Les violences xénophobes et racistes aux XIXe et XXe siècles vues par l’historien Gérard Noiriel
«Belges – D’avril à juin 1848, les manifestations hostiles aux ouvriers belges devinrent quotidiennes dans le Nord : il s’agissait tantôt d’agressions contre des groupes regagnant la Belgique, tantôt d’expéditions en bandes […] A la fin du XIXe siècle, la violence xénophobe atteint une intensité inouïe […] En 1892, à Drocourt (Pas-de-Calais), où ils représentent 75 % de la main-d’œuvre employée dans les mines locales, ils sont victimes d’une véritable mobilisation collective de la population française pour obtenir leur départ […] [En Belgique], les trains de France arrivaient bondés de familles nombreuses, et misérables portant leurs pauvres bagages. Dès l’arrivée, !es problèmes de logement se posaient. Il fallait de plus se procurer du mobilier pour remplacer celui qui avait dû être abandonné […] ou qui avait été détruit par les mineurs français […] Jusqu’à la première Guerre mondiale, le Nord de la France est le théâtre de bien d’autres scènes du même genre. En 1901 , à Liévin et à Lens, se produisent des rixes mortelles et de nouvelles chasses à l’homme […]
Italiens – Trois grandes « chasses à l’homme » […] ont traumatisé la communauté italienne à la fin du XIXe siècle. La première a lieu à Marseille [déjà !] en 1881. De véritables scènes d’émeutes ont lieu dans les rues de la ville pendant plusieurs jours […] [A] Lyon. […] beaucoup d’Italiens préfèrent quitter la ville ; d’autres francisent leur nom et leur apparence pour échapper à la violence […] Le paroxysme de la haine contre les Italiens est atteint en août 1893 à Aigues-Mortes. Suite à des rixes entre ouvriers des salines, trois cents personnes munies de bâtons, pelles et branches d’arbres s’en prennent aux travailleurs transalpins. Pendant la nuit, des bandes déchaînées rameutent toute la population française au tambour […] Un convoi de quatre-vingts Italiens conduit par les forces de l’ordre hors de la ville est pris à partie par les émeutiers munis de fusils, faisant de nombreux morts, les blessés étant achevés à coups de bâton […] Les jours suivants, la population locale, qui n’en a pas encore assez, ratisse la campagne environnante, les vignes, les marais, dans l’espoir de découvrir d’autres Italiens ayant échappé au massacre. Le bilan officiel est de huit morts et de cinquante blessés ; mais pour le Times, il y aurait eu en fait cinquante morts et cent cinquante blessés […] L’ampleur de la protestation internationale oblige le maire de la ville à démissionner. Cependant, les pouvoirs publics français cherchent par tous les moyens à minimiser l’affaire, comme le prouve le verdict de la cour d’assise qui acquitte les inculpés […] Si les Italiens sont les principaux boucs émissaires de la violence française dans cette fin de XIXe siècle, il n’est guère d’étrangers qui soient épargnés.
Tsiganes – Les Tsiganes (dont beaucoup sont d’ailleurs français) sont particulièrement visés eux aussi. Les occasions de « réjouissances collectives » […] (fête du village, saint-lundi, etc.) sont des moments privilégiés, l’alcool aidant, pour exprimer la haine de l’Autre. En 1895, à Toulouse, à la suite d’une altercation dans un bal populaire, quatre mille manifestants, sous les hourra d’une grande partie de la population toulousaine, se rendent dans le quartier […], où vivent les Bohémiens. De nombreuses maisons sont pillées, brûlées. Pour empêcher un massacre, il ne faut pas moins de deux brigades de gendarmerie à pied d’œuvre pendant deux jours entiers […]
Encore les Belges – En 1931, dans le Nord, des bagarres répétées ont lieu entre grévistes français et non-grévistes belges. Ces derniers sont molestés et bombardés de pierres et de briques, certains sont même jetés dans les canaux. Un ouvrier belge succombera à ses blessures.
Marocains, Polonais, Espagnols, Arméniens, … – En 1934, à Lyon, une altercation entre Français et Marocains fait un mort et deux blessés graves. En 1938, un contremaître polonais est assassiné par cinq ouvriers français en grève […]. [Les] archives […] sont remplies d’affaires de ce genre. En 1923, dans le Nord, des rixes ont lieu entre mineurs espagnols grévistes et Français non grévistes. A la même période, à Valence, les agressions ont lieu pour le motif inverse : des militants CGTU prennent à partie des manœuvres arméniens refusant de faire grève […]. »
Gérard Noiriel, Le creuset français, Histoire de l’immigration XIXe-XXe siècle, Le Seuil, « Points-Histoire », 1988, p. 257-261.
Questions :
- 1. Où et quand les immigrés sont-ils victimes de violences ?
- 2. Quelle est, parmi tous les étrangers cités, la religion ou la culture religieuse majoritaire ?
- 3. Cette culture leur permet-elle d’être mieux protégés ?
- 4. Peut-on dire que le séjour et l’intégration des étrangers européens se sont déroulés dans la discrétion ?
- 5. La mémoire nationale a-t-elle retenu ces épisodes ?