François-Victor Fournel [1829-1894] fut un historien et journaliste avant tout passionné par l’histoire culturelle en général et celle de Paris en particulier ; au point de consacrer plusieurs ouvrages à la capitale dont Ce qu’on voit dans les rues de Paris en 1858, Paris nouveau et Paris futur en 1865, Les Cris de Paris en 1887. En 1879, il publie Les rues du vieux Paris, galerie populaire et pittoresque.
Il revient à cette occasion sur la tradition des oeufs de Pâques à l’époque moderne. Son style, revendiqué dans son introduction, est celui de la chronique qu’il veut, selon ses mots, « vivante et familière « .
La coutume des œufs de Pâques, générale chez tous les peuples des diverses communions chrétiennes, remonte fort haut, et il y faut voir sans doute une tradition symbolique de la primitive Église. Elle avait sa raison d’être en un temps où l’abstinence entraînait la privation des œufs aussi bien que de la viande, à partir du mercredi des Cendres.
Quand revenait l’époque où cette privation devait cesser, on allait porter en offrande et faire bénir des œufs à l’église le vendredi saint et le jour de Pâques, puis on les rapportait solennellement au foyer, on se les envoyait entre amis, parents et voisins.
Cette tradition, qui s’observait jadis avec beaucoup de pompe, avait donné lieu à un grand nombre de réjouissances domestiques et même publiques, entre autres à la procession des œufs, qui se faisait un des jours de la semaine de Pâques. Les écoliers, les jeunes gens et les clercs des églises se réunissaient sur une place au son des trompettes, des sonnettes et des tambours, portant des étendards, armés de bâtons et de lances; ils allaient chanter laudes à la porte de la principale église, puis de là se répandaient par les rues pour quêter les œufs. Le même usage subsiste encore, au moins en partie, dans quelques paroisses des environs de Paris. À la cour, après la grand’messe du jour de Pâques, ou même dès la veille, on portait chez le roi des œufs peints et dorés qu’il partageait entre les courtisans, et cet usage dura jusqu’au milieu du dix-huitième siècle. Toutes les métairies étaient mises à contribution, et leurs plus gros œufs réservés pour le monarque. Saint-Simon nous apprend dans ses mémoires que, le samedi saint, on élevait dans le cabinet de Louis XIV des corbeilles de verdure contenant des pyramides d’œufs coloriés, qu’il faisait bénir par le chapelain et distribuait autour de lui, même aux gardes et aux laquais. C’est de la même façon que, s’il faut en croire le voyageur Chardin, le shah de Perse distribuait, particulièrement aux innombrables dames de son sérail, la veille ou le jour de l’équinoxe du printemps, qui marque, comme jadis chez nous, le renouvellement de l’année, des œufs peints et dorés qui coûtaient souvent des sommes fabuleuses […]
Le règne de Louis XV avait été surtout l’âge d’or des œufs de Pâques. On ne se bornait pas à les dorer, à les colorier, on les peignait souvent comme des objets d’art, et l’on assure que Watteau et Lancret n’ont pas dédaigné d’en illustrer quelques-uns de leurs plus fines peintures. Deux œufs, offerts en cadeau à l’une des filles de Louis XV, madame Victoire, et renfermant dans leurs coques des paysages et des scènes traités finement, sont conservés parmi les curiosités de la bibliothèque de Versailles.
Victor Fournel Les rues du vieux Paris : galerie populaire et pittoresque, Paris, Firmin Didot, 1879, extraits pp.130-134