant seul sur l’échafaud, s’était redressé sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur son épaule, il demandait avec de faibles cris qu ‘on vint le détacher. La foule, pleine de pitié, était sur le point de forcer les gendarmes et de venir à l’aide du malheureux qui avait subit cinq fois son arrêt de mort. C’est en ce moment là qu’un valet du bourreau, jeune home de vingt ans, monte sur l’échafaud, dit au patient de se retourner pour qu’il le délie, et, profitant de la posture du mourant qui se livrait à lui sans défiance, saute sur son dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui restait de cou avec je ne sais quel couteau de boucher. Cela s’est fait. Cela s’est vu. Oui.

Aux termes de la loi, un juge a dû assister à cette exécution. D’un signe il pouvait tout arrêter. Que faisait-il donc de sa voiture, cet homme pendant qu’on massacrait un homme ? Que faisait-il ce punisseur d’assassins, pendant qu’on assassinait en plein jour, sous ses yeux, sous le souffle de ses chevaux, sous la vitre de sa portière ?

A Dijon, il y a trois mois, on a mené au supplice une femme. (Une femme !) Cette fois encore, le couteau du docteur Guillotin a mal fait son service. La tête n’a pas été tout à fait coupée. Alors les valets de l’exécuteur se sont attelés aux pieds de la femme, et à travers les hurlements, de la malheureuse, et à force de tiraillements et de soubresauts, ils lui ont arraché la tête par arrachement.

A Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. Comme on n’ose plus décapiter en grève [ la place de Grève était la place des exécutions capitales] depuis juillet [1830], comme on a peur, comme on est un lâche, voici ce qu’on fait. On a pris dernièrement à Bicêtre un homme, un condamné à mort, un nommé Désandrieux je crois ; on l’a mis dans une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes parts, cadenassé et verrouillé ; puis, un gendarme en tête, un gendarme en queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la barrière déserte de Sait Jacques [ Cela marque la sortie de Paris]. Arrivés là, il était huit heures du matin, à peine jour, il y avait une guillotine toute fraîche dressée et pour public quelques douzaines de petits garçons groupés sur des tas de pierres voisins autour de la machine inattendue ; on a tiré l’homme du panier, et, sans lui donner le temps de respirer, furtivement, sournoisement, honteusement, on lui a escamoté la tête. Cela s’appelle un acte public et solennel de haute justice. Infâme dérision ! « 


Le 11 juin 1851, Victor Hugo défend son fils Charles accusé de « manquement grave au respect de la Loi » devant le tribunal. Il avait relaté une exécution capitale particulièrement atroce.

« Quoi ? Quoi ? Un homme, un homme, un condamné, un misérable homme est traîné, un matin, sur une de nos places publiques ; là il trouve l’échafaud ; il se révolte, il se débat, il refuse de mourir. Il est tout jeune encore, il a vingt-neuf ans à peine. Mon Dieu ! On va ma dire : c’est un assassin ! Mais écoutez : deux exécuteurs le saisissent, il a les mains liées, les pieds liés, il repousse les deux exécuteurs. Une lutte affreuse s’engage. Le condamné embarrasse ses pieds garrottés dans l’échelle patibulaire, il se sert de l’échafaud contre l’échafaud. La lutte se prolonge, l’horreur parcourt la foule. Les exécuteurs, la sueur et la honte au front, pâles, haletants, terrifiés, désespérés – de je ne sais quel horrible désespoir-, courbés sous cette réprobation publique qui devrait se borner à condamner la peine de mort et qui a tort d’écraser l’instrument passif, le bourreau, les exécuteurs font des efforts sauvages. Il faut que la force reste à la Loi, c’est la maxime. L’homme se cramponne à l’échafaud et demande grâce, ses vêtements sont arrachés, ses épaules nues sont en sang. Il résiste toujoursŠ Enfin, après trois quarts d’heure, oui, trois quart d’heureŠ( ici l’avocat général fait un signe de dénégation) On nous chicane sur les minutes, disons trente cinq minutes de cet effort monstrueux, de ce spectacle sans nom, de cette agonie, agonie pour tout le monde, entendez-vous bien ! agonie pour le peuple qui est là autant que pour le condamné, après ce siècle d’angoisse, Messieurs les jurés, on ramène le misérable à la prison. Le peuple respire. Le peuple croit l’homme épargné. Point ! Et le soir, on prend un renfort de bourreaux, on garrotte l’homme de telle sorte qu’il ne soit plus qu’une chose inerte, et à la nuit tombée on le rapporte sur la place publique, pleurant, hurlant, hagard, tout ensanglanté, appelant la vie, appelant Dieu, appelant son père et sa mère, car devant la mort cet homme était redevenu un enfantŠ On le hisse sur l’échafaud et sa tête tombe ! Jamais le meurtre légal n’est apparu avec plus de cynisme et d’abomination. »

Cité par J-F Kahn dans « L’Extraordinaire Métamorphose ou cinq ans de la vie de Victor Hugo 1847-1851 » ed. Le Seuil.


Il s’agit d’une lettre envoyée par Victor Hugo au ministre de l’intérieur anglais Lord Palmerston le lendemain de l’exécution de Tapner. Tapner était un assassin qui fut pendu à Guernesey, île anglaise sur laquelle Victor Hugo était en exil.

« Dès le point du jour une multitude immense fourmillait aux abords de la geôle. Un jardin était attenant à la prison. On y avait dressé l’échafaud. Une brèche avait été faite au mur pour que le condamné passât. A huit heures du matin, la foule encombrant les rues voisines, deux cents spectateurs « privilégiés » étant dans le jardin, l’homme a paru à la brèche. Il avait le front haut et le pas ferme ; il était pâle ; le cercle rouge de l’insomnie entourait ses yeux. Le mois qui venait de s’écouler venait de le vieillir de vingt années. Cet homme de trente ans en paraissait cinquante. « Un bonnet de coton blanc profondément enfoncé sur la tête et relevé sur le front, – dit un témoin oculaire, – vêtu de la redingote brune qu ‘il portait aux débats, et chaussé de vieilles pantoufles », il a fait le tour d’une partie du jardin dans une allée exprès. Les bordiers, le shérif, le lieutenant-shérif, le procureur de la reine, le greffier et le sergent de la reine l’entouraient. Il avait les mains liées ; mal, comme vous allez voir. Pourtant, selon l’usage anglais, pendant que les mains étaient croisées par les liens sur la poitrine, une corde rattachait les coudes derrière le dos. Il marchait l’¦il fixé sur le gibet. Tout en marchant il disait à voix haute : Ah mes pauvres enfants ! A côté de lui, le chapelain Bouwerie, qui avait refusé de signer la demande en grâce, pleurait. L’allée sablée menait à l’échelle. Le n¦ud pendait. Tapner a monté. Le bourreau d’en bas tremblait ; les bourreaux d’en bas sont quelquefois émus. Tapner s’est mis lui-même sous le n¦ud coulant et y a passé son cou, et, comme il avait les mains peu attachées, voyant que le bourreau, tout égaré, s’y prenait mal, il l’a aidé. Puis, « comme s’il pressentait ce qui allait suivre, » – dit le même témoin, – il a dit : « Liez-moi donc mieux les mains.- C’est inutile, a répondu le bourreau. » Tapner étant ainsi debout dans le n¦ud coulant, les pieds sur la trappe, le bourreau a rabattu le bonnet sur son visage, et l’on a plus vu de cette face pâle qu’une bouche qui priait. La trappe, prête à s’ouvrir sous lui, avait environ deux pieds carrés. Après quelques secondes, le temps de se retourner, l’homme des « hautes ¦uvres » a pressé le ressort de la trappe. Un trou s’est fait sous le condamné, il y est tombé brusquement, la corde s’est tendue, le corps a tourné, on a cru l’homme mort. « On pensa, dit le témoin, que Tapner avait été tué raide par la rupture de la moelle épinière. » Il était tombé de quatre pieds de haut [1,2 mètre], et de tout son poids, et c’était un homme de haute taille ; et le témoin ajoute : « Ce soulagement des c¦urs oppressés ne dura pas deux minutes. » Tout à coup, l’homme, pas encore cadavre et déjà spectre, a remué ; les jambes se sont élevées et abaissées l’une après l’autre comme si elles essayaient de monter des marches dans le vide, ce qu’on entrevoyait de la face est devenu horrible, les mains, presque déliées, s’éloignaient et se rapprochaient « comme pour demander assistance, » dit le témoin. Le lien des coudes s’était rompu à la secousse de la chute. Dans ces convulsions, la corde s’est mise à osciller, les coudes du misérable ont heurté le bord de la trappe, les mains s’y sont cramponnées, le genou droit s’y est appuyé, le corps s’est soulevé, et le pendu s’est penché sur la foule. Il est retombé, puis a recommencé. Deux fois, dit le témoin. La seconde fois il s’est dressé à un pied de hauteur ; la corde a été à un moment lâche. Puis il a relevé son bonnet et la foule a vu ce visage. Cela durait trop, à ce qu’il paraît. Il a fallu finir. Le bourreau, qui était descendu, est remonté, et a fait, je cite toujours le témoin oculaire, « lâcher prise au patient. » La corde avait dévié ; elle était sous le menton ; le bourreau l’a remise sous l’oreille : après quoi il a « pressé les épaules. » Le bourreau et le spectre ont lutté un moment ; le bourreau a vaincu. Puis cet infortuné, condamné lui-même, s’est précipité dans le trou où pendait Tapner, lui a étreint les deux genoux et s’est suspendu à ses pieds. La corde s’est balancée à un moment, portant le patient et le bourreau, le crime et la loi. Enfin, le bourreau a lui-même « lâché prise. » C’était fait. L’homme était mort.

Vous le voyez, monsieur, les choses se sont bien passées. Cela a été complet. Si c’est un cri d’horreur qu ‘on a voulu, on l’a.

La ville étant bâtie en amphithéâtre, on voyait cela de toutes les fenêtres. Les regards plongeaient dans le jardin. »

In Actes et paroles. II, 1875 . Affaire Tapner 1834. « A Lord Palmerston » extrait.

Y Victor Hugo : défense de la culture